Cass. com., 30 janvier 1961, n° 58-11.974
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Monguilan
Avocat général :
M. Come
Avocats :
Me Labbé, Me Coutard
Sur le premier moyen, pris en ses trois branches:
Attendu qu'il résulte des motifs et des qualités de l'arrêt attaqué (Paris, 10 mai 1958) qu'aux termes de l'accord passé le 23 septembre 1954 pour la création de la société anonyme "Ateliers de Menuiserie Rationnelle" (A.M.R.), au capital de 6.000.000 Frs réparti en 60 actions, les fondateurs de cette société avaient prévu que deux d'entre eux, Roubach et la société à responsabilité limitée "Le Profil", n'apparaitraient pas en nom dans l'acte de constitution, les dix-neuf actions attribuées à la société Le Profil étant apparemment souscrites par Stamfort et l'action réservée à Roubach étant souscrite par Deparis; que, selon la même convention, la Société Le Profil, qui, avec la société "Menuiserie Métallique Moderne", devait entreprendre des fabrications d'huisseries métalliques pour le compte de la société A.M.R., s'engageait à confier à celle-ci l'exclusivité des ventes de fenêtres métalliques et objets similaires;
Attendu qu'assignée en dommages-intérêts pour n'avoir pas tenu cet engagement, la société Le Profil a opposé la nullité de la société A.M.R., motif pris de ce que la participation simulée de Stamfort et de Deparis, simples prête-noms, à la souscription du capital de cette société, avait entaché de fictivité ladite souscription;
Attendu qu'il est reproché à la Cour d'appel d'avoir refusé d'admettre une telle cause de nullité, alors, d'une part, que la souscription du capital social par des prête-noms et la libération du quart des actions par eux souscrites au moyen de fonds ne leur appartenant pas ne satisfait pas aux dispositions impératives de l'article 1er alinéa 2 de la loi du 24 juillet 1867 exigeant pour la constitution de la société la souscription de la totalité du capital social et le versement en espèces, par chaque actionnaire, d'un quart au moins du montant des actions souscrites par lui, ni à celles du même article 1er alinéas 16, 18 et 19 concernant la déclaration de souscription et de versement et ses annexes; alors, d'autre part, que l'arrêt constate que les deux souscriptions émanant de prête-noms ont été libérées à concurrence du quart au moyen de fonds appartenant à un seul des souscripteurs soi-disant réels, d'où il résulte que le nombre des souscripteurs réels ayant été inférieur à sept, la société ne pouvait, même dans le système de l'arrêt, se constituer valablement; - et alors, enfin, que les dispositions, également impératives et pénalement sanctionnées, de l'article 13 alinéa 4 de la même loi (rédaction du décret du 29 novembre 1939), expressément invoquées par la société Le Profil en des chefs de conclusions restés sans réponse, entachent de nullité le vote émis, comme en l'espèce, à l'assemblée constitutive d'une société anonyme par des personnes se présentant comme propriétaires d'actions qui ne leur appartiennent pas et, partant, la société elle-même ainsi délictueusement constituée;
Mais attendu, d'une part, qu'après avoir constaté qu'en l'espèce la simulation incriminée ne recouvrait aucune fraude et que la libération des actions n'était pas fictive, les fonds étant réellement et définitivement entrés dans les caisses de la société, la Cour d'appel a considéré à juste titre que les souscriptions par prête-noms ne constituaient pas, en elles-mêmes, une cause de nullité;
Attendu, d'autre part, que, si l'arrêt énonce "que les fonds furent versés par Deparis et Stamfort au moyen de chèques émis par la société Le Profil à l'ordre de ceux-ci et endossés par eux à l'ordre de Baron, notaire chargé de dresser l'acte constitutif de la société", une telle énonciation n'établit nullement, comme le prétend le pourvoi, que Deparis et Stamfort n'agissaient, l'un et l'autre, que pour le compte de la société Le Profil; que, selon les constatations de l'arrêt, seul Stamfort représentait ladite société, tandis que Deparis était le prête-nom de Roubach, à qui il a, par la suite et conformément à la convention, transféré l'action par lui souscrite, en sorte que le nombre des souscripteurs n'a pas été inférieur à sept;
Attendu, enfin, que la prétention de la société "Le Profil" ne tendait nullement à l'annulation d'un vote et que la référence, qu'aux termes de ses conclusions, régulièrement produites, la dite société faisait à l'article 13 alinéa 4 de la loi du 24 juillet 1867, dont l'application n'était pas en cause, constituait un simple argument et non pas un moyen auquel la Cour d'appel fût tenue de répondre;
Qu'ainsi le premier moyen n'est fondé en aucune de ses branches;
Sur le second moyen:
Attendu qu'il est encore reproché à la Cour d'appel d'avoir estimé que, bien que portant sur des marchandises dont le prix n'était pas fixé, la promesse d'exclusivité entre la société Le Profil et la société A.M.R. était valable, alors que l'obligation d'exécuter des commandes futures constitue nécessairement une promesse de vente et que l'engagement de conférer l'exclusivité de la vente de certains produits est lui-même dépourvu d'effet si le prix des ventes à venir, élément essentiel des obligations réciproques, n'y est point déterminé ou, du moins, rendu déterminable sans un nouveau concours des volontés des prétendus contractants;
Mais attendu que l'arrêt relève que l'engagement que la société Le Profil devait prendre envers la société A.M.R. portait notamment: "le prix de vente de nos fournitures à votre société, ainsi que les prix de vente de notre société à votre clientèle, auront pour base un barême de prix établi en accord entre la société Menuiserie Métallique Moderne, votre société et la nôtre, Dans le cas où notre société serait directement consultée pour la fourniture d'huisserie métallique, elle transmettra les prix de vente établis par votre clientèle indiquée au barême précité"; que, dès lors, la Cour d'appel a pu considérer "qu'il ne s'agit pas là d'une promesse de vente avec obligation de mentionner le prix, mais d'une obligation de faire;... que la société A.M.R. a été créée en conséquence des accords passés; qu'il y a eu, de la part de la société Le Profil, le 14 janvier 1955, rupture unilatérale des accords...; que de tels procédés appellent une sanction par indemnisation du préjudice subi par la société A.M.R.";
D'où il suit que l'arrêt, dûment motivé, a, sans violer les textes visés au pourvoi, légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS:
REJETTE le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 10 mai 1958 par la Cour d'Appel de Paris.