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Décisions

CA Paris, 3e ch. B, 27 novembre 2008, n° 07/17793

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Renaudot Investissements (SC)

Défendeur :

Groupe Hersant Media (Sté), Multimédia Futur (Sté), Grande Chaudronnerie Lorraine (Sté), Société du Journal de l'Est Républicain, Société des Editions des Dernières Nouvelles d'Alsace, Société Est Bourgogne Rhône Alpes, Banque Fédérative du Crédit Mutuel

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Monin-Hersant

Conseillers :

Mme Jourdier, M. Loos

Avoués :

Me Olivier, Teytaud

Avocats :

Me Schmidt, Me Viguie

TGI Paris 9e, 2e sect., du 12 sept. 2007…

12 septembre 2007

Vu l'appel interjeté par la société RENAUDOT INVESTISSEMENTS 'SRI', M. Gérard X..., Mme Nicole Y..., Melle Anne-Marie A..., Mme Bréangère DE BECO et M. Bertrand C... du jugement du tribunal de grande instance de PARIS, rendu le 12 septembre 2007, qui a jugé abusive la dénonciation sans préavis du protocole d'actionnaires du 30 avril 1997, qui a dit toutefois que cet abus était seulement susceptible d'ouvrir droit à des dommages et intérêts mais a constaté qu'il n'en était pas réclamé, qui a annulé les délibérations prises lors de l'assemblée générale de SRI le 27 mars 2006, qui a débouté les demanderesses du surplus de leurs prétentions et qui les a condamnés (les appelants) à payer aux sociétés FRANCE ANTILLES, MULTIMEDIA FUTUR et GRANDE CHAUDRONNERIE LORRAINE, ensemble, une indemnité de 10.000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile et qui a ordonné l'exécution provisoire à l'exception de l'indemnité allouée pour les frais irrépétibles,

Vu les dernières conclusions déposées le 8 septembre 2008 par les appelants et par la société du Journal de l'Est Républicain 'l'Est Républicain', la société des Editions des Dernières Nouvelles d'Alsace 'DNA', la société Est Bourgogne Rhône Alpes dite 'EBRA' et la société Banque Fédérative du Crédit Mutuel 'BFCM', assignées en intervention forcée et comme telles appelantes provoquées,

Vu les dernières conclusions déposées le 24 septembre 2008 par les sociétés GROUPE HERSANT MEDIA (anciennement dénommée FRANCE ANTILLES), GRANDE CHAUDRONNERIE LORRAINE 'GCL' et MULTIMEDIA FUTUR 'MMF', intimées,

SUR CE,

Considérant qu'un 'Protocole d'actionnaires' a, concomitamment à d'autres conventions non versées aux débats, été signé le 30 avril 1997 entre, d'une part, la société MULTIMEDIA FUTUR, 'représentée par son Président, M. Philippe Hersant, ayant tous pouvoirs à l'effet des présentes (ci-après MMF), agissant en tant que de besoin en sa qualité de Président du Groupe France Antilles', Groupe France Antilles deveu GROUPE HERSANT MEDIA (GHM), d'autre part, M. Gérard X..., son épouse née Nicole SALIN, Melle Anne-Marie A..., M. Christophe DE BECO et M. Bertrand C... '(ci-après, ensemble, le Groupe LIGNAC)'; que la convention exposait que MMF détenait le contrôle de la société LA GRANDE CHAUDRONNERIE LORRAINE (GCL), que le Groupe LIGNAC avait décidé la constitution de la société RENAUDOT INVESTISSEMENTS (SRI), que MMF et SRI 'contrôlent ou contrôleront respectivement chacune un certain nombre d'actions de la société du Journal de l'Est Républicain à Nancy, 64.000 actions (soixante-quatre mille) pour MMF et 81.500 actions (quatre-vingt-un mille cinq cents) pour SRI' et que MMF et le Groupe LIGNAC 'sont convenus de se consentir mutuellement un droit de préemption en cas de projet de mutation portant sur les actions qu'ils détiennent respectivement dans GCL et SRI, ce qui fait l'objet des présentes';

Que l'article 6 du protocole, 'ENGAGEMENTS DES PARTIES', est ainsi rédigé :

'Pendant la durée du présent contrat, MMF d'une part et le Groupe Lignac d'autre part s'interdisent d'accomplir ou de permettre qu'il soit procédé aux opérations suivantes sans l'accord préalable de l'autre partie :

. Augmentation du capital de CGL ou de SRI ayant pour effet de permettre l'entrée de tiers dans le capital,

. réduction de capital de GCL ou de SRI ayant pour effet d'évincer l'autre partie du capital de ces sociétés,

. toute opération de fusion ou d'apport ayant pour effet de permettre l'entrée de tiers dans le capital,

. toute opération de scission de GCL ou de SRI,

. tout acte de disposition portant sur tout ou partie de des (sic) actions de L'Est Républicain détenues par GCL ou SRI,

. toute introduction dans les actifs de GCL ou de SRI d'éléments autres que des actions de L'Est Républicain,';

Que l'article suivant, '7. MODALITES - DUREE - RESOLUTION’, l'avant dernier, est ainsi rédigé:

La présente convention, aussi bien dans l'engagement de principe qu'elle contient que dans les modalités de fixation du prix, ont [sic] été fixées en raison des relations anciennes de collaboration entre les deux groupes, et de leur volonté de maintenir un caractère 'intuitu personae' entre deux groupes familiaux, partageant les mêmes centres d'intérêts. Elles revêtent donc toutes un caractère essentiel et déterminant de la volonté des parties sans lequel elles n'auraient pas consenti à l'ensemble des conventions intervenues par ailleurs entre elles ce jour. Elles seront donc reproduites dans les statuts des sociétés SRI et GCL, dans des termes ne permettant pas leur modification ultérieure. Si ces statuts ainsi modifiés ne pouvaient être adoptés pour quelque raison que ce soit avant le 31 décembre 1997, l'ensemble des conventions de ce jour relative notamment à la prise de contrôle de DNA et de L'Est Eclair seraient résolues de plein droit et tenues pour nulles et non avenues sans indemnité de part et d'autre' ;

Que les interdictions ou encore obligations de ne pas faire de l'article 6 du protocole figurent dans l'article 28 des statuts de SRI, créée le 27 octobre 1997 ; que GHM détient ainsi, via GCL, 64.000 actions de l'Est Républicain (27 % du capital) et une part sur 397 de SRI qui détient 81.500 actions de l'Est Républicain (34 % du capital), le Groupe Lignac détenant 5 actions de GCL et 396 parts de SRI représentant plus de 50 % des droits de vote en assemblée générale ordinaire ;

Que le protocole du 30 avril 1997 a été dénoncé par le Groupe Lignac par lettre datée du 14 février 2006, adressée à 'MULTIMEDIA FUTUR A l'intention personnelle de Monsieur Philippe Hersant' et rédigée en ces termes :

'(...) Vous aviez connaissance de notre projet d'acquérir le groupe Delaroche auprès de Socpresse.

Malgré nos relations personnelles et malgré les relations entre notre famille et des sociétés qu'elle contrôle avec des sociétés que vous animez, vous avez tenté, de plusieurs façons, de faire échouer la réalisation de nos projets' ;

Que les associés de SRI, réunis en assemblée générale extraordinaire le 27 mars 2006, ont décidé de modifier l'article 28 des statuts en supprimant les six interdictions, seule GCL votant contre; que la société EST BOUGOGNE RHONES ALPES dite EBRA détenue à 51 % par l'Est Républicain et à 49 % par le CREDIT MUTUEL, a été immatriculée au RCS de NANCY le 30 mars 2006 et a, le 8 juin 2006, acquis le groupe de presse lyonnais DELAROCHE; que les sociétés GHM, MMF et GCL avaient, le 16 mai 2006, assigné les consorts LIGNAC, SRI, l'Est Républicain, les Dernières Nouvelles d'Alsace (DNA), EBRA et la Banque Fédérative du CREDIT MUTUEL pour contester la dénonciation du pacte d'actionnaires et la modification subséquente des statuts de SRI; que c'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement frappé d'appel; que les premiers juges ont estimé que le protocole litigieux avait une durée indéterminée et pouvait dès lors être résilié unilatéralement, que la dénonciation sans préavis avait été abusive et pouvait donner lieu à des dommages et intérêts non réclamés par le Groupe Hersant, que les délibérations prises lors de l'assemblée générale extraordinaire de SRI du 27 mars 2006 devaient être annulées puisqu'elles n'avaient pas été régulièrement prises à l'unanimité  ;

Considérant le présent litige est limité aux interdictions définies à l'article 6 du protocole et reproduites dans l'article 28 des statuts de SRI, et, plus précisément, aux deux dernières interdictions puisque les appelants demandent à la Cour de 'Donner acte aux consorts Lignac de leur engagement de respecter pleinement les dispositions contenues sous les tirets 1 à 4 de l'article 28, alinéa 2, des statuts de la société SRI en leur état antérieur à la résolution de l'assemblée générale du 27 mars 2006 et de convoquer, dans le délai fixé par la Cour en application de l'article 1844-13 du code civil, une assemblée générale de SRI pour réintroduire dans les statuts lesdites dispositions des tirets 1 à 4" ;

Considérant que les appelants soutiennent que les deux interdictions litigieuses sont 'radicalement nulles' pour fraude à la loi mais aussi parce que leur nullité est 'intrinsèque' dans la mesure où lesdites interdictions contrarient des règles essentielles du droit des contrat et des biens: absence de cause, vice de perpétuité, atteinte au droit de propriété, à la liberté fondamentale d'entreprendre et à la libre négociabilité des actions; qu'ils soutiennent encore qu'elles violent l'intérêt social de SRI ;

Considérant, s'agissant de la fraude à la loi, que les appelants entendent démontrer que GHM, qui n'a d'autre objectif avoué que de prendre le contrôle de l'Est Républicain, veut éluder la procédure d'agrément préalable du conseil d'administration de l'Est Républicain et a donc choisi, pour arriver à ses fins, deux moyens en apparence licites, droit de préemption et interdictions litigieuses; qu'ils font valoir que ces deux moyens pris séparément sont inopérants pour le but poursuivi, le droit de préemption sur les parts de SRI ne conférant à GHM aucun droit sur les actions de l'Est Républicain et l'interdiction faite à SRI de vendre ses actions de l'Est Républicain ne conférant pas à GMH le droit de les acheter, que GCL ne donnera son accord de cession ni à un tiers, ce qui serait contraire à l'objectif de GHM, ni à GHM puisque cette cession serait soumise à l'agrément du conseil d'administration de l'Est Républicain et, qu'en cas de refus d'agrément, le conseil d'administration désignerait le ou les acquéreurs de ces actions qui échapperaient alors à GHM, que la conjugaison du droit de préemption avec 'le droit de veto' permet ainsi à GHM d'éviter que les actions de l'Est Républicain lui échappent tout en se soustrayant à la procédure d'agrément, que ce 'montage frauduleux' ne profite qu'à GHM puisque les consorts Lignac contrôlent déjà l'Est Républicain ;

Mais considérant que le moyen tiré de la fraude et sa démonstration qui a nécessité pas moins de 14 pages de conclusions aux appelants sont incompréhensibles; qu'en effet GHM, pour se soustraire à la procédure d'agrément, ne doit pas acquérir directement de SRI des actions de l'Est Républicain, auquel cas la procédure d'agrément s'appliquerait, mais des parts de SRI; que ces parts de SRI ne pourraient être que celles détenues par la famille Lignac; que cette dernière n'a apparemment aucune intention de les céder à GHM ou alors le ferait en pleine connaissance de cause, qu'aucune intention frauduleuse de GHM n'est démontrée ;

Considérant que les appelants ne peuvent sérieusement soutenir l'absence de cause au motif que les interdictions litigieuses n'auraient pas été reproduites dans les statuts de GCL, étant observé qu'ils disent le contraire par la suite; que les statuts modifiés de GCL à la suite des accords de 1997 ont été approuvés par M. Gérard X... qui y a apposé sa signature; que les deux interdictions litigieuses ne peuvent être séparées des autres dispositions qui toutes prennent place dans un ensemble organisant le contrôle capitalistique de l'Est Républicain au profit du Groupe Lignac, et ce en contrepartie de la cession par le Groupe Hersant du contrôle des Dernières Nouvelles d'Alsace (DNA) à l'Est Républicain; que les appelants ne peuvent le nier eu égard à la teneur de la lettre adressée le 30 avril 1997 à FRANCE ANTILLES, à en-tête de l'Est Républicain et signée par M. Gérard X...; que le protocole d'actionnaires du 30 avril 1997 mentionne aussi expressément 'la prise de contrôle de DNA' ;

Considérant que la 'stipulation d'inaliénabilité infectée du vice du perpétuité' n'existe que dans l'esprit des appelants ; que les actions de l'Est Républicain détenue par SRI ne sont pas inaliénables puisqu'elles peuvent être cédées avec l'accord de tous les associés ; que cette interdiction n'est pas davantage 'perpétuelle' puisque les statuts peuvent être modifiés ;

Considérant que la motivation qui précède répond aussi aux longs développements des appelants sur la 'violation du droit de propriété' et la 'violation du principe de libre négociabilité des actions' ; que soumettre à un accord unanime des parties une cession d'actions ne porte pas atteinte à la négociabilité desdites actions, seul le principe de négociabilité ne pouvant faire l'objet de dérogations conventionnelles ;

Considérant que les interdictions litigieuses ne portent pas atteinte à la liberté d'entreprendre et ne violent pas davantage l'intérêt social de SRI qui n'a été créée que pour répondre aux objectifs communs des parties ;

Considérant, une fois encore, que les deux interdictions litigieuses ne peuvent être séparées des autres dispositions s'intégrant dans des accords négociés librement par deux familles aussi averties l'une que l'autre pour organiser le contrôle capitalistique de groupes de presse; que le droit de préemption de GCL sur les parts de SRI est indissociable de l'interdiction faite à SRI de céder sans l'accord unanime des associés ses actions de l'Est Républicain; que SRI n'a été créée que pour des motifs familiaux appartenant au Groupe Lignac; que sans l'interposition de sociétés holding, GCL du coté du Groupe Hersant, le droit de préemption porterait directement sur les actions de l'Est Républicain, les interdictions litigieuses seraient inutiles et le Groupe Lignac serait bien en peine de critiquer ce qui n'est en définitive qu'un pacte d'actionnaires; qu'il n'est ni sérieux ni crédible d'invoquer autant de grands principes étrangers aux débats; que le Groupe Lignac n'avait rien trouvé à redire au sujet des interdictions litigieuses avant qu'elles ne contrarient son projet de transfert du contrôle de l'Est Républicain avec l'arrivée d'un tiers ;

Considérant que les appelants n'expliquent pas sur quel fondement la Cour pourrait décider 'que la procédure d'agrément trouvera application lors de la préemption par GMH de la majorité ou de la totalité des Parts SRI' ;

Considérant que les appelants, qui confondent à dessein le protocole du 30 avril 1997 et l'article 28 des statuts de SRI, article dont il a déjà été dit qu'il ne contient aucune disposition à durée indéterminée, soutiennent alors que la délibération du 27 mars 2006, qui a supprimé des statuts les interdictions, n'encourt aucun grief puisque cette modification des statuts n'avait pas à être prise à la majorité; qu'ils font valoir que les décisions modifiant les statuts sont qualifiées par l'article 28 de décisions extraordinaires, que l'article 29 dispose que les décisions extraordinaires sont prises à la majorité 'à l'exception des cas où les présents statuts prévoient l'unanimité des associés' et qu'aucune clause de cette nature concerne les interdictions de l'article 28, contrairement à l'article 12.3 relatif au droit de préemption ;

Mais considérant que les délibérations du 27 mars 2006 n'ont pas fait que modifier les statuts ; qu'en décidant de supprimer les six interdictions reproduites dans l'article 28, l'assemblée générale des actionnaires a non seulement pris une décision extraordinaire mais est intervenue dans un domaine des plus importants de la vie sociale requérant un vote unanime des associés ; que ce 'domaine' concerne les interdictions litigieuses puisque l'article 28 les reproduit intégralement ;

Considérant que les appelants ne peuvent enfin sans se contredire soutenir en même temps que le protocole du 30 avril 1997 est 'caduc' ('ce protocole a été entièrement exécuté et son objet a été entièrement rempli par la signature des statuts de SRI et de GCL') et que sa résiliation a été régulière ; que cette dénonciation a en réalité été 'privée d'effet' comme l'écrivent les intimées ;

PAR CES MOTIFS :

Confirme le jugement frappé d'appel en ce qu'il a annulé les résolutions adoptées lors de l'assemblée générale extraordinaire de la société RENAUDOT INVESTISSEMENTS du 27 mars 2006 et en ce qu'il a condamné in solidum M. Gérard X..., Mme Nicole SALIN son épouse, Melle Anne-Marie A... , Mme Bérangère de B..., M. Bertrand C... et la société RENAUDOT INVESTISSEMENTS, outre aux dépens, à payer aux sociétés FRANCE ANTILLES, MULTIMEDIA FUTUR et GRANDE CHAUDRONNERIE LORRAINE 10.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Le réformant pour le surplus,

Dit privée d'effet la dénonciation le 14 février 2006 du 'Protocole d'actionnaires' du 30 avril 1997 ;

Condamne solidairement la société RENAUDOT INVESTISSEMNTS, M. et MMe X..., Melle LIGNAC, Mme DE BECO et M. C... à payer aux sociétés GROUPE HERSANT MEDIA, GRANDE CHAUDRONNERIE LORRAINE et MULTIMMEDIA FUTUR 100.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Les condamne solidairement aux dépens d'appel et admet la SCP TEYTAU, avoué, au bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires à la motivation.