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Décisions

Cass. com., 26 mai 2004, n° 02-11.944

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Tricot

Douai, 1re ch. civ., du 10 déc. 2001

10 décembre 2001

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Douai, 10 décembre 2001), que le 5 janvier 1990, Mme X... a donné l'ordre à la banque Paribas (la banque), qui gère son portefeuille, de vendre un certain nombre d'actions qu'elle détenait dans le capital de la société de presse Voix du Nord ; que la banque a exécuté cet ordre et que la société d'agents de change Dubly-Motte a, par lettre recommandée avec avis de réception du 8 janvier 1990, informé la société Voix du Nord de la vente de ces titres, ainsi que des noms et adresses des acquéreurs ; que le 5 janvier 1990 la banque a crédité le compte de Mme X... d'une somme correspondant à la vente des titres et débité de la même somme celui de la société Dubly-Motte ; qu'antérieurement à cette opération, le président du directoire de la société Voix du Nord avait informé la société Dubly Motte qu'il avait été autorisé, par ordonnance sur requête du 11 décembre 1989, à suspendre l'examen des demandes de transfert d'actions Voix du Nord, dans l'attente des décisions ou rapports de la Commission des opérations de bourse relatifs à la régularité des transferts d'actions demandés et lui a indiqué que, dans ces conditions, le conseil de surveillance ne donnait pas suite aux demandes formulées par elle au jour de la lettre, mais aussi pour l'avenir ; que cette ordonnance a été rétractée le 10 juillet 1990 ; que par lettre du 10 août 1990, la société Voix du Nord a informé Mme X... du refus de son conseil de surveillance d'agréer les cessionnaires proposés par l'agent de change, et lui a indiqué, ensuite, que quelles que soient les demandes qui lui étaient présentées, le conseil de surveillance ne pouvait qu'agréer la société Voix du Nord Investissement à une valeur de titre fixée par elle ;

que le 18 mars 1994 la société Dubly Motte a informé la banque que la société Voix du Nord avait repris les procédures d'agrément des cessions et l'a invitée à livrer les titres objet de la négociation du 5 janvier 1990, contre paiement ; que la banque a alors subordonné la transmission des ordres de mouvements des actions à l'agent de change au remboursement par Mme X... d'une certaine somme représentant les intérêts de la somme dont celle-ci avait été créditée par avance en 1990 ;

qu'à la suite de l'acceptation de cette transaction par Mme X..., la procédure a repris son cours et la cession des titres de Mme X... à la société Dubly Motte, a été régularisée à la date du 5 janvier 1990 ; que Mme X... a alors assigné les sociétés Voix du Nord et Voix du Nord Investissement en paiement d'une somme correspondant aux intérêts versés à la banque, en réparation de son préjudice né du retard à la fourniture d'agrément à la vente des titres réalisée en 1990 ;

Sur le moyen unique, pris en ses quatre premières branches :

Attendu que les sociétés Voix du Nord et Voix du Nord Investissement font grief à l'arrêt d'avoir condamné la société Voix du Nord à payer à Mme X... la somme de 273 746,82 francs à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice, alors, selon le moyen :

1 / lorsque le cédant a chargé un mandataire de formuler la demande d'agrément, c'est la notification du refus d'agrément à ce mandataire qui doit être prise en considération pour apprécier le respect du délai pour ce faire ; qu'en l'espèce, Mme X... avait mandaté la société de bourse Dubly-Motte pour réaliser la cession de ses actions ;

que seule cette société et non Mme X..., avait formulé le 8 janvier 1990 une demande d'agrément auprès de la société Voix du Nord ; que cette dernière avait cependant dès le 13 décembre 1989, dûment informé la société Dubly-Motte de ce que, en vertu d'une autorisation judiciaire, elle ne donnerait pas suite aux demandes d'agrément présentées à cette date, ni à celles présentées dans l'avenir, tant que ne serait pas réglées les questions ayant motivé la suspension judiciaire du délai d'agrément ; qu'en vertu de ce refus d'agrément en l'état, notifié en temps utile au mandataire de Mme X..., il était exclu de retenir le moindre retard de la société exposante dans la notification de son refus d'agrément ; qu'en statuant comme ils l'ont fait, les juges du fond ont partant violé les articles L. 228-23 et suivants du Code de commerce et 1382 et suivants du Code civil ;

2 / qu'en tout état de cause, le délai pour accepter l'agrément ou notifier son refus peut être prolongé par décision de justice à la demande de la société ; qu'en l'espèce, il était constant que par ordonnance en date du 11 décembre 1989, la société Voix du Nord avait été autorisée à suspendre toute procédure d'agrément ; que Mme X... qui n'avait jamais formulé directement de demande d'agrément auprès de la société Voix du Nord a néanmoins été prévenue en août 1990 de l'impossibilité d'agréer à ce moment les cessionnaires envisagés ; qu'à considérer même que cette dernière information ait constitué le refus d'agrément à prendre en considération, ce refus n'a pas été donné hors délai, eu égard à la suspension du délai par décision judiciaire ; qu'en considérant que la faute de la société Voix du Nord consistait à avoir notifié hors délai son refus d'agrément en date du 10 août 1990, sans tenir compte de l'autorisation judiciaire suspendant ledit délai, dont ils avaient pourtant relevé l'existence, les juges du fond ont omis de tirer les conséquences légales de leurs constatations et ont violé les articles L.. 228-23 et L. 228-24 du Code de commerce et 1382 et suivants du Code civil ;

3 / que l'ordonnance sur requête est exécutoire au seul vu de la minute ; que sa force exécutoire n'est pas subordonnée à sa signification aux tiers dont elle est susceptible d'affecter la situation ; qu'en l'espèce, en retenant l'existence d'un doute sur le comportement responsable de la société Voix du Nord, prétexte pris de ce qu'elle n'aurait jamais signifié à Mme X... l'ordonnance du 11 décembre 1989 ayant suspendu le délai d'agrément, la cour d'appel a violé les articles 495 du nouveau Code de procédure civile et 1382 et suivants du Code civil ;

4 / que les juges du fond doivent observer en toute circonstance le principe du contradictoire, y compris lorsqu'ils prennent en considération un fait non invoqué par les parties ; qu'en l'espèce en appuyant leur décision sur la rétractation de l'ordonnance du 10 juillet 1990, que n'invoquait aucune des parties, sans aucunement provoquer leurs observations sur ce point, la cour d'appel a violé les articles 7 et 16 du nouveau Code de procédure civile ;

Mais attendu que la cour d'appel ayant retenu par des motifs propres et adoptés, qui ne sont pas critiqués, tout d'abord que la société Voix du Nord en admettant la régularisation de la cession à laquelle elle s'était opposée antérieurement a donné son agrément à la cession en cause et, ensuite, que cette société par ses atermoiements, notamment, la notification de son refus et finalement la manifestation de son agrément plus de quatre ans après la cession, a privé Mme X..., pendant toutes ces années, de la rémunération du capital produit par la cession réalisée le 5 janvier 1990, sa décision, se trouve justifiée par ces seuls motifs abstraction faite des motifs surabondants critiqués par le moyen ; que celui-ci ne peut être accueilli ;

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche :

Attendu que les sociétés Voix du Nord et Voix du Nord Investissement font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen, que lorsque l'agrément est refusé, la société peut, avec le consentement du cédant, faire acquérir les actions par la société ; qu'en cas de désaccord des parties, le prix des actions doit être fixé par expert ; qu'en tout état de cause, si le cédant estime expiré le délai légal pour refuser l'agrément ou pour racheter les actions, il lui appartient d'invoquer l'acquisition de l'agrément en vertu de la loi, et de mettre en demeure la société de laisser réaliser la cession avec le cessionnaire initial ; que le seul retard d'agrément ne peut donc en soi entraîner de préjudice au détriment du cédant qui bénéficie alors de l'acquisition de droit de l'agrément ; qu'en l'espèce, les juges du fond relevaient que suite à son refus d'agrément en date du 10 août 1990, la société Voix du Nord avait explicitement indiqué à Mme X... que seule la société Voix du Nord Investissement pouvait pour l'heure être agréée, le prix de l'action étant fixé à 2 500 francs ; que Mme X... n'a jamais cru devoir donner suite à cette information ;

qu'elle n'a non plus invoqué l'acquisition de l'agrément par expiration du délai, ni mis en demeure la société de laisser réaliser la cession initialement envisagée ; qu'en considérant la société Voix du Nord seule responsable de la perte par Mme X... des intérêts qu'elle avait dû rembourser à sa banque, sans tenir compte de son refus persistant de restituer les sommes indûment versées par anticipation par la banque Paribas, ni surtout prendre en considération sa totale passivité au cours de la procédure d'agrément pour n'avoir à aucun moment excipé de l'acquisition légale de l'agrément, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles L. 228-24 du Code de commerce et 1382 et suivants du Code civil ;

Mais attendu qu'il ne résulte ni de ses conclusions, ni de l'arrêt, que la société Voix du Nord ait soutenu devant la cour d'appel que le préjudice causé à Mme X... résulterait de sa propre passivité au cours de la procédure d'agrément ; que le moyen est par conséquent nouveau et, mélangé de fait et de droit, irrecevable ;

Et sur le moyen, pris en ses deux dernières branches :

Attendu que les sociétés Voix du Nord et Voix du Nord Investissement font le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1 / que les juges du fond constataient en l'espèce que la banque Paribas, à laquelle madame X... avait refusé de restituer les sommes versées par anticipation, avait, au moment où la société Voix du Nord avait finalement agréé la cession, subordonné la transmission des ordres de mouvements des actions au versement par Mme X... d'une somme correspondant aux intérêts sur le capital indûment versé ; qu'en considérant que Mme X... eût de toute manière subi le préjudice allégué, et que le comportement de la société Voix du Nord était causalement directement lié à l'apparition de ce préjudice, dû au seul retard d'agrément, quel qu'ait été le comportement de la banque Paribas, quand le préjudice de Mme X... était manifestement né à la fois de son propre comportement, et de celui de la banque, confinant au chantage, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1382 et suivants du Code civil ;

2 / que les juges du fond constataient encore que la réalité du préjudice de Mme X... était établi par la transaction conclue avec la banque Paribas, Mme X... ayant dû reverser en application de cette transaction les intérêts perçus entre 1990 et 1994 sur les sommes versées par anticipation par la banque ; qu'il s'en évinçait que le préjudice de Mme X... trouvait bien sa source dans ses relations avec sa banque ; qu'en affirmant néanmoins que la circonstance que la banque ait crédité par avance le compte de Mme X... était sans portée sur les rapports de droit opposant cette dernière et la société Voix du Nord, distincts de ceux liant Paribas à Mme X..., les juges du fond n'ont pas tiré les conséquences de leurs propres constations et ont violé les articles 1382 et suivants du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt retient que les atermoiements de la société Voix du Nord ont privé Mme X... pendant quatre ans de la rémunération du capital produit par la cession réalisée le 5 janvier 1990, qui a été agréée rétroactivement par la société, le 24 juillet 2004 ; qu'il retient encore, que les rapports de droit opposant Mme X... à la société Voix du Nord sont distincts de ceux liant la banque Paribas à Mme X... ; qu'il relève enfin, que quels qu'aient été ses rapports avec sa banque, Mme X... eût de toute manière subi le préjudice invoqué, qui trouve son origine dans le seul retard apporté par la société Voix du Nord à agréer le cessionnaire ; qu'ayant ainsi fait ressortir, d'une part, que les relations de Mme X... et de sa banque étaient sans incidence sur la responsabilité de la société Voix du Nord et, d'autre part, que le montant du préjudice subi par elle était équivalent au montant des intérêts produits pendant quatre ans par le capital constitué par le prix de cession, la cour d'appel a légalement justifié sa décision et pu statuer comme elle a fait ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.