Cass. com., 15 février 1994, n° 92-12.330
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bézard
Rapporteur :
M. Poullain
Avocat général :
Mme Piniot
Avocat :
SCP Delaporte et Briard
Attendu que, selon l'arrêt attaqué, le capital de la Société pour l'équipement technique (SETEC) était détenu principalement par Mme Z..., M. B..., M. X... et M. Y... ; que le 21 juin 1978 une assemblée générale extraordinaire a décidé d'augmenter le capital social, par l'émission d'actions privilégiées dont la souscription serait réservée à la société de Développement régional de Normandie (SDRN) ; qu'il a été indiqué, en marge du procès-verbal, que l'assemblée avait accordé un droit de préférence pour le rachat de ces actions à M. X... qui s'était porté caution hypothécaire des engagements de la société ; que le même jour les quatre principaux associés de SETEC ont promis à la société SDRN de lui racheter ou faire racheter, à un prix fixé, les actions nouvelles, par tranches égales, le 1er juin de chaque année de 1984 à 1988, l'acte précisant que les actions seraient réparties pour "maintenir une égalité de droits entre les actionnaires" et que les demandes de cession seraient présentées par un mandataire unique ; qu'à la suite du décès de Mme Z..., ses héritiers, représentés par Mme Chosson, ont chargé le mandataire désigné, M. X... de demander à la SDRN de leur céder les actions devant leur revenir en vertu du protocole du 21 juin 1978 ; que M. X... s'y est refusé et a demandé à la SDRN de lui transférer la totalité des actions qu'elle détenait ; que Mme Chosson a assigné devant le tribunal de commerce la SDRN et MM. X..., Y... et B... pour faire désigner un mandataire chargé de transmettre sa demande à la SDRN, tandis que M. X... a sollicité que la vente soit autorisée à son profit ; que le Tribunal a déclaré que M. X... avait un droit préférentiel et a autorisé la société SDRN à lui céder les actions qu'elle détenait ; que ce jugement a été confirmé en appel ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches du pourvoi n° W/ 92-12.991 :
Attendu que la SDRN fait grief à l'arrêt d'avoir refusé de lui donner acte de ce qu'elle n'entendait pas procéder à la cession des actions lui appartenant, alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'aux termes du protocole du 21 juin 1978 : "les actionnaires soussignés de la société SETEC s'engagent à racheter ou à faire racheter, par tranches d'égal montant (...) le solde des titres restant en possession de SDRN" ; que cet acte porte ainsi promesse unilatérale d'achat en sa faveur ; qu'en revanche elle-même ne s'engage pas à vendre ; qu'en décidant le contraire la cour d'appel a dénaturé les clauses claires et précises du contrat du 21 juin 1978, et, partant, a violé l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que les demandes des parties s'apprécient selon le dernier état de leurs conclusions ; qu'en lui opposant des conclusions qu'elle a ultérieurement modifiées, la cour d'appel a violé l'article 65 du nouveau Code de procédure civile et alors, enfin, qu'en énonçant que le sens des conclusions signifiées le 18 octobre 1990 "semblerait" indiquer qu'elle était disposée à céder ses actions, la cour d'appel s'est fondée sur un motif dubitatif et, de ce fait, a violé l'article 455 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que le contrat du 21 juin 1978, faisant obligation aux quatre principaux actionnaires de la société SETEC de racheter ou de faire racheter à la SDRN les actions qu'elle détenait avant un terme précis sans indiquer si la SDRN était tenue de céder les actions dont l'achat devait lui être offert, présentait une ambiguïté qu'il appartenait au juge de trancher dès lors qu'il existait une contestation à cet égard ; qu'après avoir rappelé les principales clauses du contrat l'arrêt retient, à raison de la cohérence d'ensemble de ses dispositions, l'existence d'une obligation de cession à la charge de SDRN ; qu'ayant ainsi fondé son appréciation souveraine, abstraction faite des motifs surabondants relatifs aux prétentions émises par la SDRN dans ses conclusions du 18 octobre 1990, modifiées ultérieurement, la cour d'appel, qui n'a pas dénaturé le contrat, n'a pas encouru les critiques formulées au pourvoi ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Sur le pourvoi n° C/ 92-12.330 et sur le pourvoi incident formé par Mme Chosson :
Sur le premier moyen :
Attendu que M. Y..., la société SETEC et Mme Chosson font grief à l'arrêt d'avoir reconnu à M. X... un droit préférentiel de rachat des actions souscrites par la société SDRN alors, selon les pourvois, que la délibération d'une assemblée générale extraordinaire de société anonyme constitue une décision sociale, qui ne peut tendre qu'à régler des décisions intéressant la collectivité des associés ; qu'en l'espèce il résulte des constatations de l'arrêt attaqué, d'une part qu'une convention conclue entre la SDRN et quatre actionnaires de la SETEC, MM. B..., Y..., X... et A... Z..., prévoyait le rachat des actions SETEC souscrites par la SDRN, d'autre part qu'une assemblée extraordinaire de la SETEC avait décidé d'accorder à MM. B... et X... un droit préférentiel sur le rachat des actions SETEC détenues par la SDRN ; qu'il s'agissait ainsi par cette délibération, à la fois de limiter la liberté de Mme Z... et de M. Y... d'acheter des actions SETEC à la SDRN, et d'organiser les modalités d'exécution de la convention conclue avec la SDRN ; que seul un nouveau contrat passé entre les quatre actionnaires de la SETEC concernés, et, le cas échéant, la SDRN, aurait pu avoir cet objet ; qu'une décision sociale, prise au sein de la SETEC, ne pouvait lui être substituée ; qu'en statuant néanmoins comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les articles 1101 et 1134 du Code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que le rapport du commissaire aux apports, chargé d'apprécier les avantages particuliers stipulés au profit de certains actionnaires, indiquait "au surplus, il est demandé aux associés d'accorder un droit préférentiel sur le rachat des actions attribuées à la SDRN à MM. B... et X... qui se sont portés caution hypothécaire de la société SETEC", la cour d'appel a pu décider que la décision de l'assemblée générale ne constituait pas un acte modifiant le pacte de rachat extra-statutaire conclu entre la société SDRN et quatre actionnaires de la société SETEC, mais avait pour objet l'attribution à deux actionnaires, en raison de leurs engagements personnels au profit de la société, d'un droit de préemption statutaire s'imposant à l'ensemble des actionnaires ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le deuxième moyen :
Attendu que M. Y..., la société SETEC et Mme Chosson font grief à l'arrêt d'avoir reconnu à M. X... un droit préférentiel de rachat des actions souscrites par la société SDRN alors, selon les pourvois que si l'action en nullité d'une assemblée générale est soumise à la prescription triennale, l'exception de nullité est perpétuelle ; qu'en l'espèce ils se bornaient à opposer la nullité de l'assemblée générale extraordinaire de la société SETEC, tenue le 21 juin 1978, pour résister aux prétentions de M. X... qui se prévalait de cette délibération pour fonder un droit préférentiel à l'acquisition des actions SETEC détenues par la SDRN ; qu'en soumettant cette exception de nullité à la prescription triennale instituée par l'article 367 de la loi du 24 juillet 1966, la cour d'appel a violé, par fausse application, ce texte ;
Mais attendu qu'à l'appui de l'exception de nullité n'étaient invoqués que l'incompétence de l'assemblée générale extraordinaire et le défaut d'inscription de la résolution litigieuse à l'ordre du jour ; que le premier moyen a été écarté ; que, de même, l'arrêt, non critiqué de ce chef, a écarté le second grief en constatant que les actionnaires avaient eu connaissance de ce qu'ils auraient à se prononcer sur l'attribution d'un droit de préemption au profit de MM. B... et X... par la lettre, prévoyant cette modalité de l'augmentation de capital, que le commissaire aux apports leur avait adressée avant l'assemblée générale extraordinaire ; que le moyen est inopérant ;
Sur le troisième moyen :
Attendu que M. Y..., la société SETEC et Mme Chosson font grief à l'arrêt d'avoir reconnu à M. X... un droit préférentiel de rachat des actions souscrites par la société SDRN alors, selon les pourvois, d'une part, que, pour conclure à la réalité de la clause litigieuse, malgré le fait qu'elle n'eut pas été paraphée par les associés, la cour d'appel s'est fondée notamment, sur sa reproduction dans la déclaration de souscription et de versement du 20 décembre 1978 ; qu'il était acquis aux débats que M. Y... n'était pas présent à l'acte notarié ; qu'en omettant néanmoins de vérifier si la preuve du droit préférentiel allégué par M. X... était faite à l'égard de M. Y..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1341 du Code civil ; alors, d'autre part, que la cour d'appel a violé l'article 1165 du Code civil en se fondant sur un acte notarié auquel l'exposant n'était pas partie pour affirmer l'existence à son égard du droit préférentiel litigieux ;
Mais attendu que la cour d'appel ayant constaté l'existence d'une décision de l'assemblée générale extraordinaire, laquelle s'impose à tous les associés, elle n'avait pas à rechercher la preuve d'un engagement qui fut personnel à M. Y... ; qu'ainsi le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE les pourvois tant principaux qu'incident.