CA Paris, 1re ch. A, 14 mars 1990, n° 90/226
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Chargeurs (SA)
Défendeur :
TVES (SA), La Cinq (Sté), Pargeco (SC), ReteItalia SpA (Sté), Société Centrale d'Investissement (Sté), Société de Participations Mobilières (Sté), Expar (Sté), Société de Mobilisations et d'Avances (Sté), Clinvest (Sté), Les Echos (Sté), Télé Métropole Inc. (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Présidents :
Mme Ezratty, Mme Gié
Conseillers :
Mme Hannoun, Mme Aubert, M. Canivet
Avoués :
SCP Fisselier Chiloux Boulay, SCP Teytaud, SCP Verdun Gastou, Me Valdelièvre, Me Bourdais Virenque, SCP Dubosq et Pellerin, SCP Parmentier Hardouin
Avocats :
Me Prat, Me Martel, Me Terrier, Me Lheze, Me Vassogne, Me du Granrut, Me Barsi, Me Cren, Me Mola
Statuant dans un litige opposant, à propos des conditions de réalisation d'une augmentation de capital et de l'exercice de leur droit de préemption sur des actions prétendument cédées, deux groupes d'actionnaires de la société LA CINQ (LA CINQ SA), comprenant d'une part la société TVES, la Société Centrale d'Investissement (SCI), la société de Participation Mobilière (SPM), la société de Mobilisation et d'Avances (SMA) et la société d'Exploitation et de Participation (EXPAR) qui soutiennent l'actuel Président Directeur Général, M. Robert HERSANT, et d'autre part, les sociétés CHARGEURS S.A, RETEITALIA et PARGECO qui, à l'époque, souhaitaient ensemble prendre le contrôle de ladite société, le Tribunal de commerce de Paris a, par jugement du 4 décembre 1989, à titre principal :
- dit que les sociétés TVES, SCI, SPM, SMA et Crédit Lyonnais Investissement (CLINVEST) avaient valablement souscrit la totalité de leurs droits irréductibles et, en ce qui concerne les sociétés SCI et CLINVEST, à titre réductible, dans l'augmentation de capital de LA CINQ SA appelée par son président le 4 juillet 1989,
- constaté qu'à l'exception de la société CLINVEST, les dites sociétés n'avaient pas valablement libéré leurs souscriptions et leur a, au bénéfice de l'article 363 de la loi du 24 juillet 1966 et par une disposition exécutoire par provision, imparti un délai pour régulariser leurs apports, aucun des autres actionnaires ne pouvant, cette condition étant remplie, être substitué dans leurs souscriptions à titre irréductible,
- dit que la clause de préemption de l'article 11-II des statuts de LA CINQ SA est licite,
- dit que la lettre écrite le 11 septembre 1989 par la société PARGECO à CHARGEURS SA constitue une promesse unilatérale et ferme de cession qui a mis en oeuvre le mécanisme de préemption prévu par les dispositions susvisées des statuts et que la renonciation de CHARGEURS SA à la promesse de PARGECO, par lettre du 25 septembre 1989, est inopposable aux préempteurs,
- dit que, nonobstant la substitution d'un autre mode de notification, sans griefs aux formalités prévues par les statuts, les droits des préempteurs ont été partiellement juxtaposés à ceux du cessionnaire par l'exercice effectif du droit de préemption qu'ils ont valablement exercé ;
- dit toutefois que la vente réalisée ne produira ses entiers effets qu'après autorisation ou non opposition du Conseil supérieur de l'audiovisuel ;
- maintenu les mesures conservatoires ordonnées par le jugement de référé du 27 septembre 1989.
La cour a été saisie par des appels régulièrement formés, à titre principal et conformément aux dispositions de l'article 910 du NCPC par CHARGEURS SA et Pierre LAGRANGE et, à titre incident, d'une part par la société RETEITALIA, Silvio BERLUSCONI, Fedele CONFALONIERI et Adriano GALLIANI, d'autre part par la société PARGECO et Louis BORDEAUX-MONTRIEUX, contre Robert HERSANT en tant que président du conseil d'administration de LA CINQ SA et de celui de la société TVES ainsi que contre les sociétés TVES, SCI, SPM, SMA, EXPAR, CLINVEST, les sociétés LES ÉCHOS, TÉLÉ MÉTROPOLE, Jean-Marc VERNES, Christian GRIMALDI, Yves de CHAISEMARTIN et Jacqueline BEYTOUT.
Bien qu'assignés conformément aux dispositions de l'article 920 du NCPC, les sociétés LES ÉCHOS, TÉLÉ MÉTROPOLE ainsi que Jean-Marc VERNES, Christian GRIMALDI, Yves de CHAISEMARTIN et Jacqueline BEYTOUT, qui n'avaient pas comparu en première instance, n'ont pas constitué avoué en cause d'appel.
La société RETEITALIA et les administrateurs de LA CINQ SA par elle désignés ayant fait connaître qu'ils avaient, à propos du litige, conclu un accord avec Robert HERSANT et les autres parties par eux intimés, les débats ont été rouverts à l'audience du 15 février 1990 à l'occasion de laquelle cette société a régularisé un désistement d'appel, d'instance et d'action, ce dont les autres parties ont pris acte.
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La Cour se réfère au jugement entrepris pour l'exposé complet des faits et de la procédure de première instance, étant toutefois rappelées les circonstances essentielles suivantes :
La CINQ SA a été créée le 10 février 1987 principalement pour exploiter sous la dénomination “la cinquième chaîne“ un service de télévision par voie hertzienne sur l'ensemble du territoire national, selon l'autorisation qui lui a été accordée par décision de la Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) du 25 février 1987.
Initialement fixé à 250.000.000 de francs, son capital social a, par des augmentations successives, été porté à 1.470.207.600 Francs, se répartissant comme suit entre les sociétés actionnaires : TVES : 25 %, RETEITALIA : 25 % (maximum légal autorisé de la participation d'un actionnaire à une société de télévision), PARGECO : 16,83 %, CHARGEURS SA : 6,80 %, CLINVEST : 5,31 %, SCI et SPM : 10,26 %, LES ÉCHOS : 4,42 %, TÉLÉ MÉTROPOLE : 3,42 %, SMA : 2,28 %, EXPAR : 0,68 %.
Le conseil d'administration, comprenant onze membres, est composé de :
Robert HERSANT, Président et deux autres administrateurs désignés par la société TVES : Yves de CHAISEMARTIN et Christian GRIMALDI,
Silvio BERLUSCONI, vice président et deux autres administrateurs désignés par la société RETEITALIA : Adriano GALLIANI et Fedele CONFALONIERI,
Louis BORDEAUX-MONTRIEUX et André MOULY désignés par la société PARGECO,
Jean-Marc VERNES désigné par les sociétés SCI et SPM,
Jean-Pierre LAGRANGE désigné par le groupe CHARGEURS SA,
et Jacqueline BEYTOUT désignée par la société les ÉCHOS.
Le 22 mars 1989, une assemblée générale extraordinaire a autorisé le Conseil d'administration à procéder, en une ou plusieurs fois, à une nouvelle augmentation de capital d'un montant maximum de 450.000.000 Francs, par l'émission d'actions nouvelles à libérer en numéraire de 100 Francs chacune et à en fixer l'époque de réalisation, ainsi que les modalités de souscription, à laquelle les actionnaires pouvaient être admis tant à titre irréductible que réductible.
Conformément à cette autorisation une première tranche a été réalisée à concurrence de 97.212.400 Francs, portant le capital et sa répartition ainsi que ci-dessus indiqué.
Par lettre aux actionnaires du 4 juillet 1989, le président directeur général de LA CINQ SA a mis en souscription, du 11 juillet au 11 septembre suivants, une seconde tranche d'augmentation de capital, d'un montant de 300.000.000 de Francs, en précisant que l'intégralité du prix d'émission des actions, au pair et en numéraire, devait être versé à l'appui des bulletins de souscription reçus au siège de la société et que les fonds seraient déposés sur un compte bloqué, ouvert à VIA BANQUE, affecté à l'augmentation de capital.
Les 12, 20 et 21 juillet 1989, les sociétés SMA, TVES, SCI et SPM ont respectivement remis à LA CINQ SA leurs bulletins de souscription pour la totalité de leurs droits irréductibles et ont adressé les fonds correspondants, dans des conditions que l'appelante ne considère pas comme une libération valable, par virement, sur les comptes courants de LA CINQ SA, soit à la banque UIC soit à VIA BANQUE, à charge par la société de les affecter, au plus tard le 11 septembre suivant, à l'augmentation de capital.
Le 11 septembre 1989, les sociétés CHARGEURS SA, PARGECO et TÉLÉ MÉTROPOLE ont à leur tour fait parvenir à LA CINQ SA leurs souscriptions à titre irréductible auxquelles CHARGEURS SA a ajouté une souscription à titre réductible d'un montant de 145.000.000 de Francs, l'ensemble étant intégralement libéré le jour même par virements bancaires.
La remise de cette dernière souscription à titre réductible, affectant leurs propres droits, a déterminé les sociétés TVES, SCI, SPM, et SMA à réitérer le même jour leurs souscriptions auxquelles la société SCI a ajouté une souscription à titre réductible d'un montant de 20.000.000 de Francs, l'ensemble de ces apports ayant été versé, selon ce que soutiennent les sociétés susnommées, le jour dit par des chèques dont CHARGEURS SA conteste la date d'émission et le caractère libératoire.
De son côté, la société CLINVEST a établi un bulletin de souscription pour 105.104 actions et adressé à la société LA CINQ un chèque de 130.000.000 Francs, l'un et l'autre portant la date du 11 septembre, elle aussi mise en doute par l'appelante principale.
Simultanément, par lettres datées du 11 septembre 1989, la société PARGECO promettait à CHARGEURS SA de lui céder toutes les actions de LA CINQ SA qu'elle détenait ou détiendrait à la suite de l'augmentation de capital à laquelle elle souscrivait, alors que cette dernière lui confirmait qu'à première demande de sa part elle lui achèterait les dites actions ; l'une et l'autre se concédant réciproquement l'initiative de la cession, au plus tard le 15 janvier 1990 pour les actions déjà détenues par PARGECO et le 11 mai 1990 pour les nouvelles actions, en stipulant que le transfert de propriété des titres n'interviendrait que sous réserve de la mise en oeuvre du droit de préemption des autres actionnaires résultant de l'article 11-II des statuts.
Par la suite, selon un nouvel échange de correspondances, datées du 25 septembre 1989, CHARGEURS SA disait renoncer à la promesse de vente que lui avait consentie la société PARGECO, ce que celle-ci acceptait, puis, le 12 janvier 1990, aux termes d'autres écrits, CHARGEURS SA confirmait à PARGECO, qui entérinait encore cette proposition sans réserve, son accord pour proroger l'option d'achat qu'elle lui avait accordée, tout en portant le montant de son offre à 120 Francs par action.
Le président directeur général de LA CINQ SA ayant successivement ajourné la réunion du conseil d'administration, convoquée d'abord pour le 12 puis reportée au 15 septembre 1989, les représentants des sociétés RETEITALIA et PARGECO au conseil d'administration ont pris l'initiative d'une nouvelle convocation pour le 18 septembre suivant à l'effet de révoquer le président de la société, d'en nommer un nouveau et de convoquer une assemblée générale.
Sur la requête de Robert HERSANT, le Président du Tribunal de commerce de PARIS a, le 17 septembre 1989, ordonné au conseil d'administration de surseoir à toute délibération sur la question figurant à l'ordre du jour de la convocation susvisés jusqu'à ce qu'il soit statué en référé sur les demandes du président de la société.
Cette procédure de référé, à l'occasion de laquelle ont été successivement produites les lettres susvisées de PARGECO et CHARGEURS SA datées des 11 et 25 septembre, a donné lieu au prononcé d'un jugement du 27 septembre 1989, lequel a dit mal fondée la demande de sursis à toute délibération du conseil d'administration sur les questions figurant à l'ordre du jour de la séance prévue pour le 18 septembre mais a ordonné le séquestre des actions détenues par la société PARGECO et a enjoint à Robert HERSANT de saisir le Tribunal de commerce du fond du litige.
Entre temps, les sociétés SMA, SCI, SPM, EXPAR et CLINVEST, estimant que les premières lettres échangées entre les sociétés CHARGEURS SA et PARGECO consacraient une vente ferme et définitive des actions de LA CINQ SA détenues par cette seconde société, ont exercé, de leur propre initiative ou sur la notification de cet accord faite par le président directeur général de LA CINQ SA le 21 septembre 1989, le droit de préemption reconnu aux actionnaires de la société par l'article 11-II des statuts et demandé le transfert des dites actions au prorata de leurs parts respectives du capital social, aussitôt suivies, à titre conservatoire, dans la mise en oeuvre de ce droit statutaire, par les sociétés TÉLÉ MÉTROPOLE et CHARGEURS SA.
En cet état du litige, saisi d'une part par Robert HERSANT en qualité de président directeur général de LA CINQ SA et les sociétés SCI, SMA, SPM, EXPAR et CLINVEST d'une action tendant à faire reconnaître l'exercice de leur droit de préemption et d'autre part par les sociétés CHARGEURS SA et RETEITALIA d'une contestation relative à la régularité des souscriptions faites par les sociétés TVES, SMA, SPM, SCI et CLINVEST à l'augmentation du capital de LA CINQ SA, le Tribunal de commerce de PARIS a prononcé le jugement déféré.
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Au soutien de son appel, CHARGEURS SA prétend que les sociétés TVES, SCI, SPM et SMA n'ont valablement souscrit à l'augmentation de capital ni au mois de juillet 1989, ni au mois de septembre suivant en faisant valoir :
- qu'alors que les apports devaient être libérés en numéraire, les bulletins de souscription établis au mois de juillet font état de libération par compensation,
- qu'un tel mode de libération viole le principe de l'égalité entre actionnaires,
- que les sommes prétendument affectées à l'augmentation de capital ont été remboursées aux souscripteurs le 15 septembre 1990,
- qu'il est douteux que les nouvelles souscriptions des sociétés précitées et celle de la société CLINVEST aient pu être déposées dès le 11 septembre au soir,
- qu'enfin, l'examen des comptes de LA CINQ à VIA BANQUE fait apparaître que les chèques correspondants n'ont pas été remis à cette date, mais que les sociétés TVES, SCI, SPM et SMA se sont livrées, avec la complicité de la dite banque, à des manipulations visant à dissimuler la non disponibilité de la provision de ces chèques et l'utilisation de la trésorerie de LA CINQ pour faire croire à une nouvelle libération de leurs souscriptions.
CHARGEURS SA soutient encore que c'est à tort que le Tribunal de commerce a accordé un délai aux sociétés TVES, SCI, SPM et SMA pour régulariser les formalités de libération, d'une part parce qu'il n'a pas tiré les conclusions qui s'imposaient de la validité des souscriptions faites par elle-même ainsi que les sociétés RETEITALIA, PARGECO et TÉLÉ MÉTROPOLE, tant à titre irréductible que réductible et entièrement libérées, pour la totalité de l'augmentation de capital, dès le 11 septembre au soir, d'autre part, parce que, contrairement aux décisions du président de LA CINQ SA, conformes aux usages constants de la société et aux dispositions d'ordre public de la loi du 24 juillet 1966, les souscriptions des sociétés intimées n'ont pas été libérées immédiatement et qu'une telle irrégularité, qui ne constitue pas une nullité au sens de l'article 360 de la dite loi mais rend la dite souscription inopposable à son égard, ne peut être couverte par l'application de son article 363.
La société appelante prie en conséquence la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de rejeter comme irrégulières ou tardives les souscriptions faites par les sociétés TVES, SMA, SPM, SCI et CLINVEST, de constater en revanche qu'elle-même a régulièrement souscrit tant à titre irréductible que réductible à l'augmentation de capital et que les actions correspondantes doivent être inscrites à son nom dans les livres de LA CINQ SA.
En ce qui concerne l'exercice par les actionnaires du droit de préemption consécutif aux engagements conclus entre elle et la société PARGECO, l'appelante fait valoir à titre principal que les dispositions figurant à l'article 11-II des statuts de LA CINQ sont nulles en ce qu'elles introduisent, en cas de cessions de titres entre actionnaires, une clause d'agrément déguisée, comme telle contraire aux dispositions de l'article 274 de la loi du 24 juillet 1966 et, s'il ne s'agit que d'une clause de préemption pure et simple, en ce qu'elle porte atteinte au principe de libre négociabilité des actions des sociétés anonymes.
Avec la société PARGECO, appelante incidente, CHARGEURS SA expose encore à titre subsidiaire :
- que les engagements de vente et d'achat qu'elles se sont mutuellement consentis constituent des promesses croisées dont la perfection au plan consensuel exige une nouvelle manifestation de volonté de la part du bénéficiaire dans un délai convenu, que cette formalité substantielle n'ayant pas été accomplie, il n'y a eu entre elles ni cession définitive ni projet de cession et que, dès lors, le droit de préemption n'a pu s'exercer,
- qu'au regard des statuts de LA CINQ SA, le droit de préemption n'a pu être valablement mis en oeuvre, puisqu'aucun projet de cession n'a été notifié au conseil d'administration par le cédant, que le dit projet n'a pas été porté à la connaissance des actionnaires par le conseil d'administration mais par son président qui n'a pas le pouvoir de le faire et que les préemptions spontanées sont contraires aux statuts,
- qu'enfin la substitution, ordonnée par le premier juge, du cessionnaire par l'actionnaire qui exerce son droit de préemption, est contraire aux dispositions de l'article 1142 du Code civil.
Les sociétés CHARGEURS SA et PARGECO concluent en conséquence à l'infirmation du jugement dont appel en toutes ses dispositions relatives à l'exercice du droit de préemption, priant la Cour de débouter les intimés de toutes les demandes qui s'y rapportent et de donner mainlevée du séquestre des actions de LA CINQ SA détenues par PARGECO.
A titre subsidiaire, CHARGEURS SA demande que lui soit donné acte de ce que si la société PARGECO décidait de lever l'option d'achat dont elle dispose, la cession des actions s'effectuerait sous réserve de la faculté de préemption des autres actionnaires.
Elle sollicite enfin la mainlevée de toute restriction aux pouvoirs du conseil d'administration de LA CINQ SA.
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Soutenues par cette dernière et son président, les sociétés TVES, SMA, SCI et SPM opposent ensemble :
- qu'elles ont respectivement déposé et aussitôt libéré leurs souscriptions à titre irréductible dans l'augmentation de capital entre le 12 et le 21 juillet 1989 et que l'autorisation qu'elles ont donnée à ladite société d'utiliser leurs apports par anticipation, en trésorerie n'affecte ni la régularité de leurs souscriptions ni l'effectivité de la libération de celles-ci puisque LA CINQ SA s'est engagée à déposer les fonds le 11 septembre au plus tard au compte spécialement ouvert à VIA BANQUE pour l'augmentation de capital,
- que le mécanisme ainsi décrit ne peut être assimilé à une souscription par compensation et qu'au demeurant, selon les dispositions des articles 178 et 267 de la loi du 24 juillet 1966, un tel mode de libération des apports n'est pas irrégulier s'il n'a pas été expressément écarté par l'assemblée générale,
- qu'elles ont, de surcroît, valablement confirmé le 11 septembre 1989 leurs souscriptions du mois de juillet précédent et en ont régulièrement libéré le montant une seconde fois, par des chèques remis le jour même à LA CINQ SA qui les a déposés sur le compte de l'augmentation de capital, avant l'expiration du délai de huit jours prévu par les articles 77 et 191 de la loi du 24 juillet 1966 et 62 du décret du 23 mars 1967,
- que les souscriptions à l'augmentation de capital confèrent à la société bénéficiaire un droit de créance sur leur montant et qu'à défaut d'une clause de déchéance, non prévue en l'espèce, la non-libération immédiate ne prive pas d'effet le contrat de souscription, sauf à en faire judiciairement constater la résolution,
- qu'enfin, si le retard de libération était de nature à affecter la validité de la souscription, l'action en nullité qui en résulterait serait éteinte par application de l'article 362 de la loi du 24 juillet 1966 puisque, comme c'est le cas, l'irrégularité a cessé le jour où le tribunal statue et qu'au surplus, conformément à ce qu'a estimé la décision entreprise, la nullité peut être couverte par application de l'article 363 de ladite loi.
La société CLINVEST soutient, quant à elle, que, contrairement à ce qu'affirme CHARGEURS SA, elle a souscrit et libéré ses apports au cours de la journée du 11 septembre pour 105.104 actions nouvelles, sans que puisse lui être opposée une prétendue surcharge de la date de son chèque et qu'en tout cas, le montant de sa souscription a été crédité au compte de l'augmentation de capital à VIA BANQUE avant le 13 septembre 1989, dans le délai de huit jours prescrit par les textes précités.
A titre subsidiaire la dite société ajoute que l'émission des actions nouvelles a été réalisée à la date du certificat établi par l'organisme dépositaire, soit le 13 septembre, et que les conditions de l'action en nullité telles que définies par l'article 360 la loi du 24 juillet 1966 ne sont pas réunies.
A propos de l'exercice de leurs droits de préemption, les intimés font plaider qu'ainsi que l'a jugé le Tribunal de commerce, l'article 11-II des statuts de LA CINQ SA est parfaitement valide, qu'il a été mis en oeuvre par la promesse irrévocable de vente de ses actions consentie par la société PARGECO à CHARGEURS SA dans sa lettre du 11 septembre 1989, sans que la renonciation ultérieure à l'option qui lui était ainsi accordée ait eu le moindre effet, la propriété des titres ayant de plein droit été transférée aux bénéficiaires du droit de préemption, selon une répartition opérée en fonction de leurs demandes et de leurs participations respectives dans l'actif de la société.
En outre, par application de l'article 32-1 du NCPC, les sociétés TVES, d'une part, SCI et SMA d'autre part demandent la condamnation de CHARGEURS SA et de Jean-Pierre LAGRANGE, in solidum, à leur payer respectivement une somme de 500.000 Francs à titre de dommages et intérêts.
Enfin, les sociétés PARGECO, TVES, SCI et SMA sollicitent le bénéfice des dispositions de l'article 700 du NCPC.
Pour un exposé plus complet des prétentions, moyens et arguments des parties, il est renvoyé aux écritures produites devant la Cour.
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SUR QUOI LA COUR :
I : SUR LA VALIDITÉ DES SOUSCRIPTIONS A L'AUGMENTATION DE CAPITAL FAITES PAR LES SOCIÉTÉS TVES, SPM, SMA, SCI et CLINVEST :
Considérant que l'assemblée générale extraordinaire de LA CINQ SA, réunie le 22 mars 1989, a autorisé le conseil d'administration à augmenter en une ou plusieurs fois le capital social d'un montant de 450.000.000 de Francs, par l'émission d'actions nouvelles à libérer en numéraire et à en fixer l'époque de réalisation ainsi que les conditions et modalités ;
que par délibération du même jour, le conseil d'administration a décidé d'appeler un tiers de l'augmentation prévue pour le premier avril 1989 et deux tiers dans le courant du mois de juin suivant, en déléguant tous pouvoirs à son président pour y procéder et arrêter le montant de chacune des tranches en fonction de la situation de trésorerie de l'entreprise ;
qu'après l'achèvement de la première phase, à hauteur de 97.212.400 Francs, le président de la société, par lettre du 4 juillet 1989, a ouvert la seconde, du 11 juillet au 11 septembre, en fixant son montant à 300.000.000 de Francs, par émission de 3.000.000 actions nouvelles, à souscrire en numéraire et à libérer intégralement lors de la remise des bulletins ;
Considérant que le 12 juillet 1989, la société SMA a souscrit 68.389 actions et fait virer le même jour, sur un compte courant de LA CINQ SA une somme de 6.838.900 Francs en précisant, dans une lettre d'accompagnement à ladite société, que “cette avance en compte courant sera affectée par vos soins, le 11 septembre 1989, sans autre avis de notre part, à la souscription de cette augmentation de capital“ ;
que le 20 juillet suivant, la société TVES a établi un bulletin de souscription pour 750.000 actions et indiqué dans sa lettre de transmission à LA CINQ SA : “comme convenu et pour tenir compte des besoins de trésorerie de votre société, nous acceptons de virer à votre compte ouvert auprès de VIA BANQUE, la somme de 75.000.000 de Francs représentant notre souscription à l'augmentation de capital dont la clôture interviendra le 11 septembre prochain. A cette date, nous vous laissons le soin de prendre les dispositions éventuellement nécessaires afin que notre souscription, définitive et irrévocable dès ce jour, soit bien considérée comme effectuée au 21 juillet et en tout état de cause, au plus tard le 11 septembre 1989“ ; que conformément à cette correspondance, le compte courant de LA CINQ SA à la dite banque a été crédité le 24 juillet de la somme indiquée ;
que le 21 juillet, les sociétés SCI et SPM ont respectivement souscrit 69.004 et 238.742 actions nouvelles et ensemble fait virer, le même jour, au compte courant de LA CINQ à VIA BANQUE, une somme totale de 30.774.600 francs et que si le bulletin établi par la première d'entre elles ne porte pas de date, il doit être réputé avoir été dressé le jour de ce virement bancaire ;
Considérant qu'il résulte de ces constatations que, successivement les 12, 20 et 21 juillet 1989, les dites sociétés ont valablement souscrit leurs parts irréductibles dans l'augmentation de capital qu'elles ont aussitôt et intégralement libérées en numéraire ;
qu'il est, en effet, sans incidence sur la validité de cette opération qu'avec l'autorisation des souscripteurs, donnée à leurs propres risques et sans paiement d'intérêts, les fonds versés n'aient pas aussitôt été déposés par LA CINQ SA au compte bloqué mais qu'ils aient été utilisés par cette dernière en avance en compte courant, dès lors qu'il est établi sans ambiguïté que les virements litigieux étaient destinés à l'augmentation de capital et qu'il était expressément convenu que la société en rapporterait le montant, au compte spécial ouvert à VIA BANQUE, avant la clôture de la souscription ;
Considérant, en outre, que l'appelante ne met pas en doute la réalité des virements opérés au bénéfice de LA CINQ SA par les sociétés qui ont souscrit au mois de juillet 1989 ;
Considérant que la mention, ajoutée par les services de LA CINQ SA sur les bulletins de souscription et reproduite sur l'attestation délivrée par la banque dépositaire, d'un versement par compensation, à la date du 11 septembre, avec les avances en compte courant consenties au mois de juillet précédent, se rapporte à l'évidence aux autorisations données par les déposants à la dite société d'utiliser en trésorerie jusqu'à la date de clôture de la souscription les fonds qu'ils apportaient ;
Considérant que, dans les conditions ainsi décrites, cette opération qui a été conduite dans le seul intérêt de la société de télévision dont il est avéré, qu'à l'époque, elle avait un urgent besoin de liquidité pour faire face à ses dettes exigibles, n'a porté aucune atteinte à l'égalité des actionnaires ;
Considérant qu'il en résulte que la régularisation comptable effectuée le 11 septembre 1989, postérieurement à la libération effective et en numéraire des souscriptions litigieuses, ne présente pas les caractéristiques d'une libération par compensation ;
Considérant enfin que les remboursements effectués aux dites sociétés, le 15 septembre 1989, après la délivrance de l'attestation de la banque dépositaire constatant la libération de l'intégralité des souscriptions à la date du 13 septembre 1989, ont eu pour but de retourner aux intimées les sommes en trop perçues du fait de la remise des chèques accompagnant leurs bulletins de souscription datés du 11 septembre; que ces restitutions n'affectent en rien la validité des libérations effectuées au mois de juillet dès lors qu'il n'est pas établi, par les documents bancaires produits, que LA CINQ SA s'est dépossédée au bénéfice des dites sociétés du montant de leurs apports ;
Considérant que ces constatations privent de tout intérêt les discussions portant sur la validité des souscriptions et libérations réitérées par les sociétés TVES, SMA, SPM et SCI au mois de septembre ainsi que sur l'application en la cause des dispositions de l'article 363 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Considérant, ainsi que l'a estimé le premier juge, qu'il n'est pas non plus démontré que les bulletins de souscription établis par la société CLINVEST pour 105.104 actions nouvelles et le chèque de 13.000.000 de Francs émis par cette société aient été antidatés; qu'il n'est pas davantage prouvé que la date du 11 septembre 1989 figurant sur l'effet litigieux résulterait d'une falsification et que la sincérité de cette date est renforcée par celle de l'encaissement dudit chèque sur le compte de l'augmentation de capital, dès le lendemain, 12 septembre ;
qu'en outre, la différence entre le montant de cet effet et celui de la souscription à laquelle il se rapporte est suffisamment expliquée par la démarche de cette société qui, dans la matinée du 11 septembre, a adressé un chèque couvrant par avance le montant de la souscription qu'elle a déposée en fin d'après-midi, après avoir eu connaissance des renseignements relatifs aux apports des autres actionnaires, lui permettant de limiter, ainsi qu'elle l'avait décidé, sa participation à 5 % du capital de LA CINQ SA ;
Considérant que, de ce qui précède, il résulte que, conformément à l'attestation établie par VIA BANQUE selon les dispositions de l'article 192 de la loi du 24 juillet 1966, l'augmentation de capital de LA CINQ SA d'un montant de 300.0000.000 Francs a été intégralement absorbée par les souscriptions faites à titre irréductible ainsi qu'à titre réductible par la société SCI ; que de ce fait aucune action ne peut être attribuée à CHARGEURS SA en exécution de sa propre souscription à titre réductible ;
II : SUR L'EXERCICE DU DROIT STATUTAIRE DE PRÉEMPTION PAR LES SOCIÉTÉS CLINVEST, SMA, SPM, SCI et EXPAR :
A : SUR LA VALIDITÉ DE LA CLAUSE DE PRÉEMPTION :
Considérant que l'article 11-II des statuts de LA CINQ SA prévoit que toute cession d'actions, même entre actionnaires, doit être effectuée en respectant le droit de préemption institué au bénéfice des détenteurs du capital ;
Considérant que, pour prétendre qu'une telle disposition est nulle en ce qu'elle constitue une clause d'agrément déguisée entre actionnaires, CHARGEURS SA allègue d'une part qu'en obligeant le cédant à révéler le nom du cessionnaire la dite clause est mise en oeuvre selon des considérations subjectives tenant à l'identité de l'acquéreur, d'autre part qu'elle empêcherait la vente à celui-ci, même si aucun des actionnaires n'exerçait son droit préférentiel ;
Considérant cependant que la clause critiquée ne soumet pas la préemption à la décision des organes dirigeants de la société mais la laisse à l'initiative individuelle des porteurs de parts ; qu'elle n'impose donc pas l'agrément de l'acquéreur envisagé par la société elle-même ;
que l'obligation faite au cédant de notifier le nom du cessionnaire a pour seul objet de permettre aux actionnaires de vérifier la réalité, le sérieux et les modalités du projet de cession ;
que ledit cessionnaire n'est pas empêché d'acquérir des actions puisqu'il peut, concurremment avec les autres actionnaires et sans aucune discrimination entre eux, lui-même exercer son droit de préemption ;
que contrairement à l'interprétation, à l'évidence erronée, donnée par l'appelante de la clause litigieuse, le cédant, à défaut d'exercice du droit dans le délai indiqué, a la faculté de conclure la transaction avec l'acheteur pressenti ;
qu'en conséquence, tel que prévu par l'article 11-II des statuts, le droit de préemption des actionnaires de LA CINQ SA n'est pas assimilable à une clause d'agrément entre actionnaires et ne tombe pas sous le coup de l'interdiction qui se déduit d'une interprétation a contrario de l'article 274 de la loi du 24 juillet 1966 ;
Considérant qu'aucune prescription légale n'interdit l'instauration d'un droit de préemption en cas de cession d'actions entre les actionnaires d'une société anonyme; que la disposition statutaire qui le prévoit ne saurait par conséquent, pour cette seule raison, être tenue pour nulle ;
Considérant que, tel que prévu par les statuts de LA CINQ SA, l'exercice de ce droit est enfermé dans les brefs délais de huit jours pour que le conseil d'administration porte le projet de cession qui lui est notifié par le cédant à la connaissance des actionnaires et de trente jours pour être mis en oeuvre par ceux-ci, que la préemption des actions s'opère au prix convenu dans l'offre et qu'à défaut d'exercice dudit droit dans les délais sus indiqués, le cédant a la faculté soit de poursuivre son projet initial soit de rechercher un tiers acquéreur au prix, termes et conditions dénoncés, sous réserve d'obtenir l'agrément de celui-ci selon les modalités au paragraphe III de l'article 11 précité ;
qu'ainsi aménagée, la clause de préemption critiquée dont la mise en oeuvre est limitée dans le temps, qui réserve un juste prix au cédant et lui laisse la possibilité de vendre ses parts, même à un tiers, en cas de renonciation à la préférence, n'est pas incompatible avec le principe de libre négociabilité des actions des sociétés anonymes ;
Considérant, au surplus, que la clause litigieuse a été introduite dans les statuts par la volonté expresse des fondateurs de la société au nombre desquels est CHARGEURS SA; que cette société apparaît d'autant moins fondée à la critiquer qu'elle faisait connaître au président de LA CINQ SA, dans une lettre datée du 20 avril 1988, qu'elle tenait cette disposition comme un élément substantiel et intangible du pacte social ;
B : SUR LA MISE EN OEUVRE DU DROIT DE PRÉEMPTION :
Considérant qu'aux termes de l'article 11-II précité des statuts de LA CINQ, le cédant doit notifier au conseil d'administration son projet de cession pour déclencher la mise en oeuvre du droit préférentiel des autres actionnaires ;
Considérant que par lettre du 11 septembre 1989, la société PARGECO a promis de céder à CHARGEURS SA ou toutes autres personnes qu'elle se substituerait, au prix de 100,60 Francs chacune, toutes les actions qu'elle détenait, ainsi que celles qu'elle souscrirait dans l'augmentation de capital de LA CINQ SA, en précisant que la cession se ferait à l'initiative de l'acquéreur et résulterait soit de la levée de la promesse par lettre recommandée avec accusé de réception, soit d'une réalisation spontanée du transfert des actions, au plus tard le 15 janvier 1990 pour son actuelle participation et le 15 mars pour les actions souscrites ;
que, par lettre du même jour, CHARGEURS SA a confirmé à la société PARGECO qu'à première demande de la part de celle-ci, elle achèterait tout ou partie des dites actions, l'option ainsi consentie pouvant être levée dans les délais, aux conditions, selon les formalités et au prix ci-dessus indiqués ;
que chacune de ces lettres stipulait que la cession serait soumise aux dispositions de l'article 11-II des statuts de LA CINQ SA et, en outre, selon la promesse de CHARGEURS SA, de l'autorisation délivrée à cette société par la CNCL le 25 février 1987 ;
Considérant que des lettres ainsi échangées, éclairées par les autres documents versés aux débats, il résulte que les conventions passées entre ces deux actionnaires s'inscrivaient dans le projet de CHARGEURS SA d'obtenir, avec l'appui de la société PARGECO et le concours de la société RETEITALIA, un renversement de majorité au sein de LA CINQ SA, à la faveur duquel le président du directoire de CHARGEURS SA serait porté à la présidence (le “management“, selon son propre terme) de la société de télévision ; que le succès de cette opération impliquait que ne soit point mis en oeuvre, pendant le temps nécessaire, l'exercice du droit de préemption prévu par les statuts lequel aurait nécessairement conduit à renforcer la position des actionnaires qui, à l'époque, soutenaient le président en exercice de LA CINQ SA ;
Mais considérant que les lettres ci-dessus décrites contiennent des promesses unilatérales croisées de vente et d'achat par lesquelles chacune des parties concède à l'autre la faculté de provoquer la cession en levant l'option qu'elles se sont mutuellement conférée ;
que ni les lois des 30 septembre 1986 et 17 janvier 1988, relatives à la liberté de la communication, ni l'autorisation d'exploiter un service de télévision, donnée par la CNCL à LA CINQ SA le 27 février 1987, ne soumettent les transferts d'actions de cette société à une quelconque autorisation administrative; qu'ainsi la référence faite par CHARGEURS SA à une telle formalité ne peut être regardée comme une condition suspendant la réalisation de la transaction ;
que cet échange de promesses, dont chacune constitue la réalisation de la condition à laquelle l'autre est subordonnée, manifeste le consentement réciproque des parties sur la chose et sur le prix et s'analyse par conséquent en un projet de cession au sens de l'article 11-II des statuts, lequel donne naissance au droit de préemption ;
Considérant que, dans le contexte ci-dessus décrit, CHARGEURS SA n'est pas fondée à s'opposer à l'exercice de ce droit par les autres actionnaires en prétendant avoir renoncé à la promesse de vente dont elle bénéficiait dès lors qu'il est avéré que cette renonciation n'est intervenue que dans le but d'empêcher le déclenchement immédiat de la procédure de préemption ;
Considérant qu'aux termes de l'article 11-II précité des statuts de LA CINQ, l'actionnaire cédant est tenu de notifier au conseil d'administration son projet de cession par lettre recommandée et que, dans les huit jours de cette notification, le conseil d'administration doit, par le même moyen, porter ce projet à la connaissance de tous les actionnaires lesquels, selon des formes identiques, peuvent, dans le délai maximum de trente jours, indiquer le nombre d'actions qu'ils désirent acheter ;
Considérant que le fait générateur du droit de préemption est le projet de cession des actions dont la notification, selon les modalités ci-dessus rappelées, n'a pour objet que d'en informer les autres actionnaires et de faire courir, au bénéfice du cédant, le délai accordé à ceux-ci pour préempter; qu'il s'ensuit que l'inobservation, imputable à la société PARGECO, des formalités susvisées qui n'ont aucun caractère substantiel, ne peut faire obstacle à l'exercice régulier du droit litigieux, quel que soit le procédé par lequel son titulaire a eu connaissance de la cession envisagée ;
Considérant qu'au surplus, ainsi que le relève avec pertinence la décision entreprise, le droit statutaire de préemption serait inopérant et la disposition statutaire qui l'instaure dénuée de sens, si sa mise en oeuvre était laissée à la seule discrétion du cédant ;
Considérant que l'exercice de la faculté de préemption comprise dans le pacte fondamental réglant le fonctionnement de la société auquel les actionnaires ont librement adhéré, emporte de plein droit transfert de propriété des titres, objet du projet de cession, sans que l'article 1142 du code civil puisse faire obstacle aux effets de ce droit que chaque actionnaire tient des statuts ;
Considérant que les sociétés EXPAR, SMA, SCI, SPM et CLINVEST, ainsi qu'à titre conservatoire, les sociétés TÉLÉ MÉTROPOLE et CHARGEURS SA, ont notifié leur décision d'acquérir les actions que la société PARGECO projetait de céder; qu'il doit, en conséquence être ordonné au profit des parties qui le réclament le transfert de propriété des titres revendiqués, à limites de leur participation au capital de la société et conformément à la répartition entre les préempteurs ;
Considérant qu'en se prévalant du même droit de préemption, la société CLINVEST demande que lui soient attribués les titres que la société LES ÉCHOS projette de céder à la société SCI aux termes de conventions qui ne sont ni produites ni discutées dans le cadre de la présente instance ; qu'en conséquence cette prétention sera rejetée ;
Considérant que les mesures ordonnées en référé par le Président du Tribunal de commerce sont désormais sans objet; qu'il doit en être donné mainlevée ;
Considérant qu'il n'est pas justifié que les appelantes aient abusé de leur droit d'agir en justice; qu'il ne peut être fait droit aux demandes de dommages et intérêts formées de ce chef ;
Considérant que l'équité commande de faire application de l'article 700 du NCPC au bénéfice des sociétés intimées qui en ont fait la demande ;
Par ces motifs :
La COUR, émendant le jugement entrepris :
- donne acte à la société RETEITALIA ainsi qu'à Silvio BERLUSCONI, Fedele CONFALONIERI et Adriano GALLIANI de leur désistement d'action, d'instance, d'appel et de toutes les demandes qu'ils ont formulées,
- dit que les sociétés SMA, TVES, SCI, SPM et CLINVEST ont valablement souscrit et libéré la totalité de leurs droits irréductibles et réductibles, respectivement les 12, 20, 21 juillet et 11 septembre 1989, dans l'augmentation de capital appelée, le 4 juillet 1989, par lettre du président de LA CINQ SA,
- dit qu'aucune action de la société LA CINQ SA ne peut être attribuée à CHARGEURS SA, à raison de la souscription à titre réductible qu'elle a déposée le 11 septembre 1989,
- dit que la clause de préemption prévue par l'article 11-II des statuts de LA CINQ SA est licite,
- dit que les lettres échangées par les sociétés PARGECO et CHARGEURS SA le 11 septembre 1989 constituent un projet de cession au sens de la clause précitée,
- dit que la renonciation par CHARGEURS SA à la promesse de vente que lui a consentie la société PARGECO est inopposable aux autres actionnaires de LA CINQ SA,
- dit que les sociétés SCI, SPM, SMA, CLINVEST et EXPAR ont valablement exercé leurs droits de préemption sur les actions de LA CINQ SA que la société PARGECO projetait de céder à CHARGEURS SA,
- dit que la propriété des actions de LA CINQ SA détenues ou souscrites par la société PARGECO a de plein droit été transférée aux sociétés SCI, SPM, SMA, CLINVEST et EXPAR, dans les limites du nombre d'actions qu'elles ont demandé à acquérir, de leurs parts respectives du capital de la CINQ SA et des droits des autres préempteurs,
- ordonne à LA CINQ SA d'enregistrer les dites actions, dans ses livres, au nom des sociétés ci-dessus nommées,
- donne mainlevée des mesures conservatoires ordonnées par le jugement de référé du 27 septembre 1989 et, en tant que de besoin, lève toutes restrictions aux pouvoirs du conseil d'administration de LA CINQ SA,
- condamne CHARGEURS SA et Jean-Pierre LAGRANGE à payer aux sociétés TVES, EXPAR et SCI respectivement une somme de 50.000 Francs par application de l'article 700 du NCPC,
- rejette toutes autres demandes,
- condamne CHARGEURS SA et Jean-Pierre LAGRANGE, la société RETEITALIA, Silvio BERLUSCONI, Fedele CONFALONIERI et Adriano GALLIANI, la société PARGECO et Louis BORDEAUX-MONTRIEUX, in solidum, aux entiers dépens de première instance et d'appel et admet, les SCP G et F TEYTAUD, BOURDAIS VIRENQUE, DUBOSQ PELLERIN et PARMENTIER HARDOUIN, Avoués à la cour au bénéfice de l'article 699 du NCPC.