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Décisions

Cass. com., 17 mars 2021, n° 19-10.350

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Rapporteur :

M. Ponsot

Avocats :

SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, SCP Piwnica et Molinié

Besançon, du 11 déc. 2018

11 décembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 11 décembre 2018), la société [...] , dirigée par M. H... et exerçant l'activité de transport routier, a connu en 2009 des difficultés conduisant à la désignation d'un mandataire ad hoc et à l'intervention du Comité interministériel de restructuration industrielle (CIRI), sous l'égide desquels un rapprochement est intervenu avec M. T..., professionnel des transports, donnant lieu, le 2 août 2010, à la conclusion d'un pacte d'actionnaires entre MM. H... et T... et, le 10 novembre 2010, à la signature d'un protocole de conciliation entre ces derniers, les créanciers de la société [...] et diverses entités du groupe [...].

2. En application du pacte d'actionnaires, M. T... est entré au capital de la société [...] à hauteur de 51 % et a été désigné en qualité de président du conseil d'administration, tandis que M. H... était nommé directeur général délégué.

3. Lors d'un conseil d'administration du 18 mai 2011, la révocation de M. H... a été décidée par deux voix contre une, un des quatre administrateurs ayant démissionné.

4. Estimant que la révocation ainsi décidée par la société [...] avait été abusive, M. H... a saisi un tribunal de commerce, qui a jugé la révocation abusive et sans juste motif et a fixé à 1 euro la créance de M. H... au passif de la liquidation judiciaire de la société [...], cette dernière ayant été mise, entre-temps, en redressement puis en liquidation judiciaires.

5. Parallèlement, invoquant la violation par M. T... du pacte d'actionnaires à l'occasion de sa révocation, M. H... l'a assigné en paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait de cette révocation.

6. Reconventionnellement, M. T... a formé une demande d'annulation du pacte d'actionnaires pour dol et de paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le moyen unique du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. M. H... fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes, alors :

« 1°/ que le directeur général ou directeur général délégué est révocable pour juste motif; que pour écarter toute violation par M. T... du pacte d'actionnaires, la cour d'appel a retenu que la stipulation selon laquelle le conseil d'administration devait être composé de façon paritaire entre les deux groupes d'actionnaires était illicite, en ce qu'elle avait pour objet ou pour effet de porter atteinte à la libre révocabilité de l'administrateur d'une société anonyme ; qu'en se fondant sur le principe de libre révocation des administrateurs, quand ce principe n'était pas applicable, s'agissant de la révocation de M. H..., directeur général délégué, la cour d'appel a violé l'article L. 225-55 du code de commerce et l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable à l'espèce ;

2°/ que la cour d'appel a constaté que la révocation de M. H... avait été votée par deux voix contre une par un conseil d'administration composé statutairement de quatre membres; qu'en ne recherchant pas, ainsi qu'elle y était invitée si M. T..., président du conseil d'administration, n'avait pas commis une faute personnelle en poursuivant un vote manifestement irrégulier, exposant ainsi la société à une condamnation à des dommages-intérêts, la cour d'appel a privé sa décision de motifs et n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. D'une part, la cour d'appel a exactement énoncé que le principe de la libre révocabilité des mandataires sociaux, qui s'applique aux directeurs et directeurs généraux délégués, sans préjudice de la nécessité que leur révocation repose sur un juste motif, s'oppose à toute stipulation ayant pour objet ou pour effet d'entraver ou de restreindre l'exercice du droit de révocation.

9. D'autre part, après avoir rappelé qu'il appartient à M. H... d'établir à l'encontre de M. T..., dont il poursuit la responsabilité personnelle, une faute imputable à ce dernier, séparable de ses fonctions de président du conseil d'administration de la société [...] et qui soit la cause de son éviction abusive, l'arrêt relève que la révocation a été votée par deux voix contre une, de sorte que M. T... ne l'a pas décidée seul, et constate ensuite que M. H... n'a articulé aucun moyen précis ni fourni aucun élément de nature à administrer la preuve, lui incombant, qu'en soumettant sa révocation au vote du conseil d'administration et en votant en faveur de celle-ci, M. T... aurait commis des agissements caractérisant de sa part une volonté malveillante à son égard ou une intention de lui nuire. En l'état de ces énonciations et constatations, la cour d'appel, qui a effectué la recherche prétendument omise, a suffisamment justifié sa décision.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Et sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

11. M. T... fait grief à l'arrêt du rejet de ses demandes, alors :

« 1°/ que le dol peut résulter du silence d'une partie dissimulant au cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ; que dans ses conclusions d'appel, M. T... faisait valoir que son consentement au pacte d'associés conclu avec M. H... ainsi qu'au protocole de conciliation conclu sous l'égide du CIRI avait été surpris par dol, dès lors que certaines malversations intervenues avant son entrée au capital de la société [...] lui avaient été dissimulées par M. H..., le mandataire judiciaire désigné dans le cadre du redressement judiciaire de cette société ayant lui-même sollicité un audit dûment produit, ayant mis en lumière ces malversations ; qu'en déboutant M. T... de ses demandes de nullité pour dol, au seul constat que celui-ci était un homme d'affaires averti et que les conventions dont la nullité était recherchée n'avaient pu être conclues qu'après une analyse approfondie des comptes et structures du groupe [...], sans nullement rechercher, comme elle y était invitée, si M. H... n'était pas parvenu à dissimuler certaines malversations effectuées par lui en 2009 et 2010, à tel point que même le mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société [...] avait sollicité un audit sur ce point, révélant in fine les malversations litigieuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ que, à tout le moins, les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont soumis par les parties au soutien de leur prétention ; qu'en se bornant à affirmer péremptoirement que M. T... ne pouvait prétendre avoir été victime d'un dol de la part de M. H... lors de la conclusion du pacte d'associés et du protocole de conciliation, dès lors qu'il était un homme d'affaires averti et que lesdites conventions ne pouvaient avoir été conclues sans une analyse approfondie des comptes du groupe [...], sans examiner, même sommairement, le rapport d'audit du cabinet [...] et le rapport du cabinet comptable AB2C établi à la demande du mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société [...] , qui établissaient l'existence de malversations effectuées par M. H... avant l'entrée de M. T... au capital de la société [...] , et dissimulées par lui au moment de la conclusion des dites conventions, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

12. Après avoir relevé que M. T... est un homme d'affaires averti, professionnel du secteur du transport routier de marchandises, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'il a conclu, sous l'égide du CIRI et en présence du mandataire judiciaire, le pacte d'associés et le protocole d'accord de conciliation lui permettant d'entrer majoritairement au capital social de la société dont il n'ignorait pas les difficultés financières, ces conventions ayant nécessité une analyse approfondie des comptes et structures du groupe [...].

13. C'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation que la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à la recherche invoquée par la première branche, que ses appréciations rendait inopérante, a considéré que les pièces versées aux débats que vise le moyen ne permettaient pas à M. T... de prouver le dol qu'il invoquait et qu'elle l'a, par conséquent, débouté de ses demandes.

14. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois principal et incident.