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Décisions

Cass. 3e civ., 18 mai 1994, n° 92-13.337

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beauvois

Rapporteur :

M. Toitot

Avocat général :

M. Mourier

Avocat :

Me Choucroy

Paris, 16e ch., sect. B, du 6 févr. 1992

6 février 1992

Sur les premier et deuxième moyens, réunis :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 février 1992), que la société Exor, propriétaire de locaux à usage commercial donnés à bail à la société des laboratoires de pharmacologie homéopathique Dolisos (société Dolisos) suivant douze contrats de location, a délivré à celle-ci douze congés avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction ; que la locataire a assigné la bailleresse en fixation de cette indemnité ;

Attendu que la société Exor fait grief à l'arrêt de fixer à 9 914 027,20 francs, toutes causes confondues, le montant de l'indemnité d'éviction, alors, selon le moyen, "1 ) que les juges du fond ont ainsi dénaturé les termes clairs et précis de la clause de destination des locaux, figurant dans les douze baux en litige, et qui stipulait que le preneur doit "les consacrer uniquement à l'usage pour lequel ils ont été loués, c'est-à -dire l'usage de laboratoires de pharmacologie homéopatique, sans pouvoir en faire un autre usage même temporairement" ; que cette clause était donc incompatible avec une utilisation des locaux à titre principal et a fortiori à titre exclusif de bureaux, ainsi que les juges l'ont constaté, ce qui était le cas de l'installation des services administratifs de la société Dolisos ; qu'il aurait fallu pour cela une clause expresse qui ne figure que dans le nouveau bail de proximité stipulant que "les locaux donnés à bail sont à usage de bureaux commerciaux", "à l'exclusion de toute autre destination", ce qui impliquait, au contraire, ici un usage exclusif de bureaux ; que l'arrêt a donc violé l'article 1134 du Code civil ; 2 ) que l'arrêt a méconnu la portée de l'article 23-9 du décret du 30 septembre 1953, aux termes duquel "le prix de bail des locaux à usage exclusif de bureaux est fixé par référence aux prix pratiqués pour des locaux équivalents (...)" ; qu'en effet, ainsi que le rappelaient les conclusions, cette notion d'usage exclusif de bureaux se rapporte essentiellement à l'utilisation effective des lieux qui a été constatée par les juges à usage exclusif de bureaux et non à une destination théorique écartée par les parties ;

3 ) que l'arrêt devait en tous cas rechercher, ainsi que l'y invitaient les conclusions, si le preneur, qui avait méconnu ou transformé la destination contractuelle sans l'accord exprès du bailleur, n'abusait pas de son droit à faire écarter le déplafonnement en cherchant à tirer bénéfice d'une infraction qui aurait pu valoir résiliation des baux ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale par violation des articles 1382 du Code civil et 23-9 du décret du 30 septembre 1953 ;

4 ) que l'arrêt, qui constate une modification notable des facteurs de commercialité du quartier Beaubourg, ne pouvait prétendre à leur absence d'incidence sur l'activité des laboratoires Dolisos, sans s'expliquer sur l'aveu de cette société, formulé dans ses propres écritures et invoqué aux conclusions de la société Exor, selon lequel la qualité de l'emplacement a été et reste un élément déterminant du développement de leur société qui avait, pour cette raison, maintenu son siège social à proximité ; que l'arrêt a donc violé les articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

5 ) qu'en ce qui concerne les travaux non amortis, poste écarté par les premiers juges, il n'est pas possible, en l'état, de savoir si le montant de 674 489,20 francs retenu par l'arrêt correspondait à des travaux de gros oeuvre ou à des travaux d'entretien, ces derniers étant seuls à la charge du locataire ; que, de surcroît, même les travaux de gros oeuvre pouvaient être acquis par le bailleur sans indemnité par la règle de l'accession invoquée aux conclusions ; que l'arrêt, qui ne comporte aucune précision à ces sujets, n'est donc pas suffisamment motivé au regard des articles 455 et 458 du nouveau Code de procédure civile ;

6 ) qu'en ce qui concerne les frais de réinstallation, les juges du fond ont tout à la fois méconnu la loi du nouveau bail qui ne portait pas sur des locaux livrés bruts de décoffrage, mais autorisait seulement le preneur à réaliser des travaux d'aménagement et de cloisonnement spécifiques à son usage, et ils ont fait l'impasse sur le fait décisif que les nouveaux locaux où la société Dolisos avait fait réaliser des aménagements particuliers, correspondant à ses besoins propres, présentaient une amélioration par rapport aux lieux délaissés, à la fois hétéroclites et vétustes ; que ces données, rappelées aux conclusions, servaient de support aux contestations de la société Exor sur les aménagements électriques, la climatisation, les cloisons diverses, le renforcement des planchers tout en ayant une incidence à la baisse sur les honoraires du maître d'oeuvre ; que l'arrêt, qui ne s'en explique pas, est entaché d'un défaut de base légale par violation des articles 1134, 1371 du Code civil et 8 du décret du 30 septembre 1953 ; 7 ) qu'en ce qui concerne le trouble commercial, l'arrêt a retenu un préjudice théorique et, partant, hypothétique et non un préjudice réel et effectif, eu égard aux données rappelées aux conclusions que l'expertise Lamy avait retenu la somme de 150 000 francs réclamée par la société Dolisos elle-même et que le déménagement, se réduisant à une simple traversée de la rue, avait été planifié et exécuté rapidement, sans perturber l'activité économique de l'entreprise dont le chiffre d'affaires avait progressé de 20 % ; que l'arrêt est donc entaché d'un défaut de base légale par violation de l'article 8 du décret du 30 septembre 1953 et de l'article 1382 du Code civil" ;

Mais attendu, d'une part, qu'ayant exactement retenu, par motifs propres et adoptés, sans dénaturation des termes de la clause de destination des lieux insérée au bail, que pour déterminer l'usage de locaux commerciaux, il convenait de se référer à la destination contractuelle des lieux, que celle-ci n'interdisait pas au preneur d'y installer ses services administratifs, et qu'elle était incompatible avec un usage exclusif de bureaux au sens de l'article 23-9 du décret du 30 septembre 1953 et constaté que la modification des facteurs de commercialité du quartier Beaubourg n'avait aucune incidence sur l'activité des laboratoires Dolisos exercée en étage, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision de ce chef ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant, par motifs propres et adoptés, relevé, sans avoir à s'expliquer sur de simples arguments, qu'il résultait des pièces produites, que les travaux non amortis par la société Dolisos s'élevaient à 674 489,20 francs et retenu, à bon droit, que la société Exor n'était tenue qu'au remboursement des frais nécessaires à l'aménagement de locaux équivalents à ceux délaissés, en tenant compte de la superficie réelle des anciens locaux et de leurs caractéristiques mais aussi des contraintes techniques d'une nouvelle installation dans des locaux dont elle a constaté qu'ils étaient livrés à l'état brut, les améliorations ni les aménagements de pure convenance ne devant être supportés par le bailleur, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié le montant de l'indemnité due au titre du trouble commercial, a, répondant aux conclusions, légalement justifié sa décision de ce chef ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société Exor fait grief à l'arrêt de la débouter de ses demandes en paiement de 803 253 francs à titre de réparations locatives et de 300 000 francs à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen,

"1 ) que les réparations locatives, arbitrées par experts judiciaires, étaient dues par le locataire évincé au plus tard en fin de bail, sans que puisse être imputé au bailleur, exerçant son droit de reprise, un abus de droit pour avoir entrepris une rénovation de l'immeuble loué postérieurement à la date d'expiration des onze baux principaux, échelonnée entre le 30 juin 1986 et le 31 décembre 1987 ; que l'arrêt a donc violé les articles 1134, 1754 et 1382 du Code civil ;

2 ) que l'abus de droit du propriétaire était d'autant moins caractérisé que, comme le rappelaient les conclusions, la rénovation par restructuration de l'immeuble, objet des douze baux litigieux, avait d'abord été agréée par le locataire qui avait préféré rester dans les lieux après rénovation dans le cadre d'un nouveau bail unique, avant de rompre unilatéralement les pourparlers pour opter pour un autre bail dans un immeuble rénové situé à proximité ; que l'arrêt a donc violé l'article 1382 du Code civil" ;

Mais attendu que la cour d'appel a souverainement retenu que le propriétaire avait entrepris la restructuration de l'immeuble impliquant la démolition de l'ensemble des cloisons, la dépose des faux plafonds ainsi que de l'installation électrique et ne pouvait réclamer une somme de 803 253 francs au titre de réparations locatives purement fictives ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.