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Décisions

CA Pau, ch. soc., 28 janvier 2021, n° 19/03322

PAU

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Défendeur :

Section Paloise Rugby Pro (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Del Arco Salcedo

Conseillers :

Mme Diximier, M. Lajournade

Cons. Prud’h. Pau, du 23 sept. 2019, n° …

23 septembre 2019

EXPOSE DU LITIGE

Mme Sandra M. épouse S. a été embauchée à compter du 1er février 2015 par la société Section Paloise de Rugby Pro en qualité de directrice des services, statut cadre, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale du rugby professionnel.

Le 5 octobre 2017, le président de la société a reçu la salariée en entretien au cours duquel il a formulé à son égard divers griefs liés à son attitude et mode de management qu'il a rappelés ensuite dans un mail du 9 octobre suivant.

Suivant courrier recommandé avec avis de réception du 12 octobre 2017, la salariée s'est défendue des reproches qui lui étaient faits.

Le 5 décembre 2017, Mme S. a été convoquée à un entretien préalable à une éventuelle sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, entretien fixé au 12 décembre suivant.

Le 18 décembre 2017, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse en raison d'un exercice abusif de sa liberté d'expression.

Le 18 janvier 2018, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.

Par jugement du 23 septembre 2019, le conseil de prud'hommes de Pau a':

- dit qu'il n'y a pas lieu de prononcer un sursis à statuer,

- dit que le licenciement de Mme Sandra S. n'est pas nul,

- dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme Sandra S. de la totalité de ses demandes, à l'exception de l'indemnité de la clause de non-concurrence,

- condamné, à ce titre, la société Section Paloise de Rugby Pro à verser à Mme S. la somme de 2 500 € par mois, à concurrence de 60 000 €, dans la mesure où pour chaque période les conditions d'attribution se trouvent respectées,

- dit qu'il n'y a pas lieu de verser quelque somme que ce soit aux deux parties, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

Le 21 octobre 2019, Mme Sandra S. a régulièrement relevé appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 20 juillet 2020 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des moyens, Mme Sandra S. demande à la cour de :

- réformant la décision entreprise, au visa des articles L1132-3-3 et L1132-4 du code du travail, 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique,

- dire et juger que son licenciement est nul,

- déclarer nul et de nul effet son licenciement,

- condamner la société Section Paloise Rugby Pro à lui verser une somme de 76 170 € correspondant à 12 mois de salaire net imposable, à titre de dommages et intérêts en raison de la nullité de licenciement, telle que visée par l'article L.1132-4 du code du travail, et les autres dispositions dudit chapitre,

- débouter la société Section Paloise de sa demande de réformation du jugement l'ayant condamnée à lui verser une somme de 60 000 € au titre de l'indemnité de non-concurrence et de la voir condamnée à restituer cette somme sous astreinte de 500 € à compter du jour de la signification de l'arrêt à intervenir,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'i1 a condamné la société Section Paloise Rugby Pro à lui verser une somme de 60 000 € au titre de l'indemnité de non-concurrence,

- débouter la société Section Paloise de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que des dépens de première instance et d'appel,

- subsidiairement, au visa de l'article L1232-1 du code du travail

- réformant la décision dont appel,

- déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- condamner la société Section Paloise Rugby Pro à lui verser la somme de 76 170 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- condamner également la société Section Paloise Rugby Pro à lui verser les sommes suivantes :

*46 662 € au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

*60 000 €, au titre du préjudice subi en raison des attaques portées à son honneur et à sa dignité, harcèlement moral et déloyauté de l'employeur,

- autoriser la publicité de l'arrêt à intervenir,

- condamner la société Section Paloise Rugby Pro à lui verser la somme de 5 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Section Paloise Rugby Pro aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 2 novembre 2020 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des moyens, la société Section Paloise demande à la cour, au visa de l'article 954 du code de procédure civile, de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme Sandra S. n'était pas nul et qu'il reposait sur une cause réelle et sérieuse,

- débouter Mme Sandra S. de ses demandes relatives au versement d'une indemnité de 46 662 € au titre des articles L. 8221-5 et L. 8223-1 du code du travail, au versement d'une indemnité de 60 000'€ au titre du préjudice subi en raison des attaques portées à son honneur, à sa dignité, harcèlement moral et déloyauté de l'employeur et à la publicité de l'arrêt,

- reformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme Sandra S. la somme de 60 000 € au titre de l'indemnité de non-concurrence et condamner Mme Sandra S. à lui restituer la dite somme de 60 000 € sous astreinte de 500 € à compter du jour de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner Mme Sandra S. au paiement d'une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel et dire que ces derniers pourront être récupérés par la Selarl ABL associés par application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 novembre 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la saisine de la cour

La société intimée fait valoir que la cour n'est saisie d'aucune prétention, les demandes présentées ne constituant pas des prétentions mais un rappel de moyens au sens de l'article 954 du code de procédure civile. Elle estime que la confirmation du jugement entrepris s'impose de ce fait.

L'appelante soutient au contraire que le dispositif de ses conclusions saisit la cour de demandes/ prétentions précises tendant à la réformation de la décision entreprise qui lui permettent d'y répondre en examinant les moyens invoqués dans les motifs.

..........................

Aux termes de l'article 910-1 du code de procédure civile, les conclusions exigées par les articles 905-2 et 908 à 910 sont celles remises au greffe et notifiées dans les délais prévus par ces textes et qui déterminent l'objet du litige.

L'article 954 du même code précise que les conclusions d'appel doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation.

La présence de prétentions non énoncées au dispositif des conclusions a seulement pour effet l'absence de saisine de la cour sur lesdites prétentions.

En l'espèce, il sera relevé que le dispositif des conclusions transmises le 20 juillet 2020 par la partie appelante, qui seul lie la cour en application de l'article 954 ci-dessus visé, porte demande de réformation ou de confirmation du jugement entrepris en fonction des dispositions entreprises et soutient les prétentions suivantes, dans le cadre de demandes précisément énoncées, par des moyens de fait et de droit développés dans le corps des écritures :

- par voie de réformation du jugement entrepris,

- à titre principal sur le licenciement, au visa des articles L1132-3-3 et L1132-4 du code du travail, 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, une demande tendant à voir juger que le licenciement est entaché de nullité et la demande subséquente en paiement de dommages et intérêts à hauteur de 76 170 €,

- à titre subsidiaire sur le licenciement, au visa de l'article L1232-1 du code du travail, une demande tendant à voir juger le licenciement dénué de cause réelle et sérieuse et la demande subséquente en paiement de dommages et intérêts à hauteur de 76 170 €,

- une demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé à hauteur de 46 662 € au visa des articles L8221-5 et L8223-1 du code du travail,

- une demande de dommages et intérêts à hauteur de 60 000 € pour attaques portées à son honneur et à sa dignité, harcèlement moral et déloyauté de l'employeur,

- une demande tendant au débouté de la société intimée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens de première instance et d'appel,

- une demande tendant à voir condamner la société intimée, outre aux entiers dépens, à lui verser une somme de 5000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- par voie de confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Section Paloise à lui verser la somme de 60 000 € au titre de l'indemnité de non concurrence,

- une demande tendant au débouté de la société Section Paloise en sa demande tendant à voir la salariée restituer l'indemnité de non concurrence allouée sous astreinte de 500 € à compter du jour de la signification de l'arrêt à intervenir,

- y ajoutant une demande tendant à voir autoriser la publicité de l'arrêt à intervenir.

Il s'en déduit que l'objet du litige porté devant la cour est déterminé et que la cour est saisie de demandes sur lesquelles il lui appartient de répondre.

Sur la nullité du licenciement

Mme S. expose qu'elle avait constaté, dans le cadre de ses fonctions, certaines anomalies dans le fonctionnement du club portant préjudice à ses intérêts économiques et qu'elle en avait lancé l'alerte lors de son entretien avec le président le 5 octobre 2017 ainsi que dans sa lettre du 12 octobre suivant, ce qui avait motivé son licenciement.

La société intimée fait valoir que les faits dénoncés par la salariée étaient totalement étrangers aux faits qui lui étaient reprochés ainsi qu'à l'exécution du contrat de travail.

...........................

Aux termes de l'article L1132-3-3 du code du travail, en ses premier et deuxième alinéas, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat :

- pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions,

- pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

L'article 6 de ladite loi précise que le lanceur d'alerte révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, notamment, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste de la loi, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général dont elle a eu personnellement connaissance.

Il suffit que les faits dénoncés de bonne foi, dont le lanceur d'alerte a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, soient, s'ils étaient établis, de nature à caractériser des infractions pénales, une violation grave et manifeste de la loi, une menace ou un préjudice pour l'intérêt général.

L'article 8 de la même loi prévoit que le signalement de l'alerte est porté à la connaissance notamment de l'employeur ou du supérieur hiérarchique.

En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne, présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles, étant rappelé que la bonne foi est toujours présumée.

Toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul par application de l'article L1132-4 du code du travail.

Mme S. présente les éléments de fait suivants :

- elle a été amenée, dans le cadre de ses fonctions de direction, d'encadrement des services, de coordination des commerciaux, du marketing, de la communication et des finances, à superviser les actions menées ; elle a été de ce fait informée des comptes dans l'ensemble des branches d'activité,

- elle a ainsi constaté qu'une somme de 114K€ avait été remise au manager sportif, Simon M., dans un temps antérieur au 30 juin 2017 sans qu'un plan d'apurement ait été prévu alors que l'état d'endettement et l'insolvabilité de ce salarié ne pouvaient être ignorés par le club ; elle produit la note du commissaire aux comptes sur l'exercice clos au 30 juin 2017 lequel rappelle :

*que M. M., qui avait déjà bénéficié d'une avance sur salaire de 114 K€, avait à nouveau bénéficié depuis le 1er juillet 2017 d'une avance de 18K€,

*que la retenue sur salaire de 600 € mise en place au mois d'août 2017 ne permettrait pas de régulariser les avances ainsi consenties à ce salarié dans un avenir prévisible,

et conclut sur ce point comme suit : " Outre le risque de non recouvrement de ces avances, celles-ci seraient susceptibles d'être requalifiées en rémunération soumise à cotisations en cas de contrôle Urssaf, soit un risque de charges sociales comprises de l'ordre de 200K€. En l'absence de provision constatée à la clôture, nous souhaiterions connaître les modalités envisagées pour le remboursement de ces avances dans un délai raisonnable" ; la salariée estime que son alerte tant auprès du président, M. Pontneau, et les membres du conseil d'administration était donc légitime ;

- elle a constaté lors de la vérification des notes de frais de M. M. que celui-ci engageait des frais excessifs et injustifiés, notamment des frais de restaurants étoilés et de voyage dont la nécessité pour le club n'était pas justifiée ; elle estime qu'il lui incombait d'attirer l'attention de M. Pontneau et du conseil d'administration sur ces faits ;

- elle a également dénoncé au président du club l'inexactitude du montant du soutien financier du TIGF pour la saison sportive 2017/2018 figurant sur la lettre d'engagement du 6 juillet 2017, lequel était initialement de 350 000 € HT puis avait été porté à 450 000 € HT, ladite lettre étant rectifiée en ce sens aux seules fins de pouvoir présenter à la direction nationale d'aide au contrôle de gestion ( DNACG) une attestation permettant de valider la masse salariale du club ; la salariée produit :

*le contrat de sponsoring entre TIGF et la Section Paloise qui mentionne la somme de 350 000€ HT pour la saison 2017/2018 et décrit les prestations précises auxquelles s'engage la Section Paloise en contrepartie,

* le mail adressé le 23 juin 2017 qu'elle a adressé au TIGF dans lequel elle confirme que l'enveloppe financière envisagée est de 350 000€ HT,

* les 4 factures de la Section Paloise adressées à TIGF pour la saison 2017/2018 "au titre du partenariat officiel de la Section Paloise" dont le total HT correspond précisément à la somme de 350 000 € figurant sur le contrat de sponsoring et la lettre d'engagement du 6 juillet 2017 avant rectification,

* 4 autres factures pour la même période dont le montant total s'élève à 90 253,16 € concernant des dépenses non prévues dans le contrat initial régularisé par le club et la société TIGF;

- elle a enfin dénoncé le non-paiement par la société Varel Europe, dont M. Pontneau, président de la société de la Section Paloise, était le dirigeant, du montant prévu au contrat de partenariat financier conclu avec la société Section Paloise au titre des droits publicitaires et promotionnels acquis ; la salariée soutient que le montant du contrat était de 100 000 € HT par saison alors que la valeur réelle des prestations fournies s'élevait à 189 850 € ; elle produit l'audit des comptes clos au 30 juin 2017 lequel fait état d'une dette de la société Varel envers la Section Paloise à hauteur de 89 K€ au titre du partenariat 2016/2017 et dans lequel le commissaire aux comptes écrit : "Nous souhaiterions obtenir les raisons du non recouvrement des sommes mentionnées ci-avant afin d'apprécier leur caractère recouvrable" ; la salariée estime que ce partenaire n'était pas en règle de ses obligations financières alors qu'il avait bénéficié des prestations du club.

Mme S. présente ainsi des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé en octobre et novembre 2017 une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

Il incombe à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision de licencier la salariée le 18 décembre 2017 était justifiée par des éléments objectifs étrangers aux déclarations de l'intéressée effectuées dans le cadre de ce signalement.

La société intimée soutient que les faits ainsi dénoncés par la salariée sont totalement étrangers aux fautes qui ont justifié son licenciement à savoir un exercice abusif de la liberté d'expression se traduisant par :

- une violation de son engagement de neutralité puisque la salariée a soumis les salariés à une forme de pression morale, en se positionnant depuis fin novembre dans la critique et en faisant le reproche à certains "d'avoir choisi leur camp",

- un dénigrement des décisions prises par le président lequel figure dans la lettre de licenciement en ces termes :

"Vous vous êtes par ailleurs rapprochée d'administrateurs auprès desquels vous avez cherché un soutien, en critiquant auprès d'eux les décisions prises par le Président, en manifestant directement des doutes sur sa compétence, vous contestez systématiquement les décisions prises par le club et par son manager sportif dans un domaine qui ne relève pas de votre compétence.

Votre implication professionnelle dans les tâches qui vous sont confiées ne peut justifier un tel comportement et une telle attitude à l'égard de votre hiérarchie.

En agissant de la sorte, vous adoptez une attitude qui n'est pas celle d'une directrice des services, cadre salarié soumis à un pouvoir hiérarchique investi d'importantes responsabilités, soumis à un devoir de fidélité et de réserve à l'égard de la société qui l'emploie.

Vous allez au-delà de la liberté d'expression qui est la vôtre. "

Or, contrairement à ce que soutient l'employeur, c'est précisément le signalement de la salariée, auprès du conseil d'administration de la société, d'une alerte sur des faits dont elle a eu personnellement connaissance dans l'exercice de ses fonctions susceptibles de caractériser une violation de la loi au préjudice des intérêts du club qui lui est reproché.

En effet, le licenciement de Mme S. repose en partie sur ses critiques des décisions prises par le président de la société et son manager sportif, lequel était M. M. dont Mme S. avait dénoncé des faits le concernant dans son courrier du 12 octobre 2017 adressé à M. Pontneau, président de la société Section Paloise Rugby Pro.

L'employeur estime que Mme S. a abusé de sa liberté d'expression dans un domaine qui ne relevait pas de sa compétence alors qu'il a été vu qu'il entrait au contraire dans les fonctions de la salariée d'assurer un contrôle du volet financier du club et de rendre des comptes sur la gestion au conseil d'administration, comme le démontre son intervention programmée à la réunion dudit conseil le 16 septembre 2017.

Aucun élément du dossier de l'employeur ne permet d'établir la mauvaise foi de Mme S. dans le déclenchement de l'alerte, étant précisé que les attestations produites par ce dernier ne portent que sur son mode de management des salariés et non sur les faits qui ont fait l'objet du signalement.

Il importe peu en outre que le commissaire aux comptes ait finalement approuvé les comptes de la Section Paloise le 15 novembre 2017, du moment qu'au moment de l'alerte, la salariée disposait d'élements concrets de nature à lui faire craindre légitimement une violation grave de la loi ou du réglement au détriment du club.

Il résulte de tous ces éléments que le licenciement de Mme S. repose sur son signalement d'une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, de sorte que son licenciement est entaché de nullité.

Le jugement entrepris doit être infirmé sur ce point.

Dans la mesure où la salariée ne sollicite pas sa réintégration, elle est fondée à obtenir une indemnité réparant le préjudice résultant du caractère illicite de son licenciement au moins égale à six mois de salaire.

Mme S., âgée de 42 ans au moment de la rupture de son contrat de travail, a perdu les revenus dont elle disposait et justifie n'avoir pas retrouvé un même niveau de salaire mensuel brut (5723 €).

Il convient dès lors de lui allouer une somme de 35 000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur la demande relative au travail dissimulé

Mme S. expose qu'elle a perçu au titre de son activité professionnelle un complément de salaire sous la forme d'indemnités kilométriques à hauteur de 500 € par mois alors qu'elle bénéficiait d'un véhicule de fonction pour lequel la société remboursait les frais d'essence. Elle indique avoir dénoncé cette pratique à l'employeur lequel n'avait pas procédé à la régularisation de la situation alors que la non déclaration relative à ce complément de salaire était constitutif de travail dissimulé.

L'employeur le conteste.

.............................

En application de l'article L.8221-5 du code du travail dans sa rédaction alors applicable, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche, de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L.3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

L'article L 8221-5 dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli ou le fait de porter des informations sur la déclaration tendant à minorer ses obligations.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

En l'espèce, Mme S. ne produit aucune pièce de nature à établir les compléments de salaire qui auraient été volontairement dissimulés par l'employeur.

Elle doit être, par confirmation du jugement entrepris, déboutée de ce chef de demande.

Sur le harcèlement moral et la déloyauté de l'employeur

Mme S. fait valoir qu'elle a subi des attaques sexistes et injustifiées de la part de l'employeur lesquelles justifient qu'il lui soit alloué la somme de 60 000 € au titre du préjudice subi pour atteinte à son honneur et à sa dignité.

La société intimée estime que les éléments décousus invoqués par la salariée ne caractérisent aucun harcèlement moral.

................................

Aux termes de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1152-2 dispose qu'aucun salarié ne peut, être sanctionné ('..) pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L 1152-3 dispose que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

L'article L 1154-1, issu de la loi du 8 août 2016, prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné doit présenter des éléments de fait qui laissent supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Mme S. invoque les éléments de fait suivants:

- elle a subi des attaques sexistes et injustifiées, nonobstant l'absence de plaintes à son égard, durant l'exercice de ses fonctions, le conseil d'administration lors de sa réunion du 16 septembre 2017 n'ayant pas tari d'éloges à son égard,

- l'employeur a travesti la réalité des faits et a sali son honneur en sous-entendant des relations plus que professionnelles entre elle et le vice-président.

La salariée ne produit cependant aucun élément de nature à démontrer la réalité des faits qu'elle présente à la cour, lesquels sont en outre libellés en termes imprécis et non circonstanciés.

Ces agissements pris dans leur ensemble, ne laissent pas supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Mme S. doit, par confirmation du jugement entrepris, être déboutée de ce chef de demande.

Sur l'indemnité de non concurrence

Mme S. fait valoir qu'elle exerce actuellement un emploi de responsable du pôle communication et développement dans un secteur d'activité distinct de celui du club de rugby et qu'elle n'a donc pas failli à la clause de non concurrence prévue dans son contrat de travail.

La société intimée soutient que Mme S., laquelle occupe auprès du Palais des Congrés de Pau les mêmes fonctions administratives et commerciales qu'auprès de la Section Paloise Rugby Pro, a manqué à l'interdiction de concurrence mentionnée au contrat de travail, de sorte qu'elle était fondée à obtenir la restitution de l'indemnité financière de 60 000 € prévue audit contrat.

.................

Le contrat de travail liant les parties prévoit en son article 12 une clause de non-concurrence :

- limitée dans le temps : 24 mois,

- limitée dans l'espace : département du 64,

- adossée à une contrepartie financière égale à 33% de la rémunération moyenne brute de base des douze derniers mois.

Il était ainsi interdit à la salariée "d'exercer, à quelque titre ou sous quelque forme que ce soit, de manière directe ou indirecte, une activité concurrente de celle de la société et/ou de toute société affiliée".

Il a été rappelé que Mme S. occupait au sein de la société intimée les fonctions de directrice de services ainsi définies dans le contrat de travail régi par la convention collective du rugby professionnel :

- direction et encadrement des services,

- coordination des commerciaux,

- marketing, communication,

- finances.

La clause de non-concurrence interdit à la salariée d'exercer une activité concurrente à celle de la société, laquelle exerce une activité essentiellement sportive.

Il s'en déduit que Mme S. a la possibilité de travailler dans tous les autres secteurs d'activité.

C'est ainsi qu'elle a été embauchée le 18 novembre 2017 par la SPL Palais Beaumont, qui a pour activité principale l'organisation de congrès, en qualité de responsable du développement/ communication et promotion, dans le cadre d'un contrat de travail régi par la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseil et des sociétés de conseil.

Ses fonctions sont définies comme suit :

- développement commercial des activités externes de la société,

- pilotage des actions de communication et de promotion de la société,

- développement de l'évènementiel de la brasserie.

Mme S., en charge d'exercer ces fonctions dans le cadre d'organisation et de promotion de congrès, évolue donc dans un milieu étranger au monde du rugby et n'approche pas la même clientèle.

La cour considère en conséquence comme les premiers juges que les fonctions exercées par Mme S. au sein d'une société dont l'activité est différente de celle de la Section Paloise Rugby Pro ne caractérisent pas une violation de la clause de non-concurrence ci-dessus rappelée.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a condamné la société Section Paloise à payer à Mme S. la contrepartie financière de la clause de non concurrence.

La société intimée doit être déboutée de ses demandes sur ce point.

Sur le surplus des demandes

Rien ne justifie que la publicité du présent arrêt soit autorisée. Mme S. doit être déboutée de ce chef de demande, par ajout au jugement entrepris.

La société intimée qui succombe en partie dans ses prétentions sera condamnée aux dépens de première instance, par infirmation du jugement entrepris, et d'appel, ainsi qu'à payer à Mme S. la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le licenciement déclaré illégitime est sanctionné par l'article L 1235-4 du code du travail. Il convient d'ordonner, en tant que de besoin, le remboursement par l'employeur à Pôle Emploi des sommes éventuellement versées à la salariée au titre du chômage dans la limite de 2 mois d'indemnités.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à disposition au greffe,

•            Dans le cadre de sa saisine,

•            Infirme le jugement entrepris hormis sur les demandes relatives au travail dissimulé, au harcèlement moral, et à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence

•            Le confirme sur ces points,

•            Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

•            Dit que le licenciement de Mme S. repose sur son signalement d'une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique,

•            Dit que le licenciement de Mme S. est nul,

•            Condamne la SASP Section Paloise Rugby Pro à payer à Mme S. les sommes suivantes :

- 35 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

- 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

•            Déboute Mme S. de sa demande tendant à se voir autoriser la publication du présent arrêt,

•            Ordonne, s'il y a lieu, le remboursement par la SASP Section Paloise Rugby Pro à Pôle Emploi des sommes versées à la salariée au titre du chômage dans la limite de 2 mois d'indemnités,

•            Condamne la SASP Section Paloise Rugby Pro aux dépens de première instance et d'appel.