Cass. soc., 19 janvier 2022, n° 20-10.057
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cathala
Rapporteur :
Mme Marguerite
Avocat général :
Mme Grivel
Avocats :
SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin, SCP Lyon-Caen et Thiriez
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 13 novembre 2019), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 3 octobre 2018, pourvoi n° 16-23.075), M. [L] a été engagé à compter du 17 juillet 2000 en qualité d'assistant par la société d'expertise comptable et de commissariat aux comptes Diagnostic et investissement. A la suite de l'obtention de son diplôme d'expert-comptable et de commissaire aux comptes, le salarié a conclu un nouveau contrat de travail le 19 mai 2009, avec effet rétroactif au 5 janvier 2009.
2. Par lettre recommandée du 3 février 2011, le salarié a alerté son employeur sur une situation de conflit d'intérêts concernant la société entre ses missions d'expert-comptable et celles de commissaire aux comptes, en soulignant qu'à défaut de pouvoir discuter de cette question avec son employeur, il en saisirait la compagnie régionale des commissaires aux comptes. Il a saisi cet organisme par lettre du 14 mars 2011, veille de l'entretien préalable au licenciement, et il a été licencié pour faute grave le 18 mars 2011.
3. Contestant ce licenciement, il a saisi la juridiction prud'homale pour faire juger que le licenciement était nul ou sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement d'indemnités liées à la rupture et d'un rappel de salaires sur primes.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en sa troisième branche et sur le moyen du pourvoi incident du salarié, ci-après annexés
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi principal de l'employeur, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
5. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le licenciement est nul pour violation d'une liberté fondamentale et de le condamner en conséquence à payer au salarié des sommes à titre de salaire de mise à pied et congés payés afférents, d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d'indemnité de licenciement et d'indemnité pour licenciement nul, alors :
« 1°/ que le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales, est frappé de nullité ; qu'en déclarant le licenciement du salarié nul pour cela qu'il pouvait légitimement dénoncer à des tiers, tels que la compagnie des commissaires aux comptes, tout fait répréhensible dont il aurait connaissance dans le cadre de ses fonctions et que son licenciement, prononcé ensuite d'une menace de dénonciation d'un conflit d'intérêts auprès de la compagnie des commissaire aux comptes, constituait en conséquence une mesure de rétorsion illicite et était frappé de nullité, quand la nullité susvisée s'applique aux seuls licenciements prononcés ensuite de la dénonciation d'infractions pénales, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ que le juge ne doit pas dénaturer les conclusions des parties ; qu'en affirmant que la mauvaise foi du salarié n'était pas invoquée par l'employeur, quand la société alléguait expressément la mauvaise foi du salarié, qui l'avait menacée de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes, en réponse aux reproches qu'elle lui avait adressés, afin de faire pression sur elle et faire échec à toute mesure destinée à sanctionner son comportement, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
6. En raison de l'atteinte qu'il porte à la liberté d'expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail, le licenciement d'un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité.
7. La cour d'appel a relevé, d'une part, que la lettre de licenciement reprochait expressément au salarié d'avoir menacé son employeur de saisir la compagnie régionale des commissaires aux comptes de l'existence dans la société d'une situation de conflit d'intérêts à la suite de cas d'auto-révision sur plusieurs entreprises, situation prohibée par le code de déontologie de la profession, dont il l'avait préalablement avisé par lettre du 3 février 2011, et, d'autre part, que la procédure de licenciement avait été mise en oeuvre concomitamment à cette alerte et à la saisine par le salarié de cet organisme professionnel après que l'employeur lui eut refusé toute explication sur cette situation. Ayant ainsi fait ressortir que le salarié avait été licencié pour avoir relaté des faits, dont il avait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, et qui, s'ils étaient établis, seraient de nature à caractériser une violation du code de déontologie de la profession de commissaire aux comptes dans sa version issue du décret n° 2010-131 du 10 février 2010, et ayant estimé, sans dénaturation dès lors que l'employeur ne soutenait pas que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits qu'il dénonçait, que la mauvaise foi de ce dernier n'était pas établie, elle en a exactement déduit que le licenciement était nul.
8. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident.