Cass. com., 5 juillet 2023, n° 22-13.289
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vigneau
Rapporteur :
M. Boutié
Avocat général :
Mme Guinamant
Avocat :
SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Chambéry, 11 janvier 2022, n° RG 21/00628), les sociétés [E] expansion et [E] équipement hôtelier ont eu pour dirigeants Mme [E] et M. [V].
2. Les 25 octobre 2016 et 8 novembre 2016, les société [E] équipement hôtelier et [E] expansion ont été mises en redressement judiciaire. Les procédures ont été converties en liquidation judiciaire respectivement les 23 décembre 2016 et 18 septembre 2017, les sociétés Etude Bouvet & Guyonnet et BTSG, devenue BTSG², étant désignées liquidateurs de la société [E] équipement hôtelier et la société Etude Bouvet & Guyonnet liquidateur de la société [E] expansion.
3. Par une ordonnance du 23 avril 2018, le juge-commissaire de la liquidation judiciaire de la société [E] équipement hôtelier a désigné, sur requête des liquidateurs, M. [B] en qualité de technicien, sur le fondement de l'article L. 621-9 du code de commerce, avec pour mission d'examiner les comptes sociaux des exercices 2014 et 2015 et de rechercher s'ils étaient réguliers et sincères.
Examen des moyens
Sur le premier moyen, pris en ses première et troisième branches, le deuxième moyen et le troisième moyen, pris en ses quatre premières branches
4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
5. M. [V] fait grief à l'arrêt de prononcer à son encontre une interdiction de gérer d'une durée de quinze ans, et de rejeter ses demandes et notamment celles tendant à voir écarter des débats le rapport de M. [B], et en nullité du jugement, alors « qu'en se fondant exclusivement sur le rapport de M. [B], établi sans respect des garanties du contradictoire prévues par le code de procédure civile, pour motiver sa décision s'agissant des faits relatifs à l'évaluation des stocks, dont elle a déduit la volonté des dirigeants de la société [E] équipement hôtelier d'établir une comptabilité fictive, la cour d'appel a violé les articles 16 du code de procédure civile et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »
Réponse de la Cour
6. D'une part, M. [B] ayant été désigné par le juge-commissaire qui a déterminé sa mission, le moyen postule à tort que la cour d'appel ne pouvait exclusivement se fonder sur les éléments de preuve résultant de son rapport pour retenir l'existence d'une comptabilité fictive.
7. D'autre part, après avoir énoncé à bon droit que la mission que le juge-commissaire peut, en application de l'article L. 621-9, alinéa 2, du code de commerce, confier à un technicien n'est pas une mission d'expertise judiciaire soumise aux règles prévues aux articles 143 à 284 du code de procédure civile pour une telle mesure d'instruction, puis relevé que M. [B] avait souhaité recueillir les explications des consorts [E] [V], leur avait proposé une réunion de travail et avait ainsi rencontré M. [V] le 5 août 2019, Mme [E] ne s'étant pas déplacée, et que le technicien avait fait état des explications de M. [V] dans son rapport, l'arrêt retient que le rapport du technicien et ses annexes ont été produits au débat et soumis à la discussion contradictoire des parties.
8. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel, a déduit, sans méconnaître les principes de la contradiction et du procès équitable, qu'il n'y avait pas lieu d'écarter le rapport du technicien des débats.
9. Le moyen n'est donc pas fondé.
Mais sur le troisième moyen, pris en sa cinquième branche
Enoncé du moyen
10. M. [V] fait le même grief à l'arrêt, alors « que devant les juges du fond M. [V] indiquait avoir accompli les diligences nécessaires pour garantir la fiabilité des comptes du groupe et faisait valoir que, compte tenu de sa situation personnelle marquée notamment par la reprise récente d'une activité de gérant et une condamnation à verser la somme de 2,25 millions d'euros à la Compagnie Financière Beuque, il n'y avait pas lieu de prononcer à son encontre une interdiction de gérer ; qu'en infligeant à l'intéressé une interdiction de gérer sans répondre aux conclusions de M. [V] sur ce point, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 653-8 du code de commerce et 455 du code de procédure civile :
11. Il résulte de ces textes que le tribunal qui prononce une mesure d'interdiction de gérer doit motiver sa décision, tant sur le principe que sur le quantum de la sanction, au regard de la gravité des fautes et de la situation personnelle de l'intéressé.
12. Pour condamner M. [V] à une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de quinze ans, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, qu'au regard de la gravité des fautes de ce dirigeant, titulaire d'un diplôme d'expertise comptable et de sa situation personnelle, il y a lieu de le condamner à une telle mesure.
13. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. [V] qui faisait valoir, quant à sa situation personnelle, qu'il avait créé une nouvelle société dont il était le gérant, activité pour laquelle il était rémunéré à hauteur de 3 800 euros par mois, et qu'il était redevable d'une somme de 2,25 millions d'euros envers un établissement financier, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que confirmant le jugement du tribunal de commerce de Chambéry du 12 mars 2021, il condamne M. [V] à une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 15 ans, l'arrêt rendu le 11 janvier 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Chambéry ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble.