DĂ©cisions

Cass. com., 4 octobre 2023, n° 22-12.128

COUR DE CASSATION

ArrĂȘt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

PrĂ©sident :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme BĂ©laval

Avocat gĂ©nĂ©ral :

Mme Henry

Avocat :

SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Vu l'article 978 du code de procédure civile :

1. AprÚs avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application du texte susvisé.

2. Il résulte de ce texte qu'à peine de déchéance du pourvoi, le demandeur en cassation doit, dans le délai de quatre mois à compter du pourvoi, remettre au greffe de la Cour de cassation un mémoire contenant les moyens de droit invoqués contre la décision attaquée.

3. Le 15 fĂ©vrier 2022, M. [N], en qualitĂ© de liquidateur de la sociĂ©tĂ© Corse discount Ajaccio, et M. [D], en qualitĂ© de liquidateur de la sociĂ©tĂ© Corse discount diffusion, se sont pourvus contre deux arrĂȘts rendus par la cour d'appel de Bastia, les 2 dĂ©cembre 2020 et 15 dĂ©cembre 2021.

4. Le mĂ©moire qu'ils ont dĂ©posĂ© dans le dĂ©lai de quatre mois ne comporte aucun moyen de droit contre l'arrĂȘt du 2 dĂ©cembre 2020.

5. DĂšs lors, il y a lieu de constater la dĂ©chĂ©ance de leur pourvoi en ce qu'il est dirigĂ© contre cet arrĂȘt.

Faits et procédure

6. Selon les arrĂȘts attaquĂ©s (Bastia, 2 dĂ©cembre 2020 et 15 dĂ©cembre 2021), le 20 juillet 2012, des locaux commerciaux appartenant Ă  Mmes [W] et [I] [A], et exploitĂ©s par les sociĂ©tĂ©s Corse discount diffusion et Corse discount Ajaccio (les sociĂ©tĂ©s), ont Ă©tĂ© dĂ©truits par des incendies. Les sociĂ©tĂ©s ont demandĂ© en vain Ă  leur assureur, la sociĂ©tĂ© de droit danois Alpha Group, devenue Alpha Insurance A/S (la sociĂ©tĂ© Alpha), de les indemniser de leurs prĂ©judices.

7. Le 28 juin 2013, les sociétés ont assigné la société Alpha en paiement devant le tribunal de commerce de Bastia.

8. Les 11 février et 10 mars 2014, les sociétés ont été mises en liquidation judiciaire, M. [N] étant désigné liquidateur de la société Corse discount Ajaccio, et M. [D] étant désigné liquidateur de la société Corse discount diffusion.

9. Le 8 mai 2018, un jugement rendu par une juridiction danoise a déclaré la société Alpha en faillite.

10. Le 2 décembre 2019, M. [N], Ús qualités, et M. [D], Ús qualités, ont assigné en intervention forcée M. [B], syndic de la société Alpha.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en ses premiĂšre, deuxiĂšme, troisiĂšme et quatriĂšme branches

 

11. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui sont irrecevables.

 

Sur le moyen, pris en sa cinquiĂšme branche

Enoncé du moyen

12. M. [N], Ăšs qualitĂ©s, et M. [D], Ăšs qualitĂ©s, font grief Ă  l'arrĂȘt du 15 dĂ©cembre 2021 de dĂ©clarer irrecevables leurs demandes prĂ©sentĂ©es Ă  l'encontre de M. [B], Ăšs qualitĂ©s, alors « qu'il rĂ©sulte du paragraphe 1 de l'article 274 de la directive 2009/138/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accĂšs aux activitĂ©s de l'assurance et de la rĂ©assurance et leur exercice, dite SolvabilitĂ© II, que, sauf dispositions contraires des articles 285 Ă  292, la dĂ©cision d'ouvrir une procĂ©dure de liquidation d'une entreprise d'assurance, la procĂ©dure de liquidation et leurs effets sont rĂ©gis par le droit applicable dans l'État membre d'origine, c'est-Ă -dire par la loi de l'État membre dans lequel l'entreprise d'assurance a Ă©tĂ© agrĂ©Ă©e et a son siĂšge social ; qu'il rĂ©sulte du paragraphe 2, sous g) du mĂȘme article que le droit de l'État membre d'origine dĂ©termine au moins les rĂšgles concernant la production, la vĂ©rification et l'admission des crĂ©ances ; qu'en considĂ©rant, pour rejeter le moyen pris par les exposants de ce que la mise en cause du mandataire liquidateur de la sociĂ©tĂ© de droit danois Alpha Insurance dans l'instance française en paiement de l'indemnitĂ© d'assurance valait dĂ©claration de crĂ©ance, d'une part, que "l'absence de dĂ©claration des crĂ©ances a pour effet, en application de l'article L. 622-26 du code de commerce de rendre inopposable la crĂ©ance non dĂ©clarĂ©e au passif en ces termes « les crĂ©ances non dĂ©clarĂ©es rĂ©guliĂšrement dans ces dĂ©lais sont inopposables au dĂ©biteur pendant l'exĂ©cution du plan et aprĂšs cette exĂ©cution lorsque les engagements Ă©noncĂ©s dans le plan ou dĂ©cidĂ©s par le tribunal ont Ă©tĂ© tenus. Pendant l'exĂ©cution du plan, elles sont Ă©galement inopposables aux personnes physiques coobligĂ©es ou ayant consenti une sĂ»retĂ© personnelle ou ayant affectĂ© ou cĂ©dĂ© un bien en garantie », ce qui signifie que les crĂ©anciers ne pourront pas s'en prĂ©valoir y compris durant le plan de redressement et y compris dans le cadre d'une compensation" et, d'autre part, que "l'assignation en reprise d'une instance en cours dĂ©livrĂ©e en application de l'article L. 622-22 du code de commerce, serait-elle accompagnĂ©e de conclusions tendant Ă  la fixation par la juridiction saisie de cette instance de la crĂ©ance du demandeur, ce que les intimĂ©es ne prouvent pas, ne vaut pas - contrairement Ă  ce qu'ils affirment dans leurs Ă©critures - dĂ©claration de crĂ©ance entre les mains du mandataire judiciaire, celle-ci ne pouvant rĂ©sulter que d'un acte distinct conformĂ©ment Ă  l'article R. 622-20 du mĂȘme code", la cour d'appel, qui a ainsi fait application de la loi française pour dĂ©terminer les conditions de production d'une crĂ©ance Ă  la liquidation de l'assureur danois et leur sanction, quand de telles questions Ă©taient rĂ©gies par la loi danoise applicable dans l'État membre dans lequel l'entreprise d'assurance a Ă©tĂ© agrĂ©e et a son siĂšge social, a ainsi violĂ© par fausse application l'article L. 326-8 du code des assurances, tel qu'interprĂ©tĂ© Ă  la lumiĂšre de l'article 274 de la directive 2009/138/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accĂšs aux activitĂ©s de l'assurance et de la rĂ©assurance et leur exercice, dite SolvabilitĂ© II. »

RĂ©ponse de la Cour

13. Aux termes de l'article L. 326-20 du code des assurances, issu de l'ordonnance n° 2015-378 du 2 avril 2015 transposant la directive 2009/138/CE du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 sur l'accÚs aux activités de l'assurance et de la réassurance et leur exercice (la directive Solvabilité II), les décisions concernant l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire prises par les autorités compétentes d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France à l'égard d'une entreprise d'assurance ayant son siÚge sur le territoire de cet Etat produisent tous leurs effets sur le territoire de la République française sans aucune autre formalité, y compris à l'égard des tiers, dÚs lors qu'elles produisent leurs effets dans cet Etat.

14. Selon l'article L. 326-28 du mĂȘme code, issu de la mĂȘme ordonnance, transposant l'article 292 de la directive SolvabilitĂ© II, les effets de la mesure d'assainissement ou de l'ouverture de la procĂ©dure de liquidation sur une instance en cours en France concernant un bien ou un droit dont l'entreprise d'assurance est dessaisie sont rĂ©gis exclusivement par les dispositions du code de procĂ©dure civile.

15. Il rĂ©sulte des articles 369 et 371 du code de procĂ©dure civile que l'instance est interrompue par l'effet du jugement qui prononce la liquidation judiciaire dans les causes oĂč il emporte assistance ou dessaisissement du dĂ©biteur, dĂšs lors que cet Ă©vĂ©nement survient avant l'ouverture des dĂ©bats.

16. Il découle de la combinaison des articles L. 622-22 et L. 641-3 du code de commerce que, par l'effet du jugement qui ouvre la procédure de liquidation judiciaire, les instances en cours sont interrompues jusqu'à ce que le créancier poursuivant ait procédé à la déclaration de sa créance. Elles sont alors reprises de plein droit, le mandataire judiciaire et, le cas échéant, l'administrateur, dûment appelés, mais tendent uniquement à la constatation des créances et à la fixation de leur montant. Il s'en déduit que la reprise de l'instance en cours par le créancier est subordonnée à deux conditions, la déclaration de créance et la mise en cause des organes de la procédure collective.

17. Par son arrĂȘt du 13 janvier 2022 (C-724/20), la Cour de justice de l'Union europĂ©enne a dit pour droit que l'article 292 de la directive SolvabilitĂ© II doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© en ce sens que « la loi de l'Etat membre sur le territoire duquel l'instance est en cours, au sens de cet article, a pour objet de rĂ©gir tous les effets de la procĂ©dure de liquidation sur cette instance » et en particulier, qu'« il convient d'appliquer les dispositions du droit de cet Etat membre qui, premiĂšrement, prĂ©voient que l'ouverture d'une telle procĂ©dure entraĂźne l'interruption de l'instance en cours, deuxiĂšmement, soumettent la reprise de l'instance Ă  la dĂ©claration au passif de l'entreprise d'assurance, par le crĂ©ancier, de sa crĂ©ance d'indemnitĂ© d'assurance et Ă  l'appel en cause des organes chargĂ©s de mettre en oeuvre la procĂ©dure de liquidation et, troisiĂšmement, interdisent toute condamnation au paiement de l'indemnitĂ©, celle-ci ne pouvant plus faire l'objet que d'une constatation de son existence et d'une fixation de son montant, dĂšs lors que, en principe, de telles dispositions n'empiĂštent pas sur la compĂ©tence rĂ©servĂ©e au droit de l'Etat membre d'origine, en application de l'article 274, paragraphe 2, de ladite directive. »

18. AprĂšs avoir relevĂ©, d'une part, que, selon la loi danoise, les crĂ©anciers disposent d'un dĂ©lai de deux semaines aprĂšs la publication au journal officiel danois pour rapporter la preuve de leur crĂ©ance, d'autre part, que les liquidateurs n'avaient pas dĂ©clarĂ© la crĂ©ance des sociĂ©tĂ©s auprĂšs des organes de la procĂ©dure de faillite de la sociĂ©tĂ© Alpha, la cour d'appel, qui n'a pas fait application de la loi française pour dĂ©terminer les conditions de production d'une crĂ©ance Ă  la liquidation de l'assureur danois et leur sanction, mais a, en revanche, appliquĂ© Ă  bon droit cette mĂȘme loi pour dĂ©terminer les effets de la procĂ©dure de liquidation sur une instance en cours, a exactement retenu, abstraction faite des motifs erronĂ©s mais surabondants tirĂ©s des dispositions de l'article L. 622-26 du code de commerce, que l'instance en cours dont elle Ă©tait saisie, interrompue en application de l'article L. 622-22 du mĂȘme code jusqu'Ă  ce que les liquidateurs aient procĂ©dĂ© Ă  la dĂ©claration de leurs crĂ©ances, n'avait pas Ă©tĂ© reprise en l'absence d'une telle dĂ©claration, l'assignation en intervention forcĂ©e du mandataire de justice ne valant pas dĂ©claration de crĂ©ance.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CONSTATE la dĂ©chĂ©ance du pourvoi en ce qu'il est dirigĂ© contre l'arrĂȘt de la cour d'appel de Bastia du 2 dĂ©cembre 2020 ;

REJETTE le pourvoi formĂ© contre l'arrĂȘt du 15 dĂ©cembre 2021.