Cass. 2e civ., 5 octobre 2023, n° 23-13.104
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Défendeur :
Gestlac, Promotion Pichet, Jeanneney, MLDS patrimoine (In & Fi Crédits), Compagnie financière de France (Cofip), Adomos, Capinvest immobilier, Consult'Invest, L&A finance, Immoptis, Visa patrimoine, Concelia
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Martinel
Rapporteur :
Mme Bohnert
Avocat général :
Mme Trassoudaine-Verger
Avocats :
Me Descorps-Declère, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 24 janvier 2023), M. [O], M. [B], Mme [IV], M. [Z], Mme [OZ], M. [I], Mme [GZ], M. [D], Mme [HV], M. [S], M. [C], M. [N], M. [U], Mme [Y], M. [M], M. [PN], M. [AO], Mme [TB], Mme [ML], M. [GS], Mme [VT], M. [CW], Mme [IC], M. [OS], M. [NO], Mme [WO], M. [RC], Mme [JF], M. [ME], Mme [LP], M. [AE], Mme [KU] [T], Mme [UL], M. [SU], Mme [XS], M. [RY], M. [KM], Mme [WK], M. [JC], Mme [IN], M. [XN], Mme [YV], M. [TP], Mme [KP], M. [HS], Mme [BB], M. [JR], M. [IG], Mme [AB], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [GA] [F] [FL], Mme [ZR], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [GA] [F] [FL], M. [XG] [FL], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [GA] [F] [FL], Mme [VH], M. [ZY], M. [YG], M. [AF], M. [CF], Mme [CU], Mme [GK], M. [VW], Mme [GW], M. [ZC], Mme [BC], Mme [BT], M. [BF], Mme [FH], M. [FE], M. [EE], M. [EI], Mme [ZM], M. [ZF], Mme [EB], M. [WW], Mme [VL], M. [HG], M. [UB], Mme [XZ], M. [ZU], Mme [BV], M. [R], M. [SJ], M. [YR], Mme [UX], M. [TM], M. [WA], M. [UI], Mme [KI], Mme [ZJ], M. [BA], M. [LE], M. [AW], M. [BW], Mme [DX], M. [SR], Mme [PD], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [P] [PD], Mme [DD], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [P] [PD], M. [PK], M. [PG], Mme [G], M. [VE], Mme [KF] et M. [LB] (les acquéreurs) ont acquis de la société Jeanneney, par l'intermédiaire de diverses sociétés de conseil en gestion de patrimoine, dont les sociétés MLDS patrimoine et Cofip, des appartements construits par la société Promotion Pichet dans une résidence de tourisme bénéficiant d'une défiscalisation.
2. Souhaitant revendre leurs biens et constatant que les valeurs de commercialisation n'atteignaient pas les taux annoncés, les acquéreurs ont saisi le tribunal judiciaire de Bordeaux afin d'obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, la désignation d'un expert, afin d'examiner les projections de rentabilité fournies lors de l'achat ainsi que la gestion de l'immeuble depuis sa mise en service.
3. Par ordonnance du 28 février 2022, le juge des référés a fait droit à leur demande.
4. Les sociétés MLDS patrimoine et Cofip ont fait appel de cette décision.
Moyens
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Les acquéreurs font grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à expertise, alors « que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance ; que pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité exercée par les acquéreurs au jour de leur acquisition et juger que leur action au fond serait en conséquence manifestement irrecevable parce que prescrite, l'arrêt retient que, s'agissant d'un manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'établissement de l'acte critiqué ; qu'en statuant ainsi, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour l'acquéreur ne peut résulter que de faits susceptibles de lui révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé les articles 1304, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 2224 du code civil, ensemble l'article 145 du code de procédure civile. »
Motivation
Réponse de la Cour
Vu les articles 2224 du code civil et L. 110-4 du code de commerce et l'article 145 du code de procédure civile :
6. Il résulte de la combinaison des deux premiers de ces textes que les obligations entre commerçants et non-commerçants se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
7. Selon le troisième, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. Il en résulte que le demandeur qui sollicite une expertise en vue de soutenir, lors d'un litige ultérieur, des prétentions manifestement irrecevables ou mal fondées, ne justifie pas d'un motif légitime à son obtention.
8. Il est jugé que le délai de l'action en responsabilité, qu'elle soit de nature contractuelle ou délictuelle, court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en a pas eu précédemment connaissance (1re Civ., 11 mars 2010, pourvoi n° 09-12.710, Bull. 2010, I, n° 62 ; 2e Civ., 18 mai 2017, pourvoi n° 16-17.754, Bull. 2017, II, n° 102).
9. Pour fixer le point de départ de l'action en responsabilité qui pourrait être exercée par les acquéreurs contre le vendeur et ses mandataires au jour de l'acquisition des biens litigieux et rejeter la demande d'expertise, l'arrêt retient que, s'agissant du manquement à l'obligation d'information ou de conseil, le dommage consistant en une perte de chance de ne pas contracter se manifeste dès l'établissement de l'acte critiqué.
10. En statuant ainsi, alors que, s'agissant d'un investissement immobilier locatif avec défiscalisation, la manifestation du dommage pour les acquéreurs ne pouvait résulter que de faits susceptibles de leur révéler l'impossibilité d'obtenir la rentabilité prévue lors de la conclusion du contrat, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Dispositif
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à expertise, l'arrêt rendu le 24 janvier 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux autrement composée ;
Condamne les sociétés Compagnie financière de France (Cofip), MLDS patrimoine (In & Fi crédits), Gestlac, Promotion Pichet venant aux droits de la société Ig2p, anciennement dénommée Capitalys conseil, Jeanneney et Immoptis aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Compagnie financière de France (Cofip), MLDS patrimoine (In & Fi crédits), Gestlac, Promotion Pichet venant aux droits de la société Ig2p, anciennement dénommée Capitalys conseil, Jeanneney et Immoptis et les condamne in solidum à payer à M. [O], M. [B], Mme [IV], M. [Z], Mme [OZ], M. [I], Mme [GZ], M. [D], Mme [HV], M. [S], M. [C], M. [N], M. [U], Mme [Y], M. [M], M. [PN], M. [AO], Mme [TB], Mme [ML], M. [GS], Mme [VT], M. [CW], Mme [IC], M. [OS], M. [NO], Mme [WO], M. [RC], Mme [JF], M. [ME], Mme [LP], M. [AE], Mme [KU] [T], Mme [UL], M. [SU], Mme [XS], M. [RY], M. [KM], Mme [WK], M. [JC], Mme [IN], M. [XN], Mme [YV], M. [TP], Mme [KP], M. [HS], Mme [BB], M. [JR], M. [IG], Mme [AB], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [GA] [F] [FL], Mme [ZR], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [GA] [F] [FL], M. [XG] [FL], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [GA] [F] [FL], Mme [VH], M. [ZY], M. [YG], M. [AF], M. [CF], Mme [CU], Mme [GK], M. [VW], Mme [GW], M. [ZC], Mme [BC], Mme [BT], M. [BF], Mme [FH], M. [FE], M. [EE], M. [EI], Mme [ZM], M. [ZF], Mme [EB], M. [WW], Mme [VL], M. [HG], M. [UB], Mme [XZ], M. [ZU], Mme [BV], M. [R], M. [SJ], M. [YR], Mme [UX], M. [TM], M. [WA], M. [UI], Mme [KI], Mme [ZJ], M. [BA], M. [LE], M. [AW], M. [BW], Mme [DX], M. [SR], Mme [PD], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [P] [PD], Mme [DD], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de [P] [PD], M. [PK], M. [PG], Mme [G], M. [VE], Mme [KF] et M. [LB] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq octobre deux mille vingt-trois.