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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 septembre 2023, n° 20/05854

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Braillard (SA)

Défendeur :

Automobiles Peugeot (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Jarry, Me Descours, Me Baechlin, Me Bourgade

T. com. Paris, du 3 févr. 2020, n° 20180…

3 février 2020

FAITS ET PROCÉDURE

La société Braillard exerce à [Localité 4], au Pérou, l'activité d'importation et de vente de véhicules automobiles et pièces détachées ainsi que les services après-vente qui leur sont attachés.

Elle entretient des relations commerciales avec la société Automobiles Peugeot depuis de nombreuses années, à la fois en tant qu'importateur et distributeur, dans le cadre de contrats à durée déterminée d'un an ou de 3 ans, non renouvelables tacitement.

Le dernier contrat a été conclu pour une période de 3 ans, soit de 2013 à 2015 et fixait un objectif de ventes annuelles de 1100 véhicules.

La société Peugeot a notifié quelques mois avant la fin du contrat la rupture de la relation commerciale, avec effet au 31 décembre 2016.

Par acte d'huissier de justice du 10 juillet 2018, la société Braillard a assigné la société Peugeot Automobiles devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation de la rupture brutale de leur relation commerciale.

Par jugement du 3 février 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit que la Sa Automobiles Peugeot aurait dû consentir à la société de droit péruvien Braillard SA, un préavis de 12 mois au titre de l'activité d'importateur ;

- Condamné la Sa Automobiles Peugeot à payer à la société de droit péruvien Braillard Sa la somme de 443 792 euros au titre de dommages et intérêts pour rupture brutale de relations commerciales établies ;

- Débouté la Société de droit péruvien Braillard Sa de sa demande d'indemnité au titre de sa commande de 20 véhicules 2008 ;

- Condamné la Sa Automobiles Peugeot à payer à la société de droit péruvien Braillard Sa la somme de 54 805,42 euros ;

- Débouté la société de droit péruvien Braillard Sa de sa demande au titre des investissements immobiliers ;

- Débouté la société de droit péruvien Braillard Sa de sa demande au titre d'un préjudice d'image ;

- Condamné la Sa Automobiles Peugeot à payer à la société de droit péruvien Braillard Sa la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions ;

- Ordonné l'exécution provisoire ;

- Condamné la Sa Automobiles Peugeot aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.

Par déclaration du 2 avril 2020, la société Braillard a interjeté appel des chefs du jugement en ce qu'il a :

- Dit que la Sa Automobiles Peugeot aurait dû consentir à la société de droit péruvien Braillard SA un préavis de 12 mois au titre de l'activité d'importateur ;

- Condamné la Sa Automobiles Peugeot à payer à la société de droit péruvien Braillard la somme de 443.792 € au titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies ;

- Débouté la société de droit péruvien Braillard de sa demande d'indemnité au titre de sa commande de 20 véhicules 2008 ;

- Débouté la société de droit péruvien Braillard de sa demande au titre des investissements immobiliers ;

- Débouté la société de droit péruvien de sa demande au titre d'un préjudice d'image ;

- Débouté la société de droit péruvien Braillard du surplus de ses demandes, fins et conclusions.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 3 janvier 2023, la société Braillard demande à la cour, au visa des articles 1134 et suivants du code civil, de l'article 1104 dans sa version actuelle et de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version applicable aux faits de l'espèce, de :

- Dire et juger recevable et bien fondé l'appel interjeté par la société Braillard SA le 2 avril 2020 ;

- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Jugé qu'avait existé entre les parties une relation commerciale établie, active et ininterrompue sur la période du 1er janvier 1955 au 30 juin 2016, soit 62 ans, entre les sociétés Automobiles Peugeot et Braillard ;

- Jugé que la société Automobiles Peugeot avait unilatéralement rompu brutalement la relation commerciale établie avec la société Braillard avec effet au 31 décembre 2016 en n'accordant à celle-ci qu'un préavis de sept mois ;

- Condamné la société Automobiles Peugeot à indemniser la société Braillard de sa perte de marge liée aux pièces détachées commandées mais non livrées durant la période de préavis, soit la somme totale de 54.805,42 euros.

Y ajoutant, réformant le jugement entrepris,

- Dire et juger que la rupture opérée unilatéralement par la société Peugeot a concerné la totalité de la relation commerciale établie avec la société Braillard ;

- Dire et juger qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, la durée du préavis lié à cette rupture aurait dû s'élever à 36 mois.

En conséquence,

- Condamner la société Automobiles Peugeot à indemniser la société Braillard de sa perte de marge brute liée à l'exécution du contrat en cause sur une période de 29 mois supplémentaires, soit la somme totale de 33.794.471 PEN, soit l'équivalent de 8.796.014 euros ;

- Condamner la société Automobiles Peugeot à indemniser la société Braillard du préjudice subi par elle à raison des investissements immobiliers dédiés réalisés en pure perte, soit la somme totale de 186.470 PEN HT, soit l'équivalent de 48.520 euros ;

- Condamner la société Automobiles Peugeot à indemniser la société Braillard du préjudice d'image et de réputation subi par elle à hauteur de 100.000 euros ;

- Débouter la société Automobiles Peugeot de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Condamner la société Automobiles Peugeot à verser à la société Braillard la somme de 100.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SELARL Ravet & Associés (Me Emmanuel Jarry) conformément aux offres de droit.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 23 janvier 2023, la société Automobiles Peugeot, demande à la cour, au visa des articles L. 442-6, I, 5° devenu L. 442-1 du code de commerce et de l'article 1134, devenu 1103, du code civil, de :

A titre principal ;

- Infirmer le jugement du 3 février 2020 en ce qu'il a fait partiellement droit aux demandes de la société Braillard et est entré en voie de condamnation à l'encontre de la société Automobiles Peugeot ;

- Confirmer le jugement du 3 février 2020, en ce qu'il a rejeté le surplus des demandes de la société Automobiles Peugeot ;

En conséquence et statuant à nouveau,

- Juger que la société Braillard a commis des manquements graves et répétés à ses objectifs contractuels à l'encontre de la société Automobiles Peugeot conduisant à l'absence de signature d'un nouveau contrat entre les parties, et que les sociétés Braillard et Automobiles Peugeot se sont mutuellement accordées pour mettre un terme à leur contrat ;

- Juger que la responsabilité de la société Automobiles Peugeot ne saurait être engagée à quelque titre que ce soit ;

- Débouter la société Braillard de l'ensemble de ses conclusions, fins et prétentions ;

A titre subsidiaire ;

- Infirmer le jugement du 3 février 2020 en ce qu'il a fait partiellement droit aux demandes de la société Braillard et est entré en voie de condamnation à l'encontre de la société Automobiles Peugeot ;

- Confirmer le jugement du 3 février 2020, en ce qu'il a rejeté le surplus des demandes de la société Braillard ;

En conséquence et statuant à nouveau,

- Juger que la société Braillard ne justifie d'aucun préjudice certain et indemnisable ;

- Débouter la société Braillard de l'ensemble de ses conclusions, fins et prétentions ;

A titre infiniment subsidiaire ;

- Confirmer le jugement entrepris ;

En conséquence,

- Juger que la durée de préavis dont aurait dû bénéficier la société Braillard ne pouvait être que d'une durée de douze mois maximums, dont sept mois ont déjà été effectués ;

- Juger que l'indemnisation de la société Braillard sera limitée à un montant maximum de 443.792 €, correspondant à cinq mois de préavis, au titre de l'ancien article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce ;

- Débouter la société Braillard de sa demande d'indemnité au titre de la commande de pièces détachées ;

- Débouter la société Braillard de sa demande d'indemnisation au titre des investissements immobiliers ;

- Débouter la société Braillard de sa demande d'indemnisation au titre d'un préjudice d'image ;

En tout état de cause ;

- Condamner la société Braillard à payer à la société Automobiles Peugeot la somme de 50.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- Condamner la société Braillard au paiement des entiers frais et dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 26 janvier 2023.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

La société Braillard a interjeté appel en ce que le tribunal de commerce « l'a déboutée de sa demande d'indemnité au titre de sa commande de 20 véhicules 2008 » mais a abandonné cette demande dans ses dernières conclusions devant la cour d'appel.

Ce chef de jugement sera confirmé conformément à la demande de la société Peugeot.

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies,

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

La relation commerciale, pour être établie au sens de ces dispositions, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis.

Si l'existence d'une relation commerciale établie soumet les partenaires à une obligation de respecter un préavis raisonnable avant la cessation des échanges, néanmoins, les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis en cas d'inexécution suffisamment grave par l'autre partie de ses obligations.

Sur l'existence d'une relation commerciale établie,

La société Braillard soutient que :

- le premier contrat annuel entre les sociétés Braillard et Peugeot a été conclu en 1954 et est entré en vigueur le 1er janvier 1955.

- des contrats écrits se sont succédé sans interruption sur une base annuelle (exceptionnellement sur deux ans, en 2001-2002 et 2003-2004, et sur trois ans, pour la période 2013-2015), avec le même objet jusqu'à la fin de l'année 2015.

La société Peugeot ne conteste pas avoir signé plusieurs contrats avec la société Braillard depuis de nombreuses années, mais précise que les parties ont souhaité encadrer juridiquement leur relation dans des contrats avec un périmètre différent notamment quant à leur durée, prévue entre une et trois années, l'existence ou non d'une exclusivité entre les parties sur de longues périodes variées, la mise en place d'obligations différentes pour les parties, l'exclusion systématique de la tacite reconduction entre les parties.

Il est versé aux débats :

- un courrier du 12 septembre 1961 aux termes duquel la société Peugeot écrit à la société Braillard pour la féliciter des résultats obtenus et insister sur le caractère capital du service après-vente.

- un courrier du 11 décembre 1961 annonçant la visite d'un représentant de la société Peugeot à l'établissement de [Localité 4] le 4 janvier 1962.

- plusieurs articles de presse évoquant la présence de la marque Peugeot au Pérou depuis l'année 1954 par l'intermédiaire de la société Braillard,

- une photographie prise lors du 50ème anniversaire des relations commerciales entre la société Peugeot et la société Braillard, le 28 octobre 2004 au Polo Club de [Localité 4].

La société Braillard produit également aux débats les contrats de concession ou de distribution à compter du 31 décembre 1970 et jusqu'à l'année 2013 passés entre la société Braillard et la société Peugeot.

L'existence de contrats à durée déterminée est sans incidence sur la durée de la relation commerciale dès lors que celle-ci s'est poursuivie sans discontinuer et avec un volume d'affaires régulier, ce dernier point n'étant pas contesté.

Si les pièces antérieures à 1970 démontrent l'existence d'événements entre la société Braillard et la société Peugeot, des contrats ont été signés à compter de la fin de l'année 1970 afin de formaliser leur relation commerciale.

Ces différences pièces démontrent l'existence de relations commerciales établies entre les deux sociétés de 1971 à 2016, avec une présence antérieure de la société Peugeot depuis 1954, laquelle n'est pas quantifiable.

Sur la rupture des relations,

La société Peugeot se prévaut du fait que le dernier contrat a été conclu pour une durée ferme de trois ans, du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, et que les parties ont expressément exprimé leur volonté de ne pas le reconduire tacitement.

L'article 10.1.1. du contrat stipule que « le contrat entre en vigueur le 01/01/2013 et il est conclu pour une durée de 3 ans. En conséquence, il expirera le 31/12/2015.

L'article 10.1.2. précise que la tacite reconduction du contrat est exclue. (...) »

Le contrat précise également les modalités de son renouvellement dans les termes suivants :

« 10.2. Renouvellement du contrat à son échéance.

10.2.1. Sauf en cas de résiliation extraordinaire du contrat dans les conditions visées ci-après, dans l'hypothèse où l'une des parties envisagerait de ne pas renouveler le contrat à son expiration, elle s'engage à en informer expressément l'autre par tout moyen en respectant un préavis de 3 mois minimum.

10.2.2. A défaut de notification d'un tel préavis, les parties conviennent que dans le cas où les pourparlers seraient en cours entre les Parties à la date d'échéance du présent contrat en vue de convenir des conditions de son renouvellement, leurs relations commerciales postérieures à la date d'échéance du contrat seraient régies par ce dernier et ses annexes en vigueur à la date d'expiration du Contrat pendant les 6 mois maximum suivant la date d'expiration du contrat.

Dans tous les cas, l'absence de signature d'un nouveau contrat et de ses annexes pour le 30 juin au plus tard de l'année suivant la date d'expiration du contrat, entérinerait le non-renouvellement de celui-ci, impliquant pour les Parties de respecter leurs obligations au titre des conséquences de la cessation du contrat telles que visées ci- après. (...) »

Il sera fait observer que les contrats précédents excluaient également la tacite reconduction et ne se renouvelaient qu'à l'issue d'une période de négociations s'agissant de contrats de distribution. En conséquence, l'existence de cette période de négociations durant laquelle les relations commerciales se poursuivaient et le renouvellement des contrats sur une longue période excluaient le caractère précaire de la relation et caractérisaient un courant d'affaires conduisant le cocontractant à légitimement anticiper la reconduction du contrat.

Une période de négociations s'est déroulée selon les modalités prévues dans le contrat de 2015. Cependant, par courrier du 7 janvier 2016, la société Peugeot informait la société Braillard de l'insuffisance de ses résultats :

« L'année 2015 a été marquée par un contexte général défavorable ('). Grâce à nos efforts conjoints, nous avons pu augmenter nos volumes de ventes avec une augmentation significative de nos parts de marché. (')

Résultat obtenu [pour le 4ème trimestre 2015] : 160 livraisons (67 % d'accomplissement)

(')

Ce résultat n'est pas acceptable et nous restons à votre disposition afin d'analyser les actions pour y remédier le plus rapidement possible. »

(')

Résultats de l'année 2015 :

« Le volume atteint cette année est clairement insuffisant. Par ailleurs, nous ne pouvons que constater qu'en dépit de nos efforts et de notre soutien, ces 738 factures au cours de l'année 2015 ne vous permettent d'atteindre que 67 % de votre objectif, bien en dessous de 80 % du volume d'achat convenu qui nous vous le rappelons, est une obligation contractuelle au titre de l'article 3.1.4 de votre contrat d'importation »

Le 27 avril 2016, la société Peugeot adressait à la société Braillard le courriel suivant :

« Bonjour [J],

Nous avons essayé de te joindre plusieurs fois avec Edesio sans succès.

Notre intention est de pouvoir faire le point sur les négociations en cours et les raisons de ce report.

Je souhaitais également comprendre ce que tu attends formellement de notre part.

Aujourd'hui nos intentions sont claires et nous l'avons exprimé de nombreuses fois lors de nos dernières conversations. Comme Groupe PSA, nous considérons les résultats de Braillard insuffisants et ne visualisons donc pas ni à court ni à moyen terme les actions concrètes qui permettraient de remédier à cette situation. Nous avons donc fait part de notre intention de trouver une solution à l'amiable afin de séparer les activités de distribution retail et l'activité import que nous souhaiterions confier à un nouveau partenaire. Après plusieurs échanges tu nous as finalement fait part de ton accord pour négocier avec un nouveau partenaire sélectionné par le Groupe PSA les conditions du maintien de Braillard comme distributeur de Peugeot.

Ce plan d'action s'insère dans le cadre d'une relation commerciale entre la marque et son distributeur. Nous considérons qu'il est de l'intérêt des 2 parties de pouvoir dialoguer sur les conditions de la transition, qui sera ensuite bien entendu formalisé contractuellement. Jusqu'à présent, et après nos très nombreux échanges sur le sujet, nous comprenons que c'est également la position de Braillard. Si pour quelque raison que ce soit vous souhaitiez revenir sur cette intention initiale, je te remercie de bien vouloir me le préciser pour que nous puissions prendre les décisions qui s'imposeraient. »

Il sera observé que la non atteinte des objectifs, constatée durant l'intégralité de l'exécution de la convention, s'inscrit dans un contexte économique défavorable, évoquée par la société Peugeot.

Si à deux reprises, la société Peugeot a reproché par courrier à la société Braillard ses résultats insuffisants, ce qui pouvait conduire la société Peugeot à ne pas renouveler le contrat, celle-ci ne démontre pas l'existence d'une faute ou d'une inexécution de la société Braillard justifiant la rupture du contrat sans préavis suffisant.

Les courriels échangés entre les deux sociétés démontrent qu'elles étaient en négociation sur les conditions de la fin du contrat.

Le 16 mai 2016, la société Braillard adressait le courriel suivant à la société Peugeot :

« Chers tous,

Je résume ce dont nous avons discuté lors de la réunion téléphonique de ce jour.

Braillard continue à être l'importateur pour 6 mois de plus, jusqu'au 31.12.16.

Le Groupe PSA accepte d'acheter le stock de véhicules et pièces détachées de Braillard au 31.12.16. Braillard va rencontrer SK Bergé (importateur potentiel de Peugeot au Pérou) pour évoquer la possibilité d'être concessionnaire de Peugeot.

Le seul point que nous n'avons pas évoqué c'est le fait de savoir qui assume la garantie prolongée. En principe elle devrait être assumée par le nouvel importateur. Merci de clarifier comment cela fonctionnerait.

J'espère recevoir le nouveau contrat pour sortir de cette situation qui est gênante pour les deux parties »

Le 23 mai 2016, la société Peugeot répondait au courriel de la société Braillard du 16 mai 2016 :

« Cher Importateur,

Conformément à nos échanges durant ces derniers mois et en particulier notre conversation téléphonique et votre email en date du 16 mai 2016, nous souhaiterions par la présente formaliser que d'un commun accord entre les parties, nos obligations contractuelles s'éteindront en totalité le 31 décembre 2016. Jusqu'au 31 décembre 2016, Braillard continuera d'être le représentant de la marque Peugeot dans le pays, impliquant des obligations au regard de l'image de la marque et de la relation avec notre clientèle (...)

Nous vous confirmons que comme demandé, Automobiles Peugeot facilitera les négociations avec le nouvel importateur désigné pour la représentation de la marque au Pérou (...) ».

Par courrier du 12 octobre 2016, la société Peugeot adressait le courrier suivant à la société Braillard :

« Cher [J],

Conformément à notre lettre du 23 mai 2016, nous avons convenu que nos obligations contractuelles expireront dans leur totalité le 31 décembre 2016.

Depuis le mois de mai à aujourd'hui, Automobiles Peugeot a fait ses meilleurs efforts pour négocier les conditions de la transition avec le candidat à la représentation de la marque Peugeot au Pérou, le groupe SK Bergé.

En particulier, il a été fait de manière formelle le 22 septembre 2016 une offre à Braillard pour maintenir sa qualité de concessionnaire officiel durant une année, accordée pour la vente de véhicules et pièces de rechange, à des conditions commerciales et des marges très favorables (...)

Le 27 septembre dernier, vous nous avez indiqué avoir décliné l'offre d'être concessionnaire officiel de la marque Peugeot (...) ».

La société Braillard précise dans ses conclusions qu'elle était en discussion avec deux autres enseignes automobiles afin de tenter de remplacer la société Peugeot et qu'elle n'aurait pas pu travailler avec ces nouvelles enseignes si elle était devenue concessionnaire Peugeot pour SK Berge en raison des surfaces de vente insuffisantes au regard des exigences de chacun des constructeurs.

Cependant, cette réponse ne peut permettre de considérer que la société Braillard, en refusant la proposition de la société Peugeot, est à l'origine de la rupture des relations. En effet, la société Peugeot a proposé la poursuite des relations selon des modalités différentes du contrat initial et pour une période n'excédant pas un an et la société Braillard a considéré que la proposition faite ne correspondait pas à ses intérêts économiques notamment en raison de l'absence d'exclusivité de la nouvelle collaboration avec une société tierce et une marge moins importante.

Le 14 décembre 2016, la société Peugeot a rédigé un protocole d'accord qu'elle a soumis à la société Braillard prévoyant la fin du contrat au 31 décembre 2016. Par courrier du 27 décembre 2016 adressé à la société Peugeot, la société Braillard prenait acte de la date de fin du contrat du fait de la décision unilatérale de sa cocontractante et de la désignation du nouveau distributeur en la société "Automotores Francia Peru SAC". Elle précisait qu'elle se réservait le droit de solliciter l'indemnisation des dommages occasionnés par la fin du contrat de distribution.

Il y a lieu de constater qu'aucun accord n'est intervenu entre les parties sur les modalités de la rupture de la relation commerciale.

La société Braillard exerçait trois types d'activités pour la société Peugeot : L'importation, la vente de véhicules neufs et de pièces détachées, et le service après-vente.

L'importation et la distribution portaient tant sur les véhicules (véhicules légers et véhicules utilitaires) que sur les pièces détachées, nécessaires pour la réparation et le service après-vente mais également vendues en gros ou au détail à des garagistes indépendants réalisant des réparations sur des véhicules Peugeot.

Sur le plan technique et commercial, les trois activités se complétaient, contribuant à l'économie générale du contrat.

La société Peugeot devait donc accorder à son partenaire un délai de préavis suffisant compte tenu de la durée de la relation commerciale, sans pouvoir tenir compte de la reconversion de la société Braillard en relation avec d'autres enseignes automobiles, cette hypothèse demeurant aléatoire.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné [...]. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués, les relations d'exclusivité, la spécificité des produits et la dépendance économique.

Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la date du courrier du 23 mai 2016 comme date de notification de la résiliation des relations commerciales qui se sont poursuivies postérieurement à la date de fin du contrat de 2013. Ce courrier avisait la société Braillard que les relations prendraient fin le 31 décembre 2016 dont il pouvait être déduit qu'il lui était accordé un préavis de 7 mois.

La société Peugeot visait l'intégralité des activités comprises dans le contrat de distribution. La société Braillard n'avait pas l'obligation d'accepter les modalités de fin du contrat proposées par la société Peugeot même si des négociations en ce sens avaient eu lieu entre les parties. Si des négociations post contractuelles ont eu lieu afin de permettre à la société Braillard d'envisager sa reconversion, c'est en raison de la rupture des relations commerciales imputables à la société Peugeot.

Si la société Braillard justifie d'une durée notable de la relation commerciale, d'un volume d'affaires portant sur 66 % de son activité, la spécificité de l'activité et les caractéristiques du marché en Amérique du Sud offraient des possibilités de reconversion rapides comme il en ressort des courriels de la société Braillard évoquant ses négociations avec d'autres enseignes. Ces possibilités de reconversion ont également été favorisées par l'expérience de la société Braillard et par l'infrastructure qu'elle était susceptible de proposer à un distributeur automobile.

Compte tenu de ces éléments, le jugement sera confirmé, en ce qu'il a accordé à la société Braillard un préavis de 12 mois pour lui permettre de retrouver de nouveaux partenaires commerciaux ; ce préavis devait s'appliquer à l'ensemble des activités exercées dans le cadre du contrat de distribution et non à la seule activité d'importateur contrairement à ce qu'a décidé le tribunal.

Dès lors que le préavis accordé n'a été que de 7 mois, la rupture doit être qualifiée de brutale et ouvrir droit à indemnisation.

Sur le préjudice,

S'agissant du préjudice consécutif à la brutalité de la rupture, celui-ci est constitué du gain manqué pendant la période d'insuffisance du préavis et s'évalue donc en considération de la marge brute escomptée durant cette période.

Les dommages-intérêts alloués à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu'il en résulte pour elle ni perte ni profit.

La société Braillard a proposé l'évaluation suivante de son préjudice en se fondant sur le montant brut des ventes dont elle a déduit les remises et les coûts variables sur marchandises, services, remises et garantie, soit :

Prix de vente des véhicules, des pièces de rechange ainsi que de la main d'œuvre duquel sont déduits :

- les remises sur le prix de vente.

- le coût d'achat des marchandises vendues.

- les coûts relatifs aux prestations de service effectuées par des tiers (ex : taxis pour les clients), aux marchandises non fournies par la société Peugeot (ex : pneus, huile et graisse), aux logiciels Peugeot et à la main d'œuvre extérieure à la société Braillard (ex : main d'œuvre utilisée pour certains travaux de carrosserie)

- les coûts liés à l'achat des véhicules et à la garantie Peugeot (ex : frais liés à l'immatriculation, transport des véhicules de [Localité 4] vers la province (incluant les péages), frais relatifs à la garantie supplémentaire accordée par la société Braillard à compter du début de la troisième année) ce qui donne la marge brute sur coûts variables suivante :

Poste

2013

2014

2015

Véhicules

7.594.020

7.152.671

7.604.878

Pièces détachées

1.173.613

1.041.038

1.024.168

S.A.V.

6.703.345

5.927.586

6.160.106

Total (en PEN)

15.470.979

14.121.295

14.789.152

% marge brute

28,3  %

24,5%

24,9 %

Soit une marge moyenne annuelle de 14.793.808 PEN, soit 3.850.565 euros.

A l'appui de sa demande, la société Braillard a produit un rapport d'expertise comptable du cabinet KPMG établi en mai 2018 qui a analysé ses pièces comptables de manière approfondie et a conclu à une marge moyenne annuelle de 14.555.666 PEN, soit 3.788.544 euros.

La société Peugeot verse aux débats un « rapport d'analyse de l'expertise KPMG » rédigé par M.[C], commissaire aux comptes qui critique le fait que le cabinet KPMG a retenu une rupture brutale pour les trois activités contrairement à la réalité. M.[C] fait observer que le cabinet KPMG n'a pas déduit l'ensemble des charges variables que la société Braillard devait assumer notamment le coût des campagnes publicitaires pour la seule année 2016 d'après le "business plan" et le coût des locations des espaces de vente temporaires à [Localité 4] et en province.

Il fait valoir qu'il ressort du "business plan" 2016 qu'en 2015 la marge sur coûts variables du volet importation était de 11 % et la marge de l'activité vente de véhicules neufs de la marque Peugeot était de 18,12 % dont il se déduit que la marge du volet distribution est de 7,2 % .

La société Braillard a déduit également le montant des commissions et des bonus versés aux commerciaux, permettant de parvenir à une marge annuelle de 13.983.920 PEN, soit 3.639.730 euros.

Un rapport établi par les commissaires aux comptes de la société Braillard en date du 25 février 2019 corrobore la cohérence des calculs réalisés par le cabinet KPMG et notamment des montants déduits au titre des commissions et bonus sur les exercices 2013, 2014 et 2015.

Le rapport de M.[C] est faussé en ce qu'il ne prend pas en compte l'intégralité de l'activité de la société Braillard alors qu'elle a été retenue par la cour d'appel et qu'il se fonde sur "business plan" 2016 pour évaluer la marge perdue.

Il y a lieu de se fonder sur la marge suivante pour évaluer le préjudice de la société Braillard :

La marge réalisée s'élève à 3.639.730 euros par an soit 303 311 € par mois. La société Braillard a bénéficié d'un préavis de 7 mois au lieu de 12 mois soit un déficit de 5 mois ce qui justifie l'indemnisation suivante : 303 311 € X 5 mois = 1 516 555 euros.

Le jugement sera infirmé et la société Peugeot devra verser à la société Braillard la somme de 1 516 555 euros en réparation du préjudice subi du fait de l'insuffisance de préavis accordé.

Sur la demande au titre de la perte de marge sur les pièces commandées mais non livrées.

La société Braillard sollicite l'allocation de la somme de 54.805,42 euros du fait de la perte de marge de nombreuses pièces détachées commandées et non livrées par la société Peugeot durant le second semestre de l'année 2016 qui a correspondu à la période de préavis accordée unilatéralement.

La société Peugeot réplique que cette commande particulièrement tardive de pièces détachées démontre que la société Braillard souhaitait poursuivre son activité de réparateur des véhicules Peugeot après le 1er janvier 2017 alors que les sociétés Braillard et Peugeot étaient convenues de mettre un terme au contrat le 31 décembre 2016. Elle ajoute que le préjudice prétendument subi n'est ni certain dans son principe, ni dans son quantum

La société Braillard justifie des commandes passées avant la fin du contrat en décembre 2016 pour un montant de 82 000 euros.

L'article 11.1.1. du contrat relatif aux commandes en cours énonce qu' « à la cessation du contrat, quels qu'en soient la cause et le moment, les commandes passées par l'importateur et non encore facturées par Peugeot ou le cas échéant, par toute société désignée par Peugeot mentionnée en Annexe 1.1., portant sur des produits contractuels qui n'ont pas encore été livrés, sont automatiquement et de plein droit annulées, sauf accord contraire écrit de Peugeot. »

Outre l'application de cette disposition contractuelle, il n'est pas contesté que les pièces ont été commandées à la fin de l'année 2016. La société Braillard reconnaît que ces pièces détachées étaient susceptibles d'être vendues au cours de l'année 2017. Or, la société Braillard bénéficie dans le cadre de la présente instance d'une indemnisation au titre du préavis non accordé pour cette activité de vente de pièces détachées pour la période postérieure au 31 décembre 2016 ce qui justifie le rejet de cette demande en paiement.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur le coût des investissements locatifs devenus inutiles à raison de la brutalité de la rupture de sa relation commerciale établie avec la société Peugeot.

La société Braillard sollicite l'indemnisation de travaux de valorisation pour la construction du projet "local Trujillo" en accord avec le contrat souscrit réalisé en mars et avril 2016 et fait valoir qu'elle a dû assumer des travaux de reconversion rendus nécessaire par la fin de contrat. Elle sollicite à ce titre l'allocation de la somme de 48 074 € en réparation de son préjudice.

Le préjudice invoqué au titre de ces différents investissements effectués au cours et en fin de contrat résulte de la rupture du contrat de distribution et non du caractère brusque de celle-ci ; les constructions réalisées par la société Braillard étaient réutilisables dans le cadre de sa reconversion. Ils ne peuvent donc donner lieu à indemnisation à ce titre. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur la demande au titre du préjudice de l'atteinte à l'image et à la réputation de la société Braillard.

La société Braillard estime que la perte soudaine de son statut d'importateur et représentant de la marque est de nature à engendrer une perte de renommée pour la société auprès de ses clients et, plus généralement, des consommateurs péruviens. Elle ne verse cependant aucune pièce justifiant avoir subi un préjudice à ce titre. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation.

Sur les demandes accessoires.

Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens n'ont pas fait l'objet d'un appel.

La société Peugeot qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et devra verser à la société Braillard la somme de 40 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société de droit péruvien Braillard de sa demande d'indemnité au titre de sa commande de 20 véhicules 2008, de sa demande au titre des investissements immobiliers, de sa demande au titre du préjudice de l'atteinte à l'image,

Infirme le jugement en ce qu'il a ce qu'il a dit que la Sa Automobiles Peugeot aurait dû consentir à la société de droit péruvien Braillard Sa un préavis de 12 mois au titre de l'activité d'importateur, condamné la Sa Automobiles Peugeot à payer à la société de droit péruvien Braillard la somme de 443.792 euros au titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, et celle de 54 805,42 euros,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que la Sa Automobiles Peugeot devait accorder à la société Braillard un préavis de 12 mois au titre de l'ensemble des activités exercées,

Condamne la société Automobiles Peugeot à verser à la société Braillard la somme de 1 516 555 euros en réparation de son préjudice résultant de la rupture brutale de la relation commerciale,

Rejette la demande de la société Braillard en paiement de la somme de 54 805,42 euros au titre de la perte de marge sur les pièces commandées mais non livrées,

Condamne la société Automobiles Peugeot à verser à la société Braillard la somme de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toute autre demande,

Condamne la société Automobiles Peugeot aux dépens d'appel.