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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 septembre 2023, n° 21/04559

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires Bailleul International (SA)

Défendeur :

Pharmaholding (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Brun-Lallemand, M. Richaud

Avocats :

Me Guyonnet, Me Peufaillit, Me Autier, Me Callede

T. com. Paris, du 7 déc. 2020, n° 201902…

7 décembre 2020

FAITS ET PROCEDURE

La société Laboratoire Bailleul International est une société de droit suisse ayant pour activité la distribution de produits pharmaceutiques. Elle est également propriétaire et exploitante de nombreuses autorisations de mises sur le marché de médicaments.

La société Laboratoire Opodex Industrie a pour activité la fabrication et le conditionnement de produits pharmaceutiques.

Les Laboratoires Bailleul International (ci-après "la société Bailleul") agissent en qualité de distributeurs de produits pharmaceutiques pour lesquels ils disposent d'une autorisation de mise sur le marché.

Les Laboratoires Opodex Industrie (ci-après "la société Opodex") conditionnent et fabriquent des produits pharmaceutiques.

Les parties sont en relation depuis janvier 1998 pour fabriquer quatre produits :

- Minoxidil 2% solution pour application cutanée

- Minoxidil 5% solution pour application cutanée

- Érythromycine 4% solution pour application cutanée

- Tussipax sirop

La société Bailleul fournit à la société Opodex les principes actifs servant à la fabrication des médicaments ainsi que les emballages et notices portant les mentions relatives aux produits.

Le 15 octobre 2013, la société Opodex a été placée sous procédure de sauvegarde judiciaire par le tribunal de commerce de Nanterre. Le 16 avril 2015, un plan de sauvegarde a été arrêté prévoyant l'apurement de son passif sur 10 ans. À la suite de la revente d'un actif immobilier, la société Opodex a été en mesure d'apurer par anticipation le passif restant dû au titre du plan. Le 13 février 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a rendu un jugement de clôture du plan et de radiation des décisions relatives à la procédure de sauvegarde.

Les relations entre les parties se sont dégradées à partir de la fin de l'année 2017, à la suite d'une non-conformité de fabrication de médicaments observée sur le lot OP046 et trois sous-lots de Minoxidil 5%. Les lots ont été détruits ainsi que l'ensemble des marchandises inutilisables liées aux lots.

Considérant que la société Opodex était responsable du défaut de fabrication des produits détruits, la société Bailleul a émis une facture n°2006 du 24 janvier 2018 de 69.336,49 euros à l'intention de la société Opodex au titre de l'indemnisation des lots fabriqués non-conformes.

Soutenant que la qualité du principe actif fourni par la société Bailleul, était la cause de la non-conformité constatée, la société Opodex a contesté la facture ainsi émise.

Le 9 juillet 2018, la société Opodex a notifié à la société Bailleul la rupture de leurs relations commerciales à compter du 31 décembre 2018 invoquant des manquements de la société Bailleul qui rendraient impossible toute poursuite des relations commerciales.

La société Bailleul prétend avoir été victime d'une rupture brutale des relations commerciales.

Par ailleurs, la société Opodex allègue que la société Bailleul a cessé de payer les factures émises postérieurement à l'annonce de la rupture de leurs relations et qu'elle lui était redevable de la somme de 36.189,10 euros à la fin de l'année 2018. Elle a alors conditionné la livraison de produits commandés par la société Bailleul au règlement de l'intégralité des factures en souffrance.

En mars 2019, une convention de séquestre a été conclue entre les parties aux termes de laquelle, la société Bailleul a payé entre les mains de l'avocat de la société Opodex la somme de 126.214,76 euros après remise des marchandises en attente de livraison (3 lots de Tussipax et 2 lots d'Érythromycine).

Le 8 mars 2019, la société Bailleul a émis à l'encontre de la société Opodex une facture n°2743 d'un montant de 114.783,82 euros à titre d'indemnisation sur la destruction de marchandises non produites en 2018.

Craignant pour le recouvrement de sa créance, laquelle n'a pas pu faire l'objet d'une compensation avec les sommes dues à la société Opodex compte tenu de la procédure de séquestre, la société Bailleul a obtenu du président du tribunal de commerce de Nanterre une ordonnance rendue le 1er avril 2019, l'autorisant à faire pratiquer une saisie conservatoire sur les avoirs et créances de la société Opodex.

L'ordonnance a été exécutée le 3 avril 2019, lui permettant de faire immobiliser la somme de 28.706,24 euros entre les mains de la banque BNP PARIBAS.

Par jugement du 7 décembre 2020, le tribunal de commerce de Paris, saisi par la société Bailleul par acte du 3 mai 2019, a :

- Débouté la société anonyme de droit suisse Laboratoires Bailleul International de ses demandes en paiement :

* de la somme de 181.472,31 euros TTC au titre des factures n°2008 et 2743,

* de la somme de 303.717 euros au titre de la perte de marge brute liée aux ruptures de marché,

* de la somme de 161.728 euros au titre de la perte de parts de marché et préjudices qui en résultent,

- Dit que la relation entre la société anonyme de droit suisse Laboratoires Bailleul International et la SAS Laboratoires Opodex Industrie présente bien le caractère d'une relation commerciale établie,

- Dit que le préavis accordé de 6 mois est suffisant et que la rupture des relations n'est pas brutale,

- Débouté la société anonyme de droit suisse Laboratoires Bailleul International de l'ensemble de ses demandes à ce titre à l'encontre de la SAS Laboratoires Opodex Industrie,

- Ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée en exécution de l'ordonnance du 1er avril 2019 entre les mains de la banque BNP PARIBAS,

- Débouté la SAS Laboratoires Opodex Industrie de sa demande de dommages et intérêts en indemnisation de la saisie conservatoire,

- Condamné la société anonyme de droit suisse Laboratoires Bailleul International à payer à la SAS Laboratoires Opodex Industrie la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- Ordonné l'exécution provisoire,

- Condamné la société anonyme de droit suisse Laboratoires Bailleul International aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74,50 euros dont 12,20 euros de TVA.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 09 mai 2023, la société Bailleul qui a interjeté appel du jugement, demande à la Cour de :

Vu les articles 1104 et suivants du Code civil, 1231 et suivants du Code Civil

Vu l'article L.442.1-II du Code de Commerce,

Vu les pièces versées aux débats,

Vu la jurisprudence appelée,

Dire la société Laboratoires Bailleul International recevable et bien fondée en ses demandes

Infirmer le jugement en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a :

- Débouté la société Laboratoires Bailleul International de ses demandes en paiement des sommes suivantes :

- 181.472,31 euros au titre des factures n° 2006 et 2743

- 303.717 euros au titre de la perte de marge brute

- 161.728 euros au titre de la perte des parts de marché et préjudices en résultant

- Dit que le préavis de 6 mois est suffisant et que la rupture des relations n'est pas brutale

- Débouté la société Laboratoires Bailleul International de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

- Condamné la société Laboratoires Bailleul International aux entiers dépens, ainsi qu'à verser la somme de 20.000 euros au titre des frais irrépétibles,

Débouter la société Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding SA de toutes ses demandes,

Et, statuant de nouveau :

I) Sur les fautes contractuelles de la société Laboratoires Opodex Industrie

a) Sur les préjudices matériels

- Constater les fautes commises par la société Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding SA dans l'exécution des relations commerciales

- Constater le bien fondé des factures n°2006 et 2743 pour un total de 181 472.31 euros TTC émises par la société Laboratoires Bailleul International

- Condamner la société Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding SA à payer cette somme avec intérêts légaux à compter de la date d'exigibilité de ces factures

II) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

- Constater que la société Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding SA a rompu brutalement ses relations commerciales établies avec la société Laboratoires Bailleul International sans respecter de délai de préavis raisonnable prévu par l'article L 442-1 II° du Code de Commerce,

En conséquence,

- Condamner la société Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding SA à payer une somme de 91.041,00 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale des relations contractuelles à la société la société Laboratoires Bailleul International et correspondant à la perte de marge brute sur une année de contrat uniquement pour les produits Érythromycine et Tussipax

En tout état de cause

- Condamner la société Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding SA à verser à la société Laboratoires Bailleul International la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- La Condamner en tous les dépens

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 26 avril 2023, la société Pharmaholding, venant aux droits de la société Opodex demande à la Cour de :

Donner acte à la société à Me Jean-Philippe Autier de ce qu'il se constitue sur l'intervention volontaire de la société Pharmaholding S.A et ses suites.

Vu les articles 1193 et suivants, 1217 et suivants du Code civil,

Vu l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019359 du 24 avril 2019,

Vu les articles L 511-1 et suivants, L 512-1 et suivants du Code des procédures civiles d'exécution,

Vu les pièces versées aux débats,

Il est demandé à la Cour de céans de bien vouloir :

Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté les Laboratoires Bailleul International de leurs demandes en paiement à l'encontre des Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding au titre des factures n°2008 et 2743, de la perte alléguée de marge brute liée aux ruptures alléguées de marché, mais aussi de la perte alléguée de parts de marché et préjudices liés ;

Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté les Laboratoires Bailleul International de l'ensemble de leurs demandes à l'encontre des Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding au titre de la rupture de leurs relations commerciales ;

Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a ordonné la mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée en exécution de l'ordonnance du 1er avril 2019 entre les mains de la banque BNP PARIBAS ;

Infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté les Laboratoires Opodex Industrie de leur demande indemnitaire à l'encontre des Laboratoires Bailleul aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding ;

Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné les Laboratoires Bailleul International à verser aux Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding une somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et les a condamnés aux dépens ;

Confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté les Laboratoires Bailleul International de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a débouté les Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding leurs demandes plus amples ou contraires ;

Statuant à nouveau :

Débouter les Laboratoires Bailleul International de leurs demandes à l'encontre des Laboratoires Opodex Industrie aux droits de laquelle est venue la société Pharmaholding ;

Condamner les Laboratoires Bailleul International à rembourser à la société Pharmaholding SA venant aux droits des Laboratoires Opodex Industrie tous les frais engendrés par ces mesures de saisie ;

Condamner les Laboratoires Bailleul International à verser la société Pharmaholding SA, venant aux droits des Laboratoires Opodex Industrie une somme de 10.000 euros en indemnisation de leur préjudice subi en raison de ces saisies ;

Condamner les Laboratoires Bailleul International à verser la société Pharmaholding SA, venant aux droits des Laboratoires Opodex Industrie une somme de 40.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner les Laboratoires Bailleul International aux dépens.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur les fautes imputées à Opodex pendant l'exécution du contrat

Sur la facture n°2006 du 24 janvier 2018 émise par Bailleul et la non-conformité du lot OP046

La société Bailleul soutient que la responsabilité contractuelle de la société Opodex est engagée du fait de la non-conformité du lot OP046 et des 3 sous-lots OP046A ' OP046B, OP046C qu'elle a produits, cette non-conformité résultant de malfaçons de sa part ainsi qu'il résulte des conclusions du rapport d'analyse du 18 décembre 2017 (ses pièces 14 et 14 bis), plus précisément un problème de dosage survenu chez Opodex, de sorte qu'est justifiée la facture d'un montant de 69 336,49€ correspondant au préjudice matériel direct subi par elle, soit d'une part le coût de la matière première détruite, et d'autre part par le coût des accessoires associés estampillés au nom de la société Opodex dont le reconditionnement comme le ré-usage sont impossibles, par la faute de cette dernière.

Elle fait grief au tribunal d'avoir retenu que les pièces versées aux débats ne permettaient pas d'identifier la cause de non-conformités des lots litigieux de Minoxidil 5% alors qu'il est établi que la qualité de la matière première qu'elle a fournie ne peut être remise en cause.

Elle fonde sa demande en paiement sur les articles 1602,1603 et 1641 du code civil.

La Pharmaholding venant aux droits de la société Opodex réplique que la société Bailleul n'apporte pas la preuve de ses allégations. Elle soutient que le rapport de contrôle signé en décembre 2017 par la société Bailleul énonce clairement que la cause racine de la défectuosité du lot 046 n'a pas été identifiée, aucune anomalie n'ayant été identifiée lors du processus opératoire de fabrication. En outre, si la non-conformité du lot OP046C s'est révélée au niveau du dosage de son principe actif, il n'en résulte pas que c'est elle qui l'a mal dosé, la qualité du principe actif fourni par la société Bailleul pouvant être en cause.

Elle ajoute que la société Bailleul n'a rien déboursé au titre de ce lot non-conforme qu'elle a détruit à ses propres frais et que les articles de conditionnement achetés, non dédiés spécifiquement au lot OP046 pouvaient être utilisés pour d'autres lots et non ni été détruits ni perdus.

Réponse de la Cour :

En vertu des dispositions de l'article 1353 du code civil, il incombe au demandeur de rapporter la preuve de l'inexécution contractuelle qu'il invoque.

En l'espèce, il ressort du rapport d'analyse du 18 décembre 2017 à l'entête Opodex signé par les deux partie (pièce 7 de l'intimée) que :

- la non-conformité du lot de Minoxidil 5% OP046 concerne la valeur du dosage du principe actif,

- ce lot doit être détruit,

- aucune cause racine n'a pu être mise en évidence,

-seul un point de vigilance a été soulevé au niveau d'un écart entre la quantité d'API reçue et la somme des pesées effectuées en production , sans que cela ne puisse remettre en cause la qualité de la matière première employée,

- à ce jour, cette non-conformité reste exceptionnelle puisqu'aucun lot n'a été refusé au cours des 5 dernières années et n'est pas de nature à remettre en cause le procédé de fabrication.

Les éléments versés aux débats ne permettent pas d'établir la faute de l'une ou l'autre des parties.

Ainsi, l'investigation de Flamma sur ce lot qu'elle a fourni à la société Bailleul n'a montré aucune anomalie.

De même, aucune anomalie n'a été mise en évidence concernant les étapes de fabrication du produit incombant à Opodex.

Ainsi, selon le rapport d'analyse précité, il a été vérifié que la pesée a été effectuée par le peseur habilité habituel chez Opodex sans qu'aucune anomalie n'ait été reportée. De même, il a été établi qu'une vérification de la pesée du principe actif est effectué en fabrication lors de la mise en œuvre avec édition d'un ticket. Cet écart de 5% entre la quantité totale pesée en production et la quantité effectivement reçue de la part du fournisseur Flamma n'a pas pu être expliqué en production, ce d'autant plus qu'après l'étape de pesée une contre vérification est effectuée par l'opérateur de fabrication.

En outre, les équipements de pesée ont été mis hors de cause.

La preuve d'une faute d'Opodex n'étant pas rapportée par la société Bailleul qui a fourni les principes actifs employés dans les lot et sous-lots litigieux, les demandes de cette dernière tendant à voir condamner Opodex à en réparer les conséquences dommageables, ne peuvent qu'être rejetées, étant observé de surcroît que Opodex justifie s'être acquittée des frais de destruction (ses pièces 19 à 22).

Le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté la société Bailleul du paiement de la facture n° 2006 d'un montant de 69 336,49 €

Sur la facture n°2743 et le défaut de production des lots de Minoxidil 5%

La société Bailleul soutient que la société Opodex a refusé de manière injustifiée de produire certains lots issus d'une commande passée et initialement acceptée, alors que de son côté, elle avait commandé et obtenu des articles de conditionnement afférents estampillés Opodex qu'elle a été contrainte de détruire. Elle estime donc que la société Opodex est redevable du paiement de la facture qui comprend non seulement les commandes d'achat non honorées par Opodex mais aussi la totalité des produits rendus inutilisables du fait de la rupture des relations commerciales par cette dernière dans un délai si court qu'il ne lui a pas permis d'écouler ses stocks estampillés Opodex.

Elle ajoute que la seule raison de ce refus de production est l'incapacité de la société Opodex de délivrer des produits conformes.

Elle fait grief au tribunal d'avoir retenu que la preuve d'une faute du débiteur dans l'exécution de sa prestation n'était pas rapportée alors qu'il s'agit d'une inexécution contractuelle.

La Pharmaholding venant aux droits de la société Opodex répond que la société Bailleul ne démontre aucune faute de sa part et qu'elle a légitimement refusé de produire les nouveaux lots de Minoxidil 5% demandés du fait des anomalies rencontrées dès le 13 mars 2018 dans l'ensemble des lots de Minoxidil 5% produits à compter du lot OP046. Dès lors, la société Bailleul qui est soumise à des exigences normatives et réglementaires strictes ne peut pas raisonnablement demander la production coûte que coûte de produits alors même qu'ils se révèlent non-conformes.

Elle ajoute que la société Bailleul demande paiement d'une facture de destruction alléguée de spécialités sans aucun lien avec les commandes qu'il lui est reproché d'avoir annulées, sans de surcroît prouver les avoir effectivement détruites. Elle ajoute que la pièce 39 produite en cours de procédure prouve uniquement que la facture 2743 a été créée de toute pièce et ne repose sur aucun élément tangible. Elle fait valoir que la société Bailleul n'établit pas avoir acquis ces produits en vue prévision spécifiquement des commandes 5150, 5335 et 5678 qu'elle n'a pas honorée, ni davantage que ces produits seraient inutilisables et qu'ils auraient été détruits.

A titre subsidiaire, elle se prévaut de la force majeure sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil et en toute hypothèse de l'exception d'inexécution sur le fondement de l'article 1219 du même code.

Réponse de la Cour :

Les bons de commande que la société Bailleul reproche à Opodex d'avoir acceptés sans les honorer concernent des lots de Minoxidil 5% 3x60ml ainsi que des lots de Minoxidil 5% FR/UK.

La société Bailleul demande le remboursement des articles de conditionnement qu'elle a commandés en conséquence, supposément ceux de la facture n°2743 du 8 mars 2019 (sa pièce 16).

Toutefois, la facture n°2743 inclut la destruction de :

- 10.310 étuis de Cystine B6 Lotion ;

- 39.793 unités de Tussipax sirop ;

- 99.680 étuis Erythromycine ;

- 101.644 flacons Erythromycine ;

- 104.921 notices Erythromycine ;

- 3.784 vignettes Minoxidil 2% IT ;

- 250 comprimés Tussipax ET neutre 15CP ;

- 1 Melargin G ;

- 6.372 unités de Minoxidil 5% IT ;

- 28.760 étiquettes Minoxidil 2% ;

- 67.500 étiquettes Minoxidil 2% ;

- 15.000 étiquettes Minoxidil 2% ;

- 22.200 notices Minoxidil 2 ;

- 13.490 notices Minoxidil 2% FR/UK ;

- 13.780 étuis Minoxidil 2% FR/UK ;

- 21.000 étuis Minoxidil 2% FR/UK ;

- 714 Minoxidil 2% 3x60ml FR.

Aucun des produits que la société Opodex a refusé de produire, à savoir les lots de Minoxidil 5% 3x60ml ainsi que les lots de Minoxidil 5% FR/UK, ne sont mentionnés dans la facture dont le remboursement est sollicité.

Cette demande en paiement de la société Bailleul ne peut qu'être rejetée, faute de lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice invoqué

Le jugement entrepris est en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté la société Bailleul de sa demande en paiement du montant de la facture n°2743.

Sur la rupture de la relation commerciale établie

L'article L. 442-6, I 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait pour le producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce ou par des accords interprofessionnels.

Sur le caractère établi des relations commerciales

La société Bailleul considère qu'il est établi que les relations commerciales ont débuté le 21 janvier 1998 d'abord avec la société Laboratoire Bailleul France, puis ont continué avec la société Laboratoire Bailleul International depuis 2013. Elle ajoute que cette relation n'est pas seulement durable mais aussi intense car la société Opodex a été pendant un temps le seul fournisseur de la société Bailleul pour les produits en cause.

La Pharmaholding venant aux droits de la société Opodex soutient n'avoir commencé à traiter avec les Laboratoires Bailleul International qu'en 2013, et qu'elle n'était certainement pas ses seuls sous-traitants.

Elle ajoute que la société Bailleul reconnait que depuis 2013, la qualité des services et des échanges avec elle s'était dégradée et admet qu'elle avait déjà anticipé une potentielle résiliation de cette relation.

Réponse de la Cour :

La relation, pour être établie au sens des dispositions susvisées doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, de sorte que la victime de la rupture devait pouvoir raisonnablement anticiper une certaine continuité de flux d'affaires avec son partenaire commercial. L'absence de contrat écrit n'est pas incompatible avec l'existence d'une relation établie.

La relation commerciale entre les parties avait pour objet la fabrication de médicaments par la société Opodex pour le compte de la société Laboratoires Bailleul International.

S'il résulte des pièces du dossier que la relation commerciale a commencé en janvier 1998 entre la société Opodex et la société Laboratoire Bailleul France, et s'est poursuive dans les mêmes conditions avec la société la société Laboratoires Bailleul International, depuis 2013, aucun élément ne permet de retenir que la société Opodex a accepté de reprendre avec la société Laboratoires Bailleul International l'ancienneté des relations commerciales entretenue avec la société Laboratoire Bailleul France.

Dès lors, l'existence d'une relation commerciale entre la société Opodex et la société Laboratoires Bailleul International remonte à l'année 2013.

Le tribunal a par des motifs adoptés, justement retenu l'existence d'une relation établie au regard de l'intensité du volume d'affaires annuel entre les parties entre 2013 et 2017.

Cette relation était donc ancienne de cinq ans lorsque la société Opodex a notifié le 9 juillet 2018 à la société Laboratoires Bailleul International la fin de leurs relations commerciales à compter du 31 décembre 2018.

Sur le caractère brutal de la rupture et la durée du préavis

La société Bailleul fait valoir que le préavis est insuffisant au regard de la durée de la relation (vingt ans) et de sa capacité à réorganiser son activité en prévision de l'arrêt des relations commerciales.

Sur ce point, elle explique que le changement de façonnier est coûteux en temps et en argent, pour se faire accréditer par l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM). La durée moyenne correspond en effet à 30 mois pour un coût par produit de 100.933,43 euros. Dès lors le délai de 6 mois accordé par la société Opodex est insuffisant.

La Pharmaholding venant aux droits de la société Opodex rétorque que le délai sollicité n'est pas justifié par le changement de façonnier soutenant que la durée de transfert d'une fabrication de spécialités pharmaceutiques liquides n'excède généralement pas 6 mois incluant le temps éventuellement requis pour identifier un tiers sous-traitant, tant les concurrents fabriquant des spécialités pharmaceutiques sous forme liquide sont nombreux.

Elle ajoute que la société Bailleul avait anticipé la fabrication de leurs spécialités avec d'autres laboratoires en prévision de la cessation de leurs relations avec elle, et ce, s'agissant du Minoxidil 2% et 5% depuis le 7 novembre 2017 et s'agissant du Tussipax sirop à compter du 19 décembre 2018 (ses pièces 23 et 24).

Le délai de préavis accordé est donc, selon elle, amplement suffisant.

Réponse de la Cour :

La brutalité de la rupture au sens de l'article L. 442-6, 5° du code de commerce résulte de l'absence de préavis écrit ou de l'insuffisance de ce dernier.

Le délai de préavis, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée de la relation commerciale et de ses spécificités, du produit ou du service concerné.

Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produis ou services en cause.

Le préavis doit se présenter sous la forme d'une notification écrite.

En l'espèce, la société Opodex a mis un terme à ses relations commerciales avec la société Bailleul par l'envoi le 9 juillet 2018 d'un préavis écrit de six mois.

Il n'est pas contesté que la société Bailleul a retrouvé un nouveau façonnier pour le Minoxidil 2% et Minoxidil 5% depuis le 7 novembre 2017, soit avant l'envoi de la lettre mettant fin à leurs relations avec un préavis de six mois.

En revanche, s'agissant des deux autres produits en cause, à savoir l'Érythromycine 4% et le Tussipax sirop, la cour doit rechercher le délai de préavis suffisant, sans pouvoir prendre en compte des circonstances postérieures à la notification de la rupture, tel l'enregistrement d'un nouveau laboratoire pour fabriquer le Tussipax sirop au cours du délai de préavis.

Néanmoins, au regard d'une relation de cinq années, la Cour, tout en prenant en compte la spécificité des produits en cause, retient que le délai de préavis de 6 mois accordé était suffisant.

Dès lors la demands en indemnisation présentée au titre de la rupture brutale par la société Bailleul ne peut qu'être rejetée.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur la demande de la société Opodex au titre des frais de saisie et du préjudice subi

Les frais de mainlevée de la saisie conservatoire pratiquée à la requête de la société Bailleul seront supportés par cette dernière qui succombe.

La demande de la société Pharmaholding venant aux droits de la société Opodex en indemnisation du préjudice subi en raison de cette mesure de saisie conservatoire est rejetée, l'intention de nuire de la société Bailleul n'étant pas établie.

Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Bailleul aux dépens de première instance et à payer à la société Pharmaholding venant aux droits la société Opodex la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Bailleul qui succombe, est condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Elle est condamnée à verser à la société Pharmaholding venant aux droits de la société Opodex une somme supplémentaire de 10.000 euros sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Vu l'intervention volontaire de la société Pharmadolgin SA, venant aux droits de la société Laboratoires Opodex Industrie,

Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises,

Y ajoutant,

Condamne la société anonyme de droit suisse Laboratoires Bailleul International aux dépens d'appel qui comprendront les frais de mainlevée de la saisie conservatoire ordonnée ;

La condamne à payer la somme de 10 000 € à la société Pharmaholding SA, venant aux droits de la SAS Laboratoires Opodex Industrie au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Rejette toute autre demande.