CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 septembre 2023, n° 22/10371
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
IN&FI Crédits Société (SAS), R2E Finances (SARL)
Défendeur :
Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Leboucq Bernard, Me Geral, Me Havet, Me de Roux
LES FAITS :
La Société IN&FI CREDITS est une société agissant dans le domaine du courtage immobilier en France. Elle exploite un réseau de franchise composé de 120 agences réparties sur tout le territoire national, qui met au service de ses clients son expertise et son savoir-faire pour les accompagner dans la recherche de solutions de financement adaptées à leurs besoins et les assister dans la concrétisation de leurs projets.
La société R2E Finances est, inscrite à l'ORIAS en qualité de courtier d'assurance et de courtier en opérations de banque et en services de paiement.
La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc (ci-après la banque) est un établissement de crédit agréé par l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution.
Le 17 juin 2008, la société CEJEMA Finances, à laquelle succède, après rachat, la société R2E Finances, a intégré le réseau de franchise IN&FI Crédits.
Les 2 et 15 mars 2009 la Caisse Régionale du Crédit Agricole du Languedoc et la société CEJEMA ont signé une première convention intitulée "Convention partenariale" fixant les conditions et modalités de leur collaboration.
Les 24 avril 2013 et 19 mai 2016, une "convention d'apport d'affaires" est signée entre la Caisse Régionale du Crédit Agricole du Languedoc et la société R2E Finances.
Un avenant concernant les règles de commissionnement est signé par la société R2E Finances le 21 février 2019.
Le 30 octobre 2019, par lettre recommandée avec accusé de réception, la Caisse Régionale du Crédit Agricole du Languedoc dénonce cette convention avec un préavis contractuel d'un mois.
PROCEDURE
Considérant cette rupture comme brutale, la société R2E Finances ainsi que la société IN&FI Crédits après avoir vainement saisi le 12 février 2020 le président du tribunal de commerce de Marseille en référé, ont assigné la banque au fond par acte du 19 janvier 2021.
Elles font aussi grief à la banque de s'être livrée à une campagne de dénigrement des intermédiaires en opérations bancaires.
Par jugement du 29 mars 2022, le tribunal de commerce de Marseille a statué en ces termes :
- Déclare la Société IN&FI CREDITS S.A.S. recevable en ses demandes ;
- Déclare que la relation qui existait entre la Société R2E FINANCES E.U.R.L. et la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ne peut pas être qualifiée de relation commerciale établie :
En conséquence,
- Déboute la Société R2E FINANCES E.U.R.L. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Déboute la Société IN&FI CREDITS S.A.S. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamne conjointement la Société R2E FINANCES E.U.R.L. et la Société IN&FI CREDITS S.A.S. à payer à la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL la somme de 2 000 € (deux, mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile, Condamne conjointement la Société R2E FINANCES E.U.R.L. et la Société IN&FI CREDITS S.A.S. aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de Procédure Civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction seront liquidés à la somme de 90,63 euros (quatre-vingt-dix euros et soixante-trois centimes T.T.C.) ;
- Conformément aux dispositions des articles 514 et 515 du Code de Procédure Civile, dit que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire ;
- Rejette pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement.
Par déclaration du 25 mai 2022, les sociétés IN&FI Crédits et R2E Finances ont interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 5 juin 2023 les sociétés IN&FI Crédits et société R2E Finances demandent à la Cour de :
Vu les articles L442-1, L 442-4 et D 442-3 du code de commerce,
Infirmer la décision en ce qu'elle a :
- Déclaré que la relation qui existait entre la Société R2E FINANCES E.U.R.L. et la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ne peut pas être qualifiée de relation commerciale établie :
En conséquence,
- Débouté la Société R2E FINANCES E.U.R.L. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Débouté la Société IN&FI CREDITS S.A.S. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamné conjointement la Société R2E FINANCES E.U.R.L. et la Société IN&FI CREDITS S.A.S. à payer à la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL la somme de 2 000 € (deux, mille euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamne conjointement la Société R2E FINANCES E.U.R.L. et la Société IN&FI CREDITS S.A.S. aux dépens toutes taxes comprises ;
- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement ;
Et statuant de nouveau :
- CONSTATER la rupture brutale des relations commerciales établies ayant existé entre la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC et la Société R2E FINANCES ;
En conséquence :
- CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC à payer la Société R2E FINANCES à la somme de 83 500.86 euros au titre de la marge brute perdue du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ayant existé entre la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC et la Société R2E FINANCES et de l'absence de respect d'un préavis suffisant ;
- CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC à payer à la société IN&FI CREDITS la somme de 6 000 euros au titre des différents chefs de préjudices subis du fait des différentes mesures prises par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC ;
- ORDONNER à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC de supprimer et cesser de diffuser, par quelque moyen que ce soit, les encarts litigieux constatés aux termes du Procès-verbal de constat dressé à la requête de la société REPONSE FINANCEMENT, en date du 11 décembre 2019, accessible depuis l'adresse url suivante https://www.ca-languedoc.fr, ce, à compter du prononcé du Jugement à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
- SE RESERVER le droit de liquider l'astreinte ;
- ORDONNER la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision à intervenir ou d'un extrait de celle-ci aux frais de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC et autoriser les appelantes à y procéder dans les journaux ou périodiques de leur choix dans la limite d'un budget de 30 000 euros hors taxes, toutes publications confondues ;
- CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC à payer à chacune des sociétés IN&FI CREDITS et R2E FINANCES la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- CONDAMNER enfin la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC aux entiers dépens de l'instance.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées le 12 juin 2023 la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc demande à la Cour de :
CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés R2E FINANCES et
IN&FI CREDITS de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a condamné solidairement les sociétés R2E
FINANCES et IN&FI CREDITS à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;
ET, Y AJOUTANT
- CONDAMNER les sociétés IN&FI CREDITS et R2E FINANCES à verser chacune à la
CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens au titre de la procédure d'appel.
La clôture de l'instruction de l'affaire est intervenue par ordonnance du 13 juin 2023.
MOTIVATION
Sur la rupture brutale des relations commerciales établies
Sur l'existence d'une relation commerciale établie entre la banque et la société R2 E Finances
Les sociétés IN&FI Crédits et R2E Finances soutiennent :
- Que, les prestations fournies par R2E Finances, matérialisées par la conclusion de contrats partenariaux successifs constituent une relation commerciale peu important les modalités d'exercice de ces prestations,
- Que cette relation, bien que constituée d'une multitude de contrats uniques, est suivie et stable car elle se matérialise par un flux d'affaires sans interruptions significatives et par un volume relativement stable, de sorte qu'elle est établie,
- Que la convention partenariale des 2 et 15 mars 2009 a ainsi été conclue pour une durée d'une année à compter de sa signature, renouvelable par tacite reconduction par périodes successives d'une année et les conventions suivantes pour une durée indéterminée,
- Que cette relation a perduré de 2009 à 2020, constituant 17% du chiffre d'affaires de R2E Finances, ce qui démontre que les parties pouvaient avoir une croyance légitime dans le maintien de la relation de sorte qu'une relation commerciale établie existait bien entre elles.
La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc dénie l'existence de relation commerciale établie avec la société R2E Finances, faisant valoir :
- Qu'elle n'est liée par aucun contrat avec IN&FI et n'a jamais eu la moindre relation commerciale ou le moindre courant d'affaires avec cette dernière, la société IN&FI Crédits n'étant que franchiseur de la société R2E Finances,
- Que sa relation avec R2E Finances ne relève pas de l'article L. 442-1 II du code de commerce, étant précaire et aléatoire par nature, les clients pouvant rejeter les offres de crédit qu'elle propose et le courtier n'ayant aucune obligation de lui présenter ses clients,
- Que les relations entre les parties relèvent donc de l'aléa inhérent à la mise en concurrence des établissements de crédit à l'initiative du courtier,
- Que la succession de contrats unissant les deux sociétés ne suffit pas à caractériser une relation commerciale établie ni même à susciter une croyance légitime dans la poursuite de la relation.,
- Que l'ampleur des relations n'est pas significative compte tenu du faible niveau de volume d'affaires entre les deux sociétés (5,75% du chiffre d'affaires de la société R2E Finance),
- Que l'arrêt des relations contractuelles liant les parties ne peut avoir d'impact sur l'activité de la société R2E Finances et son chiffre d'affaires dont une partie provient des honoraires versés par le client et non des commissions versées par la banque,
- Qu''il est toujours possible au courtier de se tourner vers une autre banque,
- Que le chiffre d'affaires de la société R2E Finances a également progressé de 3,8% entre les années 2018 et 2019 tandis qu'à la même période le chiffre d'affaires réalisé grâce aux prêts accordés par elle, a diminué de 36,47%.
Réponse de la Cour
L'article L 442-1, II du code de commerce dispose :
"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages de commerce et aux accords interprofessionnels.
En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.
Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."
La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, la victime de la rupture devant pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.
En l'espèce, la relation d'apport d'affaires prévoit depuis la convention conclue entre la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société R2E Finances le 24 avril 2013, que l'Apporteur en sa qualité de courtier soumis au statut d'intermédiaire en opérations de banque et services de paiement ("IOBSP") est en relation directe avec des clients recherchant des opérations de financement, que l'Apporteur et la Banque souhaitent se rapprocher pour mettre en place une convention d'apport d'affaires aux termes de laquelle l'Apporteur apportera ses clients à la Banque en vue de la conclusion entre ceux-ci et la Banque d'un contrat de crédit immobilier.
L'article 1er précise que l'Apporteur (la société R2E Finances) agit en vertu d'un mandat d'IOBSP donné par ses clients qui lui permet d'exercer l'activité " d'IOBSP courtier " prévu au 1° de l'article R 519-4 du code monétaire et financier, que la convention ne peut en aucun cas être interprétée comme un mandat délivré par la Banque, l'Apporteur ne pouvant agir au nom et pour le compte de la Banque, les relations entre les parties sont celles de contractants indépendants.
Aux termes de l'article 3.2 l'Apporteur a pour mission de recueillir et de transmettre à la Banque des demandes de crédit immobilier (tel que défini aux articles L 312-1 et suivant du code de la consommation) présentées par sa clientèle et destinées au financement d'immeubles à usage de résidence principale, secondaire ou d'investissement locatif.
Selon l'article 4, la Banque est tenue de fournir à l'Apporteur les éléments et documents nécessaires pour qu'il puisse présenter les offres à ses clients.
L'article 5 précise que l'Apporteur recevra une commission pour chaque client apporté à la Banque qui conclura un crédit immobilier.
L'article 10 permet la dénonciation de la convention par les Parties par l'envoi d'une lettre RAR un mois avant la date de cessation envisagée et précise qu'aucune indemnité de quelque nature que ce soit ne pourra être demandée et ou versée par l'une ou l'autre partie.
Enfin, l'article 11 prévoit que la Convention est conclue sans exclusivité au profit d'aucune des deux parties.
Les mêmes dispositions figurent à la convention d'apport d'affaires conclues le 19 mai 2016 entre les parties.
Il résulte de ces éléments que la relation commerciale qui s'est nouée entre la société R2E Finances et la banque dans le cadre de la convention conclue le 24 avril 2013 avait pour objet de permettre à la première d'être "apporteur d'affaires" et se distingue de la conclusion proprement dite des contrats entre les clients démarchés par la société R2E Finances et la banque.
Aussi, il ne peut se déduire ni de l'absence de mandat entre la Banque et l'Apporteur, ni de la circonstance que ce dernier, en sa qualité de courtier, démarche d'autres banques dans le cadre de la recherche de la meilleure offre de prêt pour son client pour lequel il agit en vertu d'un mandat, l'absence de relation commerciale établie entre la Banque et l'Apporteur au sens de l'article L 442-1, II du code de commerce.
Les relations commerciales entre la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société R2E Finances telles que formalisées par le contrat d'apport d'affaires, datent du 24 avril 2013 et se sont poursuivies jusqu'au 30 octobre 2019, date de la lettre recommandée avec accusé de réception de la banque dénonçant cette convention avec un préavis contractuel d'un mois.
Ces relations présentent un caractère stable et continu ainsi qu'il résulte du chiffre d'affaires réalisé par l'apporteur avec la banque entre 2013 et 2018 de sorte que l'apporteur pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec la banque.
Les relations commerciales entre la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société R2E Finances sont donc établies au sens de l'article L 442-1, II du code de commerce.
Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur l'existence d'une rupture brutale des relations commerciales
Les appelantes invoquent des relations commerciales établies de 2009 à 2020 entre la Caisse du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société R2E Finances et disent que cette dernière avait droit au respect d'un préavis de 18 mois tenant compte des usages du commerce, et de la part importante représentée par la banque dans son chiffre d'affaires (17%), peu important l'absence de relations d'exclusivité entre les parties.
Elles ajoutent :
- qu'en retenant qu'en 2019 la société R2E finances n'a développé que 5.75% de son chiffre d'affaires avec elle, la banque se livre à une présentation volontairement trompeuse, faisant valoir que la baisse du niveau de son chiffre d'affaires réalisé avec la banque est liée à la modification des règles de commissionnement exigée par cette dernière à peine de dénonciation de la convention,
- que les commissions perçues par la société R2E Finances lui permettaient seulement d'assurer ses frais de personnel et de couvrir ses frais fixes,
- que la société R2E Finances s'est également dotée de plusieurs salariés qu'elle doit pouvoir rémunérer, et que le départ inopiné d'un de ses partenaires l'a obligée à se réorganiser pour surmonter sa perte de chiffre d'affaires,
- que le contexte économique entourant la profession de courtiers en crédit immobilier s'est, de surcroît, terni au cours du dernier trimestre de l'année 2019 en raison d'une action concertée des banques visant à réduire la part de marché des courtiers, de sorte que la part de chiffre d'affaires réalisée avec cette banque ne pourra donc pas être compensé par le développement d'autres partenariats.
La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc rétorque :
- que la convention la liant à la société R2E Finance ne dure que depuis le 24 avril 2013,
- qu'elles étaient auparavant liées par un mandat (courant du 15 mars 2009 au 24 avril 2013) permis par la législation applicable à ce moment, relation d'affaires distincte dont l'arrêt est causé par une évolution législative dont elle n'est pas responsable,
- que la relation d'affaires entre le Crédit agricole du Languedoc et R2E Finances a commencé le 24 avril 2013, six ans environ avant le début de la rupture, ce qui ne justifie pas un préavis de 18 mois,
- qu'il n'existe aucun lien de dépendance économique entre les deux sociétés,
- Que compte tenu de son statut particulier la société R2E Finances n'avait aucun besoin de se réorganiser et n'en justifie pas,
- Que le délai d'un mois de préavis est également suffisant au regard du faible chiffre d'affaires réalisé par R2E Finances avec elle ainsi que de l'absence d'investissements irrécupérables ou d'exclusivité.
Réponse de la Cour
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.
En l'espèce, les relations commerciales entre la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société R2E Finances ont duré 6 ans et 6 mois (24 avril 2013 au 30 octobre 2019). Auparavant, des relations existaient sous d'autres modalités entre la banque et la société CEJEMA Finances.
Il est constant que la société R2E Finances ne peut se prévaloir d'aucune relation d'exclusivité, que le contexte économique entourant la profession de courtier qui se serait terni au dernier trimestre 2019 et rendant difficile une réorganisation avec un autre partenaire doit être pris en compte, de même que l'avenant au contrat signé le 6 mars 2019 par le courtier modifiant les modalités de commissionnement de l'annexe 3, prévoyant que désormais la banque ne rémunère que les "prospects" (personne n'ayant, préalablement à la conclusion du financement immobilier, aucune relation bancaire avec la banque), le taux de commissionnement étant de 1% du capital emprunté avec un plafond de 2 100 € par dossier.
Le courtier a réalisé avec la banque une part de son chiffre d'affaires de 6,86% sur les 11 mois de l'année 2019 (Chiffre d'affaires R2E Finances en 2019 de 386 623 € sur 12 mois, soit sur 11 mois de 354 409 € pour un chiffre d'affaires réalisé avec la banque au titre des commissions bancaires de 24 325 € selon la pièce 28 du cabinet d'experts comptables Ceco Sud, ce sur 11 mois en raison de la cessation des relations commerciales à la fin du mois de novembre incluant un mois de préavis).
De même, il a réalisé avec la banque :
- en 2018, une part de son chiffre d'affaires de 9,68% (chiffre d'affaires réalisé par R2E Finances de 372 416 € pour un chiffre d'affaires arrondi de 36 052€ réalisé avec la banque au titre des commissions bancaires- pièce 28),
- en 2017, une part de son chiffre d'affaires de 8,16% (chiffre d'affaires réalisé par R2E Finances de 357 120 € pour un chiffre d'affaires arrondi de 29 146€ réalisé avec la banque au titre des commissions bancaires- pièce 28).
Au vu de ces éléments, il convient de fixer à 5 mois le préavis que la banque aurait dû octroyer au courtier afin de lui permettre de se réorganiser en conséquence., soit une durée de 4 mois de préavis manquant.
Sur le préjudice
La marge sur valeur ajoutée résultant du solde intermédiaire de gestion de l'année 2018 de la société MJNS ressort à 57% et à 62% en 2017 (pièce 23).
Le chiffre d'affaires réalisé avec la banque en 2018 s'élève à 36 052€, soit une marge annuelle de 20 550€ et en 2017, un chiffre d'affaires réalisé avec la banque de 29 146€, soit une marge annuelle moyenne de 18 070€.
Il en résulte en moyenne sur ces deux années, une marge annuelle de19 310€ et une marge mensuelle moyenne de 1 609,17€.
La perte de marge résultant de l'insuffisance de préavis s'élève donc à 6 436 € (1 609,17 x 4) que la banque devra verser à la société R2E Finances pour brutalité de la rupture.
Sur la demande de préjudice de la société IN&FI Crédits
La société IN&FI Crédits sollicite sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la réparation du préjudice qu'elle a subi, en qualité de franchiseur, du fait des pratiques abusives commises par la Banque contre son franchisé, en en ce qu'elles affecteraient le montant des redevances qu'elle percevait assises sur le chiffre d'affaires.
Elle requiert donc la condamnation de la caisse régionale du crédit agricole à lui verser la somme de 6 000€ au titre du préjudice subi
La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc rétorque que la société IN&FI Crédits ne peut se prévaloir d'aucun préjudice personnel direct causé par les agissements invoqués, n'étant liée par aucun contrat et IN&FI Crédits ne prouvant pas le préjudice subi du fait de la baisse du montant des redevances.
Réponse de la Cour
Un tiers à un contrat peut solliciter sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation du préjudice personnel que lui cause un manquement contractuel.
En l'espèce, le franchiseur n'invoque pas de manquement contractuel de la banque mais la brutalité de la rupture du contrat d'apport d'affaires par cette dernière aux dépens du franchisé.
Ce faisant, il ne justifie d'aucun préjudice personnel direct et distinct du franchiseur indemnisable.
La demande doit être rejetée et le jugement confirmé de ce chef.
Sur les actes de dénigrement et la demande de retrait, sous astreinte, des publications litigieuses
Les sociétés R2E Finances et IN&FI Crédits soutiennent que la banque a mis en ligne trois encarts contenant des propos dénigrants ainsi qu'il résulte du procès-verbal de constat d'huissier du 11 décembre 2019 sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
Elles font valoir à cet égard que le critère d'une base factuelle suffisante concernant la publication litigieuse n'est pas rempli et que même si elles ne sont pas visées spécifiquement, il en résulte un préjudice tant pour le franchisé que pour le franchiseur.
La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc conteste tout acte de dénigrement, soutenant que pour que le dénigrement soit constitué il faut établir que les propos poursuivis sont de nature à jeter le discrédit sur les biens ou services du demandeur et que le défendeur ne disposait pas d'une base factuelle suffisante pour étayer son propos, qu'en l'espèce aucun courtier n'est visé spécifiquement et les sociétés R2E Finances et IN&FI Crédits ne sont ni identifiées ni identifiables, tandis que le message publié a un effet purement informatif et ne correspond qu'à l'exercice de sa liberté d'expression. Elle précise que les publications concernées ont été mises en ligne au troisième trimestre 2019 et ne sont aujourd'hui plus publiées sur son site internet de sorte que la demande de retrait sous astreinte est sans objet.
Elle sollicite donc la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a retenu que le dénigrement n'était pas caractérisé.
Réponse de la Cour
Hors restriction légalement prévue, la liberté d'expression est un droit dont l'exercice, sauf dénigrement de produits ou services, ne peut être contesté sur le fondement de l'article1240 du code civil.
La divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur des produits ou services par un concurrent constitue un dénigrement, même en, l'absence de situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées.
En revanche, la simple critique relève de la liberté d'expression. Toute critique doit pouvoir être librement exprimée, dès lors qu'elle ne cherche pas à nuire.
De même la critique n'est pas fautive lorsque les appréciations qui y sont portées concernent un sujet d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, sous réserve d'être exprimée avec une certaine mesure.
En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constat du 11 décembre 2019 que la banque a mis en ligne les trois encarts intitulés :
"Un courtier pourquoi faire", "aucune garantie de meilleure conditions","Comment faire aboutir votre dossier plus vite".
Il est ainsi reproché à la banque d'avoir écrit :
- "' n'oublions pas que le courtier est un intermédiaire et en aucun cas un décisionnaire'cela a des conséquences aussi bien sur les conditions financières obtenues que sur la rapidité de traitement de votre dossier'",
- "Un intermédiaire c'est aussi un " filtre " entre le conseiller bancaire et l'emprunteur, privant celui-ci d'un contact direct et d'échanges d'informations plus personnalisées avec le conseiller'",
- "Les courtiers travaillent généralement avec un nombre limité de banques partenaires. Très souvent le courtier présentera votre dossier au crédit agricole, spécialiste reconnu du financement immobilier. Dès lors, n'auriez-vous pas gagné du temps en venant nous voir dès le financement de votre dossier '"
En l'espèce, il n'est pas contesté que les appréciations en cause concernent un sujet d'intérêt général.
L'absence de base factuelle suffisante ne peut être retenue.
En effet, s'il est soutenu que la banque conteste être le partenaire privilégié du courtier, ni ce dernier, ni son franchiseur ne sont identifiées ou identifiables.
De même, il ne peut se déduire de la présentation du courtier comme un "filtre", le reproche d'une rétention d'information commise par le courtier.
Il ne peut davantage être retenu que ces appréciations porteraient une atteinte au modèle économique de la profession des courtiers en crédits immobiliers, s'agissant d'une critique exprimée avec une certaine mesure et reposant sur une base factuelle suffisante.
Ainsi, le tribunal a justement retenu que la banque ne critique nullement la société R2E Finances dans sa publication et invite, en termes mesurés, les futurs emprunteurs immobiliers, à s'adresser directement à elle, en faisant état des avantages, ce qui relève de sa liberté d'expression.
Le jugement est confirmé en ce qu'il a dit que le dénigrement allégué n'était pas caractérisé et rejeté les demandes de ce chef.
Sur la demande de publication de la décision
La demande de publication de la décision sur la page d'accueil du site internet de la banque fondée sur l'article L 442-4 II du code de commerce sera accueillie sous forme d'un extrait pendant un délai de 8 jours aux frais de celle-ci, dans les conditions visées au dispositif ci-après. Le jugement est infirmé de ce chef.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La banque succombant pour l'essentiel sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel,
Le jugement est infirmé en ce qu'il a mis à la charge in solidum des sociétés R2E Finances et IN&FI Crédits la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La banque est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et est condamnée à payer la somme de 6 000 € à la société R2E Finances sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Le sens de l'arrêt commande de débouter la société IN&FI Crédits de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises sauf en ce qu'il déboute les sociétés R2E Finances et IN&FI Crédits de leurs demandes au titre du dénigrement et rejette la demande de dommages-intérêts ainsi que la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la société IN&FI Crédits ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
- Condamne la Caisse Régionales du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc à payer à la société R2E Finances la somme de 6 436 € à titre de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;
- Ordonne la publication de l'extrait suivant du présent arrêt : "Par arrêt du 27 septembre 2023 la cour d'appel de Paris a condamné la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc à verser des dommages-intérêts à la société R2E Finances, courtier en opération de banque et en service de paiement, pour rupture brutale de leurs relations commerciales établies sur le fondement de l'article L.442-1 II du code de commerce" sur les sites internet de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc pendant une durée de 8 jours, à compter de la première mise en ligne et qu'il sera procédé à cette publication en partie supérieure de la page d'accueil du site de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères "times new roman", de taille '12', droits , de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468x120 pixels, en-dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre COMMUNICATION JUDICIAIRE en lettres capitales de taille 14 ;
- Condamne la Caisse du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société R2E Finances la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
- Déboute la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc de et société IN&FI Crédits de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.