CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 septembre 2023, n° 20/17237
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Motte Location (SARL), Business Solutions Logistics Transports (SAS)
Défendeur :
DHL Freight France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Renard, Mme Soudry
Avocats :
Me de Ryck, Me Lallement, Me Thierry
FAITS ET PROCÉDURE
La société Motte Location est une société familiale de transports de marchandises.
La société BSLT a été créée par le gérant de la société Motte Location pour exercer la même activité.
La société Motte Location a entretenu des relations commerciales de sous-traitance de prestations de transport de marchandises avec la société Danzas avec laquelle elle a conclu le 1er octobre 2001 un contrat de sous-traitance.
La société Danzas a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 14 février 2005 à la suite de son absorption par la société Ducros Services Rapides.
La société Dhl Freight France a été immatriculée le 5 mai 2008 et a pour activité l'organisation de transport de marchandises. La société Motte Location et la société BSLT ont effectué différentes prestations de transport pour la société Dhl Freight France, sans régulariser de contrat écrit.
La société Dhl Freight France a mis fin le 4 juin 2018 sans préavis aux relations commerciales avec la société BSLT et aux relations commerciales avec la société Motte Location par lettre du 17 octobre 2018 accordant à celle-ci un préavis de trois mois devant se terminer le 17 janvier 2019.
Par acte d'huissier du 9 avril 2019, les sociétés Motte Location et BSLT ont assigné la société Danzas devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies. La société Dhl Freight France est intervenue volontairement à l'instance en demandant qu'il soit constaté que les sociétés Motte Location et BSLT ne formaient pas de demande à l'encontre de la société Danzas qui avait été radiée du registre du commerce et des sociétés.
Par jugement du 28 septembre 2020, le tribunal de commerce de Paris a :
- Pris acte de l'intervention volontaire de la société Dhl Freight France ;
- Débouté la société Motte Location de sa demande d'indemnisation au titre de la relation commerciale établie ;
- Condamné la société Dhl Freight France à payer à la société BSLT la somme de 13.702,50 euros à titre de dommages intérêts au titre du préavis non effectué ;
- Débouté la société BSLT de sa demande de paiement de 2.900 euros hors taxes ;
- Constaté que la société Dhl Freight France a réglé la créance de la société BSLT à hauteur de 140,36 euros hors taxes ;
- Condamné la société Dhl Freight France à payer à la société BSLT la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a débouté la société Motte Location et la société Dhl Freight France de leurs demandes à ce titre ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement ;
- Condamné la société Dhl Freight France aux dépens.
Par déclaration du 27 novembre 2020, les sociétés Motte Location et BSLT ont interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il a :
- Débouté la société Motte Location de sa demande d'indemnisation au titre de la relation commerciale établie ;
- Débouté la société BSLT de sa demande de paiement de 2.900 € HT.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 15 février 2023, les sociétés Motte Location et BSLT demandent à la cour, au visa de l'article L. 442-6-1 5°, de :
- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* Débouté la société Motte Location de sa demande d'indemnisation au titre de la relation commerciale établie,
* Débouté la société BSLT de sa demande de paiement de 2.900 € HT.
Statuant à nouveau,
- Condamner la société Dhl Freight France à payer :
* La somme principale de 2.900 €HT à la société BSLT avec intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2019 date de la mise en demeure,
* La somme principale de 264.115,00 euros HT, soit 316.938,00 euros TTC à la société Motte Location avec intérêts au taux légal à compter de l'acte introductif d'instance ;
- Ordonner la capitalisation des intérêts échus depuis plus d'une année ;
- Confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;
- Condamner la société Dhl Freight France à payer à la société Motte Location la somme de 5.000 € et à la société BSLT la somme de 1.000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamner la société Dhl Freight France aux frais et dépens.
Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA 8 mars 2023, la société Dhl Freight France, demande à la cour de:
Vu l'article 1199 du code civil,
Vu la loi LOTI du 30 décembre 1982,
Vu le décret n° 2003-1295 du 26 décembre 2003 portant approbation du contrat type applicable au transport routier de marchandises exécuté par les sous-traitants.
Vu l'article L. 442-6-I-5 du Code de commerce,
Pour la société BSLT :
- Débouter la société BSLT de sa demande de paiement de la facture n° FA000358 du 19 juillet 2018.
- Confirmer le jugement entrepris à l'exception de l'article 700 du code de procédure civile
Et statuant à nouveau de ce chef
- La débouter de sa demande
En tout état de cause
- La débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires aux présentes
- La condamner au paiement d'une indemnité de 1.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour la société Motte Location :
- Dire que la société Motte Location ne peut se prévaloir des dispositions tirées de l'article L 442-6 1 5° du Code de Commerce.
- Constater que la société Motte Location s'est vu reconnaitre le bénéfice d'un délai de préavis de 3 mois par la société Dhl Freight.
- Dire le cas échéant que ce délai de préavis est conforme au contrat type de sous-traitance de transport routier de marchandises figurante en annexe du décret du 26 décembre 2003 en vigueur au moment de la rupture.
- Confirmer le jugement attaqué et débouter en conséquence la société Motte Location de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- Condamner la société Motte Location à payer à la société Dhl Freight une indemnité de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
A titre subsidiaire :
- Dire que la société Motte Location ne peut se prévaloir d'un préjudice résultant de la perte de chiffre d'affaires durant la période de préavis dont elle aurait été privée du fait de Dhl Freight.
- Retenir que la société Motte Location ne démontre pas avoir subi un préjudice indemnisable au sens de l'article L. 442-6-I-5 du Code de Commerce et ne communique aucune pièce sur sa marge brute.
- La débouter en conséquence de toutes ses demandes à ce titre.
A titre très subsidiaire :
- Fixer le préjudice de la société Motte Location à la somme maximale de 20.846 € pour 7 mois de préavis éludés sur la base d'un chiffre d'affaires moyen de 142.945 € par an et d'un taux de marge de 25 %.
En tout état de cause :
- Condamner la société Motte Location à payer à la société Dhl Freight une indemnité de 5.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.
- Condamner in solidum les sociétés Motte Location et BSLT aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 mars 2023.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
Par message RPVA, en date du 30 mars 2023, la cour a soulevé d'office l'irrecevabilité des demandes de la société BSLT, radiée du registre du commerce et des sociétés le 2 avril 2022 suite à sa liquidation amiable, et sollicité les observations des conseils des parties à ce titre.
Par courrier du 31 mars 2023, le conseil de la société Dhl Freight France a répondu qu' « à compter de la clôture des opérations de liquidation amiable, la société BSLT a perdu sa personnalité morale et donc sa capacité à continuer à intervenir en cause d'appel comme à formuler des demandes vis à vis de Dhl Freight.
Il y a bien lieu de prononcer l'irrecevabilité des demandes de la société BSLT.
Dans ce contexte, la société Dhl Freight n'entend pas maintenir sa demande reconventionnelle (article 700) à l'encontre de la société BSLT en cause d'appel, ce qui nécessiterait la désignation d'un mandataire ad hoc. »
Le conseil des société BSLT et de la société Lamotte Location n'a pas formulé d'observation.
MOTIFS
Sur la demande de la société BSLT en paiement de la somme de 2.900 € HT
La société BSLT fait valoir que durant 4 semaines (du 17 mars au 7 avril 2018), il n'y a pas eu de prise de véhicule de la société BSLT sans aucune explication de la société Dhl Freight ce qui l'a amenée à facturer à celle-ci 50 % du tarif quotidien manqué soit au total 2.900 € HT.
La société Dhl Freight France réplique qu'aucun contrat écrit ne liait les deux parties et nul engagement de ce type ne ressort des échanges entre la société Dhl Freight et la société BSLT.
Il résulte de l'extrait Kbis de la société BSLT qu'elle a fait l'objet d'une dissolution amiable par procès-verbal d'assemblée générale du 6 octobre 2021 et a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 2 avril 2022 à la suite de la clôture des opérations de liquidation amiable ayant pris effet le 31 octobre 2021.
La société BSLT ayant perdu la personnalité morale et n'étant plus régulièrement représentée dans la présente procédure, ses demandes à l'égard de la société Dhl Freight France seront déclarées irrecevables.
La demande de la société Dhl Freight France à l'égard de la société BSLT, au titre de ses frais irrépétibles et des dépens, sera pour le même motif déclarée irrecevable.
Sur la demande de la société Motte Location en indemnisation de la rupture de la relation commerciale
La société Motte Location allègue que :
- Les parties ont entendu se situer dans la continuation des relations antérieures existantes : il y a eu une totale continuité dans les relations de 1996 à 2019 et 1996 constitue bien le point de départ de cette relation commerciale établie ;
- Même en présence d'une nouvelle personne juridique, il s'agissait des mêmes prestations, des mêmes lieux d'exécution avec les mêmes personnes déjà en relation avec les mêmes modes de fonctionnement.
La société Dhl Freight France réplique que :
- Il n'y a jamais eu de contrat écrit régularisé entre la société Dhl Freight et la société Motte Location, dès 2008 puis à la suite des appels d'offres intervenus en 2013 et 2015.
- Cette relation est donc incontestablement soumise à la loi LOTI sur les transports intérieurs du 30 décembre 1982 et au contrat type applicable aux transporteurs publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants figurant en annexe du décret du 26 décembre 2003 ;
- A supposer que la cour retienne l'application de L. 442-6, I, 5 du code de commerce, il n'en reste pas moins que la société Motte Location est défaillante lorsqu'il s'agit de démontrer que la relation commerciale avec la société Dhl Freight France était pérenne et que le contrat du 1er octobre 2001 conclu avec la société Danzas est opposable à la société Dhl Freight et qu'il était toujours en vigueur en octobre 2018.
L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa rédaction applicable au litige dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Toutefois cet article ne s'applique pas dans le cadre des relations commerciales de transports publics routiers de marchandises exécutés par des sous-traitants, lorsque le contrat-type qui prévoit la durée des préavis de rupture, institué par la loi 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs régit, faute de dispositions contractuelles, les rapports du sous-traitant et de l'opérateur de transport.
En l'espèce, il n'est pas discuté que la société Motte Location était sous-traitante de la société Dhl Freight France dans le cadre de transports routiers de marchandises bien qu'aucun contrat n'ait été signé entre les parties.
Il est invoqué par la société Motte Location une relation de sous traitance de transport routier de marchandises précédente ayant débuté en 1996 avec la société Danzas avec laquelle a été régularisé le 1er octobre 2001, un contrat de sous-traitance, antérieur au contrat type prévu par le décret 2003-1295 du 26 décembre 2003.
L'article 1er dudit contrat stipule que le commissionnaire [société Danzas] confie au sous-traitant [Motte Location] des livraisons, des transports et des enlèvements dans un secteur géographique défini en annexe.
L'article 8.1 relatif à la durée du contrat stipule que « le présent contrat est conclu à compter du 1er octobre 2001 pour une durée d’un an. Il sera reconduit tacitement pour les périodes successives de même durée, sauf dénonciation par l'une ou l'autre des parties par lettre recommandée au moins deux mois avant la date d'échéance »
La société Danzas a été radiée du registre du commerce et des sociétés le 14 février 2005 à la suite de son absorption par la société Ducros Services Rapides appartenant au groupe Dhl.
A l'exception de la fusion absorption de 2005, aucun élément ne caractérise la volonté de la société Dhl Freight France de poursuivre les relations initiales instaurées avec la société Danzas sur la base du contrat du 1er octobre 2001.
Il n'est pas contesté que des activités de transport ont été réalisées par la société Motte Location pour les sociétés rattachées au groupe Dhl, dont Dhl Express et Dhl Freight, mais sans régulariser de contrat écrit avec ces sociétés.
La société Dhl Freight France, a confié à la société Motte Location, des prestations de sous traitance de transport à compter de l'année 2008, date de son immatriculation, pour un volume deux fois moins important que les prestations antérieures.
Trois ans se sont écoulés entre la radiation de la société Danzas et l'immatriculation de la société Dhl Freight France et la preuve n'est pas rapportée de la volonté de celle-ci de poursuivre les relations instituées avec la société Danzas selon les mêmes modalités. Il n'est pas démontré lors des relations ultérieures la moindre référence au contrat conclu avec la société Danzas.
Si le courrier de résiliation en date du 17 octobre 2018 de la relation d'affaires entre la société Dhl Freight France et la société Motte Location, sur un papier à l'enseigne de Dhl Freight fait mention en bas de page de « Danzas SA [Adresse 1] RCS Paris 5420910236 commissionnaire en douanes agréé », cette mention se justifie car la société Danzas a été absorbée par une société du groupe Dhl mais ne signifie pas la volonté de poursuivre la relation commerciale.
Si la société Dhl Freight France a confié régulièrement à la société Motte Location, des prestations de sous traitance de transport à compter de l'année 2008, elle justifie avoir mis fin, par courrier recommandé en date du 19 janvier 2013 avec avis de réception adressé à la société Motte Location, à leur collaboration de prestations de service de transport en lui accordant un délai de préavis de trois mois conformément au contrat type de transport, dans sa version applicable à la cause.
Les relations se sont poursuivies jusqu'au 15 septembre 2013, la société DHL Freight invoquant dans son courrier le recours à l'appel d'offres. Celui-ci a été remporté par la société Motte location.
Par courrier recommandé en date du 12 juin 2015 avec avis de réception adressé à la société Motte Location, la société Dhl Freight lui a notifié l'arrêt de leur collaboration à la date du 12 septembre 2015 initiée dans le cadre de l'appel d'offres en lui accordant un délai de préavis de trois mois et en l'informant du recours à un nouvel appel d'offres.
La société Motte Location a remporté ce nouvel appel d'offres à compter du 14 septembre 2015.
Par courrier recommandé en date du 17 octobre 2018 avec avis de réception adressé à la société Motte Location, la société DHL Freight avisait celle-ci qu'elle mettait un terme à leur relation commerciale en lui accordant un délai de préavis de trois mois prenant fin le 17 janvier 2019.
Si la relation commerciale a duré plusieurs années avec des commandes régulières, à compter de septembre 2013, après résiliation de la relation en cours, celle-ci s'est poursuivie dans le cadre d'appels d'offres. Il est justifié de l'appel d'offres organisé en 2013 sur la base d'un cahier des charges établi le 26 juillet 2012 par la société DHL Freight et la réponse apportée par la société Motte Location ; ce mécanisme d'attribution des marchés est exclusif de toute relation stable, dès lors qu'il suppose une mise en concurrence des candidats ce qui rend la relation précaire sans qu'il puisse être tenu compte que la société Motte Location a été choisie à deux reprises dans le cadre des appels d'offres.
Dès lors, outre qu'il n'est pas démontré la poursuite des relations entre la société Dhl Freight et la société Motte Location telles qu'elles ont été initiées par la société Danzas, la relation commerciale s'est précarisée à compter de l'année 2013, faisant obstacle à l'application de l'article L. 442 - 6, I, 5° du code de commerce.
Dans le cadre de l'exécution de ces appels d'offres, la société Dhl a systématiquement accordé à la société Motte Location un préavis de trois mois ce qui correspond aux dispositions du contrat type de transport.
Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la société Motte Location sur le fondement de l'article L. 442 - 6, I, 5° du code de commerce.
Sur les demandes accessoires,
Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles seront confirmées.
La société Motte Location qui succombe en appel sera condamnée aux dépens d'appel et devra verser à la société Dhl Freight la somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Sa demande à ce titre sera rejetée.
PAR CES MOTIFS
Dans les limites de l'appel,
Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande d'indemnisation de la société Motte Location sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales, et sur les frais irrépétibles,
Infirme le jugement en ce qu'il a débouté la société BSLT de sa demande en paiement de la somme de 2900 euros HT,
Déclare irrecevables les demandes de la société BSLT à l'égard de la société Dhl Freight France,
Déclare irrecevables les demandes de la société Dhl Freight France à l'égard de la société BSLT,
Condamne la société Motte Location à verser à la société Dhl Freight France la somme de 4000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Motte Location aux dépens d'appel.