CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 22 septembre 2023, n° 21/02525
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Netsim (SARL)
Défendeur :
Aydon (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Renard
Conseillers :
Mme Lehmann, Mme Marcade
Avocats :
Me Zerbib, Me Havet, Me Cepraga, Me Aballea
Vu le jugement contradictoire rendu le 9 novembre 2020 par le tribunal de commerce de Paris.
Vu l'appel interjeté le 5 février 2021 par la société Netsim.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 29 juin 2021 par la société Netsim, appelante.
Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 27 juillet 2021 par la société Aydon, intimée.
Vu l'ordonnance de clôture rendue le 30 juin 2022.
SUR CE, LA COUR,
Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.
La société Aydon se présente comme un prestataire de services dans le domaine de l'informatique qui réalise les prestations commandées par ses clients soit avec ses propres salariés, soit en sous-traitant des missions à d'autres prestataires spécialisés. La société Syris It était une de ses filiales qui fonctionnait selon le même modèle économique avant d'être dissoute sans liquidation le 31 janvier 2018.
Selon contrat d'assistance technique daté du 7 juin 2017, la société Netsim a mis à disposition de la société Syris It (devenue CSBI puis Aydon) un de ses salariés, M. [J] [Y], en qualité de consultant en vue d'une mission auprès d'une filiale de la société Saint Gobain, cliente de la société Syris It. La mission devait durer 52 jours et prendre fin le 31 août 2017, sauf prolongation par avenant.
La société CSBI devenue Aydon a, début octobre 2017, décidé de confier une autre mission à la société Netsim, toujours au sein de la société Saint Gobain dont la durée était du 2 octobre 2017 au 31 décembre 2017. Un document contractuel signé par la société Aydon et non signé par la société Netsim a été établi fixant les conditions de cette mission qui devait être effectuée par M. [J] [Y].
Puis une mission complémentaire de 22 jours a été confiée à la société Netsim début janvier 2018, faisant l'objet d'un avenant signé par la société Aydon et non signé par la société Netsim.
Les relations entre les parties ont pris fin à l'issue de cette dernière mission.
Le 17 janvier 2018 M. [J] [Y] a mis fin à sa période d'essai, au titre du contrat de travail qui le liait à la société Netsim depuis le 19 juin 2017, avec effet pour le 31 janvier 2018.
M. [Y] est depuis salarié de la société Aydon et détaché au sein de la société Saint Gobain.
La société Netsim considérant que la société Aydon avait notamment violé une clause de non-sollicitation de personnel stipulée au contrat et rompu abusivement et brutalement leurs relations commerciales, l'a faite assigner par acte en date du 3 septembre 2019 devant le tribunal de commerce de Paris.
C'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement dont appel, qui a :
- débouté la société Netsim de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- condamné la société Netsim à payer à la société Aydon la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant cette dernière du surplus de sa demande,
- condamné la société Netsim aux dépens de l'instance, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 74, 50 euros dont 12,20 euros de TVA.
La société Netsim a relevé appel de cette décision et demande à la cour de :
- la recevoir en son action et l'y déclarer bien fondée,
En conséquence,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 9 novembre 2020 en ce qu'il l'a :
- déboutée de toutes ses demandes, fins et prétentions,
- condamnée à payer à la société Aydon la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Et en conséquence,
- condamner la société Aydon aux sommes suivantes :
- 48 000 euros au titre de la violation de la clause de non-sollicitation,
- 35 000 euros au titre de la réparation du préjudice causé par la rupture brutale et déloyale des relations commerciales,
- condamner la société Aydon à payer à la société Netsim une indemnité de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Aydon aux entiers dépens de l'instance en ce compris le coût de la présente assignation,
- assortir la décision à intervenir de l'exécution provisoire, celle-ci étant compatible avec la nature et l'ancienneté de l'affaire, et ce sans constitution de garantie.
La société Aydon demande à la cour de :
- la dire recevable et fondée en ses présentes écritures,
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 9 novembre 2020 en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il l'a déboutée du surplus de sa demande,
Par conséquent,
- débouter la société Netsim de l'ensemble de ses demandes et prétentions en appel ;
- dire la société Aydon recevable et fondée en son appel incident,
En conséquence,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Aydon du surplus de ses demandes,
Statuant à nouveau,
- condamner la société Netsim à payer la somme de 10 000 euros pour procédure abusive,
- condamner la société Netsim à payer à la société Aydon la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Netsim aux entiers dépens en application de l'article 696 du code de procédure civile.
Sur la violation de la clause de non-sollicitation,
La société Netsim fait valoir que le contrat régissant ses relations avec la société CSBI Consulting contient une clause explicite relative à la non sollicitation de personnel (article 14 du contrat). Elle critique le jugement entrepris qui a certes considéré cette clause comme valable mais a interprété à tort un courriel qu'elle avait adressé à son partenaire le 28 janvier 2018 comme un accord de sa part pour le débauchage de son salarié, alors que les termes de cette correspondance pouvaient tout au plus s'interpréter comme une invitation à des pourparlers en vue d'un tel accord.
La clause de non sollicitation invoquée par la société Netsim est ainsi rédigée :
« Article 14- Non sollicitation du Personnel
Sauf accord écrit des parties, chacune des parties s'engage à ne pas solliciter ni faire travailler directement ou indirectement tout collaborateur de l'autre Partie chargé des travaux relatifs au présent contrat, même si la sollicitation initiale est formulée par le collaborateur, pour la durée du contrat et une période de 1 an après l'échéance ou la cessation (même en cas de rupture anticipée) du présent contrat.
En cas de non-respect de cet engagement par l'une des parties, celle-ci s'oblige à dédommager l'autre Partie en lui versant une indemnité égale à la rémunération annuelle brute du collaborateur sollicité sur la base des douze mois précédant son départ, sauf accord contraire écrit des parties ».
Cette clause figure non pas dans le contrat du 7 juin 2017 signé entre les sociétés Netsim et Syris It devenue CSBI puis Aydon (pièce 1 Netsim) mais dans l'acte intitulé « contrat d'assistance technique n° CSBI Consulting / Netsim / 2017 ' 001 » daté du 2 octobre 2017 et signé par la seule société CSBI Cosulting (pièce 2 Netsim).
Cette clause prévoit une obligation réciproque entre les parties, celles-ci s'engageant chacune à ne pas solliciter ni faire travailler directement ou indirectement tout collaborateur de l'autre.
L'acte fourni au débat (pièce 2 Netsim) prévoit en outre au point 1 de l'article 11 « Durée ' Résiliation » que : « Le présent contrat entrera en vigueur à la date de sa signature par les parties et demeurera en vigueur jusqu'à l'exécution par le prestataire de toutes ses obligations contractuelles, y compris notamment au titre des garanties dues ».
Or, ainsi que le soutient la société Aydon, la société Netsim n'a pas signé cet acte et ne s'est donc pas engagée à respecter cette obligation de non sollicitation à l'égard de la société CSBI Consulting devenue Aydon.
Si la société Netsim a bien mis à disposition de la société CSBI Consulting un consultant M. [Y] ' entre le mois d'octobre 2017 et le mois de janvier 2018 ainsi qu'en témoignent les factures fournies au débat par la société Netsim (pièce 10), celle-ci ne démontre pas avoir signé le contrat daté du 2 octobre 2017 qui n'est pas entré en vigueur, et partant avoir accepté les obligations prévues par la clause de non sollicitation prévue à l'article 14 de cet acte. La société Netsim ne peut donc réclamer l'exécution de cette obligation de non sollicitation de personnel ci-avant rappelée par la société CSBI Consulting devenue Aydon.
Elle sera donc déboutée de sa demande à ce titre. Le jugement déféré sera, pour ces motifs, confirmé de ce chef.
Sur la rupture des relations commerciales,
La société Netsim réclame l'allocation de la somme de 35 000 euros de dommages et intérêts sur le fondement des dispositions des articles L. 442-6 I 5 du code de commerce et 1240 code civil. Elle fait valoir que les relations établies entre elle et la société Aydon étaient fondées sur la confiance, devaient durer « au moins deux ans » et que la cessation de celles-ci au bout de sept mois en débauchant le salarié mis à disposition pour le placer sur la même mission relève de la rupture brutale.
Aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, dans sa version applicable à la présente espèce,
I. Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : (...)
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d'une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l'application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d'au moins un an dans les autres cas ; (...)'
La relation commerciale établie doit présenter un caractère suffisamment prolongé, significatif et stable entre les parties permettant à la victime de la rupture d'anticiper légitimement et raisonnablement pour l'avenir la persistance d'un flux d'affaires avec son partenaire commercial.
Il ressort des éléments fournis au débat que la société Netsim a été en premier lieu en relation avec la société Syris It entre le 19 juin et le 31 août 2017. La société Syris It était une filiale de la société Aydon et a été dissoute en suite de son absorption par cette dernière. La société Netsim a ensuite été en relation avec la société CSBI Consulting devenue Aydon entre le mois d'octobre 2017 et le mois de janvier 2018. La relation d'affaires entre les parties a donc duré 7 mois.
L'objet de la relation d'affaire était la mise à disposition d'un consultant, M. [Y], par la société Netsim au profit de la société Syris It puis de la société CSBI Consulting afin de le mettre à disposition de la société Saint Gobain services technologies, cliente de ces dernières.
Ces missions ponctuelles étaient prévues pour une durée déterminée, soit entre le 19 juin et le 31 août 2017 pour la première et entre le mois d'octobre 2017 et le mois de janvier 2018 pour la seconde.
En conséquence, la société Netsim ne démontre nullement le caractère établi de la relation commerciale avec la société Aydon, celle-ci n'invoquant pas utilement un courriel en date du 7 février 2017 adressé par Mme [B], directrice commerciale de la société Nodya qui appartient au même groupe que les sociétés Syris It et CSBI Consulting. Ce courriel adressé à M. [G] [L], avec en copie la société Netsim, propose à M. [L] une intervention au sein de la société Saint Gobain distribution bâtiment et annonce « une mission d'au moins deux ans ». Néanmoins, outre que cette proposition n'a pas abouti, aucun lien n'existe entre cette mission et la relation d'affaires existant entre la société Netsim et la société Aydon qui concerne la mise à disposition d'un consultant au sein de la société Saint Gobain services technologies.
De même, la société Netsim manque à établir un comportement fautif de la société Aydon en raison de l'arrêt des relations commerciales avec elle et de l'embauche de M. [Y], ce dernier intervenant toujours auprès de la société Saint Gobain services technologies.
En effet, M. [Y] était libre de mettre fin à son contrat de travail avec la société Netsim au cours de sa période d'essai et de rejoindre la société Aydon qui pouvait légitimement l'employer et le mettre à disposition de l'un de ses clients. Il ressort en outre du courriel échangé le 29 janvier 2018 entre M. [X], gérant de la société Netsim, et Mme [B] (pièce 2 Aydon), que ce dernier était informé du recrutement de M. [Y] par la société Aydon et qu'il ne s'y est pas opposé bien que sollicitant « une compensation » soit la somme de 2 000 euros pour payer les congés de son salarié en raison des difficultés de trésorerie que rencontrait la société Netsim. Enfin, aucune violation d'une clause de non concurrence liant M. [Y] à la société Netsim dont la société Aydon se serait rendue complice, n'est invoquée par l'appelante.
La société Netsim doit donc être déboutée de ses demandes au titre de la rupture brutale et fautive des relations commerciales et le jugement également confirmé à ce titre.
Sur la procédure abusive,
La société Aydon forme une demande incidente pour procédure abusive mais n'apporte pas la preuve d'une quelconque intention de nuire ou faute de la part de la société Netsim qui a pu légitimement se méprendre sur l'étendue de ses droits, ni l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense. Le jugement mérite également confirmation de ce chef.
Sur les autres demandes,
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.
Partie perdante, la société Netsim est condamnée aux dépens d'appel et à payer à la société Aydon, en application de l'article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée à la somme de 5 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Confirme le jugement entrepris,
Condamne la société Netsim à payer à la société Aydon la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
Condamne la société Netsim aux dépens d'appel avec possibilité de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.