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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 septembre 2023, n° 21/09472

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ELO (SAS)

Défendeur :

Ipone (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Grognard, Me Boccon-Gibod, Me Liccioni

T. com. Marseille, du 14 avr. 2021, n° 2…

14 avril 2021

FAITS ET PROCEDURE

La société Elo a pour activité principale la location de motor-homes, car-podiums et d'espaces de réception pour des manifestations sportives, promotionnelles et commerciales ainsi que la création et la réalisation d'événements exceptionnels.

La société Ipone a pour activité la fabrication et la commercialisation de lubrifiants, nettoyant et produits pour engins mécaniques.

Le 14 novembre 2006, la société Elo et la société Ipone ont conclu un contrat portant sur la gestion d'un motor-home, à savoir un véhicule pouvant être déplacé sur différents sites événementiels pour assurer la présentation des produits de la marque Ipone. Ce contrat a été conclu pour une durée expirant le 31 décembre 2007 avec une clause de renouvellement par périodes successives d'un an à moins d'être dénoncé par l'une ou l'autre des parties avec un préavis de quatre mois.

Par lettre du 6 janvier 2015, la société Ipone a formulé à la société Elo diverses reproches sur l'exécution de la prestation objet du contrat.

Par lettre du 3 juin 2015, la société Ipone a notifié à la société Elo sa décision de mettre un terme au contrat de prestation de services au 31 décembre 2015.

Après une lettre de mise en demeure restée vaine, la société Elo a assigné la société Ipone devant le tribunal de commerce de Marseille aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 35 993 euros sur le fondement de l'article L. 442-1 du Code de commerce.

Par jugement du 14 avril 2021, le Tribunal de commerce de Marseille a :

Débouté la Société ELO S.A.S. de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Condamné la Société ELO S.A.S. à payer à la Société IPONE S.A. la somme de 2000 € (deux mille euros) au titre des frais irrépétibles occasionnés par la présente procédure ;

Conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile, Laissé à la charge de la Société ELO S.A.S. les dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de Procédure Civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par le secrétariat-greffe de la présente juridiction seront liquidés à la somme de 74,18 euros (soixante-quatorze euros et dix-huit centimes T.T.C.) ;

Conformément aux dispositions de l'article 515 du Code de Procédure Civile, ordonné pour le tout l'exécution provisoire ;

Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement ;

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 19 mai 2021, la société ELO a interjeté appel de ce jugement.

Par jugement du 13 juillet 2022, la société Elo a été placée en liquidation judiciaire, la société Saulnier-[L] et associés, prise en la personne de M. [L] ayant été désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Aux termes de leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 7 mars 2023, la société Elo et la société Saulnier-[L] ès-qualités, demandent à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 (ancien) du Code de commerce,

Déclarer l'intervention volontaire de la SAS SAULNIER-[L] ET ASSOCIES, prise en la personne de Maître [B] [L], es qualité de liquidateur judiciaire de la Société ELO, recevable et bien fondée,

Réformer le Jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 14 avril 2021 dans toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Condamner la Société Ipone à verser à la Société ELO la somme de 52.542,54 €, avec intérêts au taux légal à compter du 24 janvier 2019, date de la mise en demeure ;

Débouter la Société IPONE de toutes demandes, fins et conclusions ;

Condamner la Société IPONE à verser à la Société ELO la somme de 10.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamner la Société IPONE aux entiers dépens ;

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 17 mars 2023, la Société Ipone, demande à la Cour de :

A titre principal,

Juger que la relation entre la société IPONE et la société ELO n'était pas une relation commerciale établie,

Par conséquent et par substitution de motifs,

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- débouté la société Elo de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société ELO à payer à la société IPONE la somme de 2.000 au titre des frais irrépétibles,

- laissé à la charge de la société ELO les dépens,

A titre subsidiaire, si la cour devait juger la relation commerciale établie,

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- débouté la société ELO de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société ELO à payer à la société IPONE la somme de 2.000 au titre des frais irrépétibles,

- laissé à la charge de la société ELO les dépens,

A titre infiniment subsidiaire,

Juger que la société ELO et Maître [B] [L], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ELO, ne rapportent pas la preuve du préjudice allégué,

Confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a :

- débouté la société ELO de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société ELO à payer à la société IPONE la somme de 2.000 au titre des frais irrépétibles,

- laissé à la charge de la société ELO les dépens,

En tout état de cause,

Débouter la société ELO et Maître [B] [L], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ELO, de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

Y ajoutant,

Condamner la société ELO et Maître [B] [L], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ELO, à verser à la société IPONE somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile que la cour fixera au passif de la société ELO,

Condamner la société ELO et Maître [B] [L], en sa qualité de mandataire liquidateur de la société ELO, à supporter les entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 23 mai 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur l'intervention volontaire de la société Saulnier-[L], prise en la personne de M. [L], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Elo.

Il y a lieu de déclarer recevable l'intervention de la société Saulnier-[L] et associés, prise en la personne de Maître [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Elo désigné par jugement du 13 juillet 2022 du tribunal de commerce d'Orléans.

Sur la rupture de la relation commerciale.

L'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce dans sa version antérieure à l'ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 applicable au litige, dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels

* sur le caractère établi de la relation commerciale.

La société Elo représentée par son liquidateur fait principalement valoir que la relation commerciale entretenue avec Ipone pendant 9 ans était une relation commerciale établie et non précaire, dès lors qu'un seul contrat a été conclu en 2006 tacitement renouvelé pendant 9 années successives. Elle prétend qu'elle pouvait ainsi légitimement considérer que ce renouvellement allait se poursuivre et ce, d'autant plus que la relation commerciale était régulière, significative, stable et avec un chiffre d'affaires ayant régulièrement progressé.

La société Ipone réplique pour l'essentiel que la relation était précaire dès lors qu'à chaque échéance le contrait était susceptible de ne pas être renouvelé et que l'ensemble des échanges intervenus entre les parties au sujet des nombreux dysfonctionnements survenus dans la gestion du motor-home au cours de l'année 2015 ne pouvaient légitimement laisser croire à la société Elo que la relation commerciale était de nature profondément pérenne et qu'elle pouvait compter sur sa prévisibilité.

Sur ce,

La relation commerciale établie, au sens de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce, n'est pas conditionnée par l'existence d'un échange permanent et continu entre les parties. Une telle relation peut être caractérisée par une succession de contrats ponctuels lorsqu'il en résulte une relation commerciale régulière, significative et stable (Com., 15 septembre 2009, pourvoi n° 08-19.200, Bull. 2009, IV, n° 110).

En l'espèce, le contrat liant les parties s'est tacitement renouvelé pendant près de 9 années suivant un flux d'affaires constant et significatif (pièce Elo n° 5), de sorte que la société Elo pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec la société Ipone au moment de la notification de la rupture. La lettre de griefs adressée quelques mois auparavant, si elle peut expliquer la rupture, n'est cependant pas de nature à rendre précaire la relation commerciale établie depuis la conclusion du contrat en novembre 2006.

* sur la brutalité de la rupture.

La société Elo représentée par son liquidateur fait principalement valoir que compte tenu de la durée de la relation commerciale, de la difficulté de retrouver des clients sur un marché relativement fermé et la part importante de chiffre d'affaires généré par la société Ipone, la durée raisonnable du préavis devait être de 12 mois. Elle prétend que le tribunal ne pouvait se référer à la durée du préavis contractuel. Elle ajoute que le préavis notifié par lettre du 3 juin 2015 n'a pas été effectif dès lors qu'elle a enregistré sur l'année 2015 une chute importante de son chiffre d'affaires réalisé avec la société Elo qui ne lui a confié plus que des prestations mineures.

La société Ipone réplique pour l'essentiel que la société Elo est une société d'événementiel au secteur d'activité très vaste et que le secteur spécifique de la gestion des motor-home est particulièrement développé dans le domaine des sports mécaniques pour lequel la société Elo revendique un grand nombre de client, en sorte qu'elle ne démontre pas de mise en difficulté avec la perte de son client Ipone. Elle relève en outre que l'attestation de l'expert-comptable ne permet pas de déterminer la part du chiffre d'affaires réalisé avec Ipone dans le chiffre d'affaires global de la société Elo. Elle soutient que cette dernière a bénéficié d'un préavis suffisant de 7 mois, supérieur au préavis contractuel. Elle ajoute qu'il ressort de l'analyse des factures 2015 versées aux débats qu'elle a fait appel à la société Elo pour des événements au moins aussi importants que sur les exercices précédents.

Sur ce,

Le texte précité vise à sanctionner, non la rupture elle-même, mais sa brutalité caractérisée par l'absence de préavis écrit ou l'insuffisance de préavis. Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

Par des motifs pertinents, qui ne sont pas utilement contredits par la société Elo et que la Cour adopte, le tribunal a retenu que le préavis de 7 mois notifié par lettre du 3 juin 2015 était suffisant au regard de la relation commerciale nouée entre les parties depuis 9 années.

Il sera ajouté que la société Elo ne justifie pas de la part que représente le flux d'affaires réalisé avec la société Ipone depuis 2006 dans son chiffre d'affaires global, ni n'apporte aucun élément tangible pour accréditer ses allégations selon lesquelles il lui était difficile de retrouver un partenaire commercial équivalent sur un marché spécifique.

Par ailleurs, le chiffre d'affaires annuel moyen réalisé avec la société Ipone sur les 9 années de relation commerciale a été de 121 692 euros et sur les trois derniers exercices 2012 à 2014 de 139 359 euros. Aussi, le chiffre d'affaires 2015 de 102 759 s'il est en baisse par rapport aux moyennes des exercices précédents, cette baisse n'est cependant pas suffisamment importante pour considérer que le préavis n'a pas été effectif.

Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Elo de sa demande de dommages-intérêts fondée sur les dispositions de l'article L. 442-6 I, 5° précité.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Elo aux dépens de première instance et à payer à la société Ipone la somme de 2000 euros au titre des frais irrépétibles.

La société Saulnier-[L] Associés ès-qualités, partie perdante, sera condamnée aux dépens d'appel.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Elo en liquidation judiciaire sera déboutée de sa demande. La société Saulnier-[L] Associés ès-qualités sera condamnée à verser à la société Ipone la somme de 6 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Déclare recevable l'intervention volontaire de la société Saulnier-[L] Associés prise en la personne de M. [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Elo ;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions soumises à la Cour ;

Y ajoutant,

Condamne la société Saulnier-[L] Associés prise la personne de M. [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Elo aux dépens ;

Condamne la société Saulnier-[L] Associés prise la personne de M. [L] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Elo à payer à la société Ipone la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.