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Décisions

CA Angers, ch. com. A, 3 octobre 2023, n° 21/02541

ANGERS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Roy TP (EURL)

Défendeur :

Secmair (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme corbel

Conseillers :

Mme Robveille, M. Benmimoune

T. com. Laval, du 1er déc. 2021, n° 2019…

1 décembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE

L'EURL Roy TP exerce diverses activités, notamment en matière de voirie et réseaux divers (VRD) et de terrassement.

La société Secmair est spécialisée dans la construction et la fabrication de matériel d'entretien des routes.

L'EURL Roy TP s'est rapprochée de la SAS Secmair en vue de la fourniture d'un épandeur gravillonneur. La demande de l'EURL Roy TP portait sur un camion 32 tonnes avec un empâtement court et une boîte automatique.

La SAS Secmair s'est mise en relation avec le garage Arrieta, fournisseur du porteur Man, pour définir les caractéristiques de l'ensemble.

Selon bon de commande (n° 4210) du 2 février 2017, l'EURL Roy TP a passé commande auprès du garage Arrieta, pour un montant de 99.000 euros HT (soit 118.800 euros TTC), de la partie camion équipé d'une boîte de vitesse manuelle.

Selon bon de commande (n° 150578) du même 2 février 2017, l'EURL Roy TP a passé commande, pour un montant de 210.000 euros HT (soit 252.000 euros TTC), d'un épandeur gravillonneur synchrone, comportant à titre d'option, un bras multifonctions "Greenswift", permettant de réparer des chaussées à l'avant du camion porteur.

Afin de financer ces opérations, l'EURL Roy TP a contracté un contrat de crédit-bail, le 22 mars 2017, pour un montant de 370.800 euros.

Le 29 septembre 2017, le véhicule bi-épandeur de marque Man immatriculé [Immatriculation 4], ainsi acquis par l'EURL Roy TP, a été mis en circulation.

Le 4 octobre 2017, l'épandeur a été livré à l'EURL Roy TP, avec mise en route assurée par un technicien de la SAS Secmair auprès du salarié de l'EURL Roy TP qui devait être l'opérateur exclusif de l'engin.

Courant juillet 2018, alors que le matériel avait fait l'objet de plusieurs pannes dès le 17 décembre 2017, et après remplacement de la pompe hydraulique effectuée par la SAS Secmair, une nouvelle panne s'est produite, le 20 août 2018, au niveau du capteur de la boîte de vitesse, qui a nécessité son remplacement par le garage Man, à la suite de la destruction de l'embrayage, pour un montant de 5.572,52 euros TTC qui a été réglé par l'EURL Roy TP.

Au vu des multiples pannes rencontrées, la SAS Secmair a étendu la garantie à 12 mois de plus.

Le 22 novembre 2018, l'engin a connu une nouvelle avarie, encore au niveau de l'embrayage, hors service. L'intervention du garage MAN a été facturée pour un montant de 2.987,58 euros TTC.

Le 5 décembre 2018, une nouvelle panne a affecté l'embrayage de l'engin.

L'EURL Roy TP a déclaré le sinistre auprès de son assurance de protection juridique.

La société [O] Expertises Automobiles a été mandatée par l'assureur de la société Roy TP aux fins d'expertise extrajudiciaire. Une première réunion d'expertise s'est tenue le 9 janvier 2019 en présence des représentants de l'EURL Roy TP, de la SAS Secmair et du garage Arrieta, suivie d'une deuxième le 14 janvier 2019 au cours de laquelle la SAS Secmair et le garage Arrieta ont proposé des solutions différentes pour remédier à l'usure prématurée de l'embrayage.

Dans son rapport du 28 mars 2019, M. [O] a relevé que le paramétrage du porteur imposé par la SAS Secmair consistait à obtenir un roulage à 3km/h maximum pour 1000 tour/minute de régime moteur du porteur Man. Il a souligné qu'en octobre 2018, à la suite du remplacement du premier embrayage, un régime moteur trop élevé avait été ciblé comme origine de la dégradation prématurée de l'embrayage et que la société Secmair avait donné son accord pour réduire le régime moteur du porteur de 1000 tr/min à 800 tr/min afin de limiter l'échauffement généré au niveau de l'embrayage sans indiquer, à cette époque, à la société Roy TP que l'utilisation faite du matériel pour le bras avant n'était pas conforme. Il a précisé avoir constaté sur les différents mécaniques et disques d'embrayage défectueux une dégradation par échauffement. Il en a déduit que l'origine de la dégradation prématurée de l'embrayage était liée à des débrayages fréquents nécessaires lors de l'utilisation du bras multifonctions pour des interventions qui s'étendent sur une distance de plus de 80 cm. Il a constaté que le relevé des démarrages confirme que le chauffeur de la société Roy TP, dès lors qu'il a été sensibilisé, s'est appliqué et qu'il a pu réduire l'impact de l'utilisation sur la dégradation de l'embrayage sans pour autant éviter une nouvelle destruction de l'embrayage. Il a retenu que la société Secmair n'a pas alerté l'acheteur sur les risques de destruction prématurée de l'embrayage et n'a pas apprécié l'incidence de débrayages rendus possibles. Partant de ce que l'utilisation qui a été faite du matériel, qui n'est pas prohibée par le fabriquant, était normale, il a retenu une non-conformité du matériel vendu aux besoins de l'acheteur.

La SAS Secmair dans sa lettre du 31 janvier 2019 a évalué le coût des travaux pour adapter l'équipement à l'usage souhaité par l'acheteur à 22.500 euros HT, sans proposer de prendre en charge ces travaux. Cette solution technique impliquait une intervention du concessionnaire MAN pour des travaux à réaliser sur la prise arrière du moteur.

De son côté, le concessionnaire Man a chiffré son intervention sous la forme d'un devis du 14 mars 2019, d'un montant de 2.939,37 euros HT.

Aucun accord amiable n'a été trouvé entre l'EURL Roy TP et la SAS Secmair.

Le 3 avril 2019, autorisée par ordonnance du 1er avril 2019, l'EURL Roy TP a fait assigner la SAS Secmair à bref délai devant le tribunal de commerce de Mont de Marsan.

Par jugement du 12 avril 2019, le tribunal de commerce de Mont de Marsan s'est déclaré incompétent au regard de l'existence d'une clause attributive de compétence insérée à l'article 15.2 des conditions générales de vente de la SAS Secmair.

L'affaire a été renvoyée devant le tribunal de commerce de Laval.

La SAS Secmair a parallèlement fait assigner la société Arrieta en garantie devant le tribunal de commerce de Laval.

La demande de jonction des procédures a été rejetée.

Par jugement du 20 mai 2020, le tribunal de commerce de Laval a ordonné une expertise judiciaire, confiée à M. [N] [U] [B], avec notamment pour mission de rechercher la cause des pannes ayant affecté le véhicule bi-épandeur et d'indiquer l'hypothèse la plus vraisemblable pouvant expliquer la survenance de ce sinistre, en sus de déterminer les responsabilités quant à la survenance des pannes et d'indiquer si le matériel livré était conforme aux besoins exprimés par le client, et de fournir une estimation du préjudice subi par l'EURL Roy TP du fait de l'immobilisation du véhicule.

Par jugement du 2 septembre 2020, le tribunal de commerce de Laval a déclaré communes et opposables les opérations d'expertise judiciaire à la société Arrieta.

L'expert judiciaire a déposé son rapport définitif le 3 février 2021 en retenant que :

- « Le matériel est tombé en panne pour la 1ère fois, 2 mois seulement après la livraison. Il a fait l'objet d'un retour en usine 8 mois après. Par la suite, il va faire l'objet de pannes à répétition ayant comme conséquences directes l'immobilisation du matériel et la nécessité de déposer la boîte de vitesses pour échange de l'embrayage et des pièces qui sont dans son environnement. Ces pannes ont pour cause une sollicitation trop importante de l'embrayage par le chauffeur. »

- « le Greenswift rend possible une forte diminution d'engins et de véhicules sur les chantiers »,

- « lors de la présentation du produit, il n'a jamais été indiqué au nouvel acquéreur, de façon formelle, que dans certaines conditions de travail, le chauffeur n'aurait pour seule alternative que d'appuyer sur la pédale d'embrayage pour réguler la vitesse du camion. Si cette opération permet effectivement de jouer sur la vitesse d'avancement, elle génère, de fait, la ruine de l'embrayage qui est beaucoup trop sollicité. Avant de prendre la décision d'acquérir ce matériel, le demandeur a été démarché par un commercial de la Sté Secmair. Il appartenait à celui-ci de définir les besoins exacts de son client avant que de lui proposer un produit. C'est ce même commercial qui a proposé l'option du bras. Cette démarche est une démarche classique dans le monde des travaux publics où le professionnel colle au plus juste avec la demande de son client en lui indiquant le matériel qui correspond le mieux à ses besoins et en lui faisant voir les avantages et aussi les inconvénients de sorte que l'acheteur se décide en toute connaissance de cause. Tel n'a pas été le cas, puisque l'utilisation du bras menait à la ruine de l'embrayage. Je dirai ici que l'équipement arrière, destiné à un travail différent n'a lui, jamais posé de problème (...). »

L'expert judiciaire a conclu que « la société Secmair ne pouvait pas ne pas connaître le 'problème' que posait l'utilisation du bras dans certaines conditions. C'est cette société qui a mis au point cette option et qui a décidé de la mettre au catalogue qu'après une batterie d'essais. Après déplacement du commercial chez le client pour définir les besoins exacts, la Sté Secmair aurait dû soit ne pas proposer l'option, soit prévenir le client que l'utilisation du bras allait amener à la ruine de l'embrayage. Il appartenait alors au futur acquéreur, en toute connaissance de cause, de se positionner. L'équipement du bras pouvait lui donner accès à des appels d'offres mais il lui appartiendrait de prendre en compte des immobilisations du matériel et un coût d'intervention. »

Il a estimé que les attestations relatives à la formation du chauffeur étaient "contradictoires", ajoutant :

« il me paraît quelque peu surprenant que le demandeur fasse le choix de commander, en toute connaissance de cause, un matériel équipé d'une option qui aura pour conséquences :

- une immobilisation récurrente du matériel,

- des frais de remorquage et d'intervention,

- l'impossibilité de traiter à temps des chantiers confiés par certains donneurs d'ordre ; si le constructeur Secmair connaît parfaitement la solution à adopter et le coût que cela représente pour éviter l'usure anormale de l'embrayage dans certaines conditions, pour quelle raison ne l'a-t-il pas intégrée au prix neuf du matériel, de sorte que le client puisse utiliser le matériel en toutes conditions ; « si le contenu de la formation est vraiment ce qu'indique le chauffeur, alors il est normal qu'il ait continué à mettre en pratique ce qui lui avait été appris pendant la formation, c'est-à-dire privilégier le temps d'intervention au détriment de la mécanique. »

Il a précisé aussi que « pour éviter que cette (même) panne ne se reproduise, le demandeur est obligé de demander à son chauffeur de limiter l'utilisation du matériel. En procédant de la sorte, il va protéger l'embrayage mais passer un temps très important sur le chantier ce qui le pénalise car ce "problème" n'est pas pris en considération lors de la réponse à un appel d'offres où il doit prévoir un prix et une durée d'intervention. »

Il a évalué le préjudice subi par l'EURL Roy TP du fait des pannes à la somme de 35.654 euros TTC. Il a spécifié que « concernant les véhicules légers, il est communément admis de retenir le millième de la valeur du véhicule par jour d'immobilisation soit 300 euros HT dans le cas présent si l'on retient le même quantum. »

Au vu de ce rapport, la société Roy TP, estimant que l'épandeur gravillonneur synchrone vendu par la SAS Secmair à l'EURL Roy TP est affecté d'un vice caché relevant de la garantie des vices cachés du vendeur, a entendu exercer l'action estimatoire pour obtenir le montant des travaux nécessaires à l'usage de l'engin auquel il est destiné et l'indemnisation de ses préjudices, fondant subsidiairement ces demandes sur la garantie légale de conformité, l'obligation de délivrance et plus subsidiairement encore sur un manquement du vendeur à son obligation de conseil et d'information.

La SAS Secmair s'est opposée aux prétentions de la demanderesse.

Par jugement du 1er décembre 2021, le tribunal de commerce de Laval a :

- condamné la SAS Secmair à payer à la société Roy TP la somme de 21.000 euros au titre de son manquement à son obligation de conseil,

- condamné la SAS Secmair à payer à la société Roy TP, la somme de 5.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamné la SAS Secmair aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 10 décembre 2021, l'EURL Roy TP a relevé appel de ce jugement, en ce qu'il a condamné la société Secmair à lui payer la somme de 21.000 euros au titre de son manquement à son obligation de conseil, l'a déboutée de ses demandes plus amples ou contraire ; intimant la SAS Secmair.

La SAS Secmair a formé appel incident.

L'EURL Roy TP et la SAS Secmair ont conclu.

Une ordonnance du 22 mai 2023 a clôturé l'instruction de l'affaire.

Moyens,

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES,

L'EURL Roy TP demande à la cour de :

Infirmant le jugement du tribunal de commerce de Laval du 1er décembre 2021,

À titre principal,

Vu les dispositions des articles 1104, 1193 et 1994, 1641, 1644 et 1645 du code civil,

- juger que l'épandeur gravillonneur synchrone avec bras avant vendu par la SAS Secmair à l'EURL Roy TP est affecté d'un vice caché relevant de la garantie des vices cachés du vendeur,

- déclarer bien fondée l'action estimatoire de l'EURL Roy TP,

À titre subsidiaire,

Si par extraordinaire la cour devait ne pas retenir l'existence d'un vice caché,

Vu les articles L. 211-5 et suivants du code de la consommation,

Vu les articles L. 217-4 et suivants du code de la consommation,

- juger que l'épandeur gravillonneur synchrone que lui a vendu la SAS Secmair n'est pas propre à l'usage habituellement attendu de biens semblables, de sorte que sa responsabilité est engagée sur le fondement de la garantie légale de conformité,

À titre infiniment subsidiaire,

Si par extraordinaire la cour ne devait retenir l'existence d'un vice caché, ni un manquement à l'obligation légale de conformité,

Vu les articles 1604 et suivants du code civil,

- juger que la SAS Secmair a commis un manquement à son obligation de conseil et d'information à l'occasion de la vente à elle-même de l'épandeur gravillonneur synchrone,

À titre très infiniment subsidiaire,

Vu les dispositions des articles 1104, 1112-1, 1194 et 1217 du code civil,

Si par extraordinaire la cour ne devait retenir l'existence d'un vice caché, ni un manquement à l'obligation légale de conformité ou à l'obligation de délivrance conforme,

- juger que la SAS Secmair a commis un manquement à son obligation de conseil et d'information à l'occasion de la vente à elle-même de l'épandeur gravillonneur synchrone,

En tout état de cause et en toutes hypothèses,

- condamner la SAS Secmair à lui payer la somme de 31.500 euros HT correspondant au coût d'installation d'un système d'avancement hydrostatique de marque Theam selon le devis de la SAS Rotatheam du 27 décembre 2018,

- a minima, si par extraordinaire, le tribunal devait ne pas retenir cette solution technique, condamner la SAS Secmair à réaliser à ses frais toutes les modifications de l'engin qui s'avéreront nécessaires pour permettre l'utilisation du bras avant, que le porteur soit en mouvement ou statique, dans des conditions telles que l'embrayage du porteur ne subisse plus de casse prématurée, et en particulier les modifications qu'elle proposait dans ses courriers des 16 et 31 janvier 2019, repris par M. [P] [O] en page 11/13 du rapport pour un devis de 22.500 euros HT, consistant notamment à :

* vidange hydraulique,

* dépose de la cuve à émulsion,

* démontage de la pompe hydraulique existante,

* rajout d'une traverse permettant de monter la 2ème pompe (pompe dédiée au suppresseur du Greenswift),

* remontage des 2 pompes,

* fourniture d'une nouvelle transmission,

* ajout d'un 2ème refroidisseur hydraulique, dédié à la 2ème pompe,

* câblage hydraulique,

** remontage de la cuve à émulsion,

* réglages et essais de validation,

* mise en service par nos soins,

Lieu de l'intervention : [Localité 2],

Prix de l'intervention : 22.500 euros HT,

- juger que la SAS Secmair disposera d'un délai de huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir pour réaliser lesdits travaux,

- juger que les frais de transports de l'engin qui seront nécessaires pour la réalisation desdits travaux du garage MAN à [Localité 5] à [Localité 2] seront supportés par la SAS Secmair,

- juger que cette condamnation à une obligation de faire sera assortie d'une astreinte provisoire d'un montant comminatoire de 500 euros par jour de retard passé le délai imparti,

- condamner la SAS Secmair à dispenser à ses frais la formation spécifique qui avait été dispensée à M. [G] [V], son propre chauffeur, et ce, dans un délai de 8 jours à compter de la signification du jugement à intervenir,

- juger que cette condamnation à une obligation de faire sera assortie d'une astreinte provisoire d'un montant comminatoire de 500 euros par jour de retard passé le délai imparti,

- condamner la SAS Secmair à lui payer les sommes de :

* 2.939,37 euros HT correspondant au devis MAN à [Localité 5] du 14 mars 2019 pour le montage d'une prise de mouvement et mise en place d'un adaptateur de renfort sur la boîte de vitesses,

* 1.000.000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice économique lié à la perte d'exploitation causée par l'immobilisation de l'épandeur gravillonneur synchrone qui sera mis en état d'être liquidé de manière définitive par voie d'expertise,

* 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de l'atteinte à l'image et à la réputation qu'elle a subi,

* 7.300,08 euros HT en remboursement des factures acquittées auprès de MAN à [Localité 5] pour les deux remplacements d'embrayage,

* 4.096,31 euros en remboursement des factures acquittées auprès de la SARL S2MR pour les travaux de remise en route partielle du porteur,

* 264,40 euros HT par mois en remboursement de l'assurance automobile depuis le 5 décembre 2018 jusqu'à restitution effective de l'engin à l'EURL Roy TP après réparations,

* 900 euros HT en remboursement des frais de remorquage facturés par MAN à [Localité 5] le 28 mars 2019,

* 2.463,66 euros HT en remboursement des honoraires d'expertise de M. [P] [O],

Le tout avec intérêts au taux légal à compter de la date en tête de l'assignation du 3 avril 2019,

- juger, par application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, que les intérêts dus pour une année entière porteront à leur tour intérêts au taux légal,

- débouter la SAS Secmair de ses demandes reconventionnelles comme étant infondées,

- ordonner avant dire droit sur la liquidation définitive de son préjudice économique une mesure d'expertise judiciaire comptable qui sera confiée à tel expert inscrit sur la liste de la cour d'appel de Pau qu'il plaira avec pour mission de déterminer et chiffrer la perte de chiffre d'affaires et la perte de bénéfice subies par elle des suites de l'immobilisation de l'engin depuis son acquisition et plus particulièrement depuis sa dernière immobilisation du 5 décembre 2018,

- juger que l'expertise sera mise en œuvre conformément aux dispositions des articles 273 et suivants du code de procédure civile, qu'en particulier, il pourra recueillir les déclarations de toute personne informée et s'adjoindre tout sapiteur de son choix d'une autre spécialité que la sienne,

- juger qu'en cas de difficulté, l'expert saisira le juge chargé du contrôle des expertises désigné dans le jugement à intervenir,

- juger que l'expert déposera un pré-rapport d'expertise et accordera un délai de quinze jours aux parties pour faire valoir leurs dires avant dépôt du rapport d'expertise définitif,

- compte tenu de l'extrême urgence, accorder à l'expert un délai de deux mois aux parties pour mener à bien sa mission et déposer son rapport d'expertise définitif,

- condamner la SAS Secmair à lui payer une indemnité de 17.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la SAS Secmair aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les émoluments proportionnels de recouvrement et d'encaissement que l'huissier instrumentaire d'une exécution forcée, à défaut d'exécution spontanée, pratiquera en application de l'article 32 du code de commerce (issu du décret n° 2016-230 du 26 février 2016 - anciennement du décret 96-1080 du 12 décembre 2016 abrogé).

La société Roy TP s'appuie sur le rapport d'expertise extra-judiciaire de M. [O], sur le rapport d'expertise judiciaire et même sur le rapport de l'expert mandaté par l'assureur de la société Secmair qui constate que le matériel est inadapté à ses besoins puisqu'il s'est avéré que le bras articulé ne devait être utilisé qu'en position statique et non en mouvement du véhicule porteur.

Elle expose notamment qu'il n'existe aucune documentation technique ou un support écrit de la formation spécifique dispensée au chauffeur de l'engin, ni aucune brochure commerciale émanant de la société Secmair qui fasse état de ce que le porteur doit impérativement être statique pour utiliser le bras avant ou interdisant, voire même contre-indiquant, l'utilisation du bras avant, porteur en mouvement et prétend que l'utilisation du porteur par son chauffeur était exactement celle qui lui a été montrée et recommandée lors de la formation spécifique qu'il a reçue du formateur de la société Secmair et celle qui apparaît dans les vidéos descriptives du matériel par la société Secmair sur Youtube ; que lors des échanges entre les représentants de la société Secmair et de la société Arrieta, avant l'intervention des experts amiables, la solution aux casses répétées de l'embrayage du porteur a été recherchée du côté d'une réduction du régime moteur et non pas simplement dans une utilisation contre-indiquée du bras avant, et que, d'ailleurs, la société Secmair a reconnu que des travaux d'adaptation étaient absolument nécessaires pour remédier au problème rencontré.

Elle invoque, subsidiairement, les dispositions du code de la consommation et plus subsidiairement un défaut de délivrance de droit commun dès lors qu'une utilisation du bras avant en position statique n'a, selon elle, jamais été préconisée.

Enfin, elle reproche au vendeur un manquement à son obligation de conseil et d'information en rappelant toutefois que l'obligation d'information et de conseil du vendeur à l'égard de l'acheteur professionnel n'est due que dans la mesure où la compétence de l'acheteur ne lui donne pas les moyens d'apprécier la portée exacte des caractéristiques techniques du matériel vendu. A cet égard, elle souligne que l'activité qu'elle exerce depuis 1997 dans les domaines VRD - terrassement est totalement étrangère à l'activité de fabrication de machines de la Secmair, ce d'autant qu'il s'agit ici d'un carrossage de porteur très spécifique dont elle n'avait jamais disposé jusque-là et que, seule, la société Secmair propose sur le marché.

S'agissant de l'importance des préjudices dont elle demande réparation, elle explique ne pas avoir pu procéder à la réparation du camion avant d'avoir obtenu l'accord des parties et celui de l'expert judiciaire. Elle souligne qu'elle a orienté la procédure qu'elle a engagée à bref délai et que si ses préjudices ont perduré, ce serait à cause de l'attitude dilatoire de la partie adverse.

Elle évalue son préjudice économique à plus de 1,7 million d'euros lié à la perte de marchés. Elle demande une provision à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices et une mesure d'expertise pour le déterminer contradictoirement

Elle soutient que la clause limitative de responsabilité figurant dans les conditions générales de vente de la société Secmair lui sont inopposables en rappelant la règle selon laquelle le vendeur qui avait connaissance du vice caché ne peut se prévaloir d'une telle clause et que la qualité de professionnel de la société Secmair fait présumer irréfragablement cette connaissance sauf en cas de vente entre professionnels ce qui ne serait pas le cas selon elle.

La SAS Secmair prie la cour de :

Vu les articles 1103 et suivants du code civil,

- infirmer le jugement rendu le 1er décembre 2021 par le tribunal de commerce de Laval en ce qu'il l'a condamnée à payer à la société Roy TP les sommes suivantes : de 21.000 euros au titre d'un prétendu manquement à une obligation de conseil, 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens de première instance,

- constater que le véhicule épandeur gravillonneur est apte à son usage,

- constater que la société Roy TP a fait une utilisation incorrecte de l'embrayage, de l'épandeur gravillonneur lorsque le bras Greenswift était déployé,

- constaté que l'expertise judiciaire a permis d'établir que l'équipement arrière du camion a toujours fonctionné normalement et que le travail du bras Greenswift ne pose aucun problème en statique,

En conséquence,

- débouter la société Roy TP de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- débouter la société Roy TP de ses demandes incidentes,

Subsidiairement, si, par extraordinaire, la cour devait entrer en voie de condamnation à son encontre,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a limité le montant des sommes allouées à la société Roy TP à 21.000 euros,

- limiter tout éventuelle condamnation à un montant maximum de 10% HT du contrat soit une somme maximale de 21.000 euros,

En toutes hypothèses,

- débouter toute partie de ses demandes, fins et conclusions contraires aux présentes,

- condamner la société Roy TP à lui payer une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Roy TP aux entiers dépens de première instance et d'appel.

La Secmair conteste l'existence d'un vice caché ou d'une non conformité.

Elle affirme que l'engin répond bien aux besoins du client puisqu'il permet de regoudronner une route sur toute sa largeur avec la partie principale du camion mais également, en position statique, la reprise ponctuelle des nids de poule avec le bras articulé dont elle précise que l'amplitude d'utilisation est de quatre mètres.

Elle fait valoir que l'engin fonctionnait normalement en position statique pour traiter les nids de poule.

Elle prétend que lors de la mise en route, il a bien été spécifié au client que l'utilisation du bras devait se faire en position statique et qu'en outre, le bon sens commande d'utiliser l'embrayage avec parcimonie et non pas de le faire "patiner", ce que sait n'importe quel chauffeur.

Elle en déduit que les pannes sont dues exclusivement à la mauvaise utilisation de l'engin.

Elle conteste l'application au cas présent des dispositions du code de la consommation qui sont invoquées par la partie adverse et dénie toute obligation d'information et de conseil de sa part en faisant valoir que la société Roy TP est un professionnel de même spécialité qu'elle puisque l'une vend des engins de travaux publics tandis que l'autre réalise des travails publics.

Elle conteste les préjudices allégués qui seraient disproportionnées avec la somme modique de 5 000 euros qui permettait de remettre en état de marche le camion.

Soulignant que la société Roy TP a d'autres activités et d'autres engins et que l'obtention de marchés publics est aléatoire, elle estime qu'il ne peut être indéduit de ce qu'elle n'a pas obtenu certains marchés que c'est à cause des retards pris dans de précédents chantiers du fait de l'immobilisation de l'engin en cause.

Elle oppose une clause d'exonération de garantie et une clause limitative de responsabilité figurant dans ses CGV en faisant valoir que la partie adverse confond la clause limitative d'indemnisation avec une clause de non garantie des vices cachés.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe :

- le 12 juillet 2022 pour l'EURL Roy TP,

- le 30 septembre 2022 pour la SAS Secmair.

Motivation,

MOTIFS DE LA DECISION,

L'équipement vendu par la société Secmair comprend une partie à l'arrière destinée à répandre des gravillons au sol pour refaire la route sur toute sa largeur et un bras avant destiné à réparer les nids de poule, constitué d'un répandeur gravillonneur synchrone associé à un enrobeur projeteur. La brochure produite par la société Secmair décrit ce dernier équipement comme rendant la maintenance des routes rentable et efficace en permettant le traitement curatif des chaussées (nid de poule, déflashage, affaissement de rive, pelades...), et met en avant la grande amplitude d'exécution du bras qui limite les mouvements du véhicule.

Il est admis par les parties que les pannes dont se plaint la société Roy TP ont pour cause une sollicitation trop importante de l'embrayage du porteur et que cette trop grande sollicitation n'a lieu que pour l'utilisation du bras Greenswift lorsque le porteur est en mouvement. En dehors de cela, le matériel fonctionne normalement : l'équipement arrière du camion a toujours fonctionné normalement et le travail du bras Greenswift ne pose aucun problème en position statique. Il suffit que le porteur se déplace à la fin des séquences de travail pour chaque zone à traiter dans le rayon d'action du bras.

L'engin, dans sa fonction liée à l'utilisation du bras articulé n'est donc inadapté qu'à l'utilisation qu'en fait l'acheteur, à savoir une utilisation en mouvement qui, pour conserver une vitesse d'avancement constante en phase de travail, contraint le chauffeur à 'patiner' avec l'embrayage du fait que le fonctionnement du bras Greenswift requiert un régime moteur au moins égal à 800 tours/minute.

La garantie des vices cachés, prévue à l'article 1641 du code civil aux termes duquel «le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage, que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus», suppose que la chose soit impropre à l'usage auquel on la destine. Il faut que le défaut affecte l'usage de la chose et que le trouble soit d'une certaine gravité, lequel s'apprécie, en principe, au regard de la destination normale de la chose.

Si le vice empêche un usage inhabituel de la chose, le vendeur n'a sa garantie engagée que s'il l'avait acceptée, ce qui suppose qu'il en avait été informé par l'acheteur.

Et lorsque la chose ne satisfait pas à l'usage auquel elle est destinée, l'action intentée n'est pas une action en garantie des vices cachés, mais en responsabilité pour inexécution de l'obligation de délivrance, étant rappelé qu'en exécution de cette obligation, le vendeur est tenu à la remise d'une chose conforme au contrat.

Pour se prononcer sur le point de savoir si la chose délivrée était non conforme à ce qui a été convenu par les parties ou si elle était affectée d'un vice caché, il faut d'abord déterminer si le bras Greenswift équipant le porteur était normalement destiné à fonctionner en roulant.

Le vendeur prétend qu'il s'agit d'une utilisation qui n'était pas prévue.

Ni la brochure commerciale ni les documents contractuels ou le manuel d'utilisation ne comportent d'indication sur l'état statique ou en mouvement du porteur en cas d'utilisation du bras Greenswift. Il n'est pas démontré que lors de la démonstration de l'engin, en présence ou par vidéos, le porteur aurait été présenté en mouvement lorsqu'il opérait avec le bras Greenswift, ce qui, si tel avait été le cas, aurait mis en évidence qu'une telle utilisation nécessitait des débrayages répétés et donc dommageables.

Il n'est donc pas établi que cet engin a été vendu avec pour spécification de pouvoir faire fonctionner le bras Greenswift en mouvement.

La société Roy TP produit l'attestation de son ancien chauffeur qui est celui qui a reçu la formation délivrée par la société Secmair et qui affirme qu'au cours de celle-ci, il lui a été indiqué qu'un travail en avancement en jouant avec l'embrayage pour réguler la vitesse d'avancement était possible et même recommandé, ce qui est formellement contredit par ledit formateur qui a établi une attestation en ce sens.

Les attestations contradictoires fournies par l'acquéreur et le vendeur ne permettent pas de retenir qu'il aurait été dit au chauffeur qu'il pouvait solliciter l'embrayage pour pouvoir travailler en mouvement.

D'ailleurs, tel que le relève la société Secmair, il serait étonnant qu'un formateur professionnel puisse recommander une pratique qui, de la connaissance de tout professionnel, ne peut qu'endommager gravement l'embrayage.

Il n'est pas davantage établi que lorsque les pannes sont survenues, la société Secmair aurait été informée des conditions d'utilisation du matériel et qu'elle aurait, par ses recommandations de réduire le régime moteur, avalisé ce type d'utilisation. La lettre que la société Secmair a adressée à l'expert [O], le 16 janvier 2019, montre que si elle a recherché une solution technique pour permettre l'utilisation que faisait la société Roy TP du bras articulé, elle précisait que le coût de ces adaptations devait être supportées par l'acheteur.

Il n'est donc pas démontré que l'inaptitude de l'engin à utiliser le bras Greenswift en mouvement constituerait un défaut de conformité.

De même puisqu'il n'est pas établi que les caractéristiques convenues de l'engin étaient de pouvoir actionner le bras Greenswift en avançant le porteur, le fait que cette utilisation entraîne la ruine de l'embrayage ne constitue pas un vice caché.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que le véhicule gravillonneur était apte à son usage, ne présentait pas de vice caché et que les défauts mis en avant par Ia société Roy TP sont en réalité lies à une mauvaise utilisation du bras articulé.

En vertu de l'obligation d'information et de conseil qui pèse sur lui, le vendeur professionnel doit notamment prévenir son cocontractant des risques et avantages de la chose, l'éclairer dans son choix, s'enquérir de ses besoins exacts, l'informer des contraintes techniques de la chose vendue et de son aptitude à atteindre le but recherché, même si l'acheteur est un professionnel.

Toutefois le client, lorsqu'il est un professionnel, a également le devoir de se renseigner et d'indiquer quels sont ses besoins spécifiques. L'intensité de ce devoir varie en fonction de sa qualité, sa compétence ou encore de la diffusion des techniques.

Ainsi, le vendeur professionnel n'a pas l'obligation d'informer l'acquéreur professionnel des caractéristiques techniques de la chose si cet acheteur est à même d'en apprécier la portée.

Dans le cas présent, la société Roy TP est un professionnel des travaux publics œuvrant notamment dans les voiries et réseaux divers, au sein d'un groupe qui, selon un article du journal Sud-ouest publié le 26 novembre 2018 consacré à son dirigeant, dispose au total d'une soixantaine de machines, godets, pelleteuses, chargeurs, camions, pour le terrassement, les travaux VRD, réseaux secs et humides, assainissements, revêtement en enrobé ou béton désactivé, etc.

Le matériel livré répond aux besoins de l'acheteur puisqu'il permet de réparer les routes.

La compétence de la société Roy TP lui donnait les moyens de savoir que l'utilisation de l'équipement optionnel qu'elle achetait ne pouvait pas se faire en mouvement compte tenu du régime moteur requis pour le fonctionnement du bras, sauf à devoir débrayer de façon répétée, ce qu'aucun professionnel ne peut envisager.

La société Secmair n'avait donc pas l'obligation de s'informer auprès de son client des conditions d'utilisation auxquelles la société Roy TP destinait cet équipement puisque celle-ci était en mesure d'en appréhender les caractéristiques techniques lesquelles ne permettaient pas d'autre utilisation du bras qu'en position statique, ou à tout le moins, il lui incombait de se renseigner sur ce point.

Dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont retenu que la responsabilité de la société Secmair était engagée pour manquement à un devoir d'information ou de conseil.

La société Roy TP, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il n'y a pas lieu d'accueillir les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dispositif,

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté les parties de toutes leurs demandes plus amples ou contraires ;

Statuant à nouveau des autres chefs,

Rejette les demandes de la société Roy TP ;

Rejette la demande de la société Secmair au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Roy TP aux dépens de première instance et d'appel.