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Décisions

CA Caen, 2e ch. civ. et com., 28 septembre 2023, n° 21/01525

CAEN

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Carrefour Proximité France (SAS)

Défendeur :

Sovalvip (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Emily

Conseillers :

Mme Courtade, M. Gouarin

Avocats :

Me Joutet, Me Wilhelm, Me Dumur, Me Thill

T. com. Caen, du 26 mai 2021, n° 2020008…

26 mai 2021

En septembre 2009, La société Selima, M. [M] et Mme [M] ont créé la SARL Sovalvip dans le but d'exploiter un fonds de commerce de type 'supermarché' sis à [Localité 7] sous l'enseigne Marché plus appartenant à Carrefour.

La majorité du capital social de la SARL Sovalvip à hauteur de 74% est détenue par M. [M] et Mme [M], et une minorité de blocage, à hauteur de 26% est détenue par la société Selima, filiale à 100% de la société Profidis, détenue elle-même à 100% par la société Carrefour. Le gérant est M. [M].

Le 12 septembre 2011, la SARL Sovalvip et la société Carrefour proximité France (CPF) ont conclu un contrat de location-gérance pour une durée d'une année, reconductible tacitement pour une durée indéterminée, portant sur un fonds de commerce exploité sous l'enseigne Carrefour City sis [Adresse 9].

L'objet social de la société est l'exploitation d'un fonds de commerce de type supermarché sis à [Localité 8] sous enseigne Carrefour city ou toute autre enseigne appartenant au groupe Carrefour, à l'exclusion de toute autre.

Suivant acte notarié en date du 4 juillet 2014, la société CPF a cédé à la société Sovalvip ledit fonds de commerce, moyennant un prix de 370.000 euros, cette cession étant consentie sous la condition résolutoire d'exploitation du fonds de commerce cédé sous l'enseigne Carrefour City ou toute autre enseigne appartenant au groupe Carrefour pendant une période de 10 ans.

Dans le cadre de son activité d'exploitation dudit fonds de commerce, la société Sovalvip a conclu, le 25 juin 2014, un contrat de franchise avec la société Carrefour Proximité France (CPF) et un contrat d'approvisionnement avec la société CSF France, les deux pour une durée de 7 ans, tacitement renouvelables par période de 7 ans à défaut de dénonciation intervenue un an avant l'échéance de chaque période.

Par acte d'huissier de justice en date du 17 juin 2020, la société Sovalvip a dénoncé ces contrats avec effet au 24 juin 2021.

Le 24 septembre 2020, la société Sovalvip a demandé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à son égard.

Par jugement en date du 30 septembre 2020, le tribunal de commerce de Caen a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la SARL Sovalvip et désigné Me [W] [P] en qualité de mandataire judiciaire et la SELARL Trajectoire en qualité d'administrateur judiciaire.

Par déclaration au greffe en date du 16 octobre 2020, la SAS Carrefour Proximité France a formé tierce opposition au jugement rendu le 30 septembre 2020 prononçant l'ouverture d'une procédure de sauvegarde au profit de la SARL Sovalvip.

Par jugement du 26 mai 2021, le tribunal de commerce de Caen a :

- déclaré irrecevable la tierce opposition formée par la société SAS Carrefour proximité France à l'encontre du jugement rendu le 30 septembre 2020,

- confirmé la décision rendue le 30 septembre 2020 ouvrant la procédure de sauvegarde de la société Sovalvip,

- débouté la SARL Sovalvip de sa demande en dommages et intérêts,

- condamné la SAS Carrefour proximité France à payer à la SARL Sovalvip une somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SAS Carrefour proximité France aux entiers dépens, y compris les frais de greffe s'élevant à 106,11 euros.

Par déclaration en date du 3 juin 2021, la société CPF a fait appel de ce jugement.

La procédure a été communiquée au ministère public qui déclare s'en rapporter.

Par dernières conclusions en date du 29 septembre 2022, la société CPF demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Sovalvip de sa demande de dommages et intérêts au titre d'une prétendue résistance abusive,

- infirmer le jugement en ce qu'il a :

* déclaré irrecevable la tierce opposition formée par la société Carrefour proximité France à l'encontre du jugement rendu le 30 septembre 2020 ;

* confirmé la décision rendue le 30 septembre 2020 ouvrant la procédure de sauvegarde de la société Sovalvip ;

* condamné la société Carrefour proximité France à payer à la société Sovalvip une somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamné la société Carrefour proximité France aux dépens,

Statuant a nouveau,

- déclarer la société Carrefour proximité France recevable et bien fondée en sa tierce opposition,

- rétracter le jugement du 30 septembre 2020 du tribunal de commerce de Caen n°2020 006228 en ce qu'il a ordonné l'ouverture d'une procédure de sauvegarde judiciaire à l'encontre de la société Sovalvip,

- ordonner en outre qu'il soit fait défense d'exécuter le jugement du 30 septembre 2020 du tribunal de commerce de Caen contre Carrefour proximité France à peine de dommages et intérêts,

- débouter la société Sovalvip, son administrateur judiciaire, devenu commissaire chargé de veiller à l'exécution du plan de sauvegarde, et son mandataire judiciaire, de l'intégralité de leurs demandes, fins, moyens et prétentions,

- condamner la société Sovalvip à 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Par dernières conclusions en date du 14 septembre 2022, la société Sovalvip, Me [W] [P] ès qualités de mandataire judiciaire et la SELARL Trajectoire ès qualités d'administrateur judiciaire de la procédure de sauvegarde de la société Sovalvip, demandent à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en celles déboutant la société Sovalvip de sa demande indemnitaire,

En conséquence,

- débouter la société Carrefour proximité France de l'ensemble de ses demandes

comme étant irrecevables sinon en tout état de cause inféodées,

Statuant sur l'appel incident de la société Sovalvip et réformant le jugement qui l'a déboutée de sa demande indemnitaire,

- condamner la société Carrefour proximité France à verser à la société Sovalvip une indemnité de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- confirmer le jugement en ses autres dispositions non contraires au présent dispositif

En tout état de cause,

- condamner la société Carrefour proximité France à verser à la société Sovalvip, à Me [P] ès qualités ainsi qu'à Me [T] ès qualités une indemnité de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Carrefour proximité France aux dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières conclusions.

 

SUR CE, LA COUR

- Sur la recevabilité de la tierce-opposition

Selon l'article 582 du code de procédure civile, la tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l'attaque.

Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu'elle critique, pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit.

Selon l'article L661-2 du code de commerce les décisions statuant sur l'ouverture des procédures de sauvegarde sont susceptibles de tierce opposition.

Selon l'article 583 du code de procédure civile, est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque.

Les créanciers et autres ayants cause d'une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s'ils invoquent des moyens qui leur sont propres.

- Sur la fraude aux droits de la société CPF

L'appelante soutient que le jugement prononçant l'ouverture d'une mesure de sauvegarde judiciaire à l'égard de la société Sovalvip a été rendu en fraude de ses droits, que l'existence d'un risque d'état de cessation des paiements ne constitue pas un critère pertinent ou décisif pour caractériser l'absence de fraude, que la demande de la société Sovalvip d'ouverture d'une procédure de sauvegarde de justice s'inscrit dans un schéma frauduleux visant exclusivement à permettre à cette société de sortir de ses liens contractuels avec le groupe Carrefour et de lui permettre de poursuivre son activité sous une autre enseigne concurrente, que la société Sovalvip a fait preuve de déloyauté et participé à des agissements constitutifs de concurrence déloyale en rompant soudainement ses relations avec son franchiseur, cette rupture étant concomitante au début du mouvement de fronde des franchisés contre le réseau Carrefour, la mesure de sauvegarde demandée par Sovalvip s'inscrivant ainsi dans une stratégie initiée conjointement avec d'autres franchisés du groupe Carrefour et avec l'aide d'une enseigne concurrente, Système U, dans le but de détourner les franchisés de CPF et leurs fonds de commerce, en tentant d'instrumentaliser les outils de procédure collective pour organiser une sortie du réseau Carrefour et le ralliement au réseau concurrent.

L'appelante fait en outre valoir :

- le caractère douteux des difficultés économiques et de compétitivité invoquées par Sovalvip, appuyées par des études économiques rédigées par le cabinet Finexsi, alors que ce cabinet, de connivence avec Coopérative U Enseigne, réalise en réalité des études économiques de circonstance au bénéfice de ces franchisés aux fins de justifier, dans le cadre des procédures collectives sollicitées, de prétendues difficultés de nature insurmontables ;

- l'absence de transparence de la société Sovalvip à l'égard de son franchiseur, ce qui montrerait que le recours à la sauvegarde n'est qu'un moyen détourné pour tenter de changer de partenaire commercial au détriment du groupe Carrefour.

L'intimée expose que la fraude, dont la charge de la preuve incombe à l'appelante, vise l'hypothèse dans laquelle le débiteur provoquerait lui-même les difficultés économiques ou les simulerait, créant ainsi artificiellement les conditions d'application de l'article L 620-1 du code de commerce, ce qui n'est pas démontré en l'espèce.

Elle fait ainsi valoir que l'appelante ne dispose d'aucun élément permettant d'accréditer l'existence d'une tentative de déstabilisation du groupe Carrefour et la fraude manifeste à l'ouverture de la procédure de sauvegarde dès lors :

- qu'aucune procédure judiciaire pour concurrence déloyale n'a été engagée au fond à l'encontre de Sovalvip

- que le franchiseur ne peut plaider qu'une fraude à ses droits de franchiseur et n'a pas qualité pour plaider pour le compte d'autres entités du groupe Carrefour dont les contrats auraient été violés

- que la société Sovalvip a fait preuve de transparence en portant à la connaissance du tribunal de commerce la situation de conflit et la procédure en cours qui l'oppose à son franchiseur et que l'analyse menée par le tribunal à partir de ces éléments a permis de confirmer la matérialité et la réalité des difficultés auxquelles elle se trouvait exposée depuis plusieurs années,

- que la thèse de la fraude massive mise en avant par la société CPF est fallacieuse,

- que la société Sovalvip n'a pas rejoint le réseau de la coopérative U Enseigne accusée d'instrumentaliser les franchisés,

- que la société CPF ne peut pas soutenir que l'absence d'information et de démarche préalable à l'ouverture de la sauvegarde serait déloyale et contraire à une exécution de bonne foi des contrats qui la lient à Sovalvip,

- qu'il n'est pas possible de soutenir que la fraude serait constituée au motif que l'objectif masqué de SOVALVIP serait de profiter de l'ouverture de la sauvegarde pour changer de partenaire commercial, alors que les contrats de franchise et d'approvisionnement ont été déjà régulièrement dénoncés.

Selon l'article L620-1 du code de commerce, il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L. 620-2 qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.

La requête de la société Sovalvip du 24 septembre 2020 en vue de l'ouverture d'une sauvegarde expose des difficultés liées aux marges insuffisantes et à une trésorerie exangue mais aussi les difficultés rencontrées du fait de la dénonciation des contrats de franchise et d'approvisionnement, de l'impossibilité de changer d'enseigne ou de vendre le fonds compte tenu du pacte d'associé et précise qu'elle a besoin d'une aide dans la gestion de la fin de la relation contractuelle de la société Carrefour.

Il n'apparaît pas que la société Sovalvip ait caché sa situation exacte au tribunal de commerce.

Il n'est pas démontré que la société Sovalvip a provoqué elle-même les difficultés financières qu'elle invoque ou les a simulées c'est à dire qu'elle a artificiellement provoqué de manière délibérée les difficultés qu'elle indique ne pouvoir surmonter.

Il sera relevé que la dénonciation des contrats de franchise et d'approvisionnement a été faite dans les conditions prévues contractuellement.

Au moment de la demande de la sauvagarde, ces contrats étaient encore en cours et c'est l'évolution de la situation de la société de 2015 à 2019 concernant le chiffre d'affaires, le résultat, les fonds propres, la capacité d'autofinancement, les marges commerciales qui a été examinée.

Il n'est pas soutenu que les chiffres communiqués de 2015 à 2019 ne reflétaient pas la réalité de la société.

La société Sovalvip n'était pas tenue de prévenir la société CPF de sa démarche d'autant qu'elle avait résilié le contrat de franchise la liant à cette dernière.

Le courrier du 4 novembre 2019 de la société CPF démontre que celle-ci savait que sa franchisée se plaignait de sa rentabilité.

Elle avait reçu le courrier dénonçant le contrat de franchise et ne pouvait ignorer les difficultés qui en résulteraient pour la société Sovalvip.

Hors le cas de fraude, l'ouverture de la procédure de sauvegarde ne peut être refusée au débiteur, au motif qu'il chercherait ainsi à échapper à ses obligations contractuelles, dès lors qu'il justifie par ailleurs de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter et qui sont de nature à la conduire à la cessation des paiements.

(Com. 8 mars 2011, n°10-13.988).

Il n'est pas établi que 'le mouvement de fronde' de ses franchisés invoqué par la société CPF, même si ceux-ci ont pu se concerter pour dénoncer certaines pratiques, est constitif d'une concurrence déloyale ou d'un comportement fautif.

Il ne peut par ailleurs être déduit de ce mouvement que la demande de mesure de sauvegarde procédait nécessairement d'une intention frauduleuse et qu'elle visait à instrumentaliser cette procédure pour atteindre un objectif étranger à la procédure collective en dehors de toute considération de la situation de la société Sovalvip alors que l'administrateur judiciaire a reconnu que la procédure de sauvegarde était opportune au vu des difficultés de la société.

L'ouverture d'une procédure de sauvegarde ne portait pas en tant que telle préjudice à la société CPF.

Dans son rapport du 30 novembre 2020, l'administrateur judiciaire précisait : ' Bien évidemment, le maintien dans le réseau Carrefour demeure possible et compatible avec les enjeux de la procédure de sauvegarde, sous réserve d'une amélioration des résultats par l'effet d'une meilleure marge'.

Les décisions intervenues postérieurement n'ont pas lieu d'être prises en compte pour apprécier les conditions d'ouverture de la mesure de sauvegarde qui s'apprécient au jour où la décision est prise.

Au vu de ces éléments, il n'est pas établi que la décision de sauvegarde a été prise en fraude des droits de la société CPF.

- Sur les moyens propres

L'appelante estime qu'en qualité de franchiseur, elle dispose de moyens qui lui sont propres et sont relatifs à la poursuite de l'exploitation du point de vente concerné sous son enseigne et l'utilisation de son savoir-faire ainsi qu' aux stipulations contractuelles prévoyant l'exploitation du fonds de commerce de la société Sovalvip sous enseigne Carrefour, à l'exclusion de toute autre, que par ailleurs, la demande de sauvegarde est fondée sur les prétendues difficultés économiques et juridiques rencontrées par la société Sovalvip avec son franchiseur, et la nécessité d'obtenir « un levier de négociation » avec celui-ci.

Les intimés font valoir que la notion de moyen propre doit être comprise comme le moyen qui ne doit pas pouvoir être invoqué par n'importe quel autre créancier et que la société CPF ne fait que dénoncer les effets légaux de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde judiciaire.

La société CPF a conclu un contrat de franchise avec la société Sovalvip dont l'objet social est l'exploitation d'une enseigne Carrefour à l'exclusion de toute autre.

Le contrat de cession du fonds de commerce du 4 juillet 2014 conclu entre la société CPF et la société Sovalvip prévoit une condition résolutoire d'exploitation du fonds de commerce sous l'enseigne Carrefour et l'engagement du cessionnaire de ne rien faire pendant un délai de 10 ans qui puisse affecter l'usage de l'enseigne Carrefour, en la retirant de sa propre initiative.

La société CPF soutient être victime d'une instrumentalisation de la procédure collective puisque selon elle la demande de sauvegarde a été faite pour détourner les clauses statutaires et le schéma contratuel visant à maintenir l'exploitation du fonds de commerce sous enseigne Carrefour.

Ce moyen ne pouvait pas être invoqué par tous les créanciers et n'est pas inhérent

à la procédure.

La société CPF justifie ainsi d'un moyen propre et sa tierce opposition doit être jugée recevable.

Le jugement entrepris est infirmé en ce sens.

- Sur l'ouverture d'une sauvegarde

Selon l'article L620-1 du code de commerce, il est institué une procédure de sauvegarde ouverte sur demande d'un débiteur mentionné à l'article L. 620-2 qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu'il n'est pas en mesure de surmonter. Cette procédure est destinée à faciliter la réorganisation de l'entreprise afin de permettre la poursuite de l'activité économique, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif.

La société CPF soutient que la demande d'ouverture d'une procédure de sauvegarde s'inscrit en fraude de ses droits et que ce seul motif est suffisant en soi à justifier la rétractation du jugement ouvrant la sauvegarde de Sovalvip.

Elle précise qu'en outre les difficultés juridiques et économiques alléguées par la société Sovalvip étaient inexistantes au jour de l'ouverture de la sauvegrade et qu'en toutes hypothèses,qu'il n'est pas démontré qu'elles étaient insurmontables, que la trésorerie et le résultat bénéficiaire de 2020 démontrent que l'activité n'était pas structurellement déficitaire et que la société Sovalvip avait redressé ses résultats, que la société Sovalvip, qui ne démontre pas que l'enseigne Carrefour serait moins rentable que l'enseigne concurrente Système U, avait les moyens matériels et financiers de mettre en oeuvre les actions et leviers proposés par la société CPF afin d'optimiser ses marges et fidéliser sa clientèle.

Les intimés indiquent qu'en l'espèce l'ouverture de la procédure de sauvegarde de la société Sovalvip était incontestablement justifiée par des difficultés juridiques et économiques et la nécessité de réorganiser l'activité pour en permettre la continuation dans l'intérêt social, les difficultés économiques se fondant sur l'analyse comparative des comptes correspondant aux exercices clos de 2016-2019 et étant étroitement liées à des difficultés juridiques résultant notamment des contrat de franchise avec CPF et du contrat d'approvisionnement avec CSF outres diverses conventions accessoires, contrats formant un tout indivisible.

Il n' a pas été retenu que la décision de sauvegarde avait été prise en fraude des droits de la société CPF.

Il résulte de la comptabilité de la société Sovalvip que le résultat net de la société a été de 7 k€ en 2017, de -22 k€ en 2018 et - 18 k€ en 2019.

L'administrateur judiciaire précise, dans son rapport du 30 novembre 2020 qui analyse la situation au moment de la décision de sauvegarde, que le résultat de 2017 est en partie dû à un produit exceptionnel versé par la société CPF à hauteur de 12 500 € HT en raison de circonstances commerciales particulières.

Le chiffre d'affaire était de 1 999 797 en 2016, 1 922 056 euros en 2017, 1 924 167 en 2018 et 1 948 640 en 2019.

Les capitaux propres sont passés de 145 k€ en 2017 à 123 k€ en 2018 et 105 k€ en 2019.

Selon l'administrateur, les résultats déficitaires qui s'accumulent ont dégradé les fonds propres ainsi que la trésorerie consommée au fur et à mesure des exercices par le remboursement des prêts.

La capacité d'autofinancement est passée de 40 087 euros en 2016 à 23 352 euros en 2017, 20 258 euros en 2018 et 15 164 euros en 2019.

L'administrateur judiciaire souligne que l'opération avait été montée en fonction d'un chiffre d'affaires qui devait être supérieur à 2000 k€ dès la première année d'exploitation avec une progression exponentielle et que ces chiffres n'ont pas été atteints.

Il relève :

- que si la marge commerciale demeure constante sur les exercices postérieurs à 2015/2016, le niveau d'activité, inférieur aux prévisions, impacte directement le niveau de capacité d'autofinancement généré qui est insuffisant pour couvrir la charge de remboursement des prêts et les quelques investissements ;

- que la demande de sauvegarde fait apparaître un niveau de trésorerie positif et confortable qui, en réalité, est quasiment nul si l'on intègre les dettes échues ainsi que le règlement des charges courantes à très brèves échéances (dont les salaires).

L'expert-comptable de la société a établi des tableaux prévisionnels qui confirment selon l'administrateur judiciaire la nécessité de favoriser le financement de la poursuite d'activité en gelant notamment les prêts alors que l'exploitation ne génère pas d'autofinancement. Ces prévisions d'exploitation faisaient apparaître un résultat net après impôts de - 1535 euros en octobre 2020, 1480 euros en novembre 2020 et de 320 euros en décembre 2020.

Les difficultés repérées étaient les suivantes :

- la dégradation progressive des fonds propres et de la trésorerie compte tenu d'une exploitation déficitaire et d'une capacité d'autofinancement par conséquent insuffisante pour couvrir la charge des emprunts,

- sur le plan juridique, le terme des contrats de franchise et d'approvisonnement et les entraves liées aux statuts et au contrat de cession du fonds de commerce.

Il sera relevé que si les chiffres de l'année 2020, qui n'étaient pas définitivement arrêtés lors lors de l'ouverture de la procédure de sauvegarde, sont certes meilleurs, le résultat étant redevenu positif (22 043 euros) et la capacité d'autofinancement étant de 28 480 euros, ils interviennent cependant, comme l'a relevé le tribunal, dans le cadre d'une conjoncture exceptionnelle liée à la crise sanitaire. Le tribunal a relevé que le chiffre d'affaires avait connu une forte hausse de février à mai 2020 pour revenir aux chiffres des exercices précédents sur les mois suivants.

Les difficultés ainsi justifiées de la société sont existantes depuis plusieurs années et sont dues à une marge commerciale insuffisante.

Dans un rapport du 22 février 2021 adressé à l'administrateur judiciaire, la société Carrefour proximité reconnaît que la SARL Sovalvip est en termes de part de chiffre d'affaires réalisé par la marque propre Carrefour et les produits bios, la dernière de la région Ouest représentant 143 magasins City.

Il n'apparaît pas que les propositions faites dans ce rapport aient été formulées à la SARL Sovalvip antérieurement alors que la société CPF, franchiseur, disposait de données sur les résultats de sa franchisée.

Le tribunal a retenu que les marges commerciales étaient insuffisantes et dues notamment aux conditions de prix imposées par Carrefour.

Les rapports Finexsi produits aux débats concluent pour plusieurs franchisés à un manque de compétitivité par rapport à l'enseigne U.

L'appelante critique ces analyses faites selon elle à la demande d'un concurrent.

Elle leur oppose un rapport Abergel qu'elle a elle-même commandé et qui ne peut être considéré comme plus neutre.

Toutefois, l'étude Linéaire 2019 sur la rentabilité des franchisés fait apparaître les difficultés des enseignes Carrefour City par rapport à d'autres enseignes(pièce 31 des intimés).

La société Sovalvip du fait des modalités du contrat d'approvisionnement, et de l'indemnité due en cas de non respect du taux de fidélité, n'a en outre pas de liberté d'approvisionnement.

L'administrateur judiciaire dans son rapport du 30 novembre 2020 qui fait l'état des lieux de la situation au moment de l'ouverture de la sauvegarde confirme que l'amélioration de la marge commerciale constitue une condition indispensable au retournement des résultats et qu'il y a lieu de trouver des solutions d'approvisionnement 'largement plus satisfaisantes'.

Il précise que le maintien dans le réseau Carrefour demeure possible et compatible avec les enjeux de la procédure de sauvegarde sous réserve d'une amélioration des résultats par l'effet d'une meilleure marge.

Au 30 novembre 2020, il était noté que le groupe Carrefour n'avait pas cherché à prendre attache avec l'administrateur judiciaire notamment concernant le maintien des contrats.

Il ressort du rapport de l'administrateur judiciaire que la sauvegarde a comme premier effet de geler les prêts en cours et de reconstituer artificiellement la trésorerie permettant ainsi le financement de la poursuite d'activité et au dirigeant de mettre en oeuvre des actions correctives de son compte de résultat.

L'administrateur judiciaire a admis le risque d'une situation de cessation des paiements rapide sans la procédure de sauvegarde.

Il apparaît ainsi que la société Sovalvip n'était pas en mesure de surmonter les difficultés qu'elle rencontrait.

La procédure de sauvegarde lui donnait des outils nécessaires pour se réorganiser afin de permettre la poursuite de l'activité.

Au vu de ces éléments, la mesure de sauvegarde est justifiée et il n'y a pas lieu à rétractation de la décision du 30 septembre 2020.

- Sur la demande de dommages et intérêts

La tierce opposition de la société CPF a été jugée recevable.

Il n'apparaît pas que l'action de la société CPF soit constitutive d'un abus du droit d'agir.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par les intimés.

- Sur les demandes accessoires

Les dispositions du jugement entrepris relatives à la condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, exactement appréciées, seront confirmées.

La société CPF, qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel, à payer aux intimés, unis d'intérêt, la somme de 7000 euros au titre de d'indemnité de procédure en cause d'appel et déboutée de sa demande formée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe ;

Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a jugé irrecevable la tierce opposition formée par la société Carrefour proximité France ;

Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;

Statuant à nouveau du chef des dispositions infirmées et y ajoutant ;

Juge recevable la tierce opposition formée par la société Carrefour proximité France ;

Au fond, rejette la demande de rétractation du jugement du tribunal de commerce de Caen du 30 septembre 2020 ;

Condamne la société Carrefour proximité France à payer à la SARL Sovalvip, à Maître [P], ès qualités de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde et à la SELARL Trajectoire, ès qualités d'administrateur judiciaire à la procédure de sauvegarde, unis d'intérêt, la somme de 7000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;

Condamne la société Carrefour proximité France aux dépens d'appel.