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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 septembre 2023, n° 21/21682

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Valoris Développement (SAS)

Défendeur :

PSJM (SAS), JMSP (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Brun-Lallemand

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Vignes, Me de Balmann, Me Grappotte-Benetreau, Me Saunier-Plumaz

T. com. Paris, du 10 nov. 2021, n° 20210…

10 novembre 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société Valoris Développement (ci-après "Valoris") a pour activité l'exploitation d'un réseau d'agences franchisées dans le secteur du service d'intérim, sous l'enseigne Temporis.

M. [H] [O] a signé avec ce franchiseur un contrat le 19 juin 2014, agissant à titre personnel et pour le compte de la société PSJM en cours de formation. Ce contrat l'autorisait à exploiter le concept Temporis pendant une durée de 7 ans sur un territoire exclusif défini dans le contrat à la zone de [Localité 6] telle que précisée dans l'annexe n°1 (des points d'accueils devant être ouverts à [Localité 9] et Vienne).

Ce contrat a donné lieu à avenants des 19 juin 2014 et 8 septembre 2019 "afin de relier les sociétés JMSP, HPJMS et Mme [O] au contrat de franchise" et modifier le territoire d'exclusivité "afin de rationaliser la zone notamment dans un souci de cohérence des bassins d'emplois la composant", "toutes les autres clauses du contrat de franchise signé le 19 juin 2014 demeurant inchangées".

Courant janvier 2021, le franchiseur a expédié un document d'information pré-contractuel (DIP) accompagné du mot de la présidente fondatrice du réseau indiquant : "la remise de ce DIP est un signal fort, illustrant notre envie d'aller plus loin dans la relation franchiseur/franchisé pour une nouvelle période de 7 ans" (envoi Docusign consulté par le franchisé le 28 janvier 2021).

Par LRAR du 22 avril 2021 adressé notamment au nom des sociétés PSJM et JMSP, M. [H] [O] a indiqué à Valoris qu'il n'y serait pas donné suite pour les raisons suivantes :

"Conformément aux stipulations 5.1 et 5.2 du contrat en date du 19 juin 2014 et son avenant du 8 janvier 2019, nous avions pleinement pris acte de votre volonté de ne pas renouveler ce contrat, faute de notification de votre part reçue le 19 décembre 2020.

Nous en avions donc dès lors tiré toutes conséquences et pris toutes mesures afin de satisfaire à nos obligations de désaffiliation avec effet au 18 juin 2021.

Outre le contexte sanitaire qui a fortement impacté notre activité, nous ne pouvons donc pas revenir sur cette expiration "automatique", conformément aux stipulations du contrat précité et de son avenant".

Cette analyse a été contestée le 4 mai 2021 par Valoris en ces termes :

"Que vous ne vouliez pas renouveler votre contrat est une chose ; que vous tentiez (...) de nous imputer ce choix en est une autre. (...)

S'il doit dès lors être pris acte d'une chose, c'est bien de votre volonté -à vous et à vous seuls- de mettre fin à notre partenariat et vous précisez d'ailleurs avoir d'ors et déjà pris toute mesure (...).

Vous pouvez toujours revenir sur votre décision mais si vous la maintenez, vous devez savoir qu'il vous appartiendra de respecter votre obligation de non concurrence post-contractuelle d'un an, telle qu'édicté par l'article 12.3 de votre contrat de franchise".

Le 26 mai 2021, suite à un nouveau courrier des franchisés du 20 mai 2021 indiquant "n'avoir pu que prendre acte du non renouvellement de notre contrat de votre initiative", le conseil de Valoris leur a adressé un courrier complémentaire mentionnant :

"Dès lors qu'il est dument établi que c'est vous et non pas elle qui prétendez ne pas voir renouveler le contrat de franchise à l'échéance du 18 juin prochain, ma cliente entend voir respecter l'obligation de non concurrence post-contractuelle à laquelle vous ne sauriez échapper sous couvert d'une interprétation déformée des stipulations contractuelles et de l'allégation selon laquelle le dernier alinéa de l'article 12.3 pourrait s'appliquer à votre profit. (...)

Rien ne s'opposerait cependant à ce que vous reconsidériez votre position, ma cliente vous ayant de longue date adressé un DIP contenant le contrat de renouvellement qu'il vous suffirait de régulariser".

Il n'a pas été donné suite à cette proposition.

Suite au non renouvellement du contrat de franchise à l'échéance, les intéressés n'ont pu s'accorder sur l'application de la clause de non-concurrence.

Par acte du 5 juillet 2021, la société Valoris Développement a assigné les sociétés JMSP, PSJM et M. [O] en référé devant le tribunal de commerce de Paris. Cette affaire a fait l'objet d'un renvoi au fond sur le fondement de l'article 837 alinéa 1 du code de procédure civile.

Par jugement du 10 novembre 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- Dit la clause de non-concurrence figurant à l'article 12.3 du contrat de franchise inapplicable en l'espèce,

- Débouté la société Valoris Développement de l'ensemble de ses demandes,

- Condamné la société Valoris Développement à verser une somme de 6 000 € aux sociétés JMSP et PSJM et M. [O] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, somme que les intéressés feront leur affaire de répartir entre eux,

- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- Condamné la société Valoris Développement aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 111,51 € dont 18,37 € de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 9 décembre 2021, la société Valoris Développement a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 10 mars 2022, la société Valoris Développement demande à la Cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

- Juger l'article 12.3 du contrat de franchise du 19 juin 2014 opposable à M. [H] [O] et aux sociétés PSJM et JMSP ;

- Faire injonction à M. [H] [O] et aux sociétés PS M et JMSP de cesser sous astreinte de 1500 € par jour et par infraction constatée l'activité d'exploitant d'une agence d'intérim dans la zone d'exclusivité telle que définie à l'annexe 1 du contrat de franchise du 19 juin 2014 et ce, pendant un an à compter du 18 juin 2021 ;

- Les condamner solidairement à payer à la société Valoris Développement - sauf à parfaire - la somme de 90 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation depuis le 18 juin 2021 et à ce jour de l'obligation de non-concurrence post-contractuelle ;

- Les condamner solidairement à payer à la société Valoris Développement la somme de 12 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Les condamner solidairement aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 18 mai 2022, les sociétés PSJM et JMSP ainsi que M. [H] [O], demandent à la Cour :

Vu les dispositions de l'article 9 de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ;

Vu les articles 1103, 1134 (ancien), 1240 et 1343-2 du code civil ;

Vu les articles 32-1, 559, 696, alinéa 1, 699, 700 du code de procédure civile ;

Vu la jurisprudence et la doctrine citées et produites aux débats et l'ensemble des pièces versées ;

- Juger recevable mais non fondé l'appel de la société Valoris Développement du jugement du tribunal de commerce de Paris du 10 novembre 2021 ;

- Débouter la société Valoris Développement de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions ;

- Juger en outre que le comportement procédural de la société Valoris Développement est abusif,

En conséquence :

- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et, y ajoutant ;

- Condamner la société Valoris Développement à payer aux sociétés JMSP et PSJM et à M. [O], en réparation du préjudice que leur occasionne son comportement procédural abusif, une somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts, qui feront leur affaire de se répartir entre eux ;

- Juger que cette somme de 50 000 € produira intérêts au taux légal à compter de la date de notification des premières conclusions des sociétés JMSP et PSJM et M. [O], soit le 7 mars 2022, conformément au mécanisme de l'anatocisme, que les intérêts légaux seront liquidés et capitalisés chaque année pour produire à nouveau intérêts au taux légal, et ainsi de suite chaque année jusqu'au apurement total du principal et des intérêts ;

- Condamner la société Valoris Développement aux entiers dépens de première instance et d'appel, avec distraction au profit de Maître Grappotte-Benetreau, avocate associée au sein de la SCP éponyme, avocate postulante constituée, sur ses offres de droit ;

- La condamner au paiement d'une somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2023.

MOTIVATION

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

Sur l'applicabilité de la clause de non-concurrence

Exposé du moyen :

La société Valoris fait observer que le franchisé ne conteste pas en l'espèce, y compris à titre subsidiaire, la validité de la clause de non-concurrence, mais uniquement son applicabilité. Elle s'oppose à cette analyse, se référant à la position qu'elle a développée dès son courrier adressé au franchisé le 4 mai 2021 : "Vous nous rendez responsable de l'expiration "automatique" de votre contrat contre laquelle vous ne pourriez revenir alors que nous vous l'avons proposé. A l'évidence, votre position est totalement infondée et contraire tant à l'esprit qu'à la lettre de notre contrat de franchise, l'exception derrière laquelle vous prétendez vous abriter pour échapper à vos obligations post-contractuelles ne pouvant jouer que dans un cas précis, à savoir lorsque le franchisé a sollicité la poursuite des relations et que le franchiseur le lui a refusé. C'est là -et seulement là- que l'on peut admettre que le franchisé, exclu à son corps défendant du réseau, peut être exempté de son obligation de non concurrence post-contractuelle".

Elle allègue avoir tenté de joindre les franchisés à plusieurs reprises en décembre 2020 pour connaître leurs intentions et faire savoir être tout à fait disposée à signer un nouveau contrat, mais que ce n'est qu'en janvier qu'il a été enfin répondu à ses appels. Suite à une conversation téléphonique avec Mme [O], une DIP a été adressée, formalisant le réengagement proposé. Elle ajoute que les conventions doivent s'exécuter de bonne foi et qu'il ne peut être raisonnablement soutenu que le 28 janvier 2021, près de 6 mois avant l'échéance du contrat, le franchiseur se serait irrémédiablement trouvé privé de la possibilité de proposer au franchisé le renouvellement du contrat.

Elle observe enfin que le juge des référés a acté, dans le dispositif de son ordonnance du 8 juillet 2021, qu'il avait été à nouveau, à la barre, proposé aux défendeurs de poursuivre le contrat de franchise, et que "les franchisés, M. [H] [O] et son épouse, présents à l'audience, ont exprimé leur volonté de poursuivre leur activité de façon indépendante".

Les sociétés P S J M et JMSP ainsi que M. [O] estiment qu'il ressort de l'article 5.2 du contrat de franchise que la possibilité d'un renouvellement est conditionnée par la notification par la partie souhaitant celui-ci de son intention à l'autre partie au moins six mois avant la fin du contrat.

Ils soutiennent par ailleurs que dans le projet de contrat qui leur a été adressé en annexe du DIP, l'article 12.3 comportant la clause de non concurrence aujourd'hui discutée est devenu un article 10.3 qui intègre différentes modifications, dont notamment la suppression de l'alinéa disposant que l'obligation de non-concurrence ne s'applique pas dans l'hypothèse où, à l'échéance du contrat, le franchiseur ne souhaite pas renouveler ce dernier. Cette évolution leur parait particulièrement parlante.

Réponse de la Cour :

L'article 12.3 du contrat de franchise litigieux stipule :

"(A)fin de préserver le savoir-faire, la réputation, l'identité commune et l'image de marque Temporis, le franchisé s'interdit de poursuivre l'activité de services d'intérim et ce pendant une durée d'une année à compter de la cessation des relations contractuelles. (')

Cette obligation ne s'appliquera pas dans l'hypothèse où, à l'échéance du contrat, le franchiseur ne souhaite pas renouveler le contrat du franchisé".

Au cas présent, il est démontré que le franchiseur a, au plus tard par envoi du DIP en janvier 2021, ouvert positivement la discussion sur un renouvellement du contrat de franchise, manifestant son intention de le renouveler. Il a par la suite réitéré de façon constante cette position.

Le franchisé, se référant aux articles 5.1 et 5.2 du contrat, et considérant que l'expiration était "automatique", a fait connaitre en réponse par LRAR, le 22 avril 2021, avoir "pris toute mesures afin de satisfaire à (ses) obligations de désaffiliation avec effet au 18 juin 2021".

Cependant, l'existence de l'obligation de non-concurrence post-contractuelle ne dépend pas des dispositions (auxquelles il n'est pas renvoyé) insérées à l'article 5 du contrat, lesquelles ont pour principal objet de prévoir expressément un cadre de négociation en cas de renouvellement de contrat, s'agissant du versement comptant au franchiseur, au jour de la signature du nouveau contrat, d'un droit de renouvellement d'un montant égal à la différence entre la redevance initiale forfaitaire (RIF) en vigueur lors de la signature du nouveau contrat et la RIF payée précédemment.

Il s'ensuit :

- que l'obligation de non-concurrence post-contractuelle ne s'applique pas lorsque, ainsi qu'il est stipulé au dernier alinéa de l'article 12.3 du contrat de franchise litigieux, "à l'échéance du contrat, le franchiseur ne souhaite pas renouveler le contrat du franchisé", sans que les conditions de son application dépendent de délais impératifs (préfix) pour que ce dernier fasse connaitre sa position, ni que soit précisée la manière par laquelle le franchiseur manifeste son intention ;

- que la clause de non-concurrence post-contractuelle ne trouve pas à s'appliquer lorsqu'il est établi, in concreto, que le franchiseur ne souhaitait pas, à l'échéance du contrat, renouveler ce dernier.

Il est constant en l'espèce que le franchiseur a de façon non équivoque fait connaitre son souhait de renouveler le contrat à son échéance en juin 2021. C'est le franchisé qui, à compter d'avril 2021, n'a pas estimé devoir donner suite aux propositions de Valoris pourtant réitérées en ce sens, y compris postérieurement.

La clause de non-concurrence est donc applicable.

Le jugement attaqué est infirmé.

Sur les demandes de Valoris Développement

Exposé du moyen :

La société Valoris maintient sa demande d'injonction sous astreinte mais observe que l'obligation de non-concurrence a en toute hypothèse expiré le 18 juin 2022.

Elle sollicite donc que les intimées soient "sanctionnées par la voie de dommages et intérêts" et sollicite la somme de 90 000 euros pour irrespect de l'obligation de non-concurrence sciemment méconnue par M. [O] et les sociétés PSJM et JMPS.

Selon les sociétés PSJM et JMSP ainsi que M. [O], la Cour jugera impossible le maintien de la demande d'application en nature de la clause de non-concurrence et ne pourra que débouter l'appelante de sa demande consécutive.

Réponse de la Cour :

La Cour observe qu'il appartient à la partie qui demande réparation du préjudice causé par la non-exécution de la clause de non-concurrence, de justifier de l'importance de ce préjudice. Or Valoris n'a fourni aucun élément permettant de caractériser une perte subie ou un gain manqué.

La Cour retient qu'il s'infère cependant nécessairement de l'irrespect de la clause de non-concurrence une diminution de l'avantage concurrentiel de Valoris.

En l'état des éléments en sa possession, ce préjudice doit être réparé par l'allocation de la somme de 6 000 euros.

La Cour constate par ailleurs que la demande d'injonction sous astreinte, laquelle porte la période du 18 juin 2021 au 18 juin 2022, est dépourvue aujourd'hui de tout objet.

Sur les autres demandes

Le sens de l'arrêt impose que de pas faire droit à la demande des intimés fondée sur l'article 559 du code de procédure civile, l'appel principal n'étant pas abusif.

Il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Valoris les frais irrépétibles qu'elle a contrainte d'exposer pour faire valoir ses droits en justice. Les sociétés PSJM et JMSP ainsi que M. [O] seront en conséquence condamnés à lui verser chacun la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Ces parties sont déboutées de leur demande formée à ce titre.

Parties perdantes, elles seront condamnées aux dépens.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne solidairement M. [H] [O], la société PSJM et la société JMPS à verser à la société Valoris Développement la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la violation de l'obligation de non concurrence post-contractuelle prévue à l'article 12. 3 du contrat de franchise ;

Déboute les parties de leurs autres demandes ;

Condamne M. [H] [O], la société PSJM et la société JMPS à verser chacun à la société Valoris Développement la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne M. [H] [O], la société PSJM et la société JMPS aux dépens de première instance et d'appel.