Livv
Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 septembre 2023, n° 21/00503

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

SCP Louis et Lageat (ès qual.), Natloc (SARL)

Défendeur :

ADA (SA), EDA (SA), ADA Services (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Girard, Me Lesne, Me Ingold, Me Istria

T. com. Paris, du 1er avril 2020, n° 201…

1 avril 2020

FAITS ET PROCEDURE

La SA ADA exerce une activité de location de véhicules automobiles utilitaires et de tourisme à travers un réseau de commerçants indépendants bénéficiaires d'un contrat de franchise. Son réseau de franchisés regroupe environ 350 agences exploitées en France.

La SA EDA, filiale de la SA ADA, a pour activité commerciale la location de courte durée de véhicules automobiles. Centrale d'achat de la SA ADA, elle propose à ses franchisés, pour les besoins de l'approvisionnement de leur parc de véhicules, les conditions tarifaires que les constructeurs et concessionnaires automobiles sont susceptibles d'offrir au réseau ADA ainsi que, s'ils ne peuvent obtenir par eux-mêmes les fonds nécessaires, des contrats de moyenne ou longue durée de sous-locations de véhicules terrestres à moteur dont elle finance l'acquisition par des contrats de location financière qu'elle conclut directement avec les organismes financiers et qu'elle honore en percevant les loyers réglés par les franchisés en exécution des contrats de même nature dont la durée est alignée sur les précédents.

La SARL ADA Services assure la gestion et l'exploitation du service informatique du groupe.

Monsieur [T] [O] est le gérant de la SARL Natloc qui exerçait, jusqu'à sa liquidation judiciaire prononcée le 10 juin 2014, la SCP Louis et Lageat étant désignée en qualité de liquidateur judiciaire, une activité de location de véhicules automobiles.

Sur la base des éléments comptables et financiers échangés entre juin et août 2013, la SA ADA a conclu le 30 septembre 2013 avec la SARL Natloc, créée le 25 septembre 2013 par monsieur [T] [O] pour les besoins de la relation contractuelle, un contrat de franchise portant sur l'exploitation en exclusivité sous l'enseigne ADA de quatre agences sur les communes de [Localité 11], [Localité 8], [Localité 12] et [Localité 9]. Pour les besoins de l'exécution de ce contrat :

- la SA ADA a, par actes du 30 septembre 2013, cédé à la SARL Natloc le fonds de commerce exploité à [Localité 11], le droit d'entrée dû en exécution du contrat de franchise étant incorporé au prix d'acquisition, et conclu avec la SARL Natloc trois contrats de location gérance portant sur les agences de [Localité 8], [Localité 12] et [Localité 9] ;

- le même jour, la SA EDA a conclu avec la SARL Natloc un contrat de location de véhicules tandis que la SARL ADA Services régularisait avec elle un contrat portant sur l'utilisation du logiciel de comptabilité Unipro et de la tablette monétique.

La SARL Natloc rencontrait immédiatement d'importantes difficultés qui conduisaient à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire le 11 février 2014, la date de cessation des paiements étant fixée au 3 février 2014. Parallèlement, la SA ADA lui notifiait le 31 janvier 2014 la résiliation de plein droit du contrat de franchise pour défaut de paiement des sommes dues en son exécution, sanction qui fondait la rupture des autres contrats par les sociétés EDA et ADA Services le même jour.

C'est dans ces circonstances que la SARL Natloc, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, et monsieur [T] [O] ont, par acte d'huissier signifié le 7 mai 2018, assigné la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services devant le tribunal de commerce de Paris en indemnisation du préjudice causé par le déséquilibre significatif auquel la première a été soumise ainsi qu'en réparation du préjudice que leur a causé la rupture abusive des contrats.

Par jugement du 1er avril 2020, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la SARL Natloc, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, de ses demandes en paiement des sommes de 121 547,66 euros et 152 114 euros ;

- condamné in solidum la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services à payer à monsieur [T] [O] les sommes de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens ;

- rejeté les autres demandes des parties.

Par déclaration reçue au greffe le 30 décembre 2020, monsieur [T] [O] et la SARL Natloc, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 3 juillet 2023, monsieur [T] [O] et la SARL Natloc, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, demandent à la cour, au visa des articles 1134, 1165, 1304 et suivants (dans leur version antérieur à la réforme du droit des contrats), 1184, 1240, 1241 du code civil, L. 144-1 et suivants du code de commerce (dans sa version antérieur à la réforme SOIHILI), L. 330-3 et L. 442-1 du code de commerce et 700 du code de procédure civile :

- d'infirmer le jugement du tribunal de paris rendu le 1er avril 2020 en ce qu'il a débouté la SCP Louis et Lageat ès qualités de liquidateur de la SARL Natloc de ses demandes de paiement des sommes 121 547,66 euros et 152 114 euros, et limité l'indemnisation de monsieur [T] [O] à la somme de 5 000 euros de préjudice financier outre 20 000 euros de préjudice moral ;

- à titre principal, de :

* dire et juger que la SA ADA ne démontre pas avoir exploité ses fonds de commerce avant de les avoir confiés en location gérance à monsieur [T] [O] ;

* dire et juger que la nullité absolue s'applique à l'ensemble des contrats du package ADA, du fait de leur indivisibilité ;

* déclarer nuls de nullité absolue l'ensemble des contrats souscrits par la SARL Natloc avec les sociétés du groupe ADA (ADA, EDA, et EDA Services) ;

* en conséquence, condamner la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services in solidum à restituer à la SARL Natloc la somme de 145 697,61 euros ;

* condamner la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services in solidum à restituer à monsieur [T] [O] la somme de 90 093,77 euros, et à lui payer la somme de 50 000 euros de dommages et intérêts ;

- à titre subsidiaire, de :

* dire et juger le déséquilibre significatif des conditions financières imposées par les sociétés du groupe ADA à la SARL Natloc ;

* dire et juger l'ingérence des sociétés du groupe ADA sur les points clés de la gestion et de la direction de la SARL Natloc ;

* dire et juger le défaut d'assistance des sociétés du groupe ADA, en tant que franchiseur, à la SARL Natloc, franchisée ;

* dire et juger le déséquilibre significatif imposé à la SARL Natloc par les sociétés du groupe ADA ;

* dire et juger le préjudice subi directement par la SARL Natloc qui n'a pas été en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible ;

* condamner la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services solidairement à payer à la SCP Louis et Lageat, ès qualités de liquidateur de la SARL Natloc, la somme de 121 547,66 euros au titre de la perte éprouvée compte tenu du déséquilibre significatif imposé ;

* dire et juger que l'ensemble des contrats liant les sociétés du groupe ADA et la SARL Natloc sont des contrats à durée déterminée ;

* dire et juger que la résiliation de ces contrats est injustifiée en l'absence d'incidents de paiement ;

* dire et juger en sus le caractère anticipé et brutal de la résiliation de ses contrats par les sociétés du groupe ADA ;

* dire et juger le préjudice subi par la SARL Natloc ;

* condamner la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services solidairement à payer à la SCP Louis et Lageat ès qualités de liquidateur de la SARL Natloc la somme de 152 114 euros au titre de la perte de chance d'encaisser les gains prévus dans le prévisionnel ADA ;

* dire et juger le préjudice par ricochet subi par monsieur [T] [O] qui a été privé de l'ensemble de ses salaires pour le temps restant de l'exécution du contrat de franchise ;

* dire et juger le préjudice moral de monsieur [T] [O] ;

* condamner la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services in solidum à payer à monsieur [T] [O] la somme de 471 244 euros au titre de son préjudice financier, outre 50 000 euros de préjudice moral ;

- en tout état de cause, de :

* condamner la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services in solidum à payer la somme de 10 000 euros à monsieur [T] [O] au titre de ses frais irrépétibles ;

* condamner la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services in solidum aux entiers dépens.

En réponse, dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 mai 2023, la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services demandent à la cour, au visa de l'article 564 du code de procédure civile, de :

- déclarer la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services, recevables et bien fondées en leurs demandes ;

- ce faisant, juger la SCP Louis et Lageat, ès qualités, et monsieur [T] [O] irrecevables en leur demande de nullité des contrats de location gérance signés en 2013 par la SARL Natloc, pour être présentée pour la première fois en appel ;

- en tout état de cause, juger que la SA ADA a été dispensée du délai d'exploitation personnelle de deux ans pour confier l'exploitation de ses fonds de commerce de [Localité 8], [Localité 12] et [Localité 9] en location gérance à la SARL Natloc ;

- débouter les appelants de leurs demandes formées à ce titre ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er avril 2020 en ce qu'il a jugé que la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services n'avaient imposé aucun déséquilibre significatif à la SARL Natloc et en ce qu'il a rejeté les demandes de la SCP Louis et Lageat ès qualités à ce titre ;

- l'infirmer pour le surplus ;

- statuant à nouveau, juger que la résiliation des contrats conclus par la SARL Natloc n'est ni brutale, ni abusive, et juger que ni la SARL Natloc ni monsieur [T] [O] n'ont subi un quelconque préjudice du fait de cette résiliation ;

- en conséquence, débouter la SCP Louis et Lageat, ès qualités, et monsieur [T] [O] de l'ensemble de leurs demandes ;

- y ajoutant, condamner la SCP Louis et Lageat, ès qualités, et monsieur [T] [O] à payer à chacune des sociétés ADA, EDA et ADA Services une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et les condamner aux entiers dépens.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 juin 2023. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la recevabilité de l'action

- Sur l'intérêt à agir de la SCP Louis et Lageat.

Moyens des parties

Au soutien de leur fin de non-recevoir, la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services exposent que, par jugement du 22 avril 2014, le tribunal de commerce de Manosque a arrêté le plan de cession de la SARL Natloc selon les modalités prévues dans l'offre de la SA ADA et a ordonné la cession du fonds de commerce de la première à la seconde moyennant le prix de 100 000 euros, la SA ADA renonçant en contrepartie aux trois créances déclarées au passif de la SARL Natloc pour un montant total de 161 000 euros. Elle précise que la SCP Louis et Lageat s'est déclarée favorable à cette cession qui a permis le désintéressement de 80 % des créanciers. Elle en déduit que les créanciers n'ont pas été lésés et que le liquidateur n'a aucun intérêt à agir en la défense de leurs intérêts.

En réponse, la SCP Louis et Lageat, ès qualités, expose que l'offre de la SA ADA était motivée par son désir d'éviter une extension de la procédure à raison de l'imbrication des patrimoines des sociétés Natloc, ADA et EDA et que son avis favorable était assorti de réserves tenant notamment à l'insuffisance du prix de cession. Elle ajoute qu'il n'y a aucune contradiction à soutenir un plan de cession et à agir en responsabilité contre le cessionnaire à raison de l'exécution défectueuse et de la rupture des contrats qui les liaient à l'entreprise cédée, et que les créanciers n'ont été que partiellement désintéressés.

Réponse de la cour,

En vertu des articles 31 et 32 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir étant irrecevable. Et, conformément à l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Au sens de l'article 31, l'intérêt à agir s'entend de l'avantage de fait ou de droit attendu en cas de succès des prétentions, son appréciation est indépendante de l'examen des chances de réussite de l'action : la recevabilité de l'action n'est pas son bien-fondé.

La SCP Louis et Lageat, qui agit en sa qualité de liquidateur judiciaire représentant la SARL Natloc et exerce ses droits et actions sur son patrimoine pendant toute la durée de la liquidation judiciaire au sens de l'article L 641-9 du code de commerce, poursuit à titre principal la restitution des sommes versées en exécution des contrats et, à titre subsidiaire, l'indemnisation du préjudice causé par le déséquilibre significatif auquel l'aurait soumise la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services ainsi que la réparation du préjudice qu'a causé à la SARL Natloc la rupture abusive des contrats. Les sommes escomptées sont destinées à intégrer l'actif de la liquidation et à permettre le désintéressement de tous les créanciers, l'actif étant pour l'heure insuffisant ainsi que l'admettent les appelantes (page 8 de leurs écritures et pièces 35 et 38 des appelants), voire à constituer un boni de liquidation à distribuer à son associé unique. Leur perception constitue à l'évidence un avantage caractéristique de l'intérêt à agir.

Or, les moyens opposés en termes dubitatifs par la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services sont impropres à combattre cette analyse, l'adoption du plan de cession, peu important qu'il ait recueilli l'avis favorable des organes de la procédure collective qui n'implique aucune renonciation à leur droit d'agir pour d'autres causes, étant sans lien avec l'exercice d'une action en responsabilité délictuelle dont il n'affecte pas les conditions de recevabilité, le délai séparant les faits litigieux de l'assignation n'étant pas pertinent en l'absence de prescription.

En conséquence, cette fin de non-recevoir doit être rejetée et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

- Sur la recevabilité des demandes de nullité et de restitution.

Moyens des parties,

Au soutien de leur fin de non-recevoir, la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services exposent que, dans leurs conclusions du 24 septembre 2021, monsieur [T] [O] et la SCP Louis et Lageat présentent pour la première fois une demande de nullité des trois contrats de location gérance et, consécutivement, de l'ensemble contractuel indivisible. Elles en déduisent son irrecevabilité au visa de l'article 564 du code de procédure civile.

En réponse, la SCP Louis et Lageat, ès qualités, et monsieur [T] [O] exposent que cette demande tend aux mêmes fins que celles soumises au premier juge au sens de l'article 565 du code de procédure civile, le montant réclamé étant, comme l'objectif de reconstitution de l'actif qui est le gage commun des créanciers, le même.

Réponse de la cour

Conformément à l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

Et, en vertu de l'article 565 du code de procédure civile, les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Ainsi que le révèle l'exposé du litige du jugement entrepris, la SCP Louis et Lageat, ès qualités, sollicitait en première instance la condamnation de la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services à l'indemniser du préjudice causé par sa soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (121 547,66 euros) ainsi que celui né de la rupture abusive des contrats (perte de chance évaluée à 152 114 euros). Elle ne demandait pas la nullité des contrats et les restitutions corrélatives.

Dans ses dernières écritures, elle sollicite désormais que la Cour "déclare" nul l'ensemble des contrats souscrits et condamne la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services à restituer les sommes perçues en leur exécution. Elle forme ainsi une demande, additionnelle en application de l'article 65 du code de procédure civile puisqu'elle s'est ajoutée à sa demande initiale, et non une exception de nullité constituant un moyen de défense au fond au sens de l'article 71 du code de procédure civile.

Or, une action en responsabilité civile pour rupture abusive d'un contrat ou pour déséquilibre significatif, qui a une vocation purement indemnitaire et présuppose la validité des contrats ou des obligations, n'a rien de commun avec une action en nullité qui emporte leur anéantissement rétroactif et ouvre exclusivement droit, en elle-même et hors hypothèse du dol qui n'est pas ici en débat, à des restitutions. Et, celles-ci ont un fondement autonome au sens désormais des articles 1352 et suivants du code civil, non applicables au litige, et sont étrangères à la réparation d'un préjudice. Aussi, quoique portant sur des sommes de même montant, les prétentions ne tendent pas aux mêmes fins et la demande de nullité et de restitutions est nouvelle.

En conséquence, cette dernière sera déclarée irrecevable.

2°) Sur le déséquilibre significatif

Moyens des parties,

Au soutien de ses prétentions, la SARL Natloc, prise en la personne de son liquidateur judiciaire, expose que "le contexte de conclusion du "package ADA" [' était] déjà révélateur d'un certain déséquilibre", les chiffres d'affaires prévisionnels étant irréalistes au regard des mauvais résultats continus du précédent franchisé qui lui ont été dissimulés alors qu'ils laissaient présager de sérieuses difficultés d'exploitation. Elle précise que, dans ce contexte, le cout global d'entrée, le prix d'acquisition du fonds de commerce de [Localité 11], les frais d'équipement en matériel informatique et de gestion pour chaque agence ainsi que la fourniture d'un dépôt de garantie constituent des conditions financières" présent[ant] dans leur exécution un déséquilibre significatif ". Elle ajoute que le groupe ADA s'est ingéré dans sa gestion financière (prélèvements et compensations automatiques, paiements des clients crédités sur le compte de la SA EDA, facturations anormalement élevées au titre du contrat de location, tous ces éléments caractérisant une confusion des patrimoines) et que le déséquilibre significatif la plaçait dans un état de dépendance économique totale à son égard. Elle indique que la SA ADA s'est en outre immiscée dans sa gestion commerciale (détermination de l'ampleur du parc automobile, surdimensionné au regard de ses capacités). Elle précise par ailleurs que la SA ADA n'a pas exécuté son obligation d'assistance, pourtant particulièrement intense au commencement de l'activité, en dépit de ses demandes. Expliquant que les éventuels échecs antérieurs de son gérant ne justifient pas les carences des intimées, elle conteste toute faute de gestion. Elle indique ainsi que le choix du local de [Localité 11] n'est pas critiquable en l'absence d'autre site d'exploitation disponible, que celui-ci a été exploité dès le 1er octobre 2013, que l'embauche de deux salariés était indispensable au bon fonctionnement des quatre agences dans le respect de leurs droits au repos hebdomadaire et que la suppression d'un avantage en nature n'a pas entrainé le licenciement du chef d'agence de [Localité 12] qui a démissionné après avoir avoué un vol. Elle en conclut que, "par son manquement à une obligation d'agir, d'assister son franchisé mais également par son intrusion fautive dans les affaires de la société NATLOC, les sociétés ADA, EDA, et EDA SERVICES ont créé un déséquilibre significatif directement préjudiciable à la société NATLOC", ce dernier étant la cause directe de son état de cessation des paiements et sa perte subie étant égale au montant du passif déclaré.

En réponse, la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services contestent tout déséquilibre significatif et précisent à ce titre que :

- les contrats ont été conclus après de longues discussions éclairées par la remise du document d'information précontractuel, une synthèse financière des quatre agences et l'établissement de prévisionnels établis en partenariat avec la SARL Natloc. Elles ajoutent que la situation financière du précédent franchisé, qui a été placé en liquidation judiciaire postérieurement à la signature de ces conventions, ne lui a pas été dissimulée, et que les objectifs prévisionnels ont été atteints par la SARL Natloc, ses difficultés financières trouvant leur cause dans la mauvaise gestion de l'agence de [Localité 11]. Elles précisent sur ce plan que le déménagement inutile décidé par monsieur [T] [O] a, comme sa fermeture du 1er au 20 octobre 2013, entraîné une perte de clientèle et que l'embauche injustifiée de deux salariés a lourdement grevé ses finances tandis que la suppression de l'avantage en nature dont le personnel bénéficiait a dégradé leur activité ;

- le coût d'entrée dans le réseau était minime, l'essentiel des frais ayant de surcroît été intégrés dans le prix de cession du fonds de commerce de [Localité 11] et dans son crédit vendeur ;

- la SARL Natloc a conservé son indépendance dans sa gestion financière et commerciale, la pratique du prélèvement automatique de certaines redevances et de la compensation des créances réciproques n'étant pas fautive en l'absence de débits injustifiés ou de flux anormaux et aucune confusion des patrimoines n'étant prouvée. Elles ajoutent que la SARL Natloc avait la maîtrise du dimensionnement de son parc automobiles, qui était conforme au prévisionnel, et que la SA EDA a accepté dès la première demande de monsieur [T] [O] de reprendre les véhicules dont il avait déterminé seul le nombre ;

- la SA ADA a exécuté son obligation d'assistance dès le début de la relation contractuelle.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dans sa version applicable aux faits litigieux, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La caractérisation de cette pratique restrictive suppose ainsi la réunion de deux éléments : d'une part la soumission à des obligations, ou sa tentative, et d'autre part l'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

La soumission, ou sa tentative, implique la démonstration par tous moyens par la SARL Natloc, conformément à l'article 9 du code de procédure civile, de l'absence de négociation effective, ou de sa possibilité, des clauses ou obligations incriminées. Celle-ci, qui peut notamment être caractérisée par l'usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l'acceptation, ne peut se déduire de la seule structure d'ensemble du marché de la grande distribution, qui peut néanmoins constituer un indice de l'existence d'un rapport de forces déséquilibré se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs (en ce sens, Com. 20 novembre 2019, n° 18-12.823). L'appréciation de cette première condition est ainsi réalisée en considération du contexte matériel et économique de la conclusion proposée ou effective, l'insertion de clauses dans une convention type ou un contrat d'adhésion ou les conditions concrètes de souscription (en ce sens, Com. 6 avril 2022, n° 20-20.887) pouvant constituer des critères pertinents de la soumission ou de sa tentative. Si l'analyse de la contrepartie participe prioritairement de l'appréciation du déséquilibre significatif, celle de son existence, plutôt que de sa suffisance, demeure utile pour caractériser une éventuelle soumission ou tentative de soumission en ce que l'absence d'avantage attendu par le cocontractant ou de réciprocité des obligations est de nature à éclairer subjectivement, à raison de la dimension purement unilatérale de la démarche, une volonté d'assujettissement.

L'appréciation du déséquilibre significatif, qui peut être économique comme juridique, est globale, au regard de l'économie du contrat, et concrète. L'article L. 442-6 I 2° du code de commerce autorise, non une fixation, mais un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties (en ce sens, Com., 25 janvier 2017, n° 15-23.547, et Cconst. 30 novembre 2018, n° 2018-749 QPC). L'existence d'obligations créant un déséquilibre significatif peut notamment se déduire d'une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d'une disproportion importante entre les obligations respectives des parties, les effets des pratiques n'ayant en revanche pas à être pris en compte ou recherchés (en ce sens, Com., 3 mars 2015, n° 14-10.907). En l'absence de toute présomption légale, la preuve du déséquilibre significatif incombe à la SCP Louis et Lageat, tandis que celle d'un éventuel rééquilibrage du contrat par une ou plusieurs autres clauses repose sur la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services.

A titre liminaire, la Cour constate que la SCP Louis et Lageat, ès qualités, qui agit exclusivement sur le fondement du déséquilibre significatif entre partenaires commerciaux et non sur celui de la responsabilité civile de droit commun, invoque sans discrimination, outre des clauses spécifiques, des inexécutions contractuelles. Or, l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce vise la soumission à une obligation, soit classiquement le lien de droit par lequel le débiteur est tenu d'une prestation, dans le cadre d'un partenariat commercial, une relation entre parties s'engageant, ou s'apprêtant à s'engager, dans une relation commerciale (en ce sens, avant l'entrée en vigueur de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 ayant remplacé l'expression "partenaire commercial" par le terme "partie ", Com. 15 janv. 2020, n° 18-10.512). Il ne porte ainsi que sur les obligations susceptibles de négociation dans un processus contractuel et non sur des faits juridiques purs ne générant pas d'obligations au sens désormais de l'article 1100 du code civil et qui sont soustraits par hypothèse à toute discussion des parties et sanctionnés par la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle, ou le cas échéant délictuelle, de droit commun de leur auteur.

Dès lors, les moyens tirés de la dissimulation, d'ailleurs qualifiée de dolosive par la SCP Louis et Lageat qui n'en tire toutefois aucune conséquence sur la validité des contrats, de la situation obérée du précédent franchisé ainsi que de l'ingérence dans la gestion et la violation de l'obligation d'assistance ou les critiques générales liées à l'exécution des contrats sont impropres à caractériser un déséquilibre significatif.

En outre, la SCP Louis et Lageat ès qualités, qui ne livre, à l'instar des intimées et du tribunal, aucun développement sur ce point, ne caractérise pas la soumission ou sa tentative, condition pourtant indispensable à l'application de l'article L. 442-6 I 2° du code de commerce dont elle reconnaît d'ailleurs la nécessité (page 18 de ses écritures). De fait, la SARL Natloc, qui ne conteste pas qu'elle était libre d'intégrer ou non le réseau et de contracter avec la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services, reconnaît (page 3 de ses écritures) que des discussions, éclairées par la communication des chiffres d'affaires réalisés par le précédent franchisé et l'établissement concerté d'un prévisionnel (pièce 10 des intimées), ont été entreprises entre juin et août 2013 (ses pièces 1 à 3) et complétées par l'envoi du document précontractuel d'information. Et, le courrier du 18 juillet 2013 adressé par la SA ADA à monsieur [T] [O] (sa pièce 4) révèle que des clauses, telles celles relatives aux modalités de paiement de la redevance de location gérance pour les deux premières années, ont fait l'objet d'une négociation effective entraînant une modification "à titre exceptionnel" du contrat, peu important de ce fait qu'il puisse sinon être qualifié de contrat d'adhésion au sens de l'article 1110 alinéa 2 du code civil. Il en est de même de l'intégration du montant du droit d'entrée dans le prix d'acquisition du fonds de Manosque et du bénéfice d'un crédit vendeur sur ce dernier (pièce 12 de la SCP Louis et Lageat et ses écritures page 26). La détermination du dimensionnement du parc de véhicules a lui-même été soumis à l'appréciation de monsieur [T] [O] (ses pièces 6, 14 et 15). Ces éléments révèlent que les contrats étaient librement acceptés et négociés par la SARL Natloc qui ne démontre aucune soumission.

Surabondamment, la Cour constate que la SCP Louis et Lageat, qui adopte une approche globale des différents contrats sans égard pour leurs contenus et leurs équilibres spécifiques, n'explique pas en quoi le coût global de l'entrée dans le réseau, le prix d'acquisition du fonds de commerce, les frais afférents au contrat portant sur l'exploitation des logiciels de gestion ou la fourniture d'un dépôt de garantie seraient "excessifs" et génèreraient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties qui ne sont jamais concrètement analysés. Et, ainsi que l'a justement relevé le tribunal de commerce, la mise en place d'un prélèvement automatique des redevances dues au franchiseur et l'autorisation délivrée à ce dernier de compenser leurs créances réciproques (articles 6.6.1 et 6.7 des contrats de franchise), qui ne portent que sur leurs obligations financières contractuelles et ne relèvent pas de l'article L. 123-19 du code de commerce applicable à la comptabilité de chaque commerçant et non aux flux financiers générés par un partenariat commercial, ne sont pas en elles-mêmes la marque d'un déséquilibre significatif et n'affectent en rien l'indépendance du franchisé dans sa gestion financière et commerciale, ce dernier n'ayant de surcroît à déplorer ni débit ni compensation injustifié. Enfin, l'éventuel surdimensionnement du parc de véhicules, s'il peut entraver la réussite commerciale du franchisé, n'est pas constitutif d'un déséquilibre quelconque dans les droits des parties, le paiement des loyers, dont le montant n'est pas critiqué en lui-même (page 22 des écritures des appelants) trouvant sa contrepartie dans la mise à disposition des biens qui n'est pas contestée.

En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé, mais par substitution de motifs à raison de l'absence de preuve d'une soumission ou de sa tentative, en ce qu'il a rejeté la demande des appelants au titre du déséquilibre significatif.

3°) Sur l'exécution et la rupture des contrats

Moyens des parties,

Au soutien de leurs prétentions, monsieur [T] [O] et la SCP Louis et Lageat, ès qualités, rappellent que le terme du contrat de franchise, sur la durée duquel était calquée celles des autres contrats qui formaient avec lui un tout indivisible, était fixé au 1er octobre 2018 et qu'il a été rompu après seulement trois mois d'exécution le 31 janvier 2014, sans préavis. Ils estiment que cette précocité et cette immédiateté caractérisent en elles-mêmes un abus. Ils ajoutent que l'unique motif invoqué au soutien de la résiliation ("la répétition d'incidents de paiement des sommes dues par le franchisé") n'est pas établi, aucune mise en demeure préalable ne lui ayant d'ailleurs été adressée. La SCP Louis et Lageat estime subir un préjudice de perte chance assis sur le résultat d'exploitation prévisionnel déterminé jusqu'au terme stipulé, le taux de perte de chance étant égal au taux de réussite des agences ADA. Monsieur [T] [O] invoque à son tour une perte de chance de percevoir les salaires fixés dans le prévisionnel, avec le même taux de perte de chance, ainsi qu'un préjudice moral.

En réponse, la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services exposent que l'article 11.1 du contrat de franchise stipule une faculté de résiliation de plein droit en cas d'incidents de paiement répétés et que ceux-ci sont caractérisés puisque la SARL Natloc était débitrice le 31 janvier 2014 d'un arriéré de 130 000 euros à leur égard, la lettre de cette clause permettant d'intégrer les créances des sociétés EDA et ADA. Elles contestent la réalité des préjudices allégués et soulignent l'importance de leurs abandons de créances.

Réponse de la cour

- Sur les demandes de la SCP Louis et Lageat ès qualités

Les contrats litigieux ayant été conclus le 30 septembre 2013, les textes applicables sont ceux antérieurs à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 conformément à son article 9.

Conformément à l'article 1134 du code civil (devenu 1103), les conventions légalement formées, qui tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites et ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise, doivent être exécutées de bonne foi. Et, en vertu des dispositions des articles 1147, 1149 et 1150 du code civil (devenus 1231-1 à 3), le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part, les dommages et intérêts dus au créancier étant, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé et le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée.

En outre, en application de l'article 1184 (devenu 1224) du code civil, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts. La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Aux termes de l'article 11.1 du contrat de franchise, celui-ci, dont le terme était fixé au 1er octobre 2018 (article 19), peut être résilié par anticipation "de plein droit, dès la première présentation postale d'une lettre recommandée avec accusé de réception émanant du franchiseur reproduisant la présente clause, [' en cas notamment de] répétition d'incidents de paiement des sommes dues par le franchisé". Cette clause, dont la validité n'est contestée à aucun titre, ne prévoit aucune formalité, telle une mise en demeure préalable, et ne suppose pour être régulièrement mise en œuvre que la survenance d'un des évènements qu'elle liste, soit ici des incidents de paiement répétés, et une manifestation de volonté du franchiseur exprimée dans un courrier de notification.

Les intimées soutiennent que la répétition des incidents de paiement, qui supposent qu'au moins deux créances ne soient pas payées à leur échéance, s'apprécie en considération de l'ensemble contractuel les liant à la SARL Natloc, ce qui expliquerait la possibilité, stipulée à l'article 6.7 du contrat de franchise, d'une compensation générale des créances de la seconde avec celles détenues par ses fournisseurs agréés ou ses filiales, les sociétés EDA et ADA Services. Ce raisonnement n'est pas pertinent pour deux raisons :

- l'indivisibilité des contrats n'implique pas que la violation de l'un emporte per se celle des autres. Et, si les contrats conclus avec les sociétés EDA et ADA stipulent leur indivisibilité à son endroit (article 10 du contrat de location gérance, celui régularisé avec la SARL ADA Services n'étant pas produit mais l'indivisibilité étant constante), le contrat de franchise ne l'évoque pas et peut, en toute logique au regard des différences de leurs objets, être exécuté indépendamment de ceux-ci. De fait, les hypothèses de résiliation listées à l'article 11.1 ne concernent que les rapports entre franchiseur et franchisé sans égard pour le respect des autres conventions auxquelles il ne se réfère pas, les qualités visées confirmant le périmètre des violations envisagées puisque le contrat de location gérance emploie celle de locataire gérant et de bailleur. L'examen des lettres de rupture confirme cette analyse : tandis que le contrat de franchise est rompu pour une cause qui lui est propre, les conventions conclues avec la SA EDA le sont sur le seul fondement de leur indivisibilité. Aussi, il est certain qu'un incident de paiement affectant l'exécution du contrat de location gérance ou du contrat de prestations informatiques est sans effet direct sur le contrat de franchise ;

- par-delà la divisibilité des clauses stipulées à l'article 16.1 qui n'est pas en faveur d'une interprétation de l'article 11.1 à la lumière de l'article 6.7, la possibilité d'une compensation entre les différentes créances de la SARL Natloc et des sociétés du groupe ADA stipulée par ce dernier remplit un objectif purement comptable de simplification des flux financiers entre les parties mais est étranger à la caractérisation d'un incident de paiement dans le cadre du contrat de franchise. La possibilité de constater un incident après compensation interdirait d'ailleurs tout rattachement certain du défaut de paiement à l'exécution d'un contrat en particulier, et ce d'autant plus que les dates d'exigibilité des créances, déterminantes de la caractérisation d'un incident, diffèrent selon les contrats.

Aussi, seul un incident de paiement propre au contrat de franchise fonde sa résiliation en application de son article 11.1.

A cet égard, il ressort du courrier du 31 janvier 2014 signifié le 3 février 2014 (pièce 19 des appelants) que la SA ADA s'est prévalue de la résiliation de plein droit en reproduisant l'article 11.1 et en visant l'hypothèse de la répétition des incidents de paiement, l'arriéré pour cette dernière atteignant la somme de 17 989,52 euros au 31 janvier 2014 dont le détail figure en annexe. Les autres contrats ont été rompus sur le seul fondement de cette résiliation, à raison de l'indivisibilité qu'ils stipulent avec le contrat de franchise.

Cependant, ainsi que le reconnaît la SA ADA (page 18 de ses écritures), tous les prélèvements contractuellement prévus devaient être effectués sur le compte ouvert par la SARL Natloc auprès de la banque LCL. Or, cette dernière a certifié le 7 février 2014, récapitulatif du compte pour la période du 1er octobre au 31 décembre 2013 à l'appui (pièce 33 des appelants), que celui-ci a fonctionné sans incident, les échéances étant "honorées en temps et en heure". Et, monsieur [T] [O] s'est contenté d'annoncer par courriel du 23 janvier 2014 qu'il ne pourrait pas régler l'échéance du 30 janvier 2014, ce qui peut éventuellement prouver un incident de paiement mais pas sa répétition (pièce 20 des intimées). En outre, le décompte accompagnant la notification de la résiliation de plein droit par la SA ADA, quoique arrêté au 31 janvier 2014, ne mentionne pas le prélèvement de la somme de 4 743,53 euros le 15 janvier 2014 (la facture correspondante, référencée FAC-1312-ADA0063, n'y figure pas) qui est en revanche visé dans le tableau des compensations et prélèvements qu'elle produit en pièce 27 et qui comporte également l'encaissement, à son tour absent du décompte, d'une somme de 2 884,43 euros le 15 janvier 2014 (sa pièce 27). Ces incohérences, que n'éclairent pas les autres relevés de compte produits, notamment à l'occasion de sa déclaration de créance par la SA ADA (ses pièces 23 et 28), empêchent toute caractérisation d'un incident de paiement répété à date certaine, peu important l'ampleur du passif de la liquidation judiciaire, reconnu à hauteur de 200 779,62 euros (pièces 27 et 28 des appelants) sur près de 470 000 euros déclarés, la SARL Natloc ayant d'autres créanciers que les sociétés du groupe ADA et la SA EDA ayant elle-même déclaré une créance de plus de 117 000 euros (sa pièce 24).

Dès lors, intervenue avant le terme stipulé malgré l'absence de tout incident de paiement répété caractérisé, la résiliation est fautive et brutale.

Cette faute, qui a entraîné la rupture, à son tour abusive, des contrats conclus avec les sociétés EDA et ADA Services et la fermeture des accès au réseau informatique permettant l'exploitation des agences (pièces 20 à 24 des appelants), a privé la SARL Natloc de la possibilité de persévérer dans son activité jusqu'au terme initialement prévu (1er octobre 2018), son gain manqué résidant non dans une perte de chiffre d'affaires qu'elle n'avait pas vocation à capter intégralement mais, faute d'autres éléments fournis par les parties et de tout débat les opposant sur ce point, notamment sur l'utilisation de la marge sur coûts variables, dans celle des bénéfices escomptés, toute activité ayant cessé à compter de l'arrêt des relations. La détermination du quantum de l'indemnisation repose de ce fait sur une hypothèse dont les modalités de concrétisation comportent une incertitude radicale. A raison de cet aléa, le préjudice subi est une perte de chance qui s'entend comme la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et qui suppose établie la preuve du sérieux de la chance perdue, son indemnisation, qui implique un calcul de probabilité de survenance de l'évènement irrémédiablement impossible, ne pouvant être égale au montant de la chance réalisée. Cette qualification est adoptée par les appelants.

Pour déterminer l'assiette de la perte de chance, la SCP Louis et Lageat s'appuie sur le prévisionnel transmis par la SA ADA. Cette approche, qui est en contradiction avec la critique qu'elle développe pour les besoins de la caractérisation d'un déséquilibre significatif (page 19 de ses écritures : "il apparait clairement que les chiffres d'affaires prévisionnels, et a fortiori les objectifs de chiffres d'affaires fixés étaient surestimés ou mal estimés par ADA. Ces chiffres d'affaires n'étaient pas réalisables"), n'est pas pertinente. En effet, si les incidents répétés de paiement dans l'exécution du contrat conclu avec la SA ADA ne sont pas prouvés, l'importance du passif reconnu par la SARL Natloc est pour sa part certaine. Or, l'accumulation a minima de plus de 200 000 euros de dettes en trois mois d'activité, la date de cessation des paiements ayant été fixée au 4 février 2014 et l'état des créances admises visant un passif de 121 547,66 euros après abandon de leurs créances par les sociétés du groupe ADA (pièce 35 des appelants), révèle l'absence de rentabilité, en l'état, de l'exploitation de ses différents fonds de commerce par la SARL Natloc. Celle-ci reconnaît d'ailleurs l'impossibilité de gérer le parc de véhicules tel qu'il était dimensionné (ses pièces 16 et 17) tandis que son gérant, qui a déjà connu plusieurs liquidations judiciaires, n'a objectivement pas manifesté par le passé de grandes aptitudes à la gestion commerciale (pièces 4, 5 et 7 des appelantes, monsieur [T] [O] ne contestant pas sa gestion de fait à défaut d'être parfois gérant de droit - page 25 de ses écritures).

Même en suivant la logique de la SCP Louis et Lageat qui estime, selon une progression avantageuse au regard de ses capacités effectives, que le "parc idéal" était de 40 voitures en octobre 2013, 48 en novembre 2013 et 55 en décembre 2013 contre une flotte effective respectivement de 85, 76 et 76 véhicules (sa pièce 17), le résultat d'exploitation qu'elle pouvait espérer réaliser, en postulant l'exécution effective de son devoir d'assistance par la SA ADA, était réduit sur cette période de 60 % en moyenne par rapport au budget prévisionnel, pour se stabiliser à 72 % de son montant. Aussi, l'assiette de la perte de chance, qui concerne exclusivement la période postérieure à la rupture, est, au mieux, de 110 048,40 euros, solution que ne peuvent contester les intimées qui opposent pour leur part la pertinence des prévisionnels. En revanche, les abandons de créance consenties par ces dernières dans le cadre du plan de cession sont indifférents : le préjudice réparable n'est pas constitué par une perte subie correspondant aux sommes dues à ces dernières au titre de l'exécution des contrats mais par une perte de chance de gains pour la période postérieure à la résiliation.

Ces éléments combinés privent également de toute pertinence la référence faite par la SCP Louis et Lageat au taux de réussite des agences du réseau ADA, évalué à 94,4 % (sa pièce 36). Au regard de l'importance du passif rapidement constitué qui induit des difficultés structurelles sérieuses possiblement accompagnées d'une mauvaise gestion, le taux de perte de chance ne peut excéder 10 %, la chance étant certes réelle mais minime (et devant de ce fait être indemnisée ; en ce sens, 1ère Civ, 12 octobre 2016, n° 15-23.230 et 15-26.147).

En conséquence, en l'absence de toute contradiction utile de la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services qui ne discutent pas du caractère, non solidaire faute de fondement légal ou contractuel, mais in solidum des condamnations, ces dernières seront condamnées in solidum à payer à la SCP Louis et Lageat, ès qualités, la somme de 11 000 euros en réparation du préjudice causé par leurs ruptures fautives des contrats, le jugement entrepris étant infirmé de ce chef.

- Sur les demandes de monsieur [T] [O].

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Si, conformément à l'article 1165 du code civil, une convention ne peut ni profiter ni nuire aux tiers en application de l'article 1165 (devenu 1199) du code civil, un manquement contractuel, qui a à leur endroit une nature délictuelle et qui leur cause un préjudice certain, personnel et direct, engage la responsabilité délictuelle de leur auteur à leur profit.

Les ruptures en cascade fautives des contrats conclus avec la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services ont, sur le plan matériel, privé monsieur [T] [O] d'une chance de percevoir un salaire en sa qualité de gérant de la SARL Natloc. Au regard des éléments déjà examinés, celui-ci, dont la fixation ne peut être totalement décorrélée du chiffre d'affaires dégagé à l'occasion de l'exploitation des agences, n'aurait pas pu atteindre le niveau fixé dans le budget prévisionnel qui apparaît démesuré en considération des difficultés relevées (sa pièce 3). Plafonné à 2 000 euros au total la première année, il n'aurait manifestement pas pu excéder la somme globale de 2 500 euros à compter de la suivante, soit une assiette de perte de chance, limitée temporellement à la période comprise entre la rupture et l'expiration du terme stipulé, de 136 000 euros au mieux. Le taux de perte de chance à appliquer est égal à celui déjà déterminé : il ne peut être supérieur à 10 %.

En conséquence, la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services seront condamnées in solidum à payer à monsieur [T] [O] la somme de 13 000 euros en réparation de son préjudice matériel.

Par ailleurs, les ruptures fautives, particulièrement précoces et brutales, notifiées alors qu'il venait de solliciter l'aide de son franchiseur (ses pièces 15, 16 et 18) et qu'il était par ailleurs invité le 16 janvier 2014 à participer à la réunion régionale du 4 février 2014 (sa pièce 34), lui a également causé un préjudice moral, l'ampleur de sa désillusion étant toutefois à tempérer au regard des faibles chances de succès de son entreprise commerciale.

En conséquence, la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services seront condamnées in solidum à lui payer la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral. Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.

4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant, la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, seront condamnées in solidum à payer à la SCP Louis et Lageat, ès qualités, et à monsieur [T] [O] la somme de 3 000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a :

- rejeté la demande de la SCP Louis et Lageat ès qualités au titre de la rupture abusive des contrats ;

- condamné in solidum la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services à payer à monsieur [T] [O] la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne in solidum la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services à payer à la SCP Louis et Lageat, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Natloc, la somme de 11 000 euros en réparation du préjudice causé par la rupture fautive des contrats ;

Condamne in solidum la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services à payer à monsieur [T] [O] la somme de 13 000 euros en réparation de son préjudice matériel et 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

Y ajoutant,

Déclare irrecevables les demandes de la SCP Louis et Lageat, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Natloc, de nullité des contrats et de restitutions corrélatives ;

Rejette les demandes de la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services à payer à monsieur [T] [O] et à la SCP Louis et Lageat, prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL Natloc, la somme de 3 000 euros chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la SA ADA, la SA EDA et la SARL ADA Services à supporter les entiers dépens d'appel.