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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 septembre 2023, n° 21/09438

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

FGI World Nouvelle-Calédonie (SARL)

Défendeur :

Prony Resources New Caledonia (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Regnier, Me Bureth, Me Penin

T. com. Paris, 13e ch., du 22 mars 2021,…

22 mars 2021

FAITS ET PROCEDURE

La société Vale Nouvelle-Calédonie, (ci-après la société "Vale NC") anciennement Goro Nickel et devenue la société Prony Resources New Caledonia à la suite de son acquisition en mars 2021 par le consortium Prony Resources Nouvelle-Calédonie exploite le site minier de Goro en Nouvelle-Calédonie et y procède à l'extraction de minerai ainsi qu'à la production de nickel et de cobalt.

La société FGI World Nouvelle-Calédonie (ci-après "la société FGI"), basée à [Localité 3] a pour activité l'ingénierie médicale et de conseil, ayant pour principal objet social : l'organisation, l'administration et la gestion, directement ou indirectement, d'unités médicales, hospitalières et dispensatrices de soins et de soins d'urgence sur des sites industriels, le recrutement, l'emploi et la gestion des professionnels de la santé qui exerceront leur activité au sein de cette unité.

La société FGI, initialement dénommée Medcan NC, fut créée en juin 2002, en tant que filiale calédonienne du groupe canadien Medcan, pour assurer la mise en place et la gestion opérationnelle du service médical d'urgence et de soins du site de la mine de Goro, où débutait la phase de construction de la future usine de traitement du minerai. En 2005, à la suite de l'acquisition de diverses activités de la société Medcan Heatlh Management Inc par la société canadienne FGI World Inc, la dénomination sociale de la filiale calédonienne Medcan NC a été changée en FGI World Nouvelle-Calédonie.

La société FGI a été chargée de la mise en place, l'organisation et la gestion des soins de médecine générale et d'urgence sur le site de Goro dès son ouverture dans le cadre d'un premier projet de contrat entre les sociétés Medcan NC et Goro Nickel, pour une durée de trois années. A la suite de la suspension du projet de construction de l'usine de traitement du minerai, un autre contrat de prestations de service a été conclu entre les parties à effet au 1er février 2004.

De multiples accords ont suivis. En dernier lieu les relations entre les sociétés FGI et Vale NC étaient encadrées par le contrat n° 2727 du 16 décembre 2011 de prestations de services médicaux d'urgence et soins de médecine. Au titre des détails des services, l'article 2D prévoyait que le contrat était conclu pour une durée d'un an et prorogé de plein droit à l'échéance, sauf dénonciation par l'une des parties avec un préavis de six mois par lettre recommandée avec accusé de réception.

Ce contrat a fait l'objet d'un avenant n° 1 du 3 septembre 2012, remplaçant la clause 2D par la clause suivante : "le présent contrat est à durée indéterminée depuis le 16 décembre 2011 et pourra être résilié à tout moment par l'une ou l'autre des parties, par lettre recommandée avec accusé de réception sous réserve d'un préavis de 6 mois."

Compte tenu de la baisse des effectifs présents sur le site du fait de l'achèvement de la construction de l'usine et du passage à la phase d'exploitation, un deuxième avenant a été signé entre les parties le 29 avril 2013, afin de réduire le personnel affecté aux services médicaux d'urgence et aux soins médicaux, ainsi que la rémunération afférente de FGI, en supprimant certains postes et en réduisant le temps de travail d'autres.

Les relations entre les parties étaient également encadrées par le contrat n° 1833 signé 21 octobre 2008 pour des prestations de services appelées programme d'assistance aux employés et à leur famille (PAEF). Par avenant n° 5 du 29 avril 2013, la durée de ce contrat a été prorogée jusqu'au 30 novembre 2013.

Ensemble, ces contrats permettaient à la société FGI de réaliser environ 65 % de son chiffre d'affaires.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 mai 2013, la société Vale NC a notifié à la société FGI la dénonciation du contrat n° 2727 en ces termes : "Tel que le permet l'article 3 de l'avenant n° 1 au contrat 2727, nous souhaitons par la présente mettre fin au contrat 2727, qui nous lie depuis le 16 décembre 2011. Sur la base du préavis contractuel de 6 mois, le contrat arrivera donc à échéance au 30 novembre 2013".

Le 29 mai 2013, la société FGI a été invitée par la société Vale NC à participer à un appel d'offres n° T1425 pour des prestations de mise à disposition, d'organisation et de gestion de services médicaux, soins de santé et support administratif pour le centre médical de Goro, avec une date butoir au 15 juillet pour la remise des offres et une validité des offres jusqu'au 15 janvier 2014.

Le 15 juillet 2013, la société FGI a soumis sa réponse à l'appel d'offres à la société Vale NC.

Le 23 juillet 2013, la société Vale NC a adressé à la société FGI une série de questions techniques relatives à cette offre, auxquelles FGI a apporté des réponses circonstanciées par retour.

Par courrier du 9 août 2013, la société FGI a modifié son offre.

Le 2 août 2013, la société Vale NC a lancé un deuxième appel d'offres n° T1425 concernant des prestations d'assistance aux employés et à leur famille,

Le 11 octobre 2013, afin de poursuivre les discussions techniques et commerciales portant sur les offres remises pour la consultation T1425, la société Vale NC a proposé à la société FGI une extension ou prorogation de la durée des contrats n° 2727 et n° 1833 pour une durée de trois mois calculés à partir du 30 novembre 2013, soit jusqu'au 28 février 2014. S'en sont suivies des négociations sur les conditions d'exécution des prestations pendant la prorogation de délais des contrats et des avenants ont été signés le 6 février 2014 comportant essentiellement une prorogation de la durée des deux contrats jusqu'au 28 février 2014 et à l'issue de laquelle la société Vale NC devait informer son cocontractant de sa volonté de poursuivre les contrats, de débuter de nouveaux contrats ou de sa volonté de mettre un terme aux contrats avec un délai de 30 jours pour démobiliser ses équipes.

Par lettre recommandée du 24 février 2014, la société Vale NC a notifié à la société FGI que son offre à la consultation des entreprises n° T1425 n'était pas retenue et devait préparer sa démobilisation au 31 mars 2014. Il était également précisé que conformément à l'avenant 3 au contrat 2727, ainsi qu'à l'avenant 6 au contrat 1833, les contrats prenaient fin le 28 février 2014.

Les marchés ont été attribués à la société EMCP.

Par actes des 8 juillet et 27 juillet 2015, la société FGI a assigné les sociétés Vale NC et EMCP devant le tribunal de commerce de Paris en paiement de diverses sommes au titre d'une rupture brutale des relations commerciales et ainsi que d'actes de concurrence déloyale.

Par jugement du 22 mars 2021, le tribunal de commerce de Paris a :

- débouté FGI de l'intégralité de ses demandes,

- débouté VALE de ses demandes reconventionnelles,

- débouté EMPC de ses demandes reconventionnelles au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamné FGI à verser à VALE et EMCP la somme de 10.000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- mis les dépens à la charge de FGI, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 248, 88 € dont 40,82 € de TVA.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 19 mai 2021 la société FGI World NC a interjeté appel de ce jugement, intimant la société Vale Nouvelle Calédonie.

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 22 mai 2023, la société FGI world, demande à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 I, 2°, 4° et 5° anciens du Code de commerce,

Vu les articles 1134, 1382 et 1383 anciens du Code civil,

Infirmer le jugement du tribunal de commerce en date du 22 mars 2021 et statuant à nouveau,

Dire et juger que FGI Nouvelle-Calédonie SARL a été victime d'une rupture brutale, abusive et vexatoire des relations commerciales par la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA et de comportements déloyaux.

En conséquence,

- Condamner la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA à payer à la société FGI Nouvelle-Calédonie SARL une somme de 749.005 euros, au titre de la rupture brutale,

A titre subsidiaire,

- Condamner la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA à payer à la société FGI Nouvelle-Calédonie SARL une somme de 119.936 euros pour non-respect des délais de préavis contractuels.

- Condamner la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA à payer à la société FGI Nouvelle-Calédonie SARL une somme de 175.497 euros, au titre de la perte sur frais fixes,

Dire et juger que la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA a manqué à ses obligations de loyauté contractuelles,

En conséquence,

- Condamner la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA à payer à la société FGI Nouvelle-Calédonie SARL une somme de 992.000 euros, en conséquence de la perte du fonds de commerce, au titre de son comportement déloyal,

- Condamner la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA à payer à la société FGI Nouvelle-Calédonie SARL une somme de 201.140 euros, au titre de son comportement déloyal, dont 25.140 euros pour les frais de déplacement et d'hébergement et 176.000 euros au titre des coûts de licenciements,

En tout état de cause,

- Condamner la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA à payer à la société FGI Nouvelle-Calédonie SARL une somme de 50.000 euros au titre du préjudice moral consécutif à la rupture brutale des relations commerciales, et à la particulière déloyauté de la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA,

Ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

Condamner la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA à payer une somme de 90.000 euros à la société FGI Nouvelle-Calédonie SARL en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

La condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées le 10 octobre 2022, la société Vale NC, demande à la Cour de :

Vu l'article LP 441-6, I, 5° du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie,

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil,

Confirmer le cas échéant par substitution de motifs, et en toutes ses dispositions entreprises le jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 22 mars 2021,

Débouter en conséquence la société FGI Nouvelle-Calédonie de l'ensemble de ses demandes relatives à la rupture de la relation commerciale avec la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA, au non-respect du préavis contractuel et au respect de son obligation de loyauté,

Condamner la société FGI Nouvelle-Calédonie à payer à la société PRONY RESOURCES NEW CALEDONIA la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de la SARL Nicolas MILLION, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 juin 2023.

La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur les demandes au titre de la rupture brutale des relations commerciales,

Sur la rupture de la relation commerciale,

Exposé des moyens des parties,

La société FGI fait principalement valoir que les dispositions de l'article L. 442-6, I 5° du code de commerce sont applicables en Nouvelle Calédonie et à la relation commerciale nouée avec la société Vale NC qui n'est pas une société d'exercice libérale exerçant une activité médicale mais une société commerciale d'ingénierie et de conseil. Elle soutient que cette relation commerciale est établie depuis 2002, par une succession de contrats à durée déterminée jusqu'au 31 mars 2014. Elle estime que le délai raisonnable de rupture des relations devait être de 30 mois au regard de la part prépondérante de la relation commerciale établie avec le client Vale NC (65 % de son chiffre d'affaires), de sa dépendance économique vis à vis de ce client, des difficultés objectives en raison de la structure de marché de trouver des débouchés alternatifs pour des services équivalents à des conditions économiques et techniques comparables et de la perte d'investissements dédiés. Elle précise qu'elle n'a pas bénéficié d'un préavis effectif et utile compte tenu de l'ambiguïté entretenue par la société Vale NC sur la poursuite des relations après la notification du courrier du 13 mai 2013 et de la renonciation au préavis donné par l'accord de prorogation du 28 novembre 2013. Elle soutient que l'imprévisibilité de la rupture ainsi entretenue par la société Vale NC l'a empêchée de préparer dans le même temps un repositionnement de ses activités ou de rechercher de nouveaux débouchés et qu'elle a en définitive bénéficié que d'une période de "démobilisation" d'un mois.

Elle calcule son préjudice sur la base d'une perte de marge brute, correspondant à la différence entre le chiffre d'affaires et les charges d'exploitation comprenant des charges fixes, soit une marge de référence inférieure à la marge sur coûts variables ne comprenant pas les coûts fixes. Aussi, elle réclame au titre de la rupture brutale à titre principal, la réparation de la perte de marge brute sur une période d'insuffisance de préavis de 29 mois à hauteur de 749 005 euros outre une somme de 175 497 euros pour perte sur coûts fixes qui ont continué à être supportés après la résiliation du contrat Vale NC et par la seule activité restante.

La société Vale NC réplique pour l'essentiel que les services fournis par la société FGI étaient principalement des services médicaux d'urgence et de soins de santé rendus au sein de la société Vale NC, dans le centre médical géré par la société FGI, laquelle devait être considérée comme exerçant habituellement la médecine, en sorte que les prestations ainsi réalisées n'étaient pas des actes de commerces et que l'article Lp 442-6, I, 5° du code de commerce ne peut trouver application au litige. Elle soutient qu'à compter de la réception du courrier de résiliation du 13 mai 2013, la société FGI a été expressément informée de l'intention de la société Vale NC de ne pas poursuivre l'exécution du contrat n° 2727 et cela en respectant le préavis contractuel de 6 mois et qu'en invitant dans le même temps la société FGI à répondre à son appel d'offres, celle-ci a été clairement informée de l'intention de la société Vale NC de ne pas poursuivre la relation commerciale aux mêmes conditions. Elle relève que la société FGI a bénéficié d'un préavis effectif de 10 mois, comme l'a justement retenu le tribunal, et que selon elle ce préavis est suffisant compte tenu du fait que la relation commerciale n'a effectivement débutée qu'en 2004, que la société FGI a très rapidement rétabli son chiffre d'affaires après la rupture et qu'elle n'a réalisé aucun investissement pour cette prestation, les locaux appartenant à Vale NC et les matériels entièrement financés par cette dernière. Elle précise que dès novembre 2012, la société FGI avait été informée du projet de mise en concurrence du marché. Elle fait en outre observer que la prorogation du contrat au-delà du 30 novembre 2013 n'a pas privé d'effet la résiliation intervenue le 13 mai 2013, et qu'il était expressément stipulé dans l'avenant n° 3 que celui-ci n'avait pas pour objet ou pour effet d'entraîner une renonciation par la société Vale NC à sa volonté de mettre fin à la relation conventionnelle et du caractère précaire de la relation commerciale soumise à appel d'offres. La société Vale NC conteste par ailleurs l'évaluation du préjudice de la société FGI sur une marge brute et non sur coûts variables.

Réponse de la Cour,

L'article Lp. 442-6, I, 5° du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie dispose qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

* sur l'applicabilité de ses dispositions au litige

Toute relation commerciale établie, qu'elle porte sur la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service, entre dans le champ d'application de l'article L. 442-6 I 5° du code de commerce (Com., 16 décembre 2008, pourvoi n° 07-18.050, Bull. 2008, IV, n° 208 ).

S'il est constant que l'article 19 du code de déontologie médicale calédonien prohibe l'exercice de la médecine comme un commerce, force est de constater que la société FGI n'est pas une société d'exercice libérale constituée entre médecins en vue de l'exercice de leur profession mais une société commerciale d'ingénierie et de conseil ayant pour objet social suivant : "l'organisation, l'administration et la gestion, directement ou indirectement, d'unités médicales, hospitalières et dispensatrices de soins et de soins d'urgence sur des sites industriels, le recrutement, l'emploi et la gestion des professionnels de la santé qui exerceront leur activité au sein de cette unité".

Le présent litige n'oppose pas la société FGI au personnel de santé qu'elle emploie mais à la société Vale NC et dont les relations portent sur des prestations de recrutement de personnels médicaux, de la conception et animation d'un programme d'assistance psycho-sociale aux employés et à leur famille, de gestion des consommables et d'organisation d'un centre de santé et de manière générale sur le fonctionnement de ce centre de santé sur le site industriel exploité par la société Vale NC. Le prix de ces prestations sont déterminées au titre des dispositions commerciales des contrats n° 2727 et 1833 conclus entre les parties notamment sur une base forfaitaire comprenant un forfait lié au personnel et un forfait pour frais généraux et divers (pièces n° 17 et 42 FGI).

Il s'ensuit que les dispositions de l'article Lp 442-6, I, 5° du code de commerce sont bien applicables à la relation commerciale nouée entre les parties.

* sur le caractère établi des relations

Les parties ne s'opposent pas sur le caractère établi de leur relation commerciale mais au point de départ de celle-ci.

Si la société FGI produit aux débats un contrat établi au nom des sociétés Medcan NC (anciennement FGI) et Gora Nickel (anciennement Vale NC) à effet au 1er janvier 2002, ce contrat n'est cependant pas signé par les parties. Il n'est par ailleurs pas contesté que la construction de l'usine de traitement du minerai a été suspendue en décembre 2002 pour ne reprendre qu'en 2004 en raison de difficultés de financement. Même si la société FGI a été créée en 2002, celle-ci ne justifie pas de la réalité de prestation avant la conclusion en juillet 2004 du contrat de prestation de services de gestion sanitaire n° 1054 à effet au 1er février 2004. Cette relation s'est ensuite poursuivie de manière continue par une succession de contrat jusqu'à la notification de la rupture par lettre du 13 mai 2013.

A la suite d'une étude d'impact socio-économique, la société Vale NC a identifié la nécessité de mettre en place un programme d'assistance aux employées et à leurs familles (PAEF), compte tenu des contraintes liées à la vie sur un site isolé. La société Vale NC a dans un premier temps, confié à la société FGI, aux termes d'un contrat n° 1832, la mise en place d'un programme expérimental qui a fonctionné à partir de mai 2008. La société Vale NC a ensuite, par un contrat n° 1833 du 21 octobre 2008, confié à la FGI la mission de mettre en œuvre un PAEF pérenne. Ce contrat, initialement conclu pour une durée déterminée jusqu'au 31 octobre 2010, a été poursuivi au-delà de cette date, puis prorogé jusqu'au 30 novembre 2013 par avenant n°5 signé le 29 avril 2013.

Au regard de ces éléments, il y a lieu de retenir que la relation commerciale est établie au sens des dispositions précitées entre les parties à compter du 1er février 2004.

* sur la brutalité de la rupture

Il résulte de l'article précité que la brutalité de la rupture résulte de l'absence de préavis écrit ou d'un préavis suffisant. Le délai de préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, c'est-à-dire pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont l'ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause.

Au regard de la fonction du préavis, période nécessaire à l'entreprise subissant la rupture pour aménager la poursuite de son activité malgré la perte de son partenaire commercial, cette dernière est celle de la notification de la rupture qui correspond à l'annonce faite par un cocontractant à l'autre de sa volonté univoque de cesser la relation à une date déterminée, seule information qui peut permettre au second se projeter et d'organiser son redéploiement ou sa reconversion en disposant de la visibilité indispensable à toute anticipation.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 mai 2013, la société Vale NC a notifié à la société FGI la dénonciation du contrat n° 2727 en ces termes : "Tel que le permet l'article 3 de l'avenant n° 1 au contrat 2727, nous souhaitons par la présente mettre fin au contrat 2727, qui nous lie depuis le 16 décembre 2011. Sur la base du préavis contractuel de 6 mois, le contrat arrivera donc à échéance au 30 novembre 2013".

Le 29 mai 2013, la société FGI a été invitée par la société Vale NC à participer à un appel d'offres n° T1425 pour des prestations de mise à disposition, d'organisation et de gestion de services médicaux, soins de santé et support administratif pour le centre médical de Goro, avec une date butoir au 15 juillet pour la remise des offres et une validité des offres jusqu'au 15 janvier 2014.

De même que le 2 août 2013 la société FGI a été invitée par la société Vale NC à participer à un appel d'offres n° T1425 bis concernant les prestations d'assistance aux employés et à leur famille, dès lors que le contrat n° 1833 arrivait à échéance le 30 novembre 2013.

Aussi, la société FGI a été clairement informée par la société Vale NC de sa volonté de rompre la relation ou de ne pas la poursuivre aux conditions antérieures, et de sa mise en concurrence avec d'autres entreprises, et ce avec un préavis de six mois. Ce préavis a bien été effectif, dès lors que la relation commerciale s'est poursuivie jusqu'au 30 novembre 2013 dans les conditions contractuelles, et que ni l'incertitude inhérente à la procédure d'appel d'offres à laquelle la société FGI a fait le choix de participer ni les négociations en vue de la conclusion éventuelle de nouveaux contrats ont été de nature à remettre en cause l'effectivité de ce préavis.

En revanche, la société Vale NC ne peut utilement se prévaloir d'une prolongation de préavis de 4 mois en considération des avenants signés le 6 février 2014 prorogeant la durée des deux contrats jusqu'au 28 février 2014 et à l'issue de laquelle la société Vale NC devait informer son cocontractant de sa volonté de poursuivre les contrats, de débuter de nouveaux contrats ou de sa volonté de mettre un terme aux contrats avec un délai de 30 jours pour démobiliser ses équipes.

En effet, cette poursuite des relations commerciales qui s'est décidée peu de temps avant la fin de la période de préavis initial ne peut être prise en compte dès lors qu'elle n'a pas constituée une période utile pour la société FGI pour se projeter et anticiper son redéploiement à défaut d'avoir été prévue dès l'annonce initiale de l'intention de rupture ou de modification de la relation.

Il s'ensuit que la société FGI a bénéficié d'un préavis effectif de 6 mois et qu'il y a lieu de vérifier si cette durée était suffisante.

La Cour rappelle que le délai du préavis suffisant s'apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances au moment de la notification de la rupture, et non postérieurement à celle-ci.

La relation commerciale était établie entre les parties depuis un peu moins de 10 années. Il n'est pas contesté que d'une part les contrats de prestations de service conclus avec la société Vale NC représentaient près de 65 % du chiffres d'affaires de la société FGI et que d'autre part le marché sur lequel la société FGI était susceptible de redéployer son activité, à savoir l'organisation et la gestion d'unités dispensatrices de soins sur site industriel, était réduit en Nouvelle-Calédonie.

En revanche, la société FGI ne justifie pas d'investissement dédiés autres que l'emploi de personnel et les efforts d'adaptations de ses prestations au site en cause.

Au regard de ces éléments, la Cour estime qu'un délai de préavis de 15 mois était nécessaire et suffisant pour permettre à la société FGI le redéploiement de son activité.

Le délai de préavis de 6 mois notifié par la société Vaéle NC étant insuffisant, celle-ci engage sa responsabilité sur le fondement de l'article Lp 442-6, I, 5° du code de commerce et doit réparer le préjudice résultant de la brutalité de la rupture de la relation commerciale nouée avec la société FGI.

* sur l'évaluation du préjudice

Il résulte de l'article Lp 442-6, I, 5° précité que le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge sur coûts variables escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période.

La société FGI calcule son préjudice à partir d'un taux de marge moyen de 15 % déterminé en faisant la différence entre le chiffre d'affaires généré par les contrats Vale NC sur les trois exercices précédant la rupture et les charges d'exploitation correspondantes, à savoir salaires et charges sociales des médecins et infirmiers directement affectés à l'exécution des contrats Vale, achats de médicaments et de petit matériel médical, sous-traitance, entretien du matériel, leasing des véhicule des médecins mais également certaines charges dites fixes telles que les frais de personnel administratif, les rémunérations de la gérance, des frais de siège et une cote parts d'assurances, des honoraires d'expert-comptable, des fournitures administratives et de certains impôt et taxes. Sur la base de ce taux, la société FGI calcule une perte de marge mensuelle de 25 827 euros (pièces 61 pages 6 et 7).

Ce taux de marge moyen de 15 % en ce qu'il tient compte des coûts variables peut être retenu, mais il est relevé que ce taux a été déterminé en déduisant aussi la part des coûts fixes qui ont cependant continué à être supportés malgré la baisse d'activité pendant la période d'insuffisance de préavis (pièce n° 54 page 7 et conclusions FGI page 49).

Aussi la Cour évalue le préjudice d'une part sur la perte de marge moyenne mensuelle sur la durée de 9 mois d'insuffisance de préavis à hauteur de 232 443 euros (25 827 x 9), à laquelle s'ajoute la somme de 54 464 euros au titre des coûts fixes restés (108 940 x 66,66 % *9/12), soit un préjudice global de 286 907 euros.

La société Prony Resources New Caledonia, venant aux droits de la société Vale NC, sera condamnée à payer à la société FGI la somme de 286 907 euros en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

En conséquence, le jugement sera infirmé de ce chef de préjudice.

Sur les demandes d'indemnisation de la société FGI au titre d'un comportement déloyal de la société Vale NC

Exposé des moyens des parties,

La société FGI fait principalement valoir qu'entre le 13 mai 2013 et le 28 février 2014, plutôt que d'avoir des échanges francs et sincères, tant sur les modalités de la rupture que sur les conditions d'exploitation jusqu'à la fin des relations contractuelles, mais également sur l'appel d'offres mise en œuvre, la société Vale NC s'est comportée de parfaite mauvaise foi et avec une réelle duplicité. Elle soutient que :

- la société Vale NC l'a contrainte de revoir totalement ses modalités d'organisation, le champ de ses prestations, ses devoirs et obligations et de revoir de manière drastique la baisse des tarifs sachant qu'elle n'avait pas l'intention de poursuivre la relation,

- la société Vale NC l'a délibérément entretenue dans l'incertitude du maintien de la relation contractuelle, allant jusqu'à lui faire signer des avenants prévoyant la possibilité de poursuivre les contrats en cours, 5 jours seulement avant d'annoncer la fin de la relation,

- la société Vale NC l'a conduite à signer deux avenants le 6 février 2014 qui prévoyait un délai de démobilisation d'un mois, privant FGI d'un nouveau préavis,

La société FGI soutient que ce comportement déloyal de la société Vale NC lui a causé trois préjudices différents. Le premier lié à la perte de son fonds de commerce dont elle n'a pu préserver la valeur. Elle estime avoir perdu, de ce fait, une somme de 992 000 euros, ce préjudice étant distinct de la perte de marge brute. Le deuxième préjudice résulte des frais de déplacement et d'hébergement pour un montant de 25 140 euros (résultant des séjours du cogérant de la société FGI). Le troisième préjudice résulte des coûts de licenciement engendrés par la durée très courte de préavis pour un montant de 176 000 euros.

La société Vale NC conteste tout comportement déloyal de sa part, si elle a demandé à la société FGI de procéder à une amélioration de la qualité des prestations fournies elle ne lui a pour autant jamais imposé de modification de ses droits et obligations. Elle relève que la relation contractuelle s'est ainsi poursuivie aux mêmes conditions même après la signature des avenants du 6 février 2014 et ce en dépit de la baisse de la qualité des prestations fournies et que si la signature des avenants a tardé c'est uniquement parce que la FGI en a initialement refusé la signature. Elle fait en outre observer que la société FGI savait, en les signant, qu'elle pourrait ne pas être retenue dans le cadre de la procédure d'appel d'offres et qu'ils ne lui conféraient aucune garantie. Elle soutient que les frais de déplacement en Nouvelle-Calédonie du cogérant de la société FGI ne sont pas constitutifs d'un préjudice pour cette dernière dès lors qu'ils ont conduit à une prolongation de l'activité de la société FGI et donc à un bénéfice. Elle ne prouve pas non plus que ces frais sont plus importants que ceux engagés au titre des exercices précédents.

La société Vale NC conteste également le préjudice invoqué par la société FGI, constitué par l'impossibilité d'adapter ses charges salariales. Selon elle, cette dernière a fait le choix de maintenir sa masse salariale pour répondre à l'appel d'offre et quelle qu'ait été la date de départ effectif de la société FGI du site Vale NC elle aurait été contrainte de se séparer d'une partie de son personnel. Elle relève en outre que la société FGI n'a pas subi de préjudice en termes de masse salariale dès lors qu'elle a très largement diminué entre le premier et le deuxième trimestre 2014, période durant laquelle elle générait un chiffre d'affaires important. La société Vale NC soutient encore que la société FGI ne justifie d'aucun préjudice relatif à la perte d'un fonds de commerce.

Réponse de la Cour,

Les pièces produites aux débats par la société FGI (notamment les pièces 24 et 37 ) et la chronologie des événements ne permettent pas d'établir à suffisance un comportement déloyal et de mauvaise foi de la part de la société Vale NC. Il y a lieu de relever que les contrats n° 2727 et 1833 se sont exécutés dans les conditions contractuelles jusqu'au terme du 30 novembre 2013 et que si la société Vale NC a tardé à se prononcer sur l'attribution du marché et que les négociations concernant la prorogation de ces contrats ont été particulièrement tendues plaçant la société FGI dans une situation inconfortable, il n'est cependant pas démontré de déloyauté caractérisée de la part de la société Vale NC à l'origine d'un préjudice distinct de celui déjà réparé au titre de la rupture brutale de la relation commerciale établie.

En conséquence le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société FGI de ses demandes de ces chefs de préjudices.

Sur la demande de la société FGI d'indemnisation d'un préjudice moral.

La société FGI estime également avoir subi un préjudice moral à hauteur de 50 00 euros. Elle soutient que les conditions de son éviction et l'éviction elle-même du marché très spécifique qu'elle détenait depuis 12 ans lui a causé un préjudice d'image consistant dans un risque de discrédit sur un marché aussi spécialisé que l'ingénierie médicale et sur un territoire aussi délimité que la Nouvelle-Calédonie. Elle ajoute qu'elle a été contrainte de poursuivre la relation au-delà du préavis initial et qu'elle s'est trouvée dans une situation très inconfortable vis-à-vis de ses salariés.

Comme le relève la société Vale NC, la société FGI ne justifie ni du comportement déloyal allégué ni d'une atteinte à son image en lien avec la rupture de sa relation contractuelle.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société FGI de sa demande de ce chef de préjudice.

Sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société FGI à payer à la société Vale NC la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A hauteur d'appel, partie perdante, la société Prony Resources New Caledonia venant aux droits de la société Vale NC sera condamnée aux dépens.

En application de l'article 700 du code de procédure civile, la société Prony Resources New Caledonia sera déboutée de sa demande et condamnée à verser à la société FGI la somme de 25 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement en ses dispositions soumises à la Cour mais seulement en ce qu'il a :

- débouté la société FGI World Nouvelle Caledonie de ses demandes au titre de la rupture brutale,

- condamné la société FGI World Nouvelle Caledonie au paiement de la somme de 10 000 euros à la société Vale NC au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant de nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que la société Prony Resources New Caledonia, venant aux droits de la société Vale Nouvelle-Calédonie, engage sa responsabilité sur le fondement de l'article Lp 442-6 I, 5°du code de commerce applicable en Nouvelle-Calédonie du fait de la rupture brutale de la relation commerciale établie avec la société FGI World Nouvelle-Calédonie ;

En conséquence condamne la société Prony Resources New Caledonia à payer à la société FGI World Nouvelle-Calédonie la somme globale de 286 907 euros à titre de dommages-intérêts ;

Condamne la société Prony Resources New Caledonia aux dépens d'appel qui seront recouvrés selon la procédure de l'article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société Prony Resources New Caledonia à payer à la société FGI Wordl Nouvelle-Calédonie la somme de 25 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Rejette toute autre demande.