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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 septembre 2023, n° 21/08375

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Selarl Berthelot (ès qual.), Dialogues (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Depelley

Conseillers :

Mme Depelley, Mme Richaud

Avocats :

Me Cholay, Me Coillard-Lavirotte, Me Fromantin, Me Del Vecchio

T. com. Lyon, du 18 fév. 2021, n° 2019J1…

18 février 2021

FAITS ET PROCÉDURE

La société Dialogues, qui exerçait une activité de prestataire en informatique, avait parmi ses clients la société Groupe [U] dont l'activité est la conception, la fabrication et la commercialisation de matériels orthopédiques.

Les parties ont signé le 14 janvier 2003 un contrat de maintenance, renouvelé ensuite tacitement.

Par convention de "reprise des applications MS Acess" du 11 février 2013, le Groupe [U] a en outre confié à la société Dialogues la migration et le suivi de sa GPAO (gestion de la production assistée par ordinateur).

Fin 2016, la société Dialogues a rencontré des difficultés financières et fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte en février 2017.

En 2018, les parties se sont rencontrées pour discuter un volume d'affaires minimum sur 2018-2019 et 2020.

Du 1er mars au 30 juin 2018, Dialogues a subi une perte de 25 555 euros pour un chiffre d'affaires de 126 078 euros. Le 28 août 2018, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé sa liquidation judiciaire.

Par acte du 7 juin 2019, Maître [O] en qualité de liquidateur judiciaire de la société Dialogues a assigné la société Groupe [U] devant le tribunal de commerce de Lyon en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies et du débauchage fautif d'un de ses salariés.

Par ordonnance du 2 janvier 2020, le tribunal de commerce de Grenoble a procédé au remplacement de Maître [O] par la société Berthelot (au sein de laquelle exerce l'intéressé).

Par jugement du 18 février 2021, le tribunal de commerce de Lyon s'est déclaré compétent pour juger du présent litige et a :

- Dit que Maître [R] [O] a qualité pour agir et que ses demandes sont recevables,

- Dit que l'accord intervenu en 2018, sous l'égide de l'administrateur judiciaire, entre les sociétés Dialogues et Groupe [U] sur la poursuite des relations pendant trois ans avec de nouvelles modalités librement convenues exclut toute notion de brutalité dans la rupture,

- Dit que la diminution du volume d'affaires confié en 2018 ne peut caractériser un non-respect des engagements pris et par la même une rupture même partielle des relations commerciales,

- Dit qu'en ce qui concerne l'embauche de Monsieur [G], aucune manœuvre déloyale ayant entraîné la désorganisation de la société Dialogues n'est prouvée,

- Débouté en conséquence la SELARL Berthelot ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues représentée par Maître [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Rejeté la demande de Groupe [U] faite au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective.

Par déclaration reçue au greffe de la Cour en date du 29 avril 2021, la société Berthelot a, ès qualités, interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions signifiées le 21 janvier 2022, la société Berthelot et associés, ès qualités de mandateur liquidateur de la société Dialogues, demande à la Cour de :

Vu les dispositions des articles 1443 et suivants du code civil dans leur version antérieure au 13 janvier 2011,

Vu l'article 3 du décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l'arbitrage,

Vu les dispositions des articles L. 622-20 et L. 641-5 du code de commerce,

Vu les dispositions de l'article L. 442-6 du code de commerce (ancien),

Vu l'article 1240 du code civil,

Vu l'article 1442 alinéa 2 du code de procédure civile,

Vu la jurisprudence citée et les pièces versées au débat,

Déclarer recevable et fondé l'appel interjeté par la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, à l'encontre du jugement du tribunal de commerce de Lyon en date du 18 février 2021,

Confirmer le jugement en date du 18 février 2021 en ce qu'il a :

- Déclaré qu'il était compétent pour juger du présent litige ;

- Dit que Maître [O] avait qualité pour agir et dit ses demandes recevables ;

- Dit qu'une relation commerciale était établie au sens de l'article L. 442-6, 5° (ancien) du code de commerce entre les sociétés Groupe [U] et Dialogues ;

Réformer le jugement déféré en ce qu'il a :

- Dit que l'accord intervenu en 2018 sous l'égide de l'administrateur judiciaire entre les sociétés Dialogues et [U] sur la poursuite des relations pendant trois ans exclut toute notion de brutalité dans la rupture ;

- Dit que la diminution du volume d'affaires confié en 2018 ne peut caractériser un non-respect des engagements pris et par la même une rupture même partielle des relations commerciales ;

- Dit qu'en ce qui concerne l'embauche de Monsieur [L] [G], aucune manœuvre déloyale ayant entraîné la désorganisation de Dialogues n'est prouvée ;

- Débouté la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, de l'ensemble de ses demandes ;

- Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective ;

Et statuant à nouveau,

- Dire que la société Groupe [U] a rompu de manière brutale les relations commerciales établies qu'elle entretenait avec la société Dialogues au sens de l'article L. 442-6, 5° (ancien) du code de commerce ;

- Constater que la société Groupe [U] a mis en œuvre une démarche parasitaire en procédant au démarchage ciblé du principal collaborateur de la société Dialogues aux fins de s'approprier le savoir-faire de cette dernière ;

En conséquence,

A titre principal,

- Condamner la société Groupe [U] à payer à la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, la somme de 435 623 €, ou à défaut 408 468 €, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, évalué en application des critères jurisprudentiels ;

A titre subsidiaire,

- Condamner la société Groupe [U] à payer à la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, la somme de 313 068 €, ou à défaut 299 491 €, en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies, évalué selon la méthode de calcul indiquée par l'expert-comptable de la société Dialogues ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Groupe [U] à payer à la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, la somme de 531 982 €, ou à défaut 518 405 €, en réparation du préjudice matériel subi du fait des agissements parasitaires ;

- La condamner à lui payer, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, la somme, de 40 000 € en réparation du préjudice moral subi du fait des agissements parasitaires ;

- La condamner à lui payer, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers frais et dépens de l'instance.

Vu les dernières conclusions de la société Groupe [U], déposées et notifiées le 1er août 2022, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu les articles 73 et suivants, 122 et suivants et 1442 et suivants du code de procédure civile,

Vu l'article L. 442-6, I, 5° du code de commerce (article L. 442-1 II nouveau),

Vu les articles 1240 et 1383-2 du code civil,

Vu les pièces dont la liste est annexée à ses écritures,

Débouter la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, de son appel comme infondé, ainsi que de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :

- S'est déclaré compétent pour juger du présent litige ;

- A dit que Me [O] a qualité pour agir et que ses demandes sont recevables ;

- A rejeté la demande de la société Groupe [U] formulée au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- Dit que l'accord intervenu en 2018, sous l'égide de l'administrateur judiciaire, entre les sociétés Dialogues et Groupe [U] sur la poursuite des relations pendant trois ans avec de nouvelles modalités librement convenues exclut toute notion de brutalité dans la rupture ;

- Dit que la diminution du volume d'affaires confié en 2018 ne peut caractériser un non-respect des engagements pris et par la même une rupture même partielle des relations commerciales ;

- Dit qu'en ce qui concerne l'embauche de Monsieur [G], aucune manœuvre déloyale ayant entrainé la désorganisation de la société Dialogues n'est prouvée ;

- Débouté en conséquence la Selarl Berthelot ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues représentée par Maître [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Dit que les dépens seront tirés en frais privilégiés de la procédure collective,

Et statuant à nouveau,

In limine litis, juger que la clause compromissoire stipulée dans le contrat conclu le 21 mars 2003 est applicable au présent litige ;

En conséquence,

- Se déclarer incompétente pour connaître de l'action entreprise à l'encontre de la société Groupe [U] par la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, au profit du tribunal arbitral ;

A titre subsidiaire, à supposer que la Cour juge que la clause compromissoire est manifestement inapplicable au présent litige,

- Constater que Maître [O] a été remplacé aux fonctions de liquidateur judiciaire de la société Dialogues par la société Berthelot & Associés et, dès lors, est dépourvu de qualité à agir en justice au nom de cette société ;

- Juger que les demandes formées par Maître [O] sont irrecevables ;

En conséquence,

- Débouter Maître [O] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre très subsidiaire, à supposer que la Cour juge que la clause compromissoire est manifestement inapplicable au présent litige et que les demandes formées par Maître [R] [O] sont recevables,

* Sur la prétendue rupture par la société Groupe [U] des relations commerciales qu'elle entretenait avec la société Dialogues :

- Dire que l'accord intervenu entre les sociétés Groupe [U] et Dialogues sur les modalités de poursuite de leurs relations commerciales jusqu'à la fin de l'année 2020 exclut toute brutalité dans la rupture de ces relations ;

- Dire, en toute hypothèse, que le volume d'affaires réalisé au cours de l'année 2018 ne caractérise pas une rupture, même partielle, des relations entre les sociétés Groupe [U] et Dialogues ;

- Dire, surabondamment, que la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de Liquidateur Judiciaire de la société Dialogues, ne justifie ni du principe ni du quantum du préjudice de perte de marge qu'elle invoque ;

En conséquence,

- Débouter la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

* Sur le prétendu débauchage illicite par la société Groupe [U] de Monsieur [L] [G] :

- Dire que la société Berthelot & Associés - Mandataires judiciaires, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Dialogues, ne rapporte ni la preuve de manœuvres déloyales prétendument commises par la société Groupe [U] dans l'embauche de Monsieur [G], ni celle d'une désorganisation consécutive à cette embauche ;

- Dire, en toute hypothèse, qu'elle ne justifie ni du principe ni du quantum du préjudice de gain manqué et du préjudice moral qu'elle invoque ;

En conséquence,

- La débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

En tout état de cause,

- La condamner à payer à la société Groupe [U] la somme de 30.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- La condamner aux entiers dépens, de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 mai 2023.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens échangés et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIVATION

Sur les exceptions de procédure soulevées par le Groupe [U]

- Sur la qualité à agir de Maître [O], mandataire judiciaire.

Exposé du moyen :

La société Groupe [U] soulève une fin de non-recevoir au visa de l'article 122 du code de procédure civile, arguant que Maître [R] [O] ne dispose plus de la qualité à agir.

La société Berthelot et Associés, ès qualités, répond que Maître [O] avait qualité à agir au nom et pour le compte de la société dont il était le mandataire liquidateur lors de l'introduction de l'instance le 7 juin 2019.

Réponse de la Cour :

En application de l'article L. 641-9, I du code de commerce, les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Maitre [O], désigné mandataire liquidateur de la société Dialogues le 28 aout 2018, a assigné le 7 juin 2019, ès qualitès, le Groupe [U] en rupture brutale des relations commerciales établies.

Dans le cadre de la procédure orale applicable devant les juridictions consulaires, les demandes ont été ultérieurement formulées par la seule société Berthelot, qui l'a remplacé par ordonnance du 2 janvier 2020 du président du tribunal de commerce de Grenoble et a poursuvi l'instance, ès qualités de mandataire liquidateur de cette société.

Il n'est pas allégué que la circonstance que Me [O] n'ait plus qualité pour agir ait un effet sur la recevabilité des demandes que la société Berthelot formule seule ès qualités.

En conséquence, si le tribunal, suite à une erreur matérielle, a (en utilisant le présent de l'indicatif) indiqué dans le dispositif du jugement que Me [O] a qualité pour agir, cette disposition est dépourvue de toute portée, l'intéressé ne formulant aucune demande et la question de la recevabilité de ses demandes étant en conséquence sans objet.

Il s'en suit que la fin de non-recevoir soulevée, qui ne tend pas à déclarer un adversaire irrecevable en sa demande, n'est pas constituée.

- Sur la compétence du tribunal de commerce de Lyon.

Exposé du moyen :

La société Groupe [U] soutient, au visa des articles 1442 et 1448 du code de procédure civile, que le tribunal de commerce de Lyon aurait dû se déclarer incompétent compte tenu de la stipulation d'une clause compromissoire insérée dans le contrat du 21 mars 2003.

La société Berthelot et Associés, ès qualités, répond qu'il ne s'agit pas d'une clause compromissoire mais d'une clause d'expertise.

A titre subsidiaire, l'appelante fait valoir que cette clause est manifestement inapplicable au cas présent (aucun autre document contractuel ne la contenant) et qu'elle est en toute hypothèse inopposable au liquidateur judiciaire (qui exerce l'action au nom et dans l'intérêt des créanciers).

A titre très subsidiaire, elle soutient que cette clause est nulle car elle a été stipulée dans un contrat de 2003 est donc soumise aux seules dispositions antérieures au décret du 13 janvier 2011 portant réforme de l'arbitrage. Or elle ne permet pas de connaître le mode de désignation de potentiels arbitres et contient des imprécisions (désignation d'un "expert reconnu").

Réponse de la Cour :

En application de l'article 1442 du code de procédure civile applicable du 14 mai 1981 au 1er mai 2011,"(l)a clause compromissoire est la convention par laquelle les parties à un contrat s'engagent à soumettre à l'arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce contrat."

L'article 8 "Litiges" du contrat de maintenance signé entre les parties du 21 mars 2003 (pièce Groupe [U] n°4) stipule que " (t)outes difficultés relatives à l'application du présent contrat seront soumises, à défaut d'accord amiable à l'appréciation des deux experts que chaque partie aura librement choisi. A défaut d'accord ces derniers nommeront d'un commun accord un expert reconnu qui tranchera. Les cocontractants s'engagent à respecter la décision des experts. "

La convention de reprise des applications MS Access du 11 février 2013 (pièce Groupe [U] n°5) ne contient aucune clause équivalente.

L'accord de confidentialité signé entre les parties le 15 février 2013 stipule, en son article 7, une compétence exclusive des tribunaux de Lyon (pièce Berthelot n° 21).

C'est à raison que le tribunal dans la décision attaquée a, dans ces circonstances, interprété le périmètre de la clause litigieuse comme portant sur :

- l'objet même du contrat du 21 mars 2003 tel que mentionné en son l'article 1 (réalisation de la maintenance du parc informatique du client),

- les conditions financières mentionnées à l'article 2 (révision des prix),

- la durée du contrat, qui ne peut être dénoncé avant l'échéance,

- la facturation et le règlement,

- les assurances,

- la résiliation en cas d'inexécution de la procédure et la limitation de responsabilité telle que définie à l'article 7.

Il s'en déduit que cette clause ne se limite pas à une mission d'appréciation technique, laquelle pourrait être confiée à des experts.

Force est de constater, de surcroit, que le litige ne porte pas en l'espèce sur des manquements contractuels, mais sur la rupture brutale des relations commerciales établies et sur des faits de parasitisme en lien.

Il s'en suit que les dispositions de l'article 8 "Litiges" du contrat de maintenance du 21 mars 2003 ne trouvent pas à s'appliquer au cas présent.

Le jugement attaqué, par lequel le tribunal s'est déclaré compétent, est confirmé.

Sur la rupture brutale alléguée des relations commerciales établies.

La Cour rappelle que les ruptures brutales intervenues avant le 26 avril 2019 sont soumises à l'ancien article L. 442-6, I, 5e du code de commerce, lequel dispose :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé par le fait, pour tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au registre des métiers :

(...) 5° de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels."

Les parties ne contestent en l'espèce ni l'existence, ni la durée de la relation commerciale établie.

Exposé du moyen :

La société Berthelot et Associés, ès qualités, fait état d'une réduction substantielle de commandes qui s'apparente selon elle à une rupture partielle des relations commerciales établies. Elle prétend qu'il n'existe aucun accord régularisé entre les parties en ce sens.

En considération de l'importance et de la durée de la relation commerciale ainsi que de l'état de dépendance économique de Dialogues, [U] aurait dû respecter un préavis de 24 mois.

La société Groupe [U] soutient que l'accord passé entre les parties en 2018, qui a déterminé le volume de chiffre d'affaires à réaliser jusqu'à la fin de l'année 2020, exclut toute brutalité dans la fin de la relation commerciale, dans la mesure où cette dernière n'était ni imprévisible, ni soudaine, ni violente. Elle prétend que l'accord des parties prévoyait un désengagement progressif, de sorte que la baisse du volume du chiffre d'affaires n'est pas substantielle, et ne peut caractériser une rupture partielle des relations commerciales.

Elle fait valoir que Dialogues se trouvait en état de cessation des paiements dès le 31 janvier 2017, compte tenu du redressement fiscal dont elle a fait l'objet à la fin de l'année 2016 pour un montant de 161 574 euros (pièce Berthelot n° 6) et soutient que la liquidation judiciaire n'est pas imputable au volume d'affaires réalisé avec le groupe [U].

Elle ajoute que l'état de dépendance économique n'est pas démontré par un élément objectif s'opposant à la substitution de la société Groupe [U] par une autre société. La part du chiffre d'affaires réalisé par Dialogues avec le Groupe [U] s'établissait en moyenne à 46,8 % entre 2013 et 2017.

Réponse de la Cour :

Il ressort de l'attestation établie par l'expert-comptable de Dialogues (pièce Berthelot n°7) qu'entre 2013 et 2017, cette société réalisait avec le Groupe [U] un chiffre d'affaires qui a oscillé dans une fourchette allant de 197 615 euros (en 2014) à 331 175 euros (en 2015), la moyenne s'élevant à 260 766 euros sur l'ensemble de la période, étant observé que la part de la GPAO était d'un tiers (et d'environ 27 % les trois dernières années).

La Cour considère, comme le tribunal, que la mise en place de la GPAO correspondait certes à une prestation exécutée sur plusieurs années (cf pièce n° 5 Groupe [U] : présentation PowerPoint du projet 2013-2017 réalisée par Dialogues) mais que celle-ci avait vocation, au bout de quatre ans environ, à se limiter à la maintenance de l'outil, laquelle devait pouvoir être maitrisée par le client.

Il peut au demeurant être constaté à cet égard, en complément, que le mail du 17 janvier 2018 (pièce Berthelot n° 13) par lequel le groupe [U] a évoqué l'arrêt de ces prestations

- le total annuel des jours facturés au titre du développement GPAO devant s'élever sur l'année entière à 30 jours -, n'a pas donné lieu à contestation.

Il s'ensuit que le volume d'affaires, d'un total de 108 749, 24 euros, réalisé entre les parties de janvier à juillet 2018, tel qu'il ressort tant des factures exigibles sur la période (pièces Groupe [U] n° 26 à 38 : factures exigibles à compter du 1er février 2018 émises par Dialogues et payées par Groupe [U] en 2018) que des bons de commande (pièces Groupe [U] n° 31, 32 et 36 à 39 : bons des 15 février, 2 mars, 4 juillet et 9 juillet 2018), ne traduisent aucune diminution sensible du courant d'affaires.

Ce volume est supérieur au montant acté par échanges de mails entre les parties des 6 et 9 avril 2018 (pièces n° 12 Groupe [U]), lesquels évoquent "la poursuite de la collaboration jusqu'au 31/12/2019 sur la base de 150 000 euros par an".

Ce volume d'affaires est par ailleurs en cohérence (pour un demi-exercice) avec la mention, figurant dans le courrier du mandataire judiciaire de Dialogues du 6 juillet 2018 (Pièce Berthelot n° 26) :

"S'agissant des prestations à venir il semble que les parties soient d'accord sur les termes suivants :

- année 2018 200 000 euros

- année 2019 150 000 euros

- année 2020 75 000 euros",

Le désaccord persistant portant sur un autre point, l'indemnité versée par le Groupe [U] pour la cession de la propriété intellectuelle de tous les programmes.

Il s'en déduit que la baisse alléguée du volumes d'affaires ne caractérise pas une rupture brutale, même partielle, fautive.

Il peut être constaté, à titre complémentaire, que la société Dialogues a adressé le 12 juillet 2018 une facture du 30 juin d'un montant de 27 068, 40 euros correspondant aux "prestations du 3e trimestre 2018" (pièce Groupe [U] n° 32) et qu'elle a été payée à hauteur des prestations réalisées jusqu'au 28 aout 2018, date du placement de Dialogues en liquidation judiciaire.

La société Berthelot, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Dialogues, échoue en conséquence à démontrer que l'économie générale de la relation commerciale aurait été, durant cette période, substantiellement modifiée au point d'être constitutive d'une rupture partielle.

Il est indifférent, à cet égard, qu'aucun accord global (niveau des prestations maintenues et durées, d'une part, conditions dans lesquelles le groupe [U] devenait "propriétaire de l'ensemble des programmes sources et objets utilisés", d'autre part) n'ait pas été trouvé en juillet 2018, sous l'égide de l'administrateur judiciaire, entre les sociétés Dialogues et Groupe [U], et que s'agissant du premier volet, le mandataire judiciaire ait fait preuve de prudence dans le courrier précité du 6 juillet 2018 ("il semble que les parties soient d'accord").

Il peut être observé, en complément, comme souligné par le tribunal dans la décision attaquée, que le placement en liquidation judiciaire de Dialogues en août 2018 a mis un terme définitif aux relations, ce qui empêche toute vérification du volume d'affaires confié à la société Dialogues sur une durée plus longue.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a écarté l'application de l'article L. 442-6-I, 5e du code de commerce.

Sur les faits de parasitisme allégués.

Exposé du moyen :

La société Berthelot et Associés, ès qualités, soutient que le Groupe [U] a débauché un de des salariés de Dialogues, M. [L] [G], qui occupait un poste d'ingénieur informaticien, ce qui constitue une faute ouvrant droit à réparation sur le fondement de l'article 1240 du code civil. Elle allègue que Groupe [U] s'est procuré indument le savoir-faire de son partenaire pour internaliser les prestations informatiques antérieurement confiées à Dialogues. Elle demande à être indemnisée au titre du gain manqué d'une part, et en raison du trouble commercial subi, d'autre part.

La société Groupe [U] soutient que l'embauche d'un salarié d'une entreprise concurrente n'est fautive qu'aux conditions d'être accompagnée de manœuvres déloyales, et de créer la désorganisation de l'entreprise. Or ces deux conditions ne sont pas démontrées.

Réponse de la Cour :

Il n'est pas contesté que la société Groupe [U] a publié, le 27 janvier 2017, une offre d'emploi de directeur de service informatique sur le site de l'APEC. Cette société allègue, en versant différents documents internes, que la candidature spontanée de M. [L] [G] a été envisagée dans ce cadre, mais non retenue.

Des échanges de mails produits aux débats (pièces Groupe [U] n°21) démontrent qu'un contrat de travail en qualité de chef de produits informatiques a postérieurement proposé à l'intéressé, le 5 janvier 2018. M. [G] l'a accepté dans son principe le 8 janvier 2018, ajoutant "souhaiter informer (son) actuel employeur de visu".

Il est constant que ce salarié a ensuite exécuté la totalité de son préavis au sein de la société Dialogues. Il a notamment, durant cette période, organisé le "transfert de ses compétences" vers son sucesseur, M. [N] [W] (pièce Groupe [U] n°22 : courriel du 22 mars 2018 de la société Dialogues à la société Groupe [U]).

Le 18 avril 2018, le conseil de la société Dialogues lui a adressé un courrier mentionnant :

"Vous venez de quitter les effectifs de la société vers un nouveau poste au sein de la société Groupe [U], société auprès de laquelle vous interveniez pour le compte de la société Dialogues. (')

Nous ne pouvons que vous rappelez l'importance de ne communiquer à aucun interlocuteur extérieur à la société Dialogues les codes sources des programmes utilisés dans le cadre de l'exécution de votre contrat de travail.

Nous vous souhaitons beaucoup de réussite dans votre vie professionnelle future et n'avons aucun doute que vous saurez faire perdurer la loyauté dont vous avez fait preuve à l'endroit de la société Dialogues durant vos années de collaboration".

Il se déduit de l'ensemble qu'aucun débauchage illicite n'est démontré.

Le jugement attaqué est confirmé.

Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens.

En équité, la Cour dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Les dépens exposés à hauteur d'appel seront à la charge de la société Berthelot en qualité mandataire liquidateur de la société Dialogues et seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises,

Y ajoutant,

Déboute les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Berthelot, ès qualités de mandataire liquidateur de la société Dialogues au dépens et dit qu'ils seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.