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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 septembre 2023, n° 21/09217

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Groupe MLB Concept (SAS)

Défendeur :

Chevreuse Matériaux (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me David, Me Zeitoun, Me Simon

T. com. Paris, 15e ch., du 19 avr. 2021,…

19 avril 2021

FAITS ET PROCEDURE

La SAS Groupe MLB Concept, qui vient aux droits de la société MLB Concept en vertu d'une transmission universelle de patrimoine intervenue le 17 février 2020, est une entreprise générale de bâtiment, d'architecture et de décoration intérieure. Elle appartient au groupe dirigé par la société holding LMH, également absorbée par la SAS Groupe MLB concept à la même date.

La SARL Chevreuse Matériaux, dont les associés sont les époux [D], exerce une activité de négoce de matériaux de construction à l'enseigne "Tout Faire matériaux" à [Localité 7] ([Localité 3]).

Cette dernière a entretenu à compter du mois d'octobre 2012 des relations commerciales avec la société MLB Concept qu'elle fournissait en matériaux pour ses chantiers.

Des négociations ont été entamées courant 2017 entre les époux [D] et le chef de dépôt adjoint de la SARL Chevreuse Matériaux, monsieur [Y] [Z], les premiers souhaitant céder leurs parts sociales au second. Des pourparlers indépendants menés parallèlement avec monsieur [X] [F], directeur administratif et financier de la société LMH qui avait signé un engagement de confidentialité le 22 janvier 2018, échouaient, ce dernier les ayant rompus par courriel du 23 mars 2018. Monsieur [Y] [Z] notifiait le 3 mai 2018 sa démission à compter du 1er septembre 2018 et était embauché par la société MLB Concept le 3 septembre suivant en qualité de responsable des achats.

A compter d'avril-mai 2018, la société MLB Concept a réduit ses achats auprès de la SARL Chevreuse Matériaux avant de cesser toute commande en août 2018. Aussi, par courrier du 21 décembre 2018, celle-ci mettait celle-là en demeure de lui payer la somme de 107 272,25 euros en réparation du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales. Par lettre de son conseil du 5 février 2019, la société MLB Concept contestait le caractère établi des relations commerciales et toute rupture brutale.

C'est dans ces circonstances que la SARL Chevreuse Matériaux a, par acte d'huissier signifié le 26 novembre 2019, assigné la société MLB Concept devant le tribunal de commerce de Paris en réparation de ses préjudices causés d'une part par la rupture brutale des relations commerciales établies et d'autre part par la violation de l'engagement de confidentialité.

Par jugement du 19 avril 2021, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :

- "se déclare compétent,

- donne acte à la SAS GROUPE MLB CONCEPT de son intervention volontaire suite à la transmission universelle du patrimoine des sociétés LMH et MLB CONCEPT,

- condamne la SAS GROUPE MLB CONCEPT à payer à la société CHEVREUSE MATERIAUX la somme de 57 664 euros d'indemnité au titre de la rupture brutale de la relation commerciale, déboute la société CHEVREUSE MATERIAUX du surplus de sa demande à ce titre,

- déboute la SAS GROUPE MLB CONCEPT de sa demande au titre de procédure abusive,

- condamne la société GROUPE MLB CONCEPT à payer à la société CHEVREUSE MATERIAUX la somme de 15.000 € au titre de préjudice moral,

- condamne la société GROUPE MLB CONCEPT à payer à la société CHEVREUSE MATERIAUX la somme de 8.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejette comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au jugement et en déboute ['] les parties,

- condamne la société GROUPE MLB CONCEPT aux dépens".

Par déclaration reçue au greffe le 20 mai 2021, la SAS Groupe MLB Concept a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 15 juin 2023, la SAS Groupe MLB Concept demande à la cour :

- de recevoir la SAS Groupe MLB Concept en son appel ;

- la déclarant bien fondée, d'ordonner d'un commun accord entre les parties la révocation de l'ordonnance de clôture du 16 mai 2023 pour les besoins de la communication du dernier Kbis de la SAS Chevreuse Matériaux et de l'attestation de vente du terrain de Méré par la SCI [Adresse 6] (pièce 26) ;

- de confirmer le jugement rendu le 19 avril 2021 par le tribunal de commerce de Paris en ce qu'il s'est déclaré compétent en application de l'article 442-6 III du code de commerce devenu L. 442-1 ;

- de l'infirmer pour le surplus en ce qu'il a :

* condamné la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SARL Chevreuse Matériaux la somme de 57 664 euros d'indemnité au titre de la rupture brutale de la relation commerciale ;

* débouté la SAS Groupe MLB Concept de sa demande au titre de procédure abusive ;

* condamné la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SARL Chevreuse Matériaux la somme de 15 000 euros au titre de préjudice moral ;

* condamné la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SARL Chevreuse Matériaux la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* rejeté comme inopérantes ou mal fondées toutes conclusions plus amples ou contraires au jugement et en a débouté la SAS Groupe MLB Concept ;

* condamné la SAS Groupe MLB Concept aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 95,62 euros dont 15,72 euros de TVA ;

- et statuant à nouveau,

- concernant les demandes pour préjudice moral :

* à titre principal, vu l'absence de contestation par l'intimée de l'absence de document contractuel retourné signé en 2018 servant de fondement aux demandes de paiement de la somme de 15 000 euros, de déclarer la SAS Chevreuse Matériaux irrecevable en ses demandes sur le fondement des articles 122 du code de procédure civile et 1103 du code civil ;

* à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait que les documents litigieux servant de base aux pourparlers contractuels constituent des engagements unilatéraux de la SAS Groupe MLB Concept, vu les articles 9 du code de procédure civile, 1210, 1231-3 et 1231-4 du code civil, de débouter la SAS Chevreuse Matériaux de l'ensemble de ses demandes de ce chef, à défaut de rapporter la faute d'un quelconque préjudice et d'un lien de causalité ;

- concernant les demandes tirées de l'existence d'une prétendue relation commerciale établie, si par extraordinaire la cour déclarait recevable l'appel incident :

* à titre principal, de juger que la SAS Chevreuse Matériaux ne rapporte pas la preuve de l'existence d'une relation commerciale établie et d'un engagement souscrit par la SAS Groupe MLB Concept de lui acheter un volume minimum de matériaux ;

* à titre subsidiaire si la cour estimait que la SAS Chevreuse Matériaux rapporte la preuve de l'existence d'une relation commerciale établie, de juger que la rupture n'a pas été brutale mais s'est faite progressivement entre mars et août 2018 soit sur 4 mois, ce qui laissait le temps à la SAS Chevreuse Matériaux de s'organiser ;

* à titre très subsidiaire, si par extraordinaire la cour estimait que la rupture des relations n'a pas été progressive, vu l'article L 442 I 2 du code de commerce, de juger que la rupture par la SAS Groupe MLB Concept de ses relations commerciales avec la SAS Chevreuse Matériaux en août 2018 s'inscrit dans un contexte de dégradation de la relation de confiance entre les parties consécutive à l'échec du projet de rachat des parts sociales des époux [D], lequel leur est imputable, et de la nécessité pour la SAS Groupe MLB Concept d'être plus sélective sur le choix de ses fournisseurs en raison des difficultés qu'elle a rencontrées au cours du deuxième trimestre 2018 ;

* à titre encore plus subsidiaire, vu l'article 9 du code de procédure civile, de juger que la SAS Chevreuse Matériaux ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre la baisse de son chiffre d'affaires et de son résultat net à partir de 2018, celle-ci remontant à 2016 ;

* en conséquence, dans tous les cas, de débouter la SAS Chevreuse Matériaux de l'ensemble de ses demandes de ce chef ;

* à titre encore plus subsidiaire, de confirmer le jugement du chef mal critiqué par l'intimé et de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la SAS Chevreuse Matériaux du surplus de sa demande d'indemnité au titre de la rupture brutale de la relation commerciale ;

- en toute hypothèse :

* d'accueillir la SAS Groupe MLB Concept en sa demande reconventionnelle et y faisant droit ;

* de condamner la SAS Chevreuse Matériaux à régler à la SAS Groupe MLB Concept :

- la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive sur fondement de l'article 1240 du code civil majorée des intérêts légaux ;

- la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens ;

- à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour devait entrer en voie de condamnation à l'encontre de la SAS Groupe MLB Concept, de limiter celle-ci à l'euro symbolique pour les deux demandes de la SAS Chevreuse Matériaux, de débouter celle-ci du surplus de ses demandes, et de juger dans cette hypothèse que chacune des parties conservera à sa charge le montant des dépens et frais irrépétibles exposés.

En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 5 juin 2023, la SARL Chevreuse Matériaux, devenue la SAS Chevreuse Matériaux, demande à la cour, au visa des articles L. 442-1 du code de commerce, 1103 et suivants, 1172 et 1194 et suivants et 1231 et suivants du code civil, de :

- confirmer le jugement rendu le 19 avril 2021 par le tribunal de commerce de Paris, sauf en ce qu'il a débouté la SAS Chevreuse Matériaux du surplus de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale ;

- statuant de nouveau,

- débouter la SAS Groupe MLB Concept de l'ensemble de ses demandes ;

- débouter la SAS Groupe MLB Concept de sa demande de condamnation de la SAS Chevreuse Matériaux à la somme de 15 000 euros pour procédure abusive ;

- dire et juger que la responsabilité de la SAS Groupe MLB Concept est engagée à l'égard de la SAS Chevreuse Matériaux en raison de la rupture brutale des relations commerciales qu'elles entretenaient, survenue au mois de mai 2018 ;

- en conséquence, condamner la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 104 167,44 euros en réparation du préjudice subi du fait de cette rupture ;

- dire et juger que la responsabilité de la SAS Groupe MLB Concept est engagée à l'égard de la SAS Chevreuse Matériaux en raison de la violation par celle-ci de l'engagement de confidentialité signé le 22 janvier 2018, résultant de la convocation de monsieur [Z] et de l'embauche de celui-ci par la SAS Groupe MLB Concept ;

- en conséquence, condamner la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral consistant en un trouble commercial et en une atteinte à son image ;

- en tout état de cause :

* condamner la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

* condamner la SAS Groupe MLB Concept aux entiers dépens de l'instance.

Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.

L'ordonnance de clôture rendue le 16 mai 2023 a été révoquée le 20 juin 2023 et clôturée le même jour. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.

MOTIVATION

1°) Sur la responsabilité contractuelle

Moyens des parties,

Au soutien de ses prétentions, la SAS Groupe MLB Concept expose que la demande en réparation de son préjudice moral présentée par la SAS Chevreuse Matériaux est irrecevable car l'engagement de confidentialité qu'elle invoque à ce titre n'a pas été signé par madame [D] et que le tribunal, en soulevant d'office le moyen tiré de sa qualification d'engagement unilatéral, a violé le principe du contradictoire. Subsidiairement, elle explique que les pourparlers ont été rompus en raison du défaut de communication par la SARL Chevreuse Matériaux des éléments nécessaires à la détermination d'un prix de cession. Elle ajoute que le préjudice allégué n'est pas établi, monsieur [Y] [Z] n'ayant pas été débauché pour le même poste et le projet d'ouverture d'un magasin de négoce de matériaux ayant été abandonné.

En réponse, la SAS Chevreuse Matériaux expose qu'elle avait soutenu devant le tribunal que l'engagement de confidentialité violé était unilatéral, qualification privant de pertinence l'argument tiré du défaut de signature de madame [D], l'acte étant de surcroît non formaliste et soumis au principe du consensualisme. Elle ajoute qu'en informant monsieur [Z] de son projet d'acquisition des parts sociales des époux [D], la SAS Groupe MLB Concept a violé son engagement, faute qui est à l'origine de la démission de ce dernier puis de son embauche qui avait pour objectif final son emploi dans une entreprise directement concurrente.

Réponse de la cour,

A titre liminaire, la Cour constate que, dans ses écritures développées oralement devant le tribunal de commerce, la SAS Chevreuse Matériaux a soutenu que l'engagement de confidentialité du 22 janvier 2018 était unilatéral (pièce 17 de la SAS Groupe MLB Concept, page 14). Le moyen tiré de la violation du principe de la contradiction par le premier juge est ainsi infondé. Par ailleurs, la SAS Chevreuse Matériaux poursuivant la réparation du préjudice causé par la violation de cet engagement par la SAS Groupe MLB Concept, les moyens de cette dernière relatif à l'absence de faute dans la rupture des pourparlers sont étrangers au débat et ne seront pas examinés.

En vertu de l'article 1101 du code civil, le contrat est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes destinées à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations.

Et, conformément à l'article 1106 du code civil, le contrat est synallagmatique lorsque les contractants s'obligent réciproquement les uns envers les autres. Il est unilatéral lorsqu'une ou plusieurs personnes s'obligent envers une ou plusieurs autres sans qu'il y ait d'engagement réciproque de celles-ci. Au sens de l'article 1100-1 de ce code, les actes juridiques sont des manifestations de volonté destinées à produire des effets de droit. Ils peuvent être conventionnels ou unilatéraux et obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats.

A ce titre, en application de l'article 1217 du code civil, la partie envers laquelle l'engagement n'a pas été exécuté, ou l'a été imparfaitement, peut :

- refuser d'exécuter ou suspendre l'exécution de sa propre obligation ;

- poursuivre l'exécution forcée en nature de l'obligation ;

- solliciter une réduction du prix ;

- provoquer la résolution du contrat ;

- demander réparation des conséquences de l'inexécution.

Les sanctions qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées ; des dommages et intérêts peuvent toujours s'y ajouter.

Enfin, aux termes des articles 1231-2 et 3 du code civil, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé, le débiteur n'étant tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qui pouvaient être prévus lors de la conclusion du contrat, sauf lorsque l'inexécution est due à une faute lourde ou dolosive.

L'engagement de confidentialité du 22 janvier 2018 (pièce 7 de la SAS Chevreuse Matériaux) prend la forme d'un courrier adressé par la SAS Chevreuse Matériaux à la société LMH le 19 janvier 2018. Il est ainsi introduit :

Messieurs,

Vous nous avez informés de votre souhait d'étudier avec nous la possibilité de reprendre l'ensemble de la société CHEVREUSE MATERIAUX (ci-après l'Opération).

Nous vous remettons donc des documents confidentiels de présentation de la société Chevreuse Matériaux (ci-après la Société).

Le présent engagement de confidentialité définit les termes et conditions selon lesquels nous acceptons de mettre à votre disposition des documents confidentiels de présentation de la société.

Vous nous confirmez que vous vous engagez à garder confidentielles les informations telles que définies ci-après, qui pourraient vous être communiquées par nous ou par la société, dans le cadre de l'Opération.

Vous vous engagez expressément à ne pas faire état, ni diffuser, sans notre accord préalable, à un tiers, hormis à vos conseils directement impliqués dans l'Opération, les termes du présent Engagement de Confidentialité, de même que l'existence et le contenu de toutes discussions et/ou négociations avec nous-mêmes et nos conseils.

Après une définition des informations couvertes par le secret, il précise les engagements de la société LMH prise en la personne de monsieur [X] [F] à l'égard de la SAS Chevreuse Matériaux ("en conséquence, conscients du préjudice que subirait la Société et/ou ses actionnaires en cas de divulgation des Informations, vous vous engagez [']").

Ses effets énumérés, l'acte s'achevait sur la phrase suivante : "toute violation des présents entrainera si bon semble au profit de Chevreuse Matériaux le versement de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par le groupe LMH, ce qu'il reconnaît expressément".

Contrairement à ce que soutient la SAS Groupe MLB Concept, cet acte, rédigé à la deuxième personne du pluriel dès qu'il s'agit de définir des obligations, qui ne sont spécifiquement imposées qu'à la société LMH ("vous vous engagez [']"), n'en comporte aucune à l'égard de la SAS Chevreuse Matériaux, les conséquences de leur violation n'étant ainsi envisagées qu'à son bénéfice : l'engagement qu'il contient est unilatéral. Le fait qu'il précise dans sa partie finale le nom de la gérante de la SAS Chevreuse Matériaux n'est pas de nature à modifier cette qualification car cette indication n'est à l'évidence apportée que pour identifier le rédacteur de l'acte qui prend la forme d'un courrier, document qu'il est d'usage d'achever par le nom de l'auteur. De fait, tandis que la référence à madame [E] [D] n'est accompagnée que de la mention de sa qualité de représentante légale, celle faite à monsieur [X] [F], agissant au nom et pour le compte de la société LMH, est immédiatement suivie de la formule : "Nous nous engageons à respecter la confidentialité des informations qui nous sont communiquées sur les bases mentionnées dans ce courrier". Cette analyse est confortée par l'échange de courriels des 11 au 23 janvier 2018 (pièce 6 de la SAS Chevreuse Matériaux) qui confirme que monsieur [X] [F] était le seul dont la signature était requise, celui-ci retournant "les documents signés" et annonçant la remise des "originaux" le lendemain, signe qu'il estimait son engagement parfait. Le moyen tiré de l'absence de signature de la SAS Chevreuse Matériaux est ainsi infondé.

Cet engagement unilatéral de la société LMH, valablement consenti pour une durée de deux ans, stipule en particulier l'interdiction de rencontrer, hors sa présence, d'autres employés que ceux désignés par la SAS Chevreuse Matériaux afin de discuter et négocier l'opération envisagée.

Or, la SAS Groupe MLB Concept ne conteste pas avoir convoqué, courant février 2018, soit postérieurement à la prise d'effet de son engagement, monsieur [Y] [Z], chef de dépôt adjoint de la SARL Chevreuse Matériaux, et l'avoir informé de l'existence des négociations en cours sur l'acquisition des parts sociales des époux [D], violation de l'engagement de confidentialité immédiatement dénoncée par la SAS Chevreuse Matériaux par courrier du 19 mars 2018 (sa pièce 11). Si la SAS Groupe MLB Concept soutient ne pas avoir reçu ce document, le contenu de la réponse qu'elle apporte le 23 mars 2018 à un courriel du 21 mars 2018 ayant pour unique objet l'envoi d'une lettre en pièce-jointe, dont la teneur n'est, il est vrai, pas précisée, induit le contraire : dédié à la justification de la rupture des pourparlers, son message est introduit par des considérations destinées à priver, selon monsieur [X] [F], la lettre de confidentialité de portée, référence inattendue s'expliquant à l'évidence par le fait que son auteur entend contester des griefs antécédents portés à sa connaissance (pièce 12 de la SAS Chevreuse Matériaux).

Le fait que monsieur [Y] [Z] vive en concubinage avec une salariée du service comptabilité de la société LMH (pièces 1 et 2 de la SAS Groupe MLB Concept) n'est pas de nature à justifier ou modérer la violation par cette dernière de son engagement de confidentialité, rien ne démontrant que, à raison de ses fonctions, sa compagne ait eu connaissance des négociations menées avec son employeur et qu'elle en ait elle-même divulgué l'existence.

En outre, monsieur [Y] [Z] a notifié sa démission le 3 mai 2018 pour le 1er septembre 2018 et a immédiatement conclu le 27 avril 2018 avec la société LMH un contrat à durée indéterminée prenant effet le 3 septembre 2018 (pièces 26 de la SAS Chevreuse Matériaux et 6 de la SAS Groupe MLB Concept). Cette chronologie suffit à établir que son débauchage est la suite directe de la violation de l'engagement de confidentialité : si elle ne caractérise pas en elle-même son inexécution, elle éclaire ses conséquences dommageables.

En revanche, les moyens tirés de l'utilisation des informations recueillies dans le cadre des négociations pour constituer une société concurrente sont inopérants : outre le fait qu'il n'est pas prouvé que ce projet ait été conçu sur la base de données confidentielles, la SAS Groupe MLB Concept démontre qu'il a finalement été avorté sans réel commencement d'exécution (ses pièces 9 à 11 et 26), la SAS Chevreuse Matériaux évoquant de surcroît à ce titre des faits de concurrence déloyale dont la nature délictuelle est incompatible avec le fondement contractuel de la violation de l'engagement de confidentialité.

La faute de la SAS Groupe MLB Concept a causé à la SAS Chevreuse Matériaux un préjudice moral résidant dans sa déstabilisation dans les pourparlers qu'elle menait avec son salarié, puis avec elle, pour le rachat des parts de ses associés, soit à un moment important de sa vie sociale, trouble d'autant plus sérieux qu'il s'est accompagné de la démission qu'elle a directement provoquée. En conséquence, celle-là sera condamnée à payer à celle-ci la somme de 10 000 euros en réparation intégrale de son préjudice, le jugement entrepris étant infirmé en ce qu'il a fixé le quantum de l'indemnisation à la somme, excessive au regard du préjudice effectivement subi, de 15 000 euros.

2°) Sur la rupture brutale des relations commerciales établies

Moyens des parties,

Au soutien de ses prétentions, la SAS Groupe MLB Concept expose que la SARL Chevreuse Matériaux, avec laquelle aucun contrat n'a été conclu et qui ne bénéficiait d'aucun engagement de volume, était un fournisseur parmi d'autres et que la baisse de son chiffre d'affaires est antérieure à la dégradation et à la rupture de leurs relations commerciales. Niant toute dépendance économique, elle en déduit l'absence de relations commerciales établies. Elle conteste ensuite la brutalité de la rupture qui était annoncée dès celle des pourparlers, intervenue dans un contexte de perte de confiance à l'égard de la SARL Chevreuse Matériaux, et a été progressive au regard de la baisse des commandes entamée dès le mois de mai 2018. Elle ajoute que la rupture trouve également sa cause dans la dégradation de sa propre situation financière qui n'était plus compatible avec les tarifs très supérieurs à ceux de ses concurrents pratiqués par la SARL Chevreuse Matériaux. Plus subsidiairement, elle précise que la SARL Chevreuse Matériaux ne demande pas l'infirmation du jugement au titre de l'indemnisation de son préjudice causé par la rupture brutale et en déduit que le jugement ne peut être que confirmé sur ce point.

En réponse, la SARL Chevreuse Matériaux expose que la relation commerciale, qui a duré 5 ans et 11 mois avant la rupture survenue en mai 2018, était continue et en constante progression de 2012 à 2016 avant de se stabiliser en 2017, les achats de la SAS Groupe MLB Concept représentant en moyenne le quart de son chiffre d'affaires. Elle en déduit qu'elle était établie. Elle ajoute que les pourparlers relatifs au rachat des parts sociales étaient sans lien avec cette relation commerciale et que la brutalité de sa rupture n'est justifiée ni par ses tarifs, ni par une faute quelconque qui lui serait imputable, ni par les difficultés financières de la SAS Groupe MLB Concept qui ne sont pas prouvées en 2018. Invoquant par ailleurs un état de dépendance économique, elle estime que le préavis auquel elle avait droit était de six mois à compter du 1er mai 2018. Elle calcule son préjudice en appliquant son taux de marge brute au chiffre d'affaires moyen réalisé entre 2015 et 2017 et précise avoir sollicité l'infirmation du jugement sur ce point.

Réponse de la cour

- Sur le périmètre de l'appel

Quoique cette question soit préalable à l'examen du bienfondé des demandes, c'est à titre très subsidiaire que la SAS Groupe MLB Concept oppose l'absence d'appel valablement formé par la SAS Chevreuse Matériaux du chef de dispositif rejetant partiellement sa demande indemnitaire en ce qu'elle demande à la Cour de le "confirmer sauf en ce qu'il a débouté la société Chevreuse Matériaux du surplus de sa demande au titre de la rupture brutale de la relation commerciale" sans solliciter expressément l'infirmation d'un chef précis de dispositif.

Il est exact que, aux termes de l'article 909 du code de procédure civile, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office par le conseiller de la mise en état ou, en l'absence d'ordonnance prise par celui-ci, par la cour au sens des articles 914 et 125 du code de procédure civile, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué. Et, les conclusions par lesquelles l'appel incident est formé au sens des articles 551 et 68 du code de procédure civile doivent, au même titre que celles visées par l'article 908 du code de procédure civile, appels incident et principal ne différant pas sur ce plan, déterminer l'objet du litige porté devant la cour d'appel au sens des dispositions combinées des articles 542 et 954 du code de procédure civile. Ainsi, des conclusions ne répondant pas aux exigences du second de ces textes ne peuvent être regardées comme des écritures remises dans le délai prescrit par le premier (en ce sens, 2ème Civ., 31 janvier 2019, n° 18-10.983). De ce fait, lorsque l'appelant ou l'intimé ne demande dans le dispositif de ses conclusions, ni l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement (en ce sens, 2ème Civ., 17 septembre 2020, n° 18.23-626, et 2ème Civ., 1er juillet 2021, n° 20-10.694). Et, la demande d'infirmation, qui doit être expresse au sens des articles 542 et 954 du code de procédure civile, ne peut se déduire des prétentions formulées dans le dispositif des écritures.

En demandant à la Cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a déboutée du surplus de sa prétention au titre de la rupture brutale de la relation commerciale et en sollicitant ensuite la condamnation de la SAS Groupe MLB Concept à lui payer une somme supérieure à celle allouée par le premier juge, la SAS Chevreuse Matériaux, qui a calqué le dispositif de ses écritures sur le chef de dispositif de la décision à infirmer qu'elle énonçait clairement, a valablement formé appel incident.

En conséquence, ce moyen, qui ne soutient ni prétention autre que la confirmation du jugement ni fin de non-recevoir, est inopérant.

- Sur le bienfondé des demandes

En application de l'article L 442-6 I 5° du code de commerce dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

Au sens de ce texte, la relation, notion propre du droit des pratiques restrictives de concurrence qui n'implique aucun contrat (en ce sens, Com., 9 mars 2010, n° 09-10.216) et n'est soumise à aucun formalisme quoiqu'une convention ou une succession d'accords poursuivant un objectif commun puisse la caractériser, peut se satisfaire d'un simple courant d'affaires, sa nature commerciale étant entendue plus largement que la commercialité des articles L 110-1 et suivants du code de commerce comme la fourniture d'un produit ou d'une prestation de service (en ce sens, Com., 23 avril 2003, n° 01-11.664). Elle est établie dès lors qu'elle présente un caractère suivi, stable et habituel laissant entendre à la victime de la rupture qu'elle pouvait raisonnablement anticiper, pour l'avenir, une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial (en ce sens, Com., 15 septembre 2009, n° 08-19.200 qui évoque "la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale").

Par ailleurs, L 442-6 I 5° du code de commerce sanctionne non la rupture, qui doit néanmoins être imputable à l'agent économique à qui elle est reprochée, mais sa brutalité qui résulte de l'absence de préavis écrit ou de préavis suffisant. Ce dernier, qui s'apprécie au moment de la notification de la rupture, doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les critères pertinents sont notamment l'ancienneté des relations et les usages commerciaux, le degré de dépendance économique, le volume d'affaires réalisé, la progression du chiffre d'affaires, les investissements effectués, l'éventuelle exclusivité des relations et la spécificité du marché et des produits et services en cause ainsi que tout obstacle économique ou juridique à la reconversion. La rupture peut être totale ou partielle, la relation commerciale devant dans ce dernier cas être modifiée substantiellement (en ce sens, Com. 31 mars 2016, n° 14-11.329 ; Com 20 novembre 2019, n° 18-11.966, qui précise qu'une modification contractuelle négociable et non imposée n'est pas la marque d'une rupture partielle brutale).

Au jour de la rupture alléguée, qui correspond à la diminution drastique des commandes le 1er mai 2018 en l'absence d'invocation d'une rupture partielle antérieure à compter du mois d'avril 2018, la relation commerciale nouée entre la SAS Chevreuse Matériaux et la SAS Groupe MLB Concept dès le mois d'octobre 2012 a duré 5 ans et 6 mois. Le chiffre d'affaires généré dans ce cadre était de 139 319,02 euros en 2013, de 316 001,62 euros en 2014, de 554 074,40 euros en 2015, de 578 290,33 euros en 2016 et de 544 331,92 euros en 2017, les données retraitées intégrées dans le jugement, que la Cour adopte, révélant des commandes continues durant toute la relation à raison d'une moyenne de trois achats par mois (pièce 5 de la SAS Chevreuse Matériaux). Ces données sont caractéristiques d'une relation suivie, stable et habituelle portant sur un volume d'affaires significatif en constante augmentation de 2012 à 2016 avant une baisse modérée en 2017 qui marque un retour au niveau de 2015. Cette activité représentait, ainsi que le confirment ses comptes annuels, une part de son chiffre d'affaires global atteignant 22,97 % en 2015, 26,60 % en 2016 et 24,50 % en 2017 (ses pièces 21 à 23). Aussi, la relation était d'importance pour la SAS Chevreuse Matériaux, en valeurs absolue et relative, sa part dans le total des achats de la SAS Groupe MLB Concept, qui n'était quoi qu'il en soit pas négligeable (22 % en 2015 et 21 % des en 2016 et 2017 selon sa pièce 24), n'étant en revanche pas un critère pertinent. Elle était établie, peu important son absence de formalisation dans un contrat.

La baisse des commandes à compter d'avril 2018, le chiffre d'affaires passant de 84 818,01 euros à 25 415,12 euros, puis à 15 089,57 euros, 6 561,93 euros et 5 393,20 euros (pièce 5 de la SAS Chevreuse Matériaux) est intervenue tardivement et brutalement : modifiant substantiellement le flux d'affaires et qualifiable de ce fait de rupture partielle, elle n'est pas de nature à précariser la relation et à permettre à la SAS Chevreuse Matériaux, qui l'a subie sans annonce préalable, d'envisager la fin de la relation commerciale puis de préparer sa réorganisation.

Par ailleurs, l'état de dépendance économique, pour l'essentiel défini pour les besoins de l'application de l'article L 420-2 du code de commerce qui n'est pas en débat mais devant être apprécié de manière uniforme en tant que situation de fait servant ici, non de condition préalable mais d'élément d'évaluation de la durée du préavis éludé, s'entend de l'impossibilité, pour une entreprise, de disposer d'une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations contractuelles qu'elle a nouées avec une autre entreprise (en ce sens, Com., 12 février 2013, n° 12-13.603). Son existence s'apprécie en tenant compte notamment de la notoriété de la marque du fournisseur, de l'importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d'affaires du revendeur, ainsi que de l'impossibilité pour ce dernier d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents (en ce sens, Com., 12 octobre 1993, n° 91-16988 et 91-17090). La possibilité de disposer d'une solution équivalente s'entend de celle, juridique mais aussi matérielle, pour l'entreprise de développer des relations contractuelles avec d'autres partenaires, de substituer à son donneur d'ordre un ou plusieurs autres donneurs d'ordre lui permettant de faire fonctionner son entreprise dans des conditions techniques et économiques comparables (Com., 23 octobre 2007, n° 06-14.981).

Les parties ne fournissent pas d'autres éléments sur la structure du marché du négoce de matériaux de construction que ceux, généraux, retenus par le tribunal et non critiqués tenant au fait qu'il n'implique pas d'expertise particulière et que les partenaires sont substituables, le redéploiement de l'activité en cas de perte d'un partenaire commercial étant ainsi facilité. Dès lors, au regard de la part du chiffre d'affaires généré par la relation commerciale établie dans le chiffre d'affaires global de la SAS Chevreuse Matériaux, peu important la diminution de celui-ci entre 2016 et 2018 (pièce 14 de la SAS Groupe MLB Concept) puisque les proportions sont demeurées équivalentes, la dépendance économique de cette dernière à l'égard de la SAS Groupe MLB Concept, certaine, est modérée.

Pour justifier l'arrêt des commandes, qui ne peut être qualifié de progressif et de prévisible en ce qu'il a été total en seulement trois ou quatre mois sans être précédé d'une alerte quelconque, la SAS Groupe MLB Concept invoque une perte de confiance consécutive à l'échec des négociations sur le rachat des parts des époux [D], l'absence d'engagement contractuel sur un volume minimum et ses difficultés financières aggravées par le caractère excessif des tarifs pratiqués par la SAS Chevreuse Matériaux. Ces moyens, qui manquent de cohérence, manquent en fait ou en droit.

En effet, l'absence de minimum garanti contractuellement prévu n'exclut en rien la possibilité d'une rupture brutale qui est ici caractérisée par la cessation sans préavis de tout achat, en contradiction avec le flux d'affaires continu et significatif qui définissait la relation jusqu'alors : la SAS Chevreuse Matériaux ne dénonce pas le franchissement d'un seuil de commandes mais leur diminution substantielle puis leur arrêt.

Par ailleurs, outre le fait que les négociations relatives au rachat des parts des époux [D] n'ont aucun lien avec la relation commerciale elle-même, la SAS Groupe MLB Concept n'expliquant d'ailleurs pas en quoi l'éventuelle perte de confiance survenue à l'occasion des premières aurait un impact sur la seconde, les éléments invoqués à ce titre (pièce 12 de la SAS Chevreuse Matériaux) ne sont pas de nature à caractériser la défiance alléguée, la simple absence de réponse à la proposition faite par monsieur [X] [F] et le défaut de transmission des éléments comptables ne l'impliquant en rien. Et, même en l'estimant réelle, elle trouverait sa cause non dans l'attitude de la SAS Chevreuse Matériaux mais dans la violation de son engagement de confidentialité par la société LMH, imputabilité qui exclut que la SAS Groupe MLB Concept s'en prévale.

Enfin, si l'attestation de l'ancien directeur des achats de cette dernière évoque des demandes orales de remises de fin d'années que la SAS Chevreuse Matériaux n'aurait jamais accordées et la pratique de prix supérieurs à ceux des concurrents, la SAS Groupe MLB Concept ne démontre pas avoir formalisé la moindre demande officielle et connaissait cette situation bien avant la cessation des commandes. Ces éléments ne caractérisent en eux-mêmes aucune faute qui fonderait la cessation immédiate des relations commerciales. Par ailleurs, la SAS Groupe MLB Concept ne prouve pas les difficultés financières qu'elle allègue et qu'elle fait remonter au second trimestre 2018 puisqu'elle ne produit que des documents très postérieurs à la date de la rupture et insusceptibles de l'éclairer (ses pièces 19 à 22 : jugement d'homologation d'un accord de conciliation du 18 février 2020 rendu sur requête du 16 décembre 2019 ne mentionnant pas l'origine des difficultés ; attestations de son expert-comptable rapportant des difficultés ou une "perte en augmentation" en 2020 et soulignant la lourdeur de la condamnation prononcée par le jugement entrepris qui est, par hypothèse, impropre à caractériser des difficultés financières antérieures ; compte annuel 2020).

En conséquence, la diminution substantielle des commandes dès le 1er mai 2018 puis leur cessation totale le 1er août 2018 caractérise une rupture brutale, partielle puis totale, de la relation commerciale établie qui est exclusivement imputable à la SAS Groupe MLB Concept. Au regard de ces éléments combinés, le préavis qui aurait dû être accordé à la SAS Chevreuse Matériaux était de cinq mois. Il aurait dû débuter, ainsi que l'admet la SAS Chevreuse Matériaux qui déduit de son préjudice les sommes perçues jusqu'en août 2018, le 1er mai 2018.

Le préjudice causé à la SAS Chevreuse Matériaux s'analyse en un gain manqué qui correspond à la marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée sous déduction des charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé. En l'absence de débat entre les parties sur ce point, la marge brute de la SAS Chevreuse Matériaux sera néanmoins retenue.

La SAS Chevreuse Matériaux démontre par la production de ses extraits de compte 2012 à 2018 (sa pièce 5) et par une attestation de son expert-comptable qui n'est pas critiquée (sa pièce 25) que le chiffre d'affaires annuel moyen généré par ses relations avec la SAS Groupe MLB Concept était de 558 898,88 euros entre 2015 et 2017, soit les trois dernières années non affectées par la rupture, et qu'elle pratiquait un taux de marge brute moyen de 41,27 % sur cette période. La marge brute perdue, déduction faite des sommes perçues entre le 1er mai et le 1er août 2018 (27 044,70 euros), est de 84 945,97 euros.

En conséquence, le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 57 664 euros d'indemnité au titre de la rupture brutale de la relation commerciale et a débouté la SAS Chevreuse Matériaux du surplus de sa demande à ce titre, et, statuant à nouveau de ce chef, la Cour condamnera la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 84 945,97 euros en réparation intégrale de son préjudice matériel.

3°) Sur la procédure abusive

En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

Au sens de ces textes, l'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.

Outre le fait que la SAS Groupe MLB Concept ne démontre aucune faute imputable à la SAS Chevreuse Matériaux dans l'introduction et la conduite de son action, le succès de ses prétentions est à lui seul exclusif de tout abus.

En conséquence, la demande indemnitaire reconventionnelle de la SAS Groupe MLB Concept doit être rejetée et le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.

4°) Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera confirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens.

Succombant en son appel, la SAS Groupe MLB Concept, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,

Confirme le jugement entrepris en ses dispositions soumises à la Cour, sauf en ce qu'il :

- condamne la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

- condamne la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 57 664 euros d'indemnité au titre de la rupture brutale de la relation commerciale et déboute la SAS Chevreuse Matériaux du surplus de sa demande à ce titre ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Condamne la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral causé par la violation de son engagement unilatéral de confidentialité ;

Condamne la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 84 945,97 euros en réparation intégrale du préjudice causé par la rupture brutale de leurs relations commerciales établies le 1er mai 2018 ;

Y ajoutant,

Rejette la demande de la SAS Groupe MLB Concept au titre des frais irrépétibles ;

Condamne la SAS Groupe MLB Concept à payer à la SAS Chevreuse Matériaux la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Groupe MLB Concept à supporter les entiers dépens d'appel.