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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 30 juin 2010, n° 09/00137

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

épouse MOULENE

Défendeur :

SAMBA (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme BARTHOLIN

Conseillers :

Mme PORCHER, Mme DEGRELLE-CROISSANT

Avoués :

SCP GRAPPOTTE BENETREAU JUMEL, SCP FISSELIER - CHILOUX - BOULAY

Avocats :

SELAFA CABINET CHEVALIER CASSAGNE SALABERT BESSE, Me RAPAPORT

TGI Paris, du 4 nov. 2008

4 novembre 2008

Suivant acte sous seing privé en date du 31 janvier 1997, l'indivision Garzon Raffin aux droits de laquelle se trouve désormais la sarl Samba a donné à bail à Madame Panis épouse Goutalaux droits de laquelle se trouve Madame Mouléne divers locaux dépendant d'un immeuble situé à [...] et [...] ; le bail était consenti pour un durée de 9 années à compter du 1° février 1997 pour se terminer 31 janvier 2006 , moyennant un loyer annuel de 85 000 francs pour une activité de débit de boissons débit de tabac, brasserie ;

Par acte d'huissier en date du 18 juillet 2005, la sarl Samba a fait délivrer à Madame Mouléneun congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction ; la sarl Samba a saisi le juge des référés d'une demande d'expertise pour déterminer le montant de l'indemnité d'éviction ;

Monsieur Robine a été désigné comme expert le 29 mars 206 ; il a déposé son rapport le 16 janvier 2007 ;

Le tribunal de grande instance de PARIS par jugement du 14 novembre 2008 a :

-déclaré valable le congé avec refus de renouvellement et offre d'une indemnité d'éviction délivré le 18 juillet 2005 par la sarl samba à Madame Moulene à effet du 31 janvier 2006 et fixé à la somme de 481 857 euros le montant de l'indemnité d'éviction due à Madame Mouléne à laquelle il conviendra d'ajouter les frais de licenciements sur justificatifs ;

-fixé à la somme annuelle de 26 302, 50 euros le montant de l'indemnité d'occupation due par Madame Moulene depuis le 1° février 2006 et jusqu'à la libération effective des lieux ;

-débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ,

-condamné la sarl samba aux entiers dépens en ce compris les frais d'expertise .

Madame Moulene et la Sarl SAMBA ont interjeté appel de cette décision, les deux procédures ont été jointes sous le n° 09/00137 ; Madame Moulene demande à la cour de la recevoir en son appel et de réformer le jugement déféré en ce qu'il a retenu un chiffre

d'affaires hors taxes pour la valorisation du fonds de commerce , choisi de faire une moyenne entre la méthode financière et celle dite traditionnelle et fixé à la somme de 481 857 euros le montant de l'indemnité d'éviction devant revenir à Madame Moulene ;

Elle demande également de le reformer en ce qui concerne le montant de l'indemnité d'occupation ;

Statuant à nouveau, elle demande à la cour de dire que les usages de la profession retiennent pour la valorisation d'un fonds de commerce de bar tabac, tabletterie la seule méthode traditionnelle par le chiffre d'affaires ttc à l'exclusion de toute valeur financière, de dire et juger que l'indemnité d'éviction ne peut être inférieure à la somme de 706 510 euros , de fixer l'indemnité de remploi à la somme de 70 651 euros, de fixer le trouble commercial subi à la somme de 16 177 euros , de fixer les frais divers engendrés par la perte du fonds de commerce à la somme de 3000 euros sauf à parfaire , de fixer les frais de réinstallation imputables au bailleur à la somme de 25 665 euros , de dire et juger que le coût des licenciements sera remboursé par la sarl samba à Madame Moulene sur justification et dire en conséquence que l'indemnité d'éviction devant lui revenir ne saurait être inférieure à 817 235 euros sauf à parfaire ,

Elle de demande de dire et juger que les offres de consignation ne pourront avoir un effet libératoire et qu'elle ne pourra être obligée de quitter les lieu avant d'avoir perçu l'indemnité d'éviction dans son intégralité , de dire et juger que l'indemnité d'occupation ne pourra excéder la somme annuelle de 23 838 euros et de condamner la sarl samba à lui verser la somme de 2500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens avec droit de recouvrement direct au profit de la scp Grapotte Benetreau Jumel avoués ;

La sarl Samba demande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu un chiffre d 'affaires ht pour l'évaluation du fonds de commerce et en ce qu'il a choisi de réaliser une moyenne entre la méthode dite de rentabilité et celle fondée sur le chiffre d'affaires ;

Elle demande de fixer le montant de l'indemnité d'éviction à la somme de 352 500 euros , de fixer le montant de l'indemnité d'occupation à la somme de 45 000 euros par an à compter rétroactivement du 12 février 2006 , de dire que moyennant le versement de l'indemnité d'éviction et déduction faite de l'indemnité d'occupation, la locataire devra remettre les clefs de son local et la condamner à lui verser la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens d'appel avec droit de recouvrement au profit de la scp Fisselier Chiloux Boulay avoués .

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, il convient de se référer à leurs conclusions signifiées le 22 février 2010 pour Madame Mouléne, le 20 novembre 2009 pour la sarl Samba ; leurs moyens seront examinés au cours de la discussion.

Sur ce,

1- Sur la fixation de l'indemnité d'éviction :

Le commerce considéré est situé dans un quartier attractif prés de la [...] recherché pour l'habitation et fréquenté par les touristes arpentant les quais de Seine, à peu de distance de Notre Dame; le quartier comporte de nombreux restaurants et cafés ;

L'immeuble qui abrite le commerce date vraisemblablement du 18° siècle mais a été remanié au 19 ° , la façade étant en maçonnerie enduite et bénéficie d'un bon ravalement ;

Les locaux se composent d'un rez-de- chaussée, d'un sous sol et d'un étage composé de deux pièces ; le rez- de -chaussée affecté à l'exploitation commerciale est constitué d'une petite salle avec cinq guéridons mais bénéfice d'une terrasse couverte largement accessible se composant de douze guéridons et d'une terrasse d'été de 20 guéridons ; la capacité de place assise est de 70 personnes, en période estivale, plus le bar ;

La réserve de tabac est au sous- sol et le premier étage auquel on accède par escalier commun et escalier intérieur sert de bureau ; la décoration selon les indications de l'expert est défraîchie et à refaire et la matériel de cuisine se compose d'une hotte, d'une cuisinière de ménage et d'une réfrigérateur familial ;

L'expert signale que les chiffres d'affaires des trois années 2003, 2004 et 2005 ont été stables et que le ratio chiffre d'affaires / achats est normal voisin de 4 ;

Il propose, vu la qualité de l'emplacement et le bon rendement au m2, de retenir :

*en considération du chiffre d'affaires ht réalisés :

-pour la branche limonade :

Une recette journalière ht de 625 euros x 700 = 437 500

-pour tabletterie, cartes, loterie et timbre 100 % du CA 23 500

-pour le tabac, trois années de commission 75 000

Soit une valeur arrondie à 500 000 euros

* en considération de la rentabilité financière évaluée à 39 000 euros, soit le résultat d'exploitation de 75 074 euros, déduction faite de la rémunération estimée d'un gérant de 36 000 euros /an et en y ajoutant la dotation aux amortissements de 16 774 euros , ce qui donne un total de 55 774 euros que l'expert retient pour 55 000 affecté d'un coefficient de rentabilité de 5, 5,soit une valeur de 302 500 euros ;

Le tribunal a jugé qu'en recoupant les deux méthodes d'évaluation de la valeur marchande du fonds de commerce , il convenait de fixer l'indemnité à la somme de 420 000 euros ;

Madame Mouléne critique cette appréciation ; elle fait grief aux premiers juges d'avoir fait la moyenne arithmétique entre les deux méthodes d'évaluation alors que les résultats entre les deux méthodes accusent un écart important ;

Madame Mouléne invoque également que c'est à tort que, s'agissant de l'évaluation fondée sur le chiffre d'affaires , le tribunal, suivant le rapport de l'expert, a retenu un chiffre d'affaire hors taxes sans répondre aux arguments qui étaient soulevés et sans se référer aux usages de la profession comme le prévoit l'article L145-14 du code de commerce ;

La sarl samba soutient pour sa part que la jurisprudence propose de plus en plus une moyenne entre les deux méthodes d'évaluation et que c'est bien essentiellement la perte de revenu qui doit être prise en compte et donc par voie de conséquence la méthode dite de rentabilité ; elle souligne qu'il est d'ailleurs difficile de prendre en compte en l'espèce le chiffre d'affaires qui n'est pas fiable, s'agissant d'une entreprise unipersonnelle ou le chiffre d'affaires qui avait chuté de 10 % en 2006 a brusquement progressé de façon surprenante en 2007 alors que les tabacs ont généralement connu une diminution de leur activité pendant cette période ;

La sarl samba, reprenant les affirmations de l'expert, fait valoir qu'à Paris, les fonds de commerce sont achetés sur la base d'un chiffre d'affaires ht ;

1-1-Sur l'estimation de la valeur marchande du fonds :

L'article L 145-14 du code de commerce prévoit que l'indemnité d'éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce déterminée suivant les usages de la profession .

L'expert n'a pas privilégié l'estimation par l'analyse de la capacité bénéficiaire en référence à l'excédent brut de l'exploitation ; il s'agit d'un commerce exploité sous la forme personnelle ou l'exploitante se réserve une rémunération importante ( supérieure par exemple à celle d'un gérant d'une société commerciale ) et ou la part de la dotation aux investissements est importante malgré le peu d'investissement réalisé depuis plusieurs années ; en conséquence, le résultat d'exploitation ne renseigne qu'imparfaitement sur la capacité financière du fonds et partant sur sa valeur ;

L'approche par le chiffre d'affaires, plus courante pour l'appréciation de ce type de commerce, doit être en l'espèce privilégiée pour la détermination de la valeur du fonds ;

Cependant, l'approche financière ne saurait être totalement exclue comme correctif en ce qu'elle révèle que, malgré une progression récente du chiffre d'affaires postérieure à l'expertise, alors que les chiffres des trois dernières années analysés par l'expert étaient stables, le résultat d'exploitation s'est lui nettement dégradé puisqu'il est passé de 75 074 euros en 2005 pour un chiffre d'affaires de 243 972 euros à 63 117 euros au 31décembre 2008 pour un chiffre d'affaires de 256 679 euros, signalant une rentabilité en nette régression par un alourdissement des charges notamment de personnel passées de 26 985 euros en 2005 à 39 504 euros en 2008, ce qui signifie que l'évolution des ventes a influencé la structure des coûts ;

Il en sera tenu compte au niveau du coefficient d'affectation de la recette journalière .

Madame Mouléne fait en outre valoir que pour la branche d'activité considérée de café bar brasserie, la valeur marchande est habituellement déterminée en fonction de la recette journalière comprenant la tva encaissée ;

L'expert indique dans son rapport que retenir la tva est 'aberrant dans la mesure ou il ne s'agit pas d'un chiffre d'affaires' et que les fonds achetés à PARIS le sont sur la base du chiffre d'affaires ht ;

Ni l'expert ni la sarl samba qui reprend l'affirmation de l'expert à son compte ne proposent cependant d'exemple précis de comparaison qui accréditerait cette affirmation suivant laquelle les prix de vente des fonds sont évalués à PARIS à partir de chiffres d'affaires ht ;

Or il est d'usage courant de retenir, pour l'évaluation du prix de vente de fonds de commerce, la moyenne du chiffre d'affaires ttc sur les trois dernières années, cette évaluation pouvant être pondérée d'autres correctifs ; le fait que les prix de cession sont sous certaines conditions exonérés de la tva est à cet égard indifférent ;

Il s'ensuit que pour ce qui concerne la branche 'limonade' du fonds considéré, c'est bien la recette journalière ttc qui doit être prise en considération ;

L'expert indique que si l'on raisonne sur un chiffre ttc, il convient de retenir un coefficient moindre que celui de 700 ; Madame Mouléne estime que le coefficient de 800 est plus approprié, compte tenu de l'emplacement privilégié en bord de Seine et face à Notre Dame tandis que la sarl Samba propose quant à elle de retenir un coefficient de 400 ;

Or le coefficient de 700 tenait compte à la fois de l'emplacement mais également de la qualité du fonds dont la décoration est défraîchie et à refaire et les éléments d'équipement de la cuisine obsolètes de sorte que des investissements sont à réaliser ; compte tenu de la régression récente de la rentabilité, c'est un coefficient de 600 qui doit être en définitive retenu .

Ainsi la valeur du fonds s'établit -elle à la somme suivante :

*café bar petite brasserie ( chiffre d'affaires moyen des trois dernières années 2006, 2007 et 2008 ) 224 344 euros ttc soit (186 148+ 19, 6 % ) + (1622+ 5, 5% ) ce qui procure une recette journalière moyenne de 736 euros x 600 = 441 600 euros

*tabletterie et telecartes : 100% du CA moyen des trois dernières années (24 973 euros + 19, 60 % ) soit 29 868 euros

*loterie , timbres et vente paris carte 100% du CA moyen des trois dernières années : 2709 euros

*tabac : trois années de commission suivant usage : 85 133 euros ,

Soit au total 559 310 euros .

1-2-Sur les indemnités accessoires :

-Frais de remploi évalués à 10 % du montant de l'indemnité principale soit 55 931 euros ,

-Trouble commercial représentant trois mois du résultat moyen d'exploitation des trois dernières années de 64 710 euros /an , soit 16 177 euros ,

-Frais de réinstallation : Madame Mouléne ne fait pas la preuve de sa volonté de se réinstaller et il ne saurait être fait droit à cette demande qui n'est justifiée par aucun élément .

-Frais de licenciement ( sur justificatifs )

-Frais divers 3000 euros

2-Sur l'indemnité d'occupation :

La sarl Samba conteste la valeur locative fixée par les premiers juges pour la partie commerciale et pour l'appartement du premier étage qu'elle demande de fixer respectivement à 800 euros /m2 et 35 euros/ m2 tandis que Madame Mouléne ne conteste que la valeur locative de l'appartement qu'elle demande de fixer à 18 euros / m2 ;

L'expert relève que l'appartement du premier étage se compose de deux pièces claires sur moquette au sol, d'une cuisine sur sol de tomettes et un local obscur auquel on accède par quelques marches abritant douche et Wc, le tout à l'état d'usage , modeste et bruyant ; depuis l'expertise, un dégât des eaux s'est produit dans les lieux en provenance du second étage ;

Les premiers juges ont justement évalué la partie commerciale à la valeur locative de 450 euros proposée par l'expert, compte tenu de l'ensemble des éléments d'appréciation et notamment de l'emplacement et de la valeur des locaux de référence, en y ajoutant 10 % pour la terrasse soit une indemnité de 20 344 euros /an ; cette appréciation sera confirmée ;

S'agissant de l'appartement , l'expert a proposé une valeur locative 8 880 euros /an ( les éléments de comparaison vont de 17, 30 euros /m2 à 32, 50 m2 en 2006 ) ;

Compte tenu de l'emplacement et de la surface de l'appartement ( 37 m2 ) et malgré le dégât des eaux récent, sur l'importance duquel Madame Mouléne ne donne d'ailleurs que peu d'indications, il convient de fixer la valeur locative à la somme de 26 euros /m2 soit 962 euros /mois soit 11 544 euros /an ;

Ainsi l'indemnité d'occupation s'établit-elle à la somme de 20 344 + 11 544 = 31 888 euros, somme à laquelle il convient d'appliquer un coefficient de précarité non discuté de 10 % , soit une indemnité d'occupation de 28 700 euros/an due à compter du 1° février 2006 et jusqu'à la libération effective des lieux ;

3-Sur les autres demandes :

La sarl samba qui succombe principalement supportera les entiers dépens , les frais d'expertise étant toutefois partagés par moitié .

Il n'y a pas lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile .

PAR CES MOTIFS

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a validé le congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction délivré par la sarl Samba à Madame Mouléne le 18 juillet 2005 à effet du 31 janvier 2006 pour le local commercial situé à Paris 59 quai de la Tournelle et 2 rue des Bernardins ainsi qu' en ses dispositions relatives à l'article 700 du code de procédure et aux dépens à l'exclusion des frais d'expertise .

Réformant le jugement déféré en ses autres dispositions,

Fixe à la somme de 634 418 euros le montant de l'indemnité d'éviction , somme à laquelle s'ajoutera sur justificatifs les frais de licenciement ,

Fixe à la somme annuelle de 28 700 euros le montant de l'indemnité d'occupation due par Madame Mouléne depuis le 1° février 2006 et jusqu'à la libération effective des lieux .

Dit que Madame Mouléne bénéficie du maintien dans les lieux jusqu'au versement de l'indemnité d'éviction par la sarl Samba et qu'elle devra, dès le versement de cette indemnité, déduction faite de l'indemnité d'occupation, quitter les lieux et remettre les clefs à la bailleresse .

Déboute les parties de leur demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamne la sarl Samba aux dépens d'appel avec droit de recouvrement au profit de la scpGrappotte Benetreau Jumel avoués , les frais d'expertise étant partagés par moitié entre les deux parties.