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Décisions

Cass. 2e civ., 25 novembre 2021, n° 20-16.997

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Pireyre

Rapporteur :

M. Rovinski

Avocat général :

M. de Monteynard

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol

Versailles, du 7 mai 2020

7 mai 2020


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 7 mai 2020), à la suite d'un contrôle portant sur les années 2012 à 2014, l'URSSAF d'Ile-de France (l'URSSAF) a adressé à la société Vinci (la société) une lettre d'observations, suivie d'une mise en demeure du 16 décembre 2015.

2. Contestant les chefs de redressement n° 3 et 4 portant respectivement sur le forfait social sur les jetons de présence et sur la contribution patronale sur les attributions d'actions gratuites, la société a saisi d'un recours une juridiction de sécurité sociale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le chef de redressement portant sur le forfait social relatif aux jetons de présence pour les années 2012 à 2014, alors :

« 1°/ que toute décision doit être motivée ; qu'en l'espèce au soutien de sa demande de minoration du chef de redressement n° 3 relatif à l'assujettissement au forfait social des jetons de présences accordés à des personnes résidant hors de France, elle soutenait dans ses conclusions d'appel que les personnes étrangères à qui elle versait des jetons de présence - dont M. [X], Mme [B], M. [Z], résidents de pays membres de l'Union européenne (l'UE) autres que la France - n'étaient pas résidents fiscaux français, relevaient du régime de sécurité sociale de leur pays d'emploi et de résidence, et ne pouvaient être assujetties à cotisations sociales en France ; que s'agissant des résidents de l'UE visés par le redressement, la cour d'appel s'est bornée à considérer que la société « ne démontre en aucune manière que les administrateurs résidents d'un pays de l'Union européenne mentionnés ci-dessus sont affiliés à un régime de sécurité sociale d'un autre État membre que la France » ; que pour motiver sa décision sur ce point, et statuer sur la situation de ces administrateurs résidents d'un pays de l'Union européenne, la cour d'appel s'est cependant bornée à retenir que « les jetons de présence en cause ont été versés aux résidents étrangers suivants : - en 2012, à M. [I], résident du Qatar et à M. [F], résident du Royaume-Uni ; - en 2013, à ces deux mêmes personnes et à Mme [E], résidente d'Italie, ainsi qu'à M. [P], résident du Qatar. "représentant permanent d'une personne morale de droit Qatari" - en 2014, à M. [F], Mme [E], M. [P], M. [W], résident du Qatar et à M. [K], résident d'Allemagne » ; qu'en anonymisant le nom des personnes à qui elle se réfère, la cour d'appel n'a pas suffisamment motivé sa décision, empêchant ainsi la Cour de cassation d'exercer son contrôle, en violation de l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en retenant que « les jetons de présence en cause ont été versés aux résidents étrangers suivants : - en 2012, à M. [I], résident du Qatar et à M. [F], résident du Royaume-Uni ; - en 2013, à ces deux mêmes personnes et à Mme [E], résidente d'Italie, ainsi qu'à M. [P], résident du Qatar. "représentant permanent d'une personne morale de droit Qatari" - en 2014, à M. [F], Mme [E], M. [P], M. [W], résident du Qatar et à M. [K], résident d'Allemagne », la cour d'appel, qui a statué par des motifs inintelligibles, a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ à titre subsidiaire, à supposer les motifs des premiers juges adoptés, qu'en vertu du principe d'unicité de la législation en matière d'affiliation à un régime de sécurité sociale prévu par le règlement (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971, une personne affiliée à un régime de sécurité sociale dans un pays de l'Union européenne ne peut être parallèlement assujettie dans un autre pays de l'Union ; qu'en décidant néanmoins, s'agissant des administrateurs de la société résidents de l'Union européenne, que les jetons de présence qu'ils ont perçus pouvaient être soumis au forfait social peu important qu'ils puissent être affiliés dans un pays de l'Union autre que la France, la cour d'appel a violé l'article L. 137-15 du code de la sécurité sociale, ensemble le principe d'unicité de la législation en matière de sécurité sociale et les règlements (CE) n° 883/2004 du 29 avril 2004 et (CEE) n° 1408/71 du 14 juin 1971 portant coordination des systèmes de sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

4. Pour confirmer le redressement, l'arrêt énonce que, quelle que soit leur nationalité, les personnes administratrices de la société en cause et qui ont reçu des jetons de présence - en 2012, M. [I], résident du Qatar et M. [F], résident du Royaume-Uni - en 2013, outre ces deux mêmes personnes, Mme [E], résidente d'Italie ainsi que M. [P], résident du Qatar. "représentant permanent d'une personne morale de droit Qatari" et en 2014, M. [F], Mme [E], M. [P], M. [W], résident du Qatar et M. [K], résident d'Allemagne, pouvaient être salariées en France et dès lors assujetties au régime général et qu'il incombait à la société de produire, ce qu'elle ne faisait pas, tous documents propres à justifier la situation de ces personnes qui devait conduire à l'exonération du forfait social.

5. Ce faisant, la cour d'appel qui n'a pas adopté le motif critiqué par la troisième branche, a statué par une motivation conforme aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile permettant à la Cour de cassation d'exercer son contrôle.

6. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

Mais sur le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches

Enoncé du moyen

7. La société fait grief à l'arrêt de confirmer le chef de redressement portant sur la contribution patronale sur les attributions d'actions gratuites, alors :

« 3°/ qu'à défaut d'attribution dans le cadre de la procédure spécifique des articles L. 225-197-1 et suivants du code de commerce, les actions gratuites attribuées aux salariés ou mandataires relèvent des cotisations de droit de commun de l'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale et non de la contribution spécifique de l'article L. 137-13 du même code ; que l'obligation de notification à l'URSSAF de l'identité des salariés ayant bénéficié d'une attribution gratuite d'actions, prévue à l'article L. 242-1 alinéa 2, constitue à ce titre une condition d'exonération aux cotisations sociales de droit commun ; qu'en l'espèce il ressort des constatations de l'arrêt que les actions gratuites attribuées par la société à l'un de ses mandataires sociaux ne l'ont pas été dans le cadre de la procédure spécifique des articles L. 225-197-1 et suivants du code de commerce dès lors que la décision d'attribution n'a pas été prise par l'assemblée générale extraordinaire de la société ; qu'il s'en induisait que la distribution d'actions relevait des cotisations de droit commun de l'article L. 242-1 et non de la contribution spécifique de l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale ; que la circonstance que la société n'ait pas prouvé avoir notifié en temps et en heure à l'URSSAF l'identité du mandataire social bénéficiaire de l'attribution gratuite d'actions ne faisait que confirmer l'assujettissement aux cotisations sociales de droit commun des actions attribuées, mais n'était aucunement de nature à justifier l'assujettissement à la contribution spécifique ; qu'en se fondant néanmoins, pour décider que les attributions gratuites d'actions devaient être assujetties pour partie à la contribution spécifique, sur le motif impropre selon lequel la société n'établissait pas avoir notifié, en temps et en heure, à l'URSSAF l'identité du mandataire social bénéficiaire de cette attribution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 137-13 et L. 242-1 du code de la sécurité sociale pris en leur version applicable au litige ;

4°/ qu'il ressort des constatations de l'arrêt que les actions gratuites attribuées ne l'ont pas été dans le cadre de la procédure spécifique des articles L. 225-197-1 et suivants du code de commerce dès lors que l'attribution n'a pas été décidée par l'assemblée générale extraordinaire de la société ; qu'il s'en induisait que la distribution gratuite d'actions relevait des cotisations sociales de droit commun et non de la contribution spécifique ; qu'en se fondant sur le fait que la société avait « entendu exploiter délibérément ce qu'[elle] a considéré comme une faille dans le réglementation » pour juger que l'attribution gratuite d'actions relevait néanmoins de le contribution spécifique, par un motif impropre à justifier un tel assujettissement dès lors que les conditions prévues par la loi n'étaient pas réunies, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 137-13 et L. 242-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction applicable au litige :

8. Aux termes du premier de ces textes, il est institué au profit de la Caisse nationale des allocations familiales, une contribution due par les employeurs sur les actions attribuées dans les conditions prévues aux articles L. 225-197-1 à L. 225-197-6 du code de commerce.

9. Aux termes du second, sont exclus de l'assiette des cotisations mentionnées au premier alinéa les avantages mentionnés au I des articles 80 bis et 80 quaterdecies du code général des impôts, si l'employeur notifie à son organisme de recouvrement l'identité de ses salariés ou mandataires sociaux auxquels des actions ont été attribuées au cours de l'année civile précédente, ainsi que le nombre et la valeur des actions attribuées à chacun d'eux. A défaut, l'employeur est tenu au paiement de la totalité des cotisations sociales, y compris pour leur part salariale.

10. Pour confirmer le redressement, l'arrêt relève que le conseil d'administration a exploité délibérément une faille de la réglementation et que la décision d'attribuer les actions gratuites en cause n‘a pas été prise par l'assemblée générale extraordinaire. Il retient que, pour pouvoir bénéficier de l'exonération de la contribution prévue par l'article L. 137-13 du code de la sécurité sociale, il faut au moins, dans l'hypothèse où les dispositions des articles L. 225-197-1 et L. 225-197-6 du code de commerce ne sont pas réunies, que la notification, prévue par l'article L. 242-1, alinéa 2, du code de la sécurité sociale, à l'organisme de recouvrement, de l'identité des mandataires sociaux bénéficiaires, ait eu lieu et que la société n'apportait pas la preuve qu'elle ait, en temps et en heure, notifié à l'URSSAF l'identité du mandataire social concerné.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier par refus d'application et le second par fausse application.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il valide le chef de redressement portant sur le forfait social sur les jetons de présence pour les années 2012 à 2014, l'arrêt rendu le 7 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée.