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Décisions

Cass. com., 3 janvier 1995, n° 93-11.953

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pasturel

Rapporteur :

M. Grimaldi

Avocat général :

M. de Gouttes

Avocat :

Me Blondel

Paris, 4e ch., sect. A, du 8 déc. 1992

8 décembre 1992

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu, selon l'arrêt confirmatif (Paris, 8 décembre 1992), que la société Fina France (société Fina) et la société Peuvrel, exploitant une station-service, étaient liées par plusieurs conventions dont deux contrats d'approvisionnement exclusif en carburants et en lubrifiants ; qu'après la résiliation de ces conventions, la société Fina a demandé paiement de diverses sommes ;

que la société Peuvrel a, de son côté, demandé à la société Fina, à titre principal, de l'indemniser de ses pertes d'exploitation ;

Attendu que la société Fina reproche à l'arrêt d'avoir décidé que les conventions liant les parties s'analysaient en un contrat de commissionnaire, de telle sorte que la société Peuvrel était fondée, en vertu des dispositions de l'article 2000 du Code civil, à obtenir de la société Fina l'indemnisation des pertes subies par l'exploitation de sa station-service, alors, selon le pourvoi, d'une part, que si la cour d'appel a relevé que, dans la pratique, le prix de vente des carburants au public était fixé par accord entre les parties, elle n'a pas constaté qu'il en a été de même en ce qui concerne les lubrifiants et n'a donc pas légalement justifié sa décision en retenant aussi, pour ces derniers produits, la qualification de contrat de commission, privant ainsi sa décision de base légale au regard des articles 94 du Code de commerce et 2000 du Code civil ; alors, d'autre part, que le contrat de commission implique la soumission impérative du commissionnaire aux ordres du commettant, en particulier en ce qui concerne la fixation du prix de vente de la marchandise qu'il est chargé de négocier, et que, n'ayant pas constaté qu'en l'espèce la société Peuvrel n'ait pas eu, comme la société Fina le faisait valoir, en dépit d'une certaine dépendance économique, la liberté juridique de vendre des carburants à sa clientèle à un prix supérieur ou inférieur à celui préconisé par la société Fina, ni davatange établi qu'en cas de revente à un prix supérieur, le prix ait dû convenir à la société Fina, la cour d'appel n'a pu légalement requalifier les contrats de fourniture litigieux en contrats de commission, la Cour de Cassation n'étant pas à même de contrôler la légalité de la décision quant à ce, d'où un manque de base légale au regard des articles 94 du Code de commerce et 2000 du Code civil ;

alors, encore, que, dans le contrat de commission, le commissionnaire n'acquiert pas la propriété des marchandises qu'il est chargé de vendre, si bien que la cour d'appel ne pouvait légalement se fonder sur le fait que les reconnaissances de dettes souscrites par la société Peuvrel comportaient de la part de sa cocontractante l'acceptation de paiements échelonnés pour des sommes qui n'avaient pas été réglées à la livraison conformément au contrat, pour considérer qu'en l'espèce, la société Fina aurait "mis en réalité de manière habituelle des produits pétroliers en dépôt chez Peuvrel, produits qui ne devaient être payés qu'ultérieurement selon les échéanciers de ses reconnaissances de dettes" ; que la novation ne se présume pas ; qu'en statuant comme elle a fait la cour d'appel méconnaît la loi des parties telle qu'elle s'évince des reconnaissances de dette elles-mêmes sur lesquelles elle s'est appuyée, qui se bornaient à comporter l'octroi de délais de paiement relativement à des dettes bien précisées et intéressant un nombre très limité de livraisons par rapport à toutes celles effectuées, reconnaissances de dettes ne dérogeant en rien au cadre contractuel des rapports des parties, qui restait, comme cela était soutenu et constaté par le Tribunal, celui d'une vente emportant transfert immédiat de la propriété de la chose livrée à l'acquéreur, et ce que le paiement ait lieu au comptant ou qu'il ne doive avoir lieu qu'à terme, d'où une violation des articles 1134 et 1273 du Code civil, ensemble de l'article 94 du Code de commerce ; et alors, enfin, que les juges d'appel n'ont pas caractérisé l'existence des éléments constitutifs du contrat de dépôt qu'ils retiennent cependant, et ce nonobstant le fait que le dépôt suppose que les risques de la chose soient pour le déposant et que le dépositaire ait l'obligation de restituer la chose remise, autant d'éléments essentiels qui ne sont pas relevés, la cour d'appel ne s'étant pas davantage exprimée sur la commune intention des parties quant à ce, si bien que son arrêt est privé de base légale au regard des articles 1134 et 1915 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'ayant relevé, par motifs sur ce point adoptés, qu'une des "reconnaissances de dettes" s'appliquait aux carburants comme aux lubrifiants et, par motifs propres, que les contrats de prêt d'argent avaient été conclus "en contrepartie" des contrats de fourniture exclusive en carburants et en lubrifiants, l'ensemble des conventions intervenues entre les parties constituant un "montage juridique", la cour d'appel a fait ressortir l'indivisibilité de toutes ces conventions ;

Attendu, en second lieu, qu'après avoir constaté que l'un des contrats de location de matériel concernait les "supports de la marque Fina", la cour d'appel a retenu qu'en réalité la fixation du prix du carburant était précédée d'un relevé des prix pratiqués dans les stations voisines, ce relevé étant transmis par Minitel à la société Fina qui donnait "alors expressément un accord, par la même voie, pour la fixation d'un nouveau prix", ce dont il résulte que la société Peuvrel n'avait pas la liberté de fixer le prix à la pompe comme elle le voulait ; que, par ailleurs, étant, pour interpréter les actes intitulés "reconnaissances de dettes", dans la nécesssité de les replacer dans le cadre des relations contractuelles liant les parties, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel a retenu que ces "reconnaissances", "toutes souscrites après des livraisons de carburant, montrent que la société Fina a mis en réalité, de manière habituelle, des produits pétroliers en dépôt chez la société Peuvrel, produits qui ne devaient être payés qu'ultérieurement, selon les échéanciers de ces reconnaissances de dettes" ; que la cour d'appel a encore retenu "qu'en dépit de l'apparence d'une commercialisation de produits pétroliers par un commerçant indépendant", la société Peuvrel ne pouvait nullement faire jouer la concurrence ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, l'arrêt, qui ne fait état d'aucune novation, a pu décider que la société Peuvrel agissait sous sa propre dénomination mais pour le compte de la société Fina ;

Doù il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses quatre branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.