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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 27 septembre 2023, n° 22/10517

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

EIC Financement (SARL), Réponse Financement (SAS)

Défendeur :

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Depelley, M. Richaud

Avocats :

Me Leboucq Bernard, Me Geral, Me Odinot, Me Havet, Me de Roux

T. com. Marseille, du 29 mars 2022, n° 2…

29 mars 2022

FAITS

La société Réponse Financement a pour activité le courtage immobilier en France mettant au service de ses clients son expertise et son savoir-faire pour les accompagner dans la recherche de solutions de financement adaptées à leurs besoins et les assister dans la concrétisation de leurs projets. Elle exploite un réseau de franchise sous la marque VOUSFINANCER.

La société EIC Financement est inscrite à l'ORIAS en qualité de courtier d'assurance, courtier en opérations de banque et en services de paiement (COBSP).

La Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc (ci-après la banque) est un établissement de crédit agréé par l'Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution.

Suivant contrat du 1er février 2015, la société EIC Financement a intégré le réseau de franchise VOUSFINANCER auquel avait adhéré son gérant le 23 décembre 2009 à titre personnel.

Le 10 mai 2016, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société EIC Financement ont signé une "convention d'apport d'affaires". Faisant suite à une convention partenariale conclue le 23 aout 2010.

Le 30 octobre 2019, par lettre recommandée avec accusé de réception, la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc a dénoncé la convention d'apporteur d'affaires conclue avec la société EIC Financement avec un préavis contractuel d'un mois.

PROCEDURE

Considérant cette rupture comme brutale, la société EIC Financement ainsi que la société Réponse Financement, après avoir vainement saisi le 12 février 2020 le président du tribunal de commerce de Marseille en référé, ont assigné la banque au fond par acte du 19 janvier 2021.

Elles font aussi grief à la banque de s'être livrée à une campagne de dénigrement des intermédiaires en opérations bancaires.

Par jugement du 29 mars 2022, le tribunal de commerce de Marseille a statué en ces termes :

"Déclare la Société REPONSE FINANCEMENT S.A.S. recevable en ses demandes;

Déclare que la relation qui existait entre la Société EIC FINANCEMENT S.A.R.L. et la CAISSE RÉGIONALE INE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL ne peut pas être qualifiée de relation commerciale établis

En conséquence, déboute la Société EIC FINANCEMENT S.A.R.L. de toutes ses demandes.

Fins et conclusions ;

Déboute la Société REPONSE FINANCEMENT S.A.S. de toutes ses demandes.

Fins et conclusions :

Condamne conjointement la Société EIC FINANCEMENT S.A.R.L. et la Société REPONSE FINANCEMENT S.A.S. à payer à la CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE.

MUTUEL la somme de 2 000 € (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de Procédure Civile.

Conformément aux dispositions de l'article 696 du Code de Procédure Civile,

Condamne conjointement la Société EIC FINANCEMENT S.A.R.L. et la Société REPONSE FINANCEMENT S.A.S. aux dépens toutes taxes comprises de la présente instance tels qu'énoncés par l'article 695 du Code de Procédure Civile, étant précisé que les droits, taxes et émoluments perçus par de secrétariat-greffe de la présente juridiction seront liquidés à la somme de 90.63 euros (quatre-vingt-dix euros et soixante-trois centimes T.T.C.).

Conformément aux dispositions des articles 514 et SI5 du Code de Procédure Civile, dit que le présent jugement est de plein droit exécutoire à titre provisoire :

Rejette pour le surplus toutes autres demandes.

Fins et conclusions contraires aux dispositions du présent jugement"

Par déclaration reçue au greffe de la Cour le 31/05/2022, les sociétés Réponse Financement et EIS Financement ont interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 5 juin 2023 les SARL EIC FINANCEMENT et SAS REPONSE FINANCEMENT demandent à la Cour de :

Les sociétés REPONSE FINANCEMENT S.A.S et EIC FINANCEMENT S.A.R.L demandent l'infirmation de la décision en ce qu'elle a :

- Déclaré que la relation qui existait entre la société EIC FINANCEMENT S.A.R.L et la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL ne peut être qualifiée de relation commerciale établie ;

- En conséquence, débouté la Société EIC FINANCEMENT S.A.R.L de toutes ses demandes,

Fins et conclusions ;

- Débouté la Société REPONSE FINANCEMENT S.A.S de toutes ses demandes,

Fins et conclusions ;

- Condamné conjointement la société EIC FINANCEMENT S.A.R.L et la Société REPONSE FINANCEMENT S.A.S à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL la somme de 2 000 € (deux mille euros) au titre de l'article 700 du code de Procédure civile ;

- Condamné conjointement la société EIC FINANCEMENT S.A.R.L et la Société REPONSE FINANCEMENTS S.A.S aux dépens toutes taxes comprises de :

- Rejeté pour le surplus toutes autres demandes, fins et conclusions contraires aux dispositions du jugement.

Et, statuant de nouveau, elles demandent à la Cour de :

CONSTATER la rupture brutale des relations commerciales établies ayant existé entre la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC et la Société EIC FINANCEMENT S.A.R.L ;

En conséquence :

- CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC à payer la Société EIC FINANCEMENT S.A.R.L à la somme de 41 436 euros au titre de la marge brute perdue du fait de la rupture brutale des relations commerciales établies ayant existé entre la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC et la Société EIC FINANCEMENT S.A.R.L et de l'absence de respect d'un préavis suffisant ;

- CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC à payer à la société REPONSE FINANCEMENT la somme de 6 000 euros au titre des différents chefs de préjudices subis du fait des différentes mesures prises par la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC ;

- ORDONNER la publication de l'arrêt à venir sur la page d'accueil du site internet de la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel du Languedoc accessible à l'url suivante https://www.creditagricole.fr/ca-languedoc/particulier.html, ce, dans les huit jours à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

- SE RESERVER le droit de liquider l'astreinte ;

- ORDONNER la publication, la diffusion ou l'affichage de la décision à intervenir ou d'un extrait de celle-ci aux frais de la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC et autoriser les appelantes à y procéder dans les journaux ou périodiques de leur choix dans la limite d'un budget de 30 000 euros hors taxes, toutes publications confondues ;

- CONDAMNER la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC à payer à chacune des sociétés REPONSE FINANCEMENT et EIC FINANCEMENT S.A.R.L la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER enfin la CAISSE REGIONAL DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC aux entiers dépens de l'instance

Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 12 juin 2023 la Caisse régionale du Crédit agricole Mutuel du Languedoc demande à la Cour de :

- CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a débouté les sociétés EIC FINANCEMENT et REPONSE FINANCEMENT de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;

- CONFIRMER le jugement déféré en ce qu'il a condamné solidairement les sociétés EIC FINANCEMENT et REPONSE FINANCEMENT à payer à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens ;

ET, Y AJOUTANT

- CONDAMNER les sociétés EIC FINANCEMENT et REPONSE FINANCEMENT à verser chacune à la CAISSE REGIONALE DE CREDIT AGRICOLE MUTUEL DU LANGUEDOC la somme de 15.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens au titre de la procédure d'appel.

La clôture de l'instruction de l'affaire est intervenue par ordonnance du 13 juin 2023.

MOTIVATION

Sur la rupture brutale des relations commerciales établies,

Sur l'existence d'une relation commerciale établie entre la banque et la société EIS Financement.

Les appelantes soutiennent :

- Que, les prestations fournies par matérialisées par la conclusion de contrats partenariaux successifs constituent une relation commerciale peu important les modalités d'exercice de ces prestations,

- Que cette relation est suivie et stable car elle se matérialise par un flux d'affaires sans interruptions significatives et par un volume relativement stable, de sorte qu'elle est établie,

- que l'indépendance fonctionnelle et organique prévue par l'article R. 519-4 du code monétaire et financier existant entre le courtier et la banque n'est pas de nature a' remettre en cause le constat objectif d'un courant d'affaires entre ces deux entités et ne saurait exclure par principe l'application des règles relatives a' la rupture brutale des relations commerciales établies dès lors que cette relation de courtage est une relation commerciale par nature au sens de l'article L. 110-1, 7° du Code de commerce,

- que le contrat conclu avec la banque imposait un certain nombre d'obligations aux parties constituant une contrainte telle qu'elle induisait nécessairement, dans l'esprit des contractants une certaine volonté de pérenniser la relation, tel l'article 3.1 du contrat qui fait défense au courtier de proposer un rachat de crédit aux clients qu'elle avait apportés à la banque, clause traduisant selon EIS Financement sa croyance légitime en la poursuite du courant d'affaires la liant a' la banque, et la confiance de la banque dans l'exécution des obligations,

La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc dénie l'existence de relations commerciales établies avec les appelantes faisant valoir :

- Qu'elle n'est liée par aucun contrat avec la société Réponse Financement et n'a jamais eu la moindre relation commerciale ou le moindre courant d'affaires avec elle, la société Réponse Financement n'étant que franchiseur de la société EIC Financement,

- Que la relation avec EIC Financement est précaire et aléatoire par nature, les clients pouvant rejeter les offres de crédit éventuellement proposées par la banque et le courtier n'ayant aucune obligation de lui présenter ses clients, de sorte que les relations entre les parties relèvent de l'aléa inhérent à la mise en concurrence des établissements de crédit à l'initiative du courtier,

- Que la succession de contrats unissant les deux sociétés ne suffit par ailleurs pas à caractériser une relation commerciale établie ni même à susciter une croyance légitime de la victime dans la poursuite de la relation.

- Les engagements contractuels (l'article 3.1 du contrat en particulier) ne suffisent pas non plus à fonder une relation commerciale établie.

- Que l'ampleur des relations n'est pas significative compte tenu du faible niveau de volume d'affaires entre les deux sociétés, qu'ainsi en 2019, les sommes reçues de la part de la banque se sont seulement élevées à 2.449 euros, sur un chiffre d'affaires total de 401.433 euros (soit 0,61% du chiffre d'affaires de la société EIC Financement).

- Que l'arrêt des relations contractuelles les liant ne peut avoir d'impact sur l'activité de la société EIC Financement et sur son chiffre d'affaires dont une partie provient des honoraires versés par le client et non des commissions versées par elle, étant observé qu'il est toujours possible au courtier de se tourner vers une autre banque.

- Qu'enfin le chiffre d'affaires total de la société EIC Financement est passé de 330.392 € en 2018 à 401.333 € en 2019, soit une augmentation de 21,47 % alors qu'à la même période, le chiffre d'affaires réalisé par le biais des prêts accordés par elle diminuait de 89,67 %.

Réponse de la Cour,

L'article L. 442-1, II du code de commerce dispose :

"Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages de commerce et aux accords interprofessionnels.

En cas de litige entre les parties sur la durée du préavis, la responsabilité de l'auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d'une durée insuffisante dès lors qu'il a respecté un préavis de dix-huit mois.

Les dispositions du présent II ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure."

La relation commerciale, pour être établie au sens des dispositions susvisées, doit présenter un caractère suivi, stable et habituel. Le critère de la stabilité s'entend de la stabilité prévisible, la victime de la rupture devant pouvoir raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec son partenaire commercial.

En l'espèce, la relation d'apport d'affaires prévoit depuis la convention conclue entre la Caisse du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société EIC Financement le 10 mai 2016 que l'Apporteur en sa qualité de courtier soumis au statut d'intermédiaire en opérations de banque et services de paiement ("IOBSP") est en relation directe avec des clients recherchant des opérations de financement, que l'Apporteur et la Banque souhaitent se rapprocher pour mettre en place une convention d'apport d'affaires aux termes de laquelle l'Apporteur apportera ses clients à la Banque en vue de la conclusion entre ceux-ci et la Banque d'un contrat de crédit immobilier.

L'article 1er précise que l'Apporteur (la société EIC Financement) agit en vertu d'un mandat d'IOBSP donné par ses clients qui lui permet d'exercer l'activité " d'IOBSP courtier " prévu au 1° de l'article R 519-4 du code monétaire et financier, que la convention ne peut en aucun cas être interprétée comme un mandat délivré par la Banque, l'Apporteur ne pouvant agir au nom et pour le compte de la Banque, les relations entre les parties sont celles de contractants indépendants.

Aux termes de l'article 3.2 l'Apporteur a pour mission de recueillir et de transmettre à la Banque des demandes de crédit immobilier présentées par sa clientèle et destinées au financement d'immeubles à usage de résidence principale, secondaire ou d'investissement locatif.

Selon l'article 4, la Banque est tenue de fournir à l'Apporteur les éléments et documents nécessaires pour qu'il puisse présenter les offres à ses clients.

L'article 5 précise que l'Apporteur recevra une commission pour chaque client apporté à la Banque qui conclura un crédit immobilier.

L'article 10 permet la dénonciation de la convention par les Parties par l'envoi d'une lettre RAR un mois avant la date de cessation envisagée et précise qu'aucune indemnité de quelque nature que ce soit ne pourra être demandée et ou versée par l'une ou l'autre partie.

Enfin, l'article 12 prévoit que la Convention est conclue sans exclusivité au profit d'aucune des deux parties.

Il résulte de ces éléments que la relation commerciale qui s'est nouée entre la société EIC Financement et la banque dans le cadre de cette convention avait pour objet de permettre à la première d'être "apporteur d'affaires" et se distingue de la conclusion proprement dite des contrats entre les clients démarchés par le courtier et la banque.

Aussi, il ne peut se déduire ni de l'absence de mandat entre la Banque et l'Apporteur, ni de la circonstance que ce dernier, en sa qualité de courtier, démarche d'autres banques dans le cadre de la recherche de la meilleure offre de prêt pour son client pour lequel il agit en vertu d'un mandat, l'absence de relations commerciales établies entre la Banque et l'Apporteur au sens de l'article L. 442-1, II du code de commerce.

Les relations commerciales entre la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société EIC Financement telles que formalisées par le contrat d'apport d'affaires, datent du 10 mai 2016 et se sont poursuivies jusqu'au 30 octobre 2019, date de la lettre recommandée avec accusé de réception de la banque dénonçant cette convention avec un préavis contractuel d'un mois.

Ces relations présentent un caractère stable et continu depuis le 10 mai 2016 ainsi qu'il résulte du chiffre d'affaires réalisé par l'apporteur avec la banque de sorte que l'apporteur pouvait raisonnablement anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires avec la banque, peu important que la banque ait visé de façon erronée la date du 27 juillet 2010 au titre de la "convention d'apporteur d'affaires".

Les relations commerciales entre la Caisse du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société EIC Financement sont donc établies au sens de l'article L. 442-1, II du code de commerce.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur l'existence d'une rupture brutale,

Les appelantes invoquent des relations commerciales établies entre la banque et la société EIC Financement depuis 2010, soit de 9 années, et disent que cette dernière avait droit au respect d'un préavis de 18 mois tenant compte des usages du commerce, et de la part importante représentée par la banque dans son chiffre d'affaires, peu important l'absence de relations d'exclusivité entre les parties.

La société EIC Financement met en exergue ses difficultés à la suite de la rupture des relations commerciales par la banque notamment au regard des pressions concertées par les groupes bancaires sur les courtiers en crédit immobilier.

La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc rétorque :

- que la convention la liant la société EIC Financement ne dure que depuis le 10 mai 2016, étant auparavant liées par un mandat, que le point de départ de la relation commerciale ne peut donc être fixé au 23 août 2010 , le mandat initial correspondant à une relation d'affaires distincte et son arrêt étant causé par une évolution législative qui ne permet pas d'engager sa responsabilité ,

- qu'un préavis de 18 mois n'est donc pas justifié par une relation aussi courte,

- qu'il n'existe aucun lien de dépendance économique entre les deux sociétés,

- Que compte tenu de son statut particulier la société EIC Financement n'avait aucun besoin de se réorganiser et n'en justifie pas,

- Que le délai d'un mois de préavis est suffisant au regard du faible chiffre d'affaires réalisé par la société EIC Financement avec elle ainsi que de l'absence d'investissements irrécupérables ou d'exclusivité.

Réponse de la Cour,

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser en fonction de la durée, de la nature et des spécificités de la relation commerciale établie, du produit ou du service concerné.

En l'espèce, les relations commerciales entre la Caisse du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société EIC Financement ont duré 3 ans et 5 mois (10 mai 2016 au 30 octobre 2019). Auparavant, des relations existaient sous d'autres modalités entre elles auxquelles l'évolution de la législation a mis un terme et qui ne peuvent être prises en compte.

Il est constant que la société EIC Financement ne peut se prévaloir d'aucune relation d'exclusivité, que le contexte économique entourant la profession de courtier qui se serait terni au dernier trimestre 2019 et rendant difficile une réorganisation avec un autre partenaire doit être pris en compte.

Au vu des éléments produits, il peut être retenu que le courtier a réalisé avec la banque une part de son chiffre d'affaires en 2018 de 2,95 % (chiffre d'affaires global réalisé par EIC Financement de 330 392 € - pièce 14 des appelantes, pour un chiffre d'affaires réalisée avec la banque de 9 749 €, montant des commissions bancaires facturées à la banque en 2018 - pièce 19 des appelantes).

En revanche, le chiffre d'affaires réalisé par EIC Financement en 2019 n'est pas communiqué. La pièce19 des appelantes fait apparaître des commissions bancaires facturées à la banque cette année-là de 2 449 €.

Au vu de ces éléments, il convient de fixer à 3 mois le préavis que la banque aurait dû octroyer au courtier afin de lui permettre de se réorganiser en conséquence.

Sur le préjudice,

EIC Financement soutient que le principal préjudice réparé en cas de rupture brutale des relations commerciales établies correspond à la marge brute qu'elle aurait réalisée dans le cadre de la relation avec son partenaire, pendant la durée du préavis qui aurait dû être exécuté et qu'au regard des éléments comptables et extra-comptables, sa marge brute perdue sur une période de 18 mois peut être évaluée à la somme de 41 436 euros.

Réponse de la Cour,

La marge sur valeur ajoutée résultant du solde intermédiaire de gestion de l'année 2018 de la société EIC Financement ressort à 65 % (pièce 14).

Le chiffre d'affaires réalisé avec la banque en 2018 s'élève à 9 749€, soit une marge annuelle de 6 336 € et mensuelle de 528 €.

La perte de marge résultant de l'insuffisance de préavis s'élève donc à 1 584 € (528 x3) que la banque devra verser à la société EIC Financement pour brutalité de la rupture.

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Réponse Financement,

Le franchiseur sollicite sur le fondement de l'article 1240 du code civil, la réparation du préjudice qu'il a subi, du fait des pratiques abusives commises par la banque contre son franchisé. Ces dernières lui causeraient également un préjudice en ce qu'elles affectaient le montant des redevances qu'elle percevait de sa part.

Selon lui, la rupture, sans respecter un délai de prévenance suffisant, de la relation contractuelle a eu pour effet d'entamer le volume des commissionnements et par conséquent d'éroder la marge des redevances perçus. Il invoque subir un préjudice direct, personnel et distinct de celui subi par son franchisé du fait de la perte de commissions et des actions concertées entreprises par les banques, en particulier du Crédit agricole mutuel de nature à discréditer son réseau de franchise.

Il requiert donc la condamnation de la banque à lui verser la somme de 6 000 € au titre du préjudice subi.

La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc rétorque que le franchiseur ne peut se prévaloir d'aucun préjudice personnel direct causé par les agissements invoqués, n'étant liée par aucun contrat et l'intéressée ne prouvant pas le préjudice subi du fait de la baisse du montant des redevances.

Réponse de la Cour,

Un tiers à un contrat peut solliciter sur le fondement de la responsabilité délictuelle, réparation du préjudice personnel que lui cause un manquement contractuel.

En l'espèce, le franchiseur n'invoque pas de manquement contractuel de la banque mais la brutalité de la rupture du contrat d'apport d'affaires par cette dernière aux dépens du franchisé.

Ce faisant, il ne justifie d'aucun préjudice personnel direct et distinct du franchiseur indemnisable.

La demande doit être rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

Sur les actes de dénigrement et la demande de retrait, sous astreinte, des publications litigieuses,

Les sociétés appelantes soutiennent que la banque a mis en ligne trois encarts contenant des propos dénigrants ainsi qu'il résulte du procès-verbal de constat d'huissier du 11 décembre 2019 sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

Elles font valoir à cet égard que le critère d'une base factuelle suffisante concernant la publication litigieuse n'est pas rempli et que même si elles ne sont pas visées spécifiquement, il en résulte un préjudice tant pour le franchisé que pour le franchiseur.

La Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc conteste tout acte de dénigrement, soutenant que pour que le dénigrement soit constitué il faut établir que les propos poursuivis sont de nature à jeter le discrédit sur les biens ou services du demandeur et que le défendeur ne disposait pas d'une base factuelle suffisante pour étayer son propos, qu'en l'espèce aucun courtier n'est visé spécifiquement et les sociétés appelantes ne sont ni identifiées ni identifiables, tandis que le message publié a un effet purement informatif et ne correspond qu'à l'exercice de sa liberté d'expression. Elle précise que les publications concernées ont été mises en ligne au troisième trimestre 2019 et ne sont aujourd'hui plus publiées sur son site internet de sorte que la demande de retrait sous astreinte est sans objet.

Elle sollicite donc la confirmation du jugement de première instance en ce qu'il a retenu que le dénigrement n'était pas caractérisé.

Réponse de la Cour,

Hors restriction légalement prévue, la liberté d'expression est un droit dont l'exercice, sauf dénigrement de produits ou services, ne peut être contesté sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

La divulgation d'une information de nature à jeter le discrédit sur des produits ou services par un concurrent constitue un dénigrement, même en, l'absence de situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées.

En revanche, la simple critique relève de la liberté d'expression. Toute critique doit pouvoir être librement exprimée, dès lors qu'elle ne cherche pas à nuire.

De même la critique n'est pas fautive lorsque les appréciations qui y sont portées concernent un sujet d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, sous réserve d'être exprimée avec une certaine mesure.

En l'espèce, il résulte du procès-verbal de constat du 11 décembre 2019 que la banque a mis en ligne les trois encarts intitulés :

"Un courtier pourquoi faire", "aucune garantie de meilleure conditions", "Comment faire aboutir votre dossier plus vite".

Il est ainsi reproché à la banque d'avoir écrit :

- "n'oublions pas que le courtier est un intermédiaire et en aucun cas un décisionnaire" cela a des conséquences aussi bien sur les conditions financières obtenues que sur la rapidité de traitement de votre dossier",

- "Un intermédiaire c'est aussi un " filtre" entre le conseiller bancaire et l'emprunteur, privant celui-ci d'un contact direct et d'échanges d'informations plus personnalisées avec le conseiller",

- "Les courtiers travaillent généralement avec un nombre limité de banques partenaires. Très souvent le courtier présentera votre dossier au crédit agricole, spécialiste reconnu du financement immobilier. Dès lors, n'auriez-vous pas gagné du temps en venant nous voir dès le financement de votre dossier"

Il n'est pas contesté que les appréciations en cause concernent un sujet d'intérêt général.

L'absence de base factuelle suffisante ne peut être retenue.

En effet, s'il est soutenu que la banque conteste être le partenaire privilégié du courtier, ni ce dernier, ni son franchiseur ne sont identifiées ou identifiables.

De même, il ne peut se déduire de la présentation du courtier comme un "filtre", le reproche d'une rétention d'information commise par le courtier.

Il ne peut davantage être retenu que ces appréciations porteraient une atteinte au modèle économique de la profession des courtiers en crédits immobiliers, s'agissant d'une critique exprimée avec une certaine mesure et reposant sur une base factuelle suffisante.

Ainsi, le tribunal a justement retenu que la banque ne critique nullement la société EIC Financement dans sa publication et invite, en termes mesurés, les futurs emprunteurs immobiliers, à s'adresser directement à elle, en faisant état des avantages, ce qui relève de la liberté d'expression de la banque.

Le jugement est confirmé en ce qu'il a dit que le dénigrement allégué n'était pas caractérisé et rejeté les demandes de ce chef.

Sur la demande de publication de la décision.

La demande de publication de la décision sur la page d'accueil du site internet de la banque fondée sur l'article L. 442-4 II du code de commerce sera accueillie sous forme d'un extrait pendant un délai de 8 jours aux frais de celle-ci, dans les conditions visées au dispositif ci-après. Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile.

La banque succombant pour l'essentiel sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel,

Le jugement est infirmé en ce qu'il a mis à la charge in solidum des sociétés EIC Financement et Réponse Financement la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La banque est déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles et est condamnée à payer la somme de 6 000 € à la société EIC Financement sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Le sens de l'arrêt commande de débouter la société Réponse Financement société IN&FI Crédits de sa demande au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement en ses dispositions qui lui sont soumises sauf en ce qu'il déboute les sociétés EIC Financement et Réponse Financement de leurs demandes au titre du dénigrement et rejette la demande de dommages-intérêts ainsi que la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile de la société Réponse Financement ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

- Condamne la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc à payer à la société EIC Financement la somme de1 584 € à titre de dommages-intérêts au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies ;

- Ordonne la publication de l'extrait suivant du présent arrêt : "Par arrêt du 27 septembre 2023 la cour d'appel de Paris a condamné la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc à verser des dommages-intérêts à la société EIC Financement, courtier en opération de banque et en service de paiement, pour rupture brutale de leurs relations commerciales établies sur le fondement de l'article L. 442-1 II du code de commerce" sur les sites internet de la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc pendant une durée de 8 jours, à compter de la première mise en ligne et qu'il sera procédé à cette publication en partie supérieure de la page d'accueil du site de façon visible et en toute hypothèse au-dessus de la ligne flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères "times new roman", de taille "12", droits , de couleur noire et sur fond blanc, dans un encadré de 468x120 pixels, en-dehors de tout encart publicitaire, le texte devant être précédé du titre COMMUNICATION JUDICIAIRE en lettres capitales de taille 14 ;

- Condamne la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la société EIC Financement la somme globale de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Déboute la Caisse Régionale du Crédit Agricole Mutuel du Languedoc et la société Réponse Financement de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.