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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 9, 14 septembre 2023, n° 22/01772

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Audiovisuel Assistance Service (SAS), Yehoram (Sasu)

Défendeur :

Mandataires Judiciaires Associes (Selafa)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mollat

Conseillers :

Mme Rohart, Mme Coricon

Avocats :

Me Baechlin, Me Lugosi, Me Triboulet, Me Hillel

T. com. Bobigny, du 28 sept. 2021, n° 20…

28 septembre 2021

M. [J] [W], électronicien et informaticien de formation, a constitué le 13 février 1997, la société Audiovisuel Assistance & Service, avec sa compagne Mme [P] [O], qui détenait 25% du capital tandis qu'il détenait les 75% restant.

Le couple s'est séparé en 2014 et les relations se sont dégradées. Aucun accord n'a été trouvé pour cesser la collaboration.

Lors d'une assemblée générale tenue le 10 janvier 2019, M. [W] a cédé la totalité de ses actions de la société Audiovisuel Assistance & Service à la société Yehoram, qui a pour objet la gestion administrative de sociétés, l'ingénierie financière ainsi que la gestion et la prise de participation dans d'autres entreprises.

L'assemblée générale du 30 novembre 2020 a rejeté la résolution proposée par Mme [O] de distribution du dividende à hauteur de 5,5 millions d'euros.

Par acte du 19 janvier 2021, Mme [O] a saisi le tribunal de commerce de Bobigny aux fins de voir prononcée la nullité de la 3ème résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 qui a rejeté la demande de distribution de dividende et la 2ème résolution qui a affecté le résultat en report à nouveau pour abus de majorité, et voir condamné la société Yehoram à lui verser la somme de 1 375 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi.

Par jugement du 28 septembre 2021, le tribunal de commerce de Bobigny a prononcé la nullité des 2ème et 3ème résolutions de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 et condamné la société Yehoram à verser à Mme [O] la somme de 1 375 000 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés Yehoram et Audiovisuel Assistance Service ont interjeté appel par déclaration du 21 janvier 2022.

Par jugement du 22 mars 2023, le tribunal de commerce de Bobigny a ouvert une procédure de sauvegarde à l'égard de la société Yehoram, et la SELAFA MJA, mandataire judiciaire, a été attraite dans la présente instance.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 mai 2023, les sociétés Yehoram et Audiovisuel Assistance Service demandent à la cour de :

DÉCLARER RECEVABLE leur appel à l'encontre du jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bobigny le 28 septembre 2021,

le JUGER bien fondé ;

en conséquence, INFIRMER ledit jugement en ce qu'il a :

- reçu Mme [P] [O] en ses demandes et dit celles-ci partiellement fondées ;

- prononcé la nullité de la troisième résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 ;

de la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE en ce qu'elle a rejeté la demande de distribution du dividende sollicitée par Mme [P] [O] ;

- prononcé la nullité de la deuxième résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 ;

de la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE en ce qu'elle a affecté la totalité du résultat au report à nouveau ;

- condamné la société YEHORAM à verser à Mme [P] [O] la somme de 1.375.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi ;

- débouté la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE et la société YEHORAM de toutes leurs demandes, notamment de voir juger que Mme [P] [O] a commis un abus dans l'exercice du droit d'agir en justice, de la voir condamner au paiement d'une somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts ainsi qu'au paiement de la somme de 7 500 euros au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens ;

- condamné in solidum la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE et la société YEHORAM à verser à Mme [P] [O] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens.

et, statuant à nouveau,

1. à titre principal, sur l'irrecevabilité de la demande de Mme [P] [O],

vu ensemble les articles 31 et 32 du Code de procédure civile,

DÉCLARER IRRECEVABLE la demande de Mme [P] [O] en ce qu'elle se heurte à une double fin de non-recevoir tirée de l'absence d'intérêt légitime à agir,

vu l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui,

DÉCLARER IRRECEVABLE la demande de Mme [P] [O] en ce qu'elle contredit ses votes systématiques, lors des assemblées générales de la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE

SERVICE, en faveur de l'affectation du résultat au report à nouveau, affectation excluant en soi la distribution de dividendes ;

2. à titre subsidiaire, sur le mal-fondé de la demande de Mme [P] [O],

vu l'article 1240 du Code civil,

vu les procès-verbaux d'assemblées générales de la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE,

vu la jurisprudence versée aux débats,

JUGER la demande de Mme [P] [O] non fondée, celle-ci n'apportant démonstration ni d'un abus de majorité, ni d'un préjudice qui en résulterait ;

en conséquence, DÉBOUTER Mme [P] [O] de l'intégralité de ses prétentions ;

3. sur la demande reconventionnelle, formée par les sociétés AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE et YEHORAM

vu l'article 1240 du Code civil, ensemble l'article 32-1 du Code de procédure civile,

vu les procès-verbaux d'assemblées générales de la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE,

- DÉCLARER RECEVABLE et JUGER BIEN FONDÉE la demande reconventionnelle formée par les sociétés AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE et YEHORAM aux fins de réparation du préjudice que leur a causé la procédure abusivement engagée à la requête de Mme [P] [O] ;

- CONDAMNER Mme [P] [O] à payer à la société YEHORAM, d'une part, et à la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE, d'autre part, la somme de 10 000 euros, à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice qu'à chacune d'elles a causé la procédure abusivement engagée et poursuivie à leur encontre ;

4. sur les frais et dépens,

vu les articles 695 à 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNER Mme [P] [O] à payer à la société YEHORAM, d'une part, et à la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE, d'autre part, au titre des frais non compris dans les dépens, la somme de 10 000 euros ;

- CONDAMNER Mme [P] [O] aux entiers dépens, de première instance et d'appel, ces derniers pouvant être recouvrés directement par Maître Jeanne Baechlin, Avocat.

*****

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 mai 2023, Mme [P] [O] demande à la cour de :

- RECEVOIR l'intégralité de ses moyens et prétentions ;

- CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Bobigny en date du 30 novembre 2021 ou tout au moins, et s'agissant des dommages et intérêts, FIXER la créance de dommages et intérêts due par la société YEHORAM à Madame [P] [O] - en ce qu'il a DIT ET JUGE que le rejet par la société YEHORAM, associée majoritaire, de la 3 ème résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 de la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE concernant la distribution de dividende sollicitée par Madame [P] [O] et l'affectation de la totalité du bénéfice au report à nouveau au titre de la 2ème résolution est constitutif d'un abus de majorité.

En conséquence,

PRONONCE la nullité de la 3 ème résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 de la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE en ce qu'elle a rejeté la demande de distribution du dividende sollicitée par Mme [P] [O], et la nullité de la 2ème résolution en ce qu'elle a affecté la totalité du résultat au report à nouveau.

CONDAMNE la société YEHORAM à lui verser la somme de 1 375 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi ;

- REJETER la demande reconventionnelle formulée par les appelants ;

- CONDAMNER in solidum la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE et la société YEHORAM aux entiers dépens de la présente procédure (ou tout au moins, pour la société YEHORAM, FIXER les dépens au bénéfice de Mme [P] [O]) ;

- CONDAMNER in solidum la société AUDIOVISUEL ASSISTANCE SERVICE et la société YEHORAM à lui verser la somme de 15 000 euros en vertu des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile (ou tout au moins, pour la société YEHORAM, FIXER l'article 700 à son bénéfice).

*****

Bien qu'ayant régulièrement constitué avocat, la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [L], mandataire judiciaire désigné dans le cadre de la procédure de sauvegarde de la société Yehoram, n'a pas conclu.

*****

Sur l'irrecevabilité des prétentions émises par Mme [O]

- Sur le défaut d'intérêt à agir

Les appelantes soutiennent que Mme [O] n'a pas intérêt à agir en nullité contre ces deux résolutions dans la mesure où elle a voté pour le report à nouveau du bénéfice réalisé par la société lors des exercices précédents (de 2012 à 2019) et qu'elle ne peut donc aujourd'hui soutenir que l'associé majoritaire a abusé de sa position pour bloquer pendant des années la distribution de tout dividende ; elles ajoutent que Mme [O] n'a pas sollicité la distribution du dividende de l'année 2019 mais la distribution d'une somme de 5,5 millions d'euros correspondant à 80% de la trésorerie.

Elles soutiennent également que Mme [O] n'a pas intérêt à solliciter à la fois la nullité des résolutions et des dommages et intérêts, ce qui constitue un enrichissement sans cause.

Mme [O] réplique que l'affectation du bénéfice en report à nouveau est une décision comptable préalable à la décision de distribution, ou pas, de dividende.

Elle ajoute que la résolution n° 2 porte sur l'affectation du résultat 2019 en report à nouveau, et la résolution n° 3 concerne la distribution du dividende prélevée sur l'intégralité du report à nouveau après affectation du résultat 2019, qu'il est donc logique de voter d'abord pour l'affectation comptable du résultat avant de décider de sa distribution; qu'il n'existe aucune contradiction à avoir voté cette affectation puis à s'opposer à la mise en réserve des bénéfices et qu'elle a bien intérêt à agir contre ces deux résolutions.

Elle précise que sa demande ne concerne que l'assemblée générale du 30 novembre 2020 et non les assemblées générales tenues entre 2012 et 2019 ; qu'elle a dès 2015 fait part à M. [W] de sa volonté de se retirer de la société au travers d'une cession de ses parts puis d'une perception des dividendes non distribués depuis 9 ans ; que les assemblées de 2012 à 2019 se sont tenues fictivement sans qu'elle ne soit consultée ; qu'elle a en tout état de cause un intérêt à agir même si les votes étaient à l'unanimité pour la mise en réserve les années d'avant.

Elle fait valoir qu'elle peut demander tout à la fois l'annulation des résolutions n° 2 et n° 3 et des dommages et intérêts dans la mesure où l'annulation des résolutions ne vaut pas distribution, mais oblige simplement les associés à revoter sur ce point en respectant l'intérêt de l'associé minoritaire.

Sur ce,

L'article 31 du code de procédure civile dispose que 'l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention'.

Il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 que Mme [O] a voté en faveur de la deuxième résolution concernant l'affectation du résultat bénéficiaire de l'exercice clos le 31 décembre 2019 en report à nouveau. Cette affectation dudit résultat en report à nouveau ne préjuge pas de la distribution de dividendes, qui peut être faite à partir du compte 'report à nouveau'.

Il s'en déduit que Mme [O] n'a pas d'intérêt légitime à solliciter la nullité de la deuxième résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020. Il y a donc lieu de dire irrecevable la demande de nullité de la deuxième résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 et d'infirmer en conséquence le jugement en ce qu'il a prononcé ladite nullité.

En revanche, il ressort de ce même procès-verbal que Mme [O] a voté en faveur de la troisième résolution concernant la distribution de dividendes à hauteur de 5 500 000 euros, mais que la résolution a été rejetée en raison du vote négatif de la société Yehoram, actionnaire majoritaire. Mme [O] présente donc un intérêt légitime, au sens de l'article 31 du code de procédure civile, à solliciter la nullité de cette résolution.

Enfin, Mme [O] peut valablement solliciter tout à la fois la nullité d'un acte et des dommages et intérêts réparant le préjudice que lui aurait causé l'acte dont elle demande la nullité. Ses demandes à ce titre sont donc recevables.

- Sur l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui

Les appelantes font valoir que Mme [O] ne peut soutenir que la société Yehoram a commis un abus de majorité en votant l'affectation du bénéfice en report à nouveau, alors qu'elle a elle-même voté pour, et que cette affectation en report à nouveau est la prémice logique de l'absence de distribution de dividendes.

L'intimée réplique que l'affectation comptable est distincte de la demande de distribution du dividende et qu'il n'y a donc aucune contradiction à avoir voté l'affectation en report à nouveau puis à en demander la nullité.

Sur ce,

Il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 que Mme [O] ne sollicitait pas uniquement la distribution des résultats bénéficiaires de l'exercice 2019 mais une distribution plus large de dividendes à hauteur de 5 500 000 euros.

Sa demande d'affectation des résultats de l'exercice 2019 en report à nouveau afin d'abonder les réserves de la société ne constitue donc pas une demande contradictoire avec celle consistant à solliciter la distribution de dividendes pris sur ces mêmes réserves. En outre, l'affectation du résultat en report à nouveau peut constituer une étape préalable à la distribution de dividendes, à partir du compte 'report à nouveau'.

Ainsi, le vote en faveur de la deuxième résolution par Mme [O] ne pouvait avoir pour corollaire logique, ainsi que le soutiennent les appelantes, le vote négatif de l'actionnaire majoritaire sur la troisième résolution, l'affectation en report à nouveau ne conditionnant pas la distribution de dividendes.

En conséquence il ne peut être reproché à Mme [O] de s'être contredite dans ses demandes. La demande d'irrecevabilité sera donc rejetée.

Sur la faute de la société Yehoram

Les appelantes reprochent aux premiers juges d'avoir retenu le caractère systématique des non-distributions de dividendes depuis 2012 alors que ces décisions ont été adoptées à l'unanimité des votes.

- Sur la contrariété à l'intérêt social

Elles font valoir que ces résolutions ont été prises dans l'intérêt de la société Audiovisuel Assistance & Service qui avait besoin, pour développer son activité, de mobiliser une trésorerie importante, ce que n'ignorait pas Mme [O] qui était en charge de la direction administrative et financière de la société par le biais de sa société Aproc@st ; que le rapport de gestion établi par le président pour l'assemblée générale litigieuse mentionne une baisse du chiffre d'affaires, la poursuite des efforts concernant l'optimisation des coûts et également des stocks et la perte du contrat RTL Group en 2018 et celui du groupe Lagardère en 2019, ce qui pèse sur les comptes ; qu'il mentionne également la nécessité de réaliser de nouveaux investissements en marketing et réseau de distribution, des dépenses salariales et matérielles, et l'impact de la crise sanitaire.

Elles ajoutent que la jurisprudence considère la mise en réserve comme conforme à l'intérêt social et qu'en l'espèce était demandée la distribution de 80% de la trésorerie, ce qui conduirait la société à son asphyxie, d'autant plus que la distribution exclusive des produits américains Telos, obtenue en 2012, a considérablement augmenté le besoin en fonds de roulement.

Elles font grief aux premiers juges d'avoir considéré que la société Audiovisuel Assistance & Service pouvait distribuer 80% de sa trésorerie, estimant que ceux-ci se sont mépris sur le fonctionnement de la société et ne se sont fondés que sur les bilans sociaux, oubliant que la société doit faire face à des écarts de trésorerie causés par des événements non planifiés à l'avance, comme les retards de paiement des clients, les potentiels litiges ou encore l'achat d'équipements nécessaires à de nouveaux marchés. Elles citent les différents écarts de trésorerie ayant eu lieu entre 2012 et 2019.

Elles ajoutent que la politique de non-distribution a également été décidé dans le but d'apurer les comptes courants d'associés.

Elles font au surplus remarquer que les premiers juges n'ont pas caractérisé l'atteinte à l'intérêt social que caractériserait le refus de distribuer.

L'intimée réplique que les résultats bénéficiaires sont affectés en report à nouveau depuis 2012, ce qui monte le report à nouveau à 642 fois le montant du capital social (6 418 029 euros en report à nouveau et 6 630 182 euros de disponibilités) ; que le refus de distribuer est contraire à l'intérêt social car il constitue une thésaurisation des bénéfices dont la société n'a pas l'usage, les soumettant aux fluctuations monétaires.

Elle expose que cette affectation systématique des bénéfices au report à nouveau n'est pas accompagnée d'une politique d'investissement de la société, les appelantes faisant valoir un besoin en fonds de roulement sans l'étayer par aucune pièce, et arguant d'un marché de distribution exclusive d'équipements américains Telos alors que cette activité nécessite seulement la mise en place de moyens commerciaux (participation à des salons professionnels avec frais de déplacements et dépenses de marketing publicitaires soit 50 000 à 100 000 euros annuels) et n'a pas généré d'embauches de salariés supplémentaires. Elle ajoute qu'il y a eu une dépense exceptionnelle de 1,4 millions d'euros en 2014 qui a été réglée en plusieurs fois, sans avoir besoin de recourir à un crédit vu les facultés d'auto-financement de la société. Elle indique que le rapport de gestion ne peut servir d'élément de preuve puisqu'il est établi unilatéralement par M. [W]. Elle souligne la pertinence de la motivation des premiers juges qui ont relevé le faible niveau d'investissement entre 2012 et 2019, l'absence d'informations chiffrées pour mesurer les besoins financiers de l'activité et l'absence de hausse des dépenses d'investissement.

Elle conteste toute baisse du chiffre d'affaire soulignant que la comparaison effectuée par les appelantes entre le chiffre d'affaires de l'exercice clos le 31 décembre 2015 et celui de l'exercice clos le 31 décembre 2019 n'est pas pertinente dès lors que le rapport de gestion de 2015 souligne le caractère exceptionnel du chiffre d'affaires constaté cette année.

Elle ajoute que les affirmations des appelantes sur la possibilité d'une baisse du chiffre d'affaires en raison d'un prétendu changement de modèle économique ou de l'impact de la crise sanitaire ne sont étayées par aucune preuve et ne justifient pas le blocage de la trésorerie.

Elle précise que la distribution de dividendes qu'elle sollicite ne peut conduire à l'asphyxie de la société dès lors que lors de discussions sur une distribution de dividendes préalable à une éventuelle cession de parts, M. [W] reconnaissait dès 2016 la possibilité de procéder à une distribution à hauteur de 4 millions d'euros. Elle conteste par ailleurs tout besoin particulièrement important de trésorerie de la société.

Sur ce,

Aux termes de l'article 1832 du code civil : 'la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter'.

Il en ressort nécessairement que la participation aux bénéfices constitue l'essence du contrat de société. Si une gestion prudente et la constitution d'une trésorerie importante afin de faire face aux besoins de trésorerie, aux besoins d'investissement et aux adaptations du modèle économique répondent aux exigences de l'intérêt social, il n'en est pas de même du refus de distribution de dividendes sans justification.

Ainsi que l'a justement relevé le tribunal de commerce dans le jugement déféré, le chiffre d'affaires a oscillé, pendant la période allant de 2012 à 2019, entre 4 028 000 euros et 5 945 000 euros, à l'exception de l'exercice 2015 qui a bénéficié d'une commande exceptionnelle conduisant à un chiffre d'affaires de 7 995 000 euros.

Les bénéfices annuels sur cette même période sont compris entre 601 000 et 955 000 euros.

L'observation des comptes ne montre aucune variation significative des postes d'immobilisations corporelles et incorporelles et démontre au contraire le très faible niveau d'investissement.

Les rapports de gestion produits aux débats, rédigés par M. [W] ès-qualités, s'ils font le point systématiquement sur les événements et les évolutions de l'activité et du marché rapportent également 'la consolidation de l'activité' en 2013, estiment que 'le nouvel équilibre du chiffre d'affaire entre les quatre activités principales de notre société est prometteur et sécurisant' en 2014 et 2015, que la situation et l'activité de la société 'conforte la régularité de notre activité' et 'correspond à l'optimisation de notre activité en réponse à un modèle qui tend à se remettre en cause' en 2016. Si le rapport 2017 souligne la mutation de l'activité et l'année de transition, force est de constater que les chiffres d'affaire et les résultats des années 2018 et 2019 prouvent que l'adaptation a été réussie sans que le recours aux sommes affectées au report à nouveau ait eu à être sollicitées comme le démontre le procès-verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2022 qui indique que le solde du report à nouveau est de 7 770 220, 55 euros.

Par ailleurs les pertes invoquées de certains clients en 2018 et en 2019 n'ont pas eu d'impact significatif sur les comptes. Quant aux inquiétudes invoquées par les appelantes sur les conséquences de la pandémie, elles ne sont corroborées par aucun document produit aux débats.

Le procès-verbal de l'assemblée générale du 30 novembre 2020, en litige, indique que le solde du report à nouveau s'élève à la somme de 7 177 336, 35 euros. La distribution de dividendes à hauteur de 5 500 000 sollicité par Mme [O] aurait laissé à la disposition de la société au seul titre du report à nouveau la somme de 1 677 336 euros, somme qui apparaît suffisante pour couvrir les besoins de trésorerie invoqués par les appelantes.

De surcroît les besoins d'investissement soulevés par les appelantes, qui justifierait le refus de distribution, ne sont corroborés par aucune pièce produite aux débats.

Enfin, la simple thésaurisation des bénéfices, sans investissement particulier, les soumettant ainsi aux aléas monétaires ne peut être considérée comme conforme à l'intérêt social.

Ainsi, le refus de procéder à une distribution de dividendes sans raison légitime, qui ne peut avoir pour conséquence que de conduire à un conflit entre les associés dont la participation aux bénéfices est de l'essence même de leur participation à la société, est contraire à l'intérêt social.

- Sur l'atteinte aux droits de l'actionnaire minoritaire

Les appelantes contestent toute atteinte aux droits de l'actionnaire majoritaire du fait de l'absence de distribution des bénéfices en faisant valoir que les premiers juges se sont fondés sur des considérations subjectives, tenant à la volonté d'optimisation fiscale des revenus de M. [W], adhérant sans aucun élément venant l'attester à la thèse de Mme [O].

Elles expliquent en effet que la convention conclue par la société Audiovisuel Assistance & Service avec la société Wadiric, qui lui appartient, vise à lui apporter des affaires, que la rémunération y afférente est donc pleinement justifiée et ne vise pas à compenser l'absence de distribution de dividende, étant souligné que Mme [O] facture elle aussi la société Audiovisuel Assistance & Service par le biais de sa société Aproc@st.

Elles soulignent que la décision de ne pas distribuer prive les deux actionnaires de la même manière, et ne créé aucune inégalité.

Mme [O] estime que le montage consistant pour M. [W] à facturer, via la société Wadiric, des commissions liées à l'apport de son activité individuelle lui permet de compenser l'absence de distribution de dividendes. Elle précise que ce montage a pour unique objectif l'optimisation fiscale au seul profit de l'actionnaire majoritaire. Elle ajoute que les revenus ainsi dégagés étant calculés en pourcentage des ventes et prestations de service, ils sont ainsi directement liés à l'activité de la société et à son chiffre d'affaire alors que le contrat de prestation de service qu'elle a elle-même conclu avec la société prévoit une rémunération forfaitaire.

Sur ce,

Le refus de distribution de dividende, injustifié au regard de la situation de la société, a pour conséquence de priver l'actionnaire minoritaire de toute participation aux bénéfices.

Ainsi Mme [O] ne peut tirer les bénéfices de sa qualité d'associée et cette situation est aggravée par les dispositions statutaires, et notamment l'article 11 relatif aux conditions de cession des actions de la société, conditions qui maintiennent l'associé minoritaire dans un rapport de sujétion le privant de toute possibilité de négociation y compris pour céder ses droits : si la cession entre associés est libre, mais difficilement envisageable au vue du conflit existant et du refus de l'actionnaire majoritaire d'entamer des discussions amiables sur ce point, la cession aux tiers est soumise au consentement de l'associé majoritaire (qui représente les trois quarts du capital). Mme [O] a d'ailleurs sollicité, par courrier du 2 décembre 2020 soit 3 jours après l'assemblée générale en litige, la cession de ses actions au bénéfice de l'actionnaire majoritaire, qui ne lui a pas répondu.

Ainsi, ce refus de distribution des bénéfices porte préjudice aux droits de l'associé minoritaire qui se trouve privé des fruits de son implication en tant qu'associé, et sans perspective de pouvoir récupérer ces fruits par une cession de ses parts.

Enfin, les appelantes ne peuvent utilement soutenir que Mme [O] perçoit par ailleurs des rémunérations de la société Audiovisuel Assistances Services par le biais de sa société Aproc@st dès lors que la convention de gestion liant les deux sociétés a été résiliée le 22 juillet 2020.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a lieu de confirmer le jugement qui a caractérisé un abus de majorité de la part de la société Yehoram et prononcé la nullité de la troisième résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020.

Sur le préjudice de Mme [O]

Les appelantes soutiennent que Mme [O] ne subit aucun préjudice du fait de cette absence de distribution.

Elles rappellent que le résultat de l'exercice 2019 s'est chiffré à 759 307, 07 euros, qui a été affecté en report à nouveau, portant ainsi le montant des capitaux propres à 7 187 336, 35 euros, dont 25% reviennent à Mme [O] ; que celle-ci ne justifie d'aucune opération ni d'aucun projet qu'elle aurait voulu engager grâce à l'argent perçu de la distribution et dont elle aurait été privé de la chance de l'engager.

Elles font valoir l'absence de lien de causalité entre le vote refusant la distribution et le préjudice qui aurait résulté de cette absence de distribution.

Mme [O] réplique que son préjudice est directement lié à la privation de son droit à bénéfice pour un montant de 1 375 000 euros.

Sur ce,

Il n'est pas contestable que le refus de la société Yehoram de procéder de façon injustifiée à la distribution des bénéfices à laquelle Mme [O] a droit en sa qualité d'associée lui cause un préjudice personnel, puisque celle-ci est privée de la possibilité de percevoir les fruits de son investissement dans la société Audiovisuel Assistance Service, de manière injustifiée. La seule privation de la perception des fruits de son investissement constitue, pour Mme [O], un préjudice indemnisable, sans qu'elle ait en outre à établir l'usage qu'elle envisageait de faire des fruits qu'elle aurait du percevoir.

La cour, faisant usage de son pouvoir d'appréciation et estimant que le montant du préjudice ne peut être équivalent au montant des bénéfices non encore distribués mais qui sont susceptibles de l'être, détermine ce préjudice à la somme de 300 000 euros.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement sur ce point et, statuant à nouveau, de fixer au passif de la société Yehoram la somme de 300 000 euros au titre des dommages et intérêts dus à Mme [O].

Sur la demande des appelantes tendant à l'octroi de dommages et intérêts

Les appelantes font valoir que Mme [O] a abusé de son droit d'agir en justice puisqu'elle a voté en faveur de la mise en réserve des bénéfices, s'est contredite en demandant l'annulation des résolutions et l'octroi de dommages et intérêts et cherche par diverses actions à exercer une pression illégitime sur l'actionnaire majoritaire pour éprouver M. [W].

Mme [O] conteste tout abus d'ester en justice et conclut au rejet des demandes des appelantes.

Sur ce,

Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de condamnation à l'encontre de Mme [O] qui n'a fait qu'exercer son droit d'ester en justice pour voir reconnaître ses droits. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les appelantes sollicitent à ce titre la somme de 10 000 euros.

Mme [O] sollicite la condamnation in solidum des sociétés Audiovisuel Assistance et Yehoram à lui payer la somme de 15 000 euros.

Sur ce,

Il y a lieu de condamner la société Yehoram, associée majoritaire qui succombe en ses demandes, à payer à Mme [O] de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Cette somme sera fixée au passif de la procédure collective.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare recevables les demandes formées par Mme [P] [O],

Infirme le jugement en ce qu'il a annulé la deuxième résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020 et en ce qu'il a condamné la société Yehoram à verser la somme de 1 375 000 euros de dommages et intérêts à Mme [P] [O],

Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau,

Déclare irrecevable Mme [P] [O] à demander la nullité de la deuxième résolution de l'assemblée générale du 30 novembre 2020,

Condamne la société Yehoram à payer la somme de 300 000 euros à Mme [P] [O] à titre de dommages et intérêts, et fixe cette somme au passif de la société Yehoram actuellement sous procédure de sauvegarde,

Y ajoutant,

Déboute les appelantes de leurs autres demandes,

Condamne la société Yehoram à payer à Mme [O] la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, et fixe cette somme au passif de la société Yehoram actuellement sous procédure de sauvegarde,

Condamne la société Yehoram aux dépens d'appel qui seront recouverts comme en matière de procédure collective.