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Décisions

Cass. 3e civ., 14 octobre 1992, n° 90-17.817

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Beauvois

Rapporteur :

M. Valdès

Avocat général :

M. Mourier

Avocats :

SCP Desaché et Gatineau, SCP Lyon-Caen, Fabiani et Thiriez, Me Matteï-Dawance, Me Foussard

Orléans, du 10 mai 1990

10 mai 1990

Sur le premier moyen :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Orléans, 10 mai 1990), statuant sur renvoi après cassation, que, suivant convention du 6 août 1970, la Ville de Paris, la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), l'Office public d'habitations à loyer modéré de la Ville de Paris et la Société nationale de construction, aux droits de laquelle vient la Société d'aménagement de l'îlot Gobelins Nord (SAGO), ont décidé le réaménagement de la gare des Gobelins et des terrains contigus en vue d'y édifier un ensemble immobilier comportant trois lots avec des équipements collectifs et des locaux commerciaux ; que, se plaignant de retards dans la réalisation de certains équipements du lot n° 3, dont l'exécution avait été confiée à la SAGO, M. X... et plusieurs autres acquéreurs de locaux commerciaux ont assigné en réparation de leur préjudice commercial la SAGO, les sociétés civiles immobilières Mercure et Oslo (les SCI), qui leur avaient vendu ces locaux, la Société anonyme de gestion et d'investissements immobiliers (SGII), qui, en vertu d'une convention du 2 février 1970, assurait, avec la SAGO, la gestion des SCI, et la Société pilote d'expansion et d'information (SPEI), chargée par la SGII de la commercialisation ; qu'ils ont également assigné la banque Rothschild, devenue la Société européenne de banque, en soutenant que, contrôlant plusieurs de ces sociétés, elle était le véritable promoteur de l'opération ;

Attendu que la Société européenne de banque fait grief à l'arrêt de lui reconnaître la qualité de promoteur, alors, selon le moyen, 1°) que peut, seule, avoir la qualité de promoteur immobilier la personne, physique ou morale, qui prend l'initiative d'une opération de construction, dont elle conserve personnellement la maîtrise à tous les stades de sa réalisation ; que ne peut, dès lors, être qualifié de promoteur l'établissement bancaire qui se borne à financer une opération immobilière, dont la réalisation est intégralement assurée, en toute indépendance, par une autre société, fût-elle sa filiale constituée à cet effet, sur l'activité de laquelle il ne s'est réservé aucun droit de contrôle ; qu'il était, en l'espèce, définitivement jugé que la SAGO, société juridique autonome, avait agi en qualité de promoteur du centre commercial des Olympiades et créé les SCI Mercure et Oslo en qualité de maîtres de l'ouvrage ; que la cour d'appel déduit, néanmoins, que la banque Rothschild avait également " pris le soin principal de l'affaire " du seul fait qu'elle avait créé la SAGO, qui avait elle-même créé les SCI, dont elle contrôlait le capital ; qu'en statuant par un tel motif inopérant, qui n'établit certainement pas, ipso facto, un quelconque rôle actif de la banque dans la réalisation de l'opération et en s'abstenant même de rechercher, et, pour cause de constater, que la banque Rothschild avait entendu en conserver la maîtrise et en avait retiré un profit escompté, la cour d'appel a privé sa décision de cette base légale au regard de l'article 1831-1 du Code civil ; 2°) qu'à la différence de la succursale ou de

l'agence, la filiale est elle-même une société dotée de la personnalité morale ; qu'il résulte de l'autonomie juridique de la filiale, aussi bien dans ses relations avec les tiers qu'avec la société mère, qu'elle poursuit l'objet social qui lui est propre ; qu'il est, en l'espèce, constant que la SAGO avait un objet moral distinct de celui de la banque Rothschild et consistant dans " l'édification d'un immeuble sur l'îlot D3 Nord... l'acquisition des terrains, leur revente..., ainsi que l'exploitation de toutes activités commerciales, notamment d'un centre de loisirs, de sports et de culture faisant partie de l'ensemble immobilier " ; qu'il est également constant que la SAGO a réalisé son objet en concluant elle-même avec la Ville de Paris des conventions nécessaires ; qu'en identifiant, cependant, purement et simplement les personnalités pourtant évidemment distinctes de la SAGO et de la banque Rothschild (Société européenne de banque), au motif que la seconde contrôlait le capital de la première et des SCI par cette dernière, la cour d'appel a illégalement disqualifié la SAGO en la traitant, non comme une véritable société, mais comme une simple succursale ou agence de la banque ; qu'en attribuant ainsi, par ce biais interdit, à la banque Rothschild la qualité de promoteur, qui appartenait exclusivement à la SAGO, la cour d'appel a violé les articles 354 de la loi du 24 juillet 1966 et 1831-1 du Code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef, en relevant que la banque Rothschild, qui avait pris l'initiative de l'opération dans le cadre de sa politique de développement de ses activités immobilières, avait créé, à cet effet, la SAGO et les SCI Mercure et Oslo, dont elle contrôlait directement ou indirectement la quasi-totalité du capital, que les SCI avaient le même siège social et les mêmes dirigeants que la banque Rothschild, à l'ordre de laquelle partie des paiements avaient été faits par les acquéreurs de locaux, et qu'ainsi, la banque Rothschild, ayant pris le soin principal de l'affaire, avait la qualité de promoteur ;

Mais sur le second moyen :

Vu l'article L. 131-4 du Code de l'organisation judiciaire, ensemble l'article 631 du nouveau Code de procédure civile ;

Attendu que l'effet nécessaire de la cassation et du renvoi est de dessaisir de plein droit de toute connaissance ultérieure de l'affaire le juge dont la décision est cassée pour en investir exclusivement le juge du renvoi ; que cette règle, qui touche à l'ordre des juridictions, est d'ordre public ;

Attendu que, par l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation d'un arrêt de la cour d'appel de Paris, la cour d'appel d'Orléans, motif pris de la connexité qui aurait existé avec une instance pendante devant la cour d'appel de Paris, a renvoyé devant cette cour l'instance dont l'arrêt de cassation l'avait pourtant dessaisie ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a excédé ses pouvoirs, a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a ordonné le dessaisissement de la cour d'appel d'Orléans et le renvoi de la connaissance de l'affaire à la cour d'appel de Paris, l'arrêt rendu le 10 mai 1990, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ; remet, en conséquence, quant à ce, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans, autrement composée.