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Décisions

Cass. com., 11 octobre 2023, n° 21-24.646

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Lefeuvre

Avocat général :

M. Crocq

Avocat :

SCP Piwnica et Molinié

Rouen, du 7 oct. 2021

7 octobre 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 7 octobre 2021), le 22 juin 1992, M. [G] et sa mère, [K] [D], ont constitué à parts égales la société à responsabilité limitée Musée Hôtel Baudy, détenant chacun deux cent cinquante parts.

2. Par deux actes du 11 mars 1998, M. [M] et Mme [H] [S], son épouse, se sont portés acquéreurs de l'intégralité des parts de [K] [D]. Par deux actes du même jour, M. [G] a cédé deux cents parts à Mme [I] [M] et à Mme [V].

3. [K] [D] est décédée le 4 septembre 2010, en laissant pour lui succéder ses deux enfants, M. [G] et Mme [X].

4. Soutenant qu'elle avait appris, à l'ouverture de la succession de sa mère, que les parts que celle-ci détenait dans le capital de la société Musée Hôtel Baudy ne faisaient plus partie du patrimoine successoral et contestant que celle-ci ait signé les actes de cession, Mme [X] a assigné M. [M] et Mme [S], épouse [M], en annulation de ces actes pour faux et en réintégration des parts à l'actif successoral. M. [G] est intervenu volontairement à l'instance et s'est associé à cette action en annulation.

5. M. [G] a assigné la société Musée Hôtel Baudy en annulation de toutes les assemblées générales ordinaires annuelles tenues entre les mois de mars 1998 et juin 2012.

6. Les procédures ont été jointes.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens et sur le quatrième moyen, pris en sa quatrième branche

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

8. La société Musée Hôtel Baudy, M. [M], Mme [H] [S], épouse [M], Mme [I] [M] et Mme [V] font grief à l'arrêt de déclarer Mme [X] et M. [G] recevables en leur action en nullité des cessions de parts intervenues, le 11 mars 1998, entre, d'une part, [K] [D] et M. [M] et, d'autre part, [K] [D] et Mme [S] et, en conséquence, de déclarer nulles lesdites cessions, d'ordonner des restitutions et de prononcer l'annulation de l'ensemble des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société Musée Hôtel Baudy à partir de celle du 31 mai 2010, alors :

« 1°/ que la prescription de l'action en nullité d'une cession de parts sociales court à compter de la date à laquelle le demandeur a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'agir ; qu'en l'espèce, les consorts [M] faisaient valoir que Mme [D] n'avait pu légitimement ignorer que ses propres parts dans la SARL Musée Hôtel Baudy avaient été cédées en son nom par son fils ; qu'ils ajoutaient que les cessions litigieuses, qui portaient sur sa propre participation, n'avaient fait l'objet d'aucune dissimulation par les cessionnaires, que l'opération avait été transparente, et que les statuts modifiés, actant du changement d'actionnariat, avaient été publiés, au même titre que la délibération agréant les cessionnaires et l'ensemble des délibérations ultérieures, ce dont ils déduisaient que la prescription avait commencé à courir dès le mois de mars 1998, date à laquelle Mme [D] était en mesure d'agir ; qu'en énonçant, pour retenir que la prescription n'avait pas couru à l'égard de Mme [D], que cette prescription n'aurait pu commencer à courir qu'à compter de la date de "la connaissance de la nullité" et que les cessionnaires ne démontraient pas que Mme [D] avait eu une connaissance effective des cessions intervenues en 1998 compte tenu de son absence d'implication dans la société dont elle était jusqu'alors associée, quand le délai de prescription commençait à courir à compter de la date à laquelle Mme [D] aurait dû connaître la cession de sa propre participation, ce qu'elle n'a pas recherché, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2219 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et de l'article 1304 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

2°/ que la date à partir de laquelle le demandeur à l'action en nullité aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer s'apprécie au regard des diligences normalement attendues de toute personne dans l'administration de ses propres affaires ; qu'en jugeant que, compte tenu de son absence d'implication dans la société, il n'était pas démontré que Mme [D], décédée en 2010, ait eu à un moment quelconque connaissance de la cession intervenue en 1998 de sa propre participation de 50 % dans la société dans laquelle elle était associée avec son fils, la cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard de l'article 2219 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et de l'article 1304 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ qu'en ajoutant qu'était produite une attestation du 25 janvier 2011 par laquelle un proche intervenu auprès de Mme [D] avait indiqué que cette dernière aurait rencontré des problèmes d'alcool et de tabagisme l'ayant "diminuée physiquement, psychologiquement et socialement avec une dégradation de sa mémoire, sur ses 10 dernières années", sans déterminer plus précisément l'état de santé de Mme [D], et en se fondant sur une attestation également imprécise sur la période de temps concernée par la perte de mémoire de Mme [D], la cour d'appel s'est prononcée par des motifs impropres à caractériser une impossibilité d'agir de Mme [D] de nature à écarter la prescription de l'action en nullité des cessions contestées, et a violé l'article 2219 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et l'article 1304 du même code, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

9. En premier lieu, la cour d'appel n'a pas retenu que le délai de prescription de l'action en nullité des cessions de parts litigieuses avait été suspendu du fait de l'impossibilité d'agir de [K] [D].

10. En second lieu, l'arrêt énonce que l'action en nullité exercée par Mme [X] et M. [G], destinée à protéger l'intérêt privé de [K] [D], est soumise à la prescription de cinq ans prévue par l'article 1304 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi du 17 juin 2008, le point de départ de cette prescription se situant au jour où celle-ci a eu connaissance de la cause de nullité. Il relève que [K] [D] était associée de la société Musée Hôtel Baudy avec son fils qui en assurait seul la direction, que les seuls documents postérieurs aux actes de cession litigieux supposés comporter sa signature pour l'agrément des nouveaux associés et la modification des statuts de la société ainsi que les procès-verbaux d'assemblée générale antérieurs aux cessions comportent une signature qui n'est pas de sa main. Il retient qu'aucun élément ne permet de retenir que [K] [D] aurait pu être informée de la cession régularisée en son nom avec usage de faux pour sa signature, son absence de consultation postérieurement aux cessions n'étant pas de nature à appeler son attention, compte tenu de son absence d'implication antérieure dans la société, qui était alors en cours de redressement et avait une activité non génératrice de revenus à [Localité 6], cependant que [K] [D] demeurait dans le Lot-et-Garonne. L'arrêt en déduit qu'en l'absence de justification de l'existence d'un point de départ de la prescription susceptible d'être opposé à [K] [D], cette prescription ne peut être considérée comme acquise antérieurement à son décès et que Mme [X] et M. [G] exerçant une action en leur qualité d'héritiers aux fins de réintégration des parts dans sa succession, le point de départ de la prescription de leur action se situe au plus tôt à la date du décès de [K] [D], soit le 4 septembre 2010, de sorte que cette action n'est pas prescrite.

11. En l'état de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision.

12. Le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.

Sur le quatrième moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

13. La société Musée Hôtel Baudy, M. [M], Mme [H] [S], épouse [M], Mme [I] [M] et Mme [V] font grief à l'arrêt de prononcer l'annulation de l'ensemble des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la société Musée Hôtel Baudy à partir de celle du 31 mai 2010, alors :

« 1°/ que conformément à l'article L. 235-1 du code de commerce dans sa rédaction applicable en l'espèce, la nullité des actes ou délibérations pris par les organes d'une société commerciale ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du livre II du code de commerce ou des lois qui régissent les contrats ; qu'en se bornant, pour ordonner l'annulation de plein droit de l'ensemble des assemblées générales ordinaires et extraordinaires de la SARL Musée Hôtel Baudy à partir de celle du 31 mai 2010, à relever que "les assemblées générales ont toutes été tenues avec M. [M] et Mme [S] associés détenant la moitié des parts sociales, alors qu'ils sont désormais réputés ne jamais avoir eu cette qualité d'associé", sans préciser le fondement juridique de sa décision prononçant l'annulation de l'ensemble des assemblées générales qui se sont tenues à compter du 31 mai 2010, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 12 du code de procédure civile, ensemble l'article L. 235-1 du code de commerce ;

2°/ que l'annulation d'un contrat de cession portant sur des parts d'une société commerciale n'entraîne pas l'annulation en cascade de l'ensemble des délibérations votées postérieurement à la conclusion de ce contrat ; que les assemblées générales qui se sont tenues en présence des cessionnaires ont la nature d' "assemblées irrégulièrement convoquées" au sens de l'article L. 223-27 du code de commerce, de sorte qu'il appartient au juge d'apprécier au cas par cas s'il y a lieu de prononcer l'annulation des délibérations subséquentes en tenant compte, notamment, de l'intérêt social, des effets perturbateurs qui pourraient résulter de l'annulation pour la société, et de l'incidence concrète qu'aurait eu le vote des cédants sur le sens des délibérations contestées ; qu'en l'espèce, les consorts [M] faisaient valoir que l'annulation de l'ensemble des assemblées générales qui se sont tenues depuis le 31 mai 2010, incluant les délibérations approuvant les comptes sociaux et celles décidant de l'affectation des résultats, serait gravement perturbatrice en ce qu'elle aboutirait à remettre en cause, avec d'inextricables obligations de restitutions, l'ensemble des délibérations adoptées depuis onze ans, alors que ces assemblées s'étaient tenues dans des conditions régulières à l'époque des faits, que les cessionnaires étaient de bonne foi et que les décisions adoptées étaient conformes à l'intérêt social, ainsi que le démontrait la forte croissance de la société sur cette période ; qu'ils ajoutaient que de nombreuses délibérations d'assemblées générales postérieures au 31 mai 2010 avaient en outre été votées à l'unanimité des associés, incluant M. [G] lui-même, de sorte que le sens de ces délibérations n'aurait pas été différent si les titres de [K] [D] avaient été transmis par voie successorale ; qu'en jugeant qu'il y avait lieu de prononcer l'annulation de l'ensemble des assemblées générales intervenues depuis le 31 mai 2010, au motif que la situation qui lui était soumise ne rentrait pas dans les prévisions de l'article L. 223-27 du code de commerce, quand cet article était applicable au litige, que la nullité encourue était facultative et qu'il lui appartenait d'exercer le pouvoir de modération prévu par ce texte en appréciant l'opportunité et la nécessité d'annuler les délibérations postérieures aux cessions anéanties, ce qu'elle n'a pas fait, la cour d'appel a violé l'article L. 223-27 du code de commerce par refus d'application. »

Réponse de la Cour

14. L'arrêt retient, à bon droit, que les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 223-27 du code de commerce, qui prévoient que toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée, et la règle selon laquelle le juge conserve la liberté d'appréciation de l'opportunité d'une telle annulation concernent l'hypothèse d'une irrégularité de convocation de l'assemblée générale et qu'elles n'ont pas vocation à s'appliquer au litige dès lors que l'annulation des assemblées générales est sollicitée, non pas parce qu'elles ont été irrégulièrement convoquées, mais parce qu'elles ont toutes été tenues avec M. [M] et Mme [S], associés détenant la moitié du capital, cependant qu'ils sont désormais réputés ne jamais avoir eu cette qualité, ce dont il se déduit que la cour d'appel a statué sur le fondement des articles 1844 du code civil, disposition dont il résulte que seuls les associés ont le droit de participer aux décisions collectives de la société, et 1844-10, alinéa 3, du même code.

15. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le quatrième moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

16. La société Musée Hôtel Baudy, M. [M], Mme [H] [S], épouse [M], Mme [I] [M] et Mme [V] font le même grief à l'arrêt alors « qu'en jugeant qu'il ne lui appartenait pas de s'interroger sur les conséquences du décès de [K] [D], cependant qu'il lui appartenait précisément de rechercher, selon un scénario contrefactuel, si la dévolution successorale aurait exercé une incidence sur le sens des délibérations arguées de nullité, la cour d'appel a violé l'article L. 223-27 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

17. Il résulte de la combinaison des articles 1844, alinéa 1, et 1844-10, alinéa 3, du code civil que la participation d'une personne n'ayant pas la qualité d'associé aux décisions collectives d'une société à responsabilité limitée constitue une cause de nullité des assemblées générales au cours desquelles ces décisions ont été prises, dès lors que l'irrégularité est de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

18. L'arrêt relève qu'à la suite des cessions de parts par [K] [D] et M. [G], le capital de la société Musée Hôtel Baudy s'est trouvé réparti entre M. [M], à concurrence de cent cinquante parts, Mme [H] [S], épouse [M], à concurrence de cent parts, Mme [I] [M], à concurrence de cent vingt cinq parts, Mme [V], à concurrence de soixante quinze parts, et M. [G], à concurrence de cinquante parts.

19. Il en résulte que, M. [M] et Mme [H] [S], épouse [M], Mme [I] [M] et Mme [V] ayant détenu ensemble quatre cent cinquante parts sur les cinq cents parts composant le capital de la société Musée Hôtel Baudy, l'irrégularité tenant à la participation des premiers aux assemblées générales, cependant qu'ils n'avaient pas la qualité d'associé, ne pouvait qu'être de nature à influer sur le résultat du processus de décision.

20. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, la décision se trouve légalement justifiée.

21. Le moyen ne peut donc être accueilli.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.