Cass. 1re civ., 15 octobre 1985, n° 84-12.309
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ponsard
Rapporteur :
M. Jégu
Avocat général :
M. Rocca
Avocat :
SCP Desaché Gatineau
SUR LE PREMIER MOYEN, PRIS EN SES TROIS BRANCHES : ATTENDU QUE, SELON L'ARRET ATTAQUE, MME Y... ETAIT LOCATAIRE, EN VERTU D'UN BAIL COMMERCIAL, D'UN TERRAIN A USAGE DE CAMPING ET QUE, LE 19 DECEMBRE 1963, LE PROPRIETAIRE DE CE TERRAIN LUI A DELIVRE UN CONGE, POUR LE 31 JUILLET 1964, AVEC OFFRE D'INDEMNITE D'EVICTION ;
QUE MME Y... A ALORS CHARGE M. A..., AVOCAT, D'ASSURER LA DEFENSE DE SES INTERETS, ET QU'A LA DILIGENCE DE CET AUXILIAIRE DE JUSTICE, UNE ORDONNANCE DE REFERE, EN DATE DU 21 MAI 1964, A CHARGE UN EXPERT DE REUNIR LES ELEMENTS NECESSAIRES A LA DETERMINATION DU MONTANT DE L'INDEMNITE D'EVICTION QUI POURRAIT ETRE RECLAMEE AU PROPRIETAIRE ;
QUE L'EXPERT A DEPOSE LE 17 AVRIL 1965 SON RAPPORT, QUI CONCLUAIT QUE LE MONTANT DE L'INDEMNITE D'EVICTION DEVAIT ETRE EVALUE A 257. 000 FRANCS, QUE, SEPT ANS PLUS TARD, PAR ACTE DU 21 DECEMBRE 1972, M. A... A FAIT DELIVRER AU PROPRIETAIRE DU TERRAIN UNE ASSIGNATION EN PAIEMENT D'UNE INDEMNITE D'EVICTION D'UN MONTANT D'UN MILLION DE FRANCS, EN PRECISANT DANS CETTE ASSIGNATION QUE LE CONGE DELIVRE A MME NOEL LE 19 DECEMBRE 1963 AVAIT MIS FIN AU BAIL ;
QU'UN JUGEMENT, DEVENU IRREVOCABLE, EN DATE DU 7 NOVEMBRE 1973, A DECLARE IRRECEVABLE, COMME ATTEINTE PAR LA PRESCRIPTION BIENNALE PREVUE PAR L'ARTICLE 33 DU DECRET DU 30 NOVEMBRE 1953, LA DEMANDE D'INDEMNITE D'EVICTION FORMEE PAR MME Y... ;
QUE CELLE-CI A DECHARGE M. A... DE SES INTERETS QU'ELLE A CONFIES A UN AUTRE AVOCAT ;
QUE CELUI-CI A ASSIGNE LE PROPRIETAIRE POUR FAIRE JUGER QUE, FAUTE PAR LUI D'AVOIR ENGAGE DANS LE DELAI DE DEUX ANS UNE ACTION EN VALIDITE DE SON CONGE, CELUI-CI ETAIT DEVENU CADUC DE SORTE QUE LE BAIL S'ETAIT POURSUIVI ET QUE MME Y... POUVAIT PRETENDRE A SON RENOUVELLEMENT ;
QU'UN ARRET DU 17 JUIN 1976 A DEBOUTE MME Y... DE CETTE DEMANDE AU MOTIF QUE, DANS L'ASSIGNATION DU 21 DECEMBRE 1972 ETABLIE PAR M. A..., ELLE AVAIT EXPRESSEMENT RECONNU QUE LE CONGE DU 19 DECEMBRE 1963 ETAIT VALABLE ET QU'IL AVAIT MIS FIN, DES SA RECEPTION, AU BAIL ;
QU'UN POURVOI FORME CONTRE CET ARRET A ETE REJETE LE 22 FEVRIER 1978 PAR LA TROISIEME CHAMBRE CIVILE DE LA COUR DE CASSATION ;
ATTENDU QU'AYANT ETE EXPULSEE EN 1979, MME Y... A ENGAGE CONTRE M. A... UNE ACTION EN PAIEMENT DE DOMMAGES-INTERETS, EN REPROCHANT A CET AVOCAT, D'UNE PART, DE N'AVOIR PAS DILIGENTE EN TEMPS UTILE L'ACTION EN PAIEMENT DE L'INDEMNITE D'EVICTION, ET D'AUTRE PART, TANDIS QU'IL AVAIT, PAR LA SUITE, LA POSSIBILITE DE REPARER LES CONSEQUENCES DE CETTE FAUTE, AU BENEFICE D'UNE NOUVELLE JURISPRUDENCE INSTAUREE EN 1972 PAR LA COUR DE CASSATION, EN FAISANT JUGER QUE LE CONGE ETAIT DEVENU CADUC ET QUE LA LOCATAIRE AVAIT CONSERVE SON DROIT AU RENOUVELLEMENT DU BAIL, DE S'ETRE PREVALU EXPRESSEMENT, DANS UNE ASSIGNATION TARDIVE EN PAIEMENT D'INDEMNITE D'EVICTION, DE LA VALIDITE DU CONGE DU 19 DECEMBRE 1963 ET DE LA CESSATION DU BAIL DEPUIS CETTE DATE, EMPECHANT AINSI LE SUCCES D'UNE ACTION EN RENOUVELLEMENT DU BAIL ;
QUE L'ARRET ATTAQUE A RETENU LA RESPONSABILITE DE L'AVOCAT ET L'A CONDAMNE A PAYER A MME Y... LA SOMME DE 1. 200. 000 FRANCS A TITRE DE DOMMAGES-INTERETS ;
ATTENDU QUE M. A... REPROCHEA CET ARRET D'AVOIR RETENU SA RESPONSABILITE, ALORS QUE, D'UNE PART, LA COUR D'APPEL, QUI A ENONCE QUE LE CONGE AVAIT ETE DELIVRE SOUS L'EMPIRE DE LA LEGISLATION ANTERIEURE A LA LOI DU 2 JANVIER 1970, ET QUE M. A... POUVAIT INVOQUER LA JURISPRUDENCE RESULTANT DES ARRETS DE LA COUR DE CASSATION DES 18 JANVIER ET 14 JUIN 1972, SELON LAQUELLE LE CONGE DEVIENT CADUC EN L'ABSENCE D'ACTION EN VALIDITE ENGAGEE DANS LES DEUX ANS PAR LE BAILLEUR, N'AURAIT PAS TIRE LES CONSEQUENCES LEGALES DE SES PROPRES CONSTATATIONS EN ESTIMANT QUE L'AVOCAT AVAIT COMMIS UNE FAUTE OUVRANT DROIT A REPARATION EN N'INTRODUISANT PAS L'ACTION EN PAIEMENT D'INDEMNITE D'EVICTION DANS LE DELAI DE DEUX ANS ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, LA COUR D'APPEL SE SERAIT CONTREDITE EN RETENANT QUE L'AVOCAT AVAIT COMMIS UNE FAUTE EN N'INTRODUISANT PAS LADITE ACTION DANS LE DELAI DE DEUX ANS, CE QUI IMPLIQUAIT QUE LE CONGE ETAIT DEMEURE VALABLE, TOUT EN CONSIDERANT PAR AILLEURS QUE L'ASSIGNATION DU 21 DECEMBRE 1972 AVAIT FAIT PERDRE A LA CLIENTE LE BENEFICE DU RENOUVELLEMENT DU BAIL, CE QUI IMPLIQUAIT QUE LE MEME CONGE ETAIT CADUC ET QUE LE BAIL S'ETAIT POURSUIVI ;
ALORS QUE, ENFIN, LA COUR D'APPEL N'AURAIT PU RETENIR QUE LA FAUTE DE L'AVOCAT ETAIT LA CAUSE DE LA PERTE DE L'INDEMNITE D'EVICTION SANS RECHERCHER, EU EGARD A LA POSSIBILITE QU'AVAIT LE PROPRIETAIRE D'EXERCER SON DROIT DE REPENTIR, SI LA LOCATAIRE AVAIT LA CERTITUDE D'OBTENIR LE PAIEMENT DE L'INDEMNITE D'EVICTION ;
MAIS ATTENDU QUE LES JUGES DU FOND ONT RETENU QUE, JUSQU'EN 1972, ET NOTAMMENT PENDANT LA PERIODE DE DEUX ANS AU COURS DE LAQUELLE M. A... AURAIT DU ENGAGER L'ACTION EN PAIEMENT DE L'INDEMNITE D'EVICTION, LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE CASSATION DECIDAIT QUE, FAUTE PAR LE LOCATAIRE, PENDANT LES DEUX ANS SUIVANT LA DATE DE PRISE D'EFFET DE SON CONGE, D'ENGAGER UNE ACTION POUR CONTESTER LA VALIDITE DE CE CONGE OU POUR DEMANDER UNE TELLE INDEMNITE, LE CONGE PRODUISAIT SON EFFET ET METTAIT FIN AU BAIL DE SORTE QUE M. A..., POUR SAUVEGARDER LES INTERETS DE SA CLIENTE, DEVAIT SAISIR LA JURIDICTION COMPETENTE DANS LE DELAI DE LA PRESCRIPTION DE DEUX ANS PREVU PAR L'ARTICLE 33 DU DECRET DU 30 SEPTEMBRE 1953 ;
QU'ILS AJOUTENT QUE, PAR DES ARRETS EN DATE DES 18 JANVIER ET 14 JUIN 1972, LA COUR DE CASSATION A MODIFIE CETTE JURISPRUDENCE EN DECIDANT QU'A DEFAUT D'ACTION DU LOCATAIRE, ET FAUTE PAR LE PROPRIETAIRE D'ENGAGER DANS LES DEUX ANS UNE ACTION EN VALIDITE DU CONGE, CE CONGE, EN L'ABSENCE DE MANIFESTATIONS DE VOLONTE CONTRAIRE, DEVENAIT CADUC, ET QUE M. A..., QUI AURAIT PU ALORS, AU BENEFICE DE CETTE NOUVELLE JURISPRUDENCE, REPARER LES CONSEQUENCES DE SA NEGLIGENCE EN FAISANT CONSTATER JUDICIAIREMENT QUE LE CONGE ETAIT DEVENU CADUC ET QUE LA LOCATAIRE AVAIT DROIT AU RENOUVELLEMENT DE SON BAIL, AVAIT, EN RECONNAISSANT EXPRESSEMENT DANS L'ASSIGNATION TARDIVE DU 21 DECEMBRE 1972 QUE SA CLIENTE AVAIT TENU CE CONGE POUR VALABLE ET QUE LE BAIL AVAIT PRIS FIN DES SA DELIVRANCE, EMPECHE LE SUCCES D'UNE TELLE ACTION ;
QUE, SANS SE CONTREDIRE ET SANS AVOIR A ENVISAGER L'HYPOTHESE D'UN DROIT DE REPENTIR DU PROPRIETAIRE, HYPOTHESE QUI N'AVAIT PAS ETE INVOQUEE PAR M. A..., LES JUGES DU FOND ONT PU DEDUIRE DE CES CONSTATATIONS ET ENONCIATIONS QUE M. A... AVAIT COMMIS DES FAUTES, D'ABORD, EN N'ENGAGEANT PAS DANS LE DELAI DE LA PRESCRIPTION BIENNALE L'ACTION EN PAIEMENT DE L'INDEMNITE D'EVICTION, CE QUI AVAIT ALORS POUR CONSEQUENCE DE METTRE FIN AU BAIL EN LA PRIVANT DE CETTE INDEMNITE, ET, PAR LA SUITE, EN RECONNAISSANT A TORT, DE FACON EXPRESSE, AU MEPRIS D'UNE NOUVELLE JURISPRUDENCE, QUE LE CONGE ETAIT TENU POUR VALABLE PAR SA CLIENTE ET QU'IL AVAIT MIS FIN AU BAIL DES SA RECEPTION, CE QUI AVAIT EU POUR CONSEQUENCE DE LA PRIVER DE SON DROIT AU RENOUVELLEMENT DU BAIL ;
QUE LA COUR D'APPEL A AINSI LEGALEMENT JUSTIFIE SA DECISION SUR CE POINT, ET QUE LE MOYEN NE PEUT ETRE ACCUEILLI EN AUCUNE DE SES BRANCHES ;
SUR LE SECOND MOYEN, PRIS EN SES DEUX BRANCHES : ATTENDU QUE M. A... REPROCHEA LA COUR D'APPEL D'AVOIR FIXE A 1. 200. 000 FRANCS LE MONTANT DU PREJUDICE SUBI PAR MME Y..., ALORS QUE, D'UNE PART, L'INDEMNITE D'EVICTION DOIT, AUX TERMES DE L'ARTICLE 8 DU DECRET DU 30 SEPTEMBRE 1953, COMPRENDRE LA VALEUR DE DIVERS ELEMENTS DE PREJUDICE ET QUE, FAUTE D'AVOIR PRECISE LES ELEMENTS SUR LESQUELS ILS SE FONDAIENT POUR EVALUER CETTE INDEMNITE, NI LA DATE A LAQUELLE IL CONVENAIT DE SE PLACER POUR EN FIXER LE MONTANT, LES JUGES D'APPEL AURAIENT PRIVE LEUR DECISION DE BASE LEGALE ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, LA JURIDICTION AU SECOND DEGRE N'AURAIT PAS REPONDU AUX CONCLUSIONS DE M. A... QUI SOUTENAIT QUEL'EVALUATION FAITE PAR L'EXPERT EN 1965 DEVAIT ETRE REDUITE PARCE QUE MME Y... ETAIT RESTEE DANS LES LIEUX JUSQU'EN 1979 ET PARCE QUE, DEPUIS 1975, LES EPOUX Y... EXPLOITAIENT, SOUS LE NOM ET PAR L'INTERMEDIAIRE DU MARI, UN AUTRE CAMPING ASSEZ PROCHE QUI AVAIT PU RECUPERER UNE PARTIE DE LA CLIENTELE ;
MAIS ATTENDU QUE LA COUR D'APPEL, QUI N'AVAIT PAS A SUIVRE LES PARTIES DANS LE DETAIL DE LEUR ARGUMENTATION, N'ETAIT PAS SAISIE D'UNE DEMANDE EN PAIEMENT D'UNE INDEMNITE D'EVICTION, MAIS D'UNE ACTION EN REPARATION DU PREJUDICE CAUSE PAR LES FAUTES DE M. A... A SA CLIENTE ;
QUE LA COUR D'APPEL, QUI N'A REFORME LA DECISION DU TRIBUNAL QUE SUR LE MONTANT DU PREJUDICE, POUR TENIR COMPTE DU TEMPS ECOULE DEPUIS LE JUGEMENT, A, PAR ADOPTION DES MOTIFS DES PREMIERS JUGES, RETENU POUR BASE DE L'EVALUATION LE MONTANT PROPOSE PAR L'EXPERT DESIGNE EN REFERE LE 21 MAI 1964, EN PRECISANT QUE CELUI-CI AVAIT TENU COMPTE DE TOUS LES ELEMENTS ENTRANT DANS LE CALCUL DE L'INDEMNITE D'EVICTION ET QU'IL CONVENAIT D'ACTUALISER CE MONTANT POUR EVALUER, A LA DATE DE LA DECISION, L'ETENDUE DU DOMMAGE ;
QU'ELLE A SOUVRAINEMENT ESTIME QU'UNE SOMME DE 1. 200. 000 FRANCS CONSTITUAIT LA REPARATION INTEGRALE DU DOMMAGE SUBI PAR MME Y..., DU FAIT DE SON AVOCAT, A LA SUITE DE LA PERTE DE SON INDEMNITE D'EVICTION ;
QU'ELLE A AINSI LEGALEMENT JUSTIFIE SA DECISION SUR CE POINT ET QUE LE MOYEN N'EST FONDE EN AUCUNE DE SES BRANCHES ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE LE POURVOI.