CA Paris, 16e ch. A, 12 décembre 2007, n° 05/11926
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
KRUITHOF (épouse), HAROUTUNIAN, LECLERC (épouse)
Défendeur :
PRUVOST (consorts)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme GABORIAU
Conseillers :
Mme IMBAUD-CONTENT, M. PEYRON
Avoué :
SCP LAGOURGUE - OLIVIER
Avocat :
Me CRAUSTE
La Cour, saisie de l'appel interjeté par les consorts HAROUTUNIAN à l'encontre du jugement rendu le 21 avril 2005 par le tribunal de grande instance de PARIS dans un litige opposant les appelants à M. PRUVOST et relatif à la validation du congé avec refus de renouvellement sans offre d'une indemnité d'éviction délivré le 17/2/2003 et fondé sur le défaut d'immatriculation des copreneurs au registre du commerce et des sociétés, a, par arrêt mixte du 31/5/2006 :
- infirmé le jugement déféré,
- dit que M. PRUVOST était redevable aux consorts HAROUTUNIAN d'une indemnité d'éviction à la suite du congé avec refus de renouvellement du bail par lui consenti sur les locaux situés à [...] ;
- ordonné une expertise confiée à M. SOUDANT avec mission de rechercher les éléments d'évaluation de cette indemnité,
- condamné les consorts HAROUTUNIAN à payer à M. PRUVOST la somme de 7 961,30 € correspondant au solde du décompte locatif après compensation entre les réparations locatives à charges de ceux-ci et le dépôt de garantie,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné M. PRUVOST aux entiers dépens de première instance et d'appel exposés au jour de l'arrêt et au paiement d'une indemnité de 3000 € au titre l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;
La Cour, dans son arrêt, relevait qu'il n'était pas contesté que l'éviction avait entraîné la perte du fonds de commerce, que les résultats d'exploitation conduisaient à une estimation de l'indemnité d'éviction en valeur du droit au bail et que cette dernière valeur, en l'absence de motif de déplafonnement tenant aux travaux d'amélioration invoqués par le bailleur mais ne pouvant être retenus s'agissant de travaux réalisés antérieurement au bail précédent le bail expiré, devait être calculée en fonction du loyer plafonné ;
Dans son rapport du 20/2/2007 , M. SOUDANT a :
- indiqué que le loyer plafonné au 6/9/2003 , date d'effet du congé ,s'établissait à 8 856 € ;
- évalué la valeur locative de marché en tenant compte de l'état d'usage des locaux et en appliquant une minoration de 5% correspondant sensiblement au montant des réparations locatives retenues par la Cour dans son arrêt du 31/5/2006;
- établi la valeur locative, compte tenu de cette minoration, sur la base d'un prix unitaire de 750 € pour la partie commerciale et d'un prix unitaire de 25€ pour la partie habitation et sur la base, par ailleurs, d'une surface de 30,40m2 B pour la partie commerciale et d'une surface de 37,50 m2 pour la partie habitation, soit une valeur locative globale de 34 050 € ;
- appliqué à la différence entre cette valeur et le loyer plafonné un coefficient de 7,5 d'où une valeur du droit au bail de 188 955 € ( 34050€ - 8856€ x 7,5) ;
- évalué l' indemnité d'éviction à la somme susvisée de 188 955 € arrondie à 189 000 €, sans retenir d'indemnités annexes ;
Les consorts HAROUTUNIAN, critiquant le rapport d'expertise, demandent à la Cour :
-de condamner M. PRUVOST à leur payer une indemnité d'éviction de 340 000 € et à titre d'indemnité annexe , une indemnité de remploi de 31 000 € à réévaluer à la date de l'arrêt à intervenir en fonction de l'indice INSEE du coût de la construction publié à la date du 9/10/2003 (et, très subsidiairement, avec intérêts au taux légal, au besoin à titre compensatoire, à compter du 9/10/2003),
- de dire que cette somme devra être payée à raison d'un tiers à chacune des concluantes,
- de condamner M. PRUVOST à payer une somme de 5000 € par tiers à chacune des concluantes et aux entiers dépens, en ce inclus les frais d' expertise ;
M. PRUVOST, critiquant également l'évaluation de l'expert, demande à la Cour :
-de fixer l'indemnité d'éviction à la somme de 113 912 € ou, très subsidiairement, à celle de 147 345 € ,
-de débouter les appelantes de leur demande de réévaluation de cette indemnité jusqu'à la date de la décision à intervenir et de leur demande subsidiaire d'intérêts sur ladite indemnité à compter d'une date antérieure à celle de cette décision ,
-de condamner les consorts HAROUTUNIAN au paiement d'une somme de 3000 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce inclus les frais d'expertise ;
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Considérant qu'il sera rappelé que le bail dont s'agit a été consenti pour l'activité de 'bas, bonneterie, lingerie, chemiserie, mercerie, confection hommes et dames et généralement tout ce qui concerne l'habillement, articles chaussants exclus' et que les consorts HAROUTUNIAN, suite au congé avec refus de renouvellement du 7/2/2003, ont quitté les lieux le 9/10/2003 ; qu'il sera, d'autre part, relevé que les locaux litigieux situés au rez-de-chaussée à gauche de la porte cochère ont été reloués par le bailleur en date du 4/12/2003 à la société PYLONE déjà locataire d'une boutique située au rez-de-chaussée à droite de la porte cochère ;
Considérant, ceci rappelé, que les consorts HAROUTUNIAN, qui se réfèrent à un rapport d'expertise amiable établi à leur demande par M. MARX, contestent qu'une minoration pour mauvais état des locaux puisse être appliquée sur le prix unitaire dés lors que la Cour, dans son arrêt du 31/5/2006, avait accordé au bailleur une indemnité pour remise en état des locaux, reprochent à l'expert de n'avoir pas retenu comme référence le bail consenti sur les locaux litigieux à la société PYLONE, estiment qu'une majoration de 10 000 € est nécessaire pour tenir compte de l'avantage représenté par l'existence d'un logement et revendiquent une indemnité de remploi de 10% tandis que M. PRUVOST, pour sa part, estime que la minoration appliquée par l'expert sur le prix unitaire est insuffisante compte tenu des travaux de remise de état qu'il a directement ou indirectement, par le bais d'une franchise de loyer pour la boutique, assumés, retient un prix unitaire de 600 € pour la boutique et de 20 € pour le logement et sollicite, subsidiairement, un abattement de 10% sur la valeur locative et critique, par ailleurs, le rapport d'expertise sur le coefficient de situation qu'il estime devoir être fixé en fonction non de la potentialité commerciale du secteur mais en fonction de l'activité exercée et qu'il fixe, compte tenu de l'activité et de la situation des locaux pour cette activité, à 6,5 (au lieu de 7,5 selon l'expert) ;
Que les parties sont en désaccord sur la réévaluation sollicitée à la date de l'arrêt de l'indemnité d'éviction sous forme d'indexation ou sous forme d'intérêts compensatoires;
SUR LA MINORATION DE LA VALEUR LOCATIVE ET SUR LE PRIX UNITAIRE POUR LA BOUTIQUE ET LE LOGEMENT,
Considérant que le préjudice résultant de l'éviction devant être apprécié en l'espèce à la date de départ des lieux de la locataire, il y a lieu de retenir l'état des locaux à cette date sans tenir compte de l'indemnité allouée au bailleur au titre des réparations locatives dans l'arrêt du 31/5/2006 si ce n'est pour apprécier le taux éventuel de minoration ;
Considérant que l'expert, qui a visité les lieux alors que des travaux y avaient été effectués ensuite du départ de la locataire, a pris en compte l'état des lieux à la date de ce départ en appliquant sur le prix unitaire une minoration exactement par lui fixée à 5% eu égard à l'évaluation faite par la Cour des travaux de remise en état sans que le bailleur qui, au vu des factures par lui produites, a fait réaliser des travaux allant au delà d'une simple remise en état, puisse utilement invoquer l'importance globale de ces travaux pour en conclure à une insuffisance de la minoration appliquée sur le prix unitaire ;
Considérant, concernant les références, que celle relative au bail consenti sur les locaux litigieux ensuite du départ de la locataire, n'est manifestement pas significative comme souligné par l'expert dés lors que le bail sur ces locaux a été conclu à un preneur qui, très intéressé par ces locaux alors qu'il exploitait déjà son fonds dans des locaux situés de l'autre côté de la porte cochère, a manifestement accepté un prix de loyer élevé par rapport au prix de marché résultant des autres références citées ; que cette référence ne peut, en tous cas, rendre utilement compte, à elle seule, de la valeur locative des locaux litigieux à la date de l'éviction ;
Considérant que les références citées par l'expert judiciaire se rapportant à des commerces situés dans le voisinage et à des locaux de dimensions équivalentes et dont les locataires indiquent, à tort, qu'elles sont anciennes alors que deux seulement présentent ce caractère, sont conformes aux exigences réglementaires ;
Considérant, au vu des références citées par l'expert, de l' emplacement des locaux, de l'activité exercée, du descriptif de ceux-ci et de l'immeuble tels que résultant du rapport d'expertise, que le prix unitaire de la boutique (à évaluer comme susdit dans son état avant travaux ) apparaît devoir être fixé à 700 € ;
Considérant, concernant le prix de loyer pour le logement de 2 pièces d'une surface de 37,50m2, qu'au vu des références figurant au rapport, des références produites par le bailleur extraites de l'Observatoire des loyers et de l'état des locaux tel qu'il se présentait à la date de départ des locataires, le prix unitaire pour le logement sera fixé à 24 € /m2 et par mois.
SUR LE COEFFICIENT DE CAPITALISATION DE LA VALEUR DU DROIT AU BAIL,
Considérant, que si ce coefficient de capitalisation doit tenir compte de la qualité de l'emplacement pour l'activité autorisée au bail, il doit, aussi, tenir compte de l'attrait particulier du secteur en cause et de la rareté des commerces dans ce secteur qui, comme le retient justement l'expert judiciaire (en cela suivi par M. MARX dans son rapport amiable), est constitutif d' un facteur valorisant ;
Qu' au regard de ce qui précède, il sera retenu en l'espèce un coefficient de capitalisation de 7,50 de la valeur du droit au bail ;
SUR LA MAJORATION SOLLICITÉE POUR L'AVANTAGE AFFÉRENT AU LOGEMENT ,
Considérant que le logement bien qu'étant accessible seulement par les parties communes de l'immeuble, présente un avantage certain en ce qu'il permet à l'exploitant se trouvant de ce fait sur place d'optimiser son activité ;
Que cet avantage justifie une majoration de 2% de la valeur locative ;
SUR LA VALEUR DU DROIT AU BAIL,
Considérant, au vu de ce qui précède et alors que l'expert a fait une juste appréciation des coefficients de pondération, notamment pour le sous-sol non directement relié à la boutique, que la valeur du droit au bail des locaux étudiés s'établit, sur la base d'une valeur locative pour la boutique de 21 280 € (700 € x 30,40m2), d'une valeur locative pour l'appartement de 10 800 € (24 € x 12 mois x 37,50m2), d'une majoration de 2% pour avantage conféré par le logement, d'un loyer plafonné de 8 856 € au 6/9/2003 et d'un coefficient de capitalisation de 7,50, à la somme de 178 992 € ;
SUR L'INDEMNITÉ DE REMPLOI,
Considérant que le fait que l'exploitation ait été déficitaire ne fait pas obstacle à l'allocation d'une indemnité de remploi ;
Considérant que le bailleur, pour contester ce poste d'indemnité, fait état d'une cessation définitive d'activité de la société TENTATION, locataire-gérante du fonds de commerce litigieux dans laquelle Mesdames HAROUTUNIAN ont la qualité d'associées,
Considérant, cependant, que la mise en liquidation de la locataire-gérante du fonds n'empêche pas une reprise d'exploitation par les propriétaires dudit fonds soit personnellement soit sous forme d'une société à constituer entre elles ;
Considérant, dès lors, et l'absence d'intention de Mesdames HAROUNTANIAN de se réinstaller n'étant pas établie, celle-ci, expliquant rester, à cet égard, en l'attente du paiement de l'indemnité d'éviction à leur revenir, qu'une indemnité de remploi apparaît devoir leur être allouée ;
Que cette indemnité sera fixée à 10% de la valeur du droit au bail, soit à la somme de 17 899 € ;
SUR L' INDEMNITÉ D'ÉVICTION
Considérant que l'indemnité globale d'éviction, eu égard à la valeur susvisée du droit au bail et à l'indemnité de remploi ci-dessus allouée, sera fixée à la somme de 196 891 € ;
SUR LA REVALORISATION DE CETTE INDEMNITÉ,
Considérant que les consorts HAROUTUNIAN font, à cet égard, état du principe de réparation intégrale du préjudice lié à l'éviction justifiant que leur soit allouée une indemnité devant leur permettre, en fonction de l'évolution du marché, d'acquérir un bien semblable ;
Mais considérant que l'indemnité d'éviction devant être appréciée, en l'espèce, à la date de départ des lieux des locataires, ces dernières ne sont pas fondées en leur demande de ce chef ;
SUR LES INTÉRÊTS AU TAUX LÉGAL SUR L'INDEMNITÉ D'ÉVICTION,
Considérant que ces intérêts, en application des dispositions de l'article 1153-1 du code civil courront à compter du présent arrêt ;
SUR LA DEMANDE DES PARTIES AU TITRE DE L'ARTICLE 700 DU NOUVEAU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS,
Considérant que M. PRUVOST qui devra supporter la charge des dépens ne saurait solliciter indemnité au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ,
Considérant, concernant la demande du même chef des consorts HAROUTUNIAN ,qu'ilserait inéquitable de laisser à leur charge les frais par eux exposés dans l'instance, une somme de 1 200 € à verser par M. PRUVOST, à raison d'un tiers à chacun et s'ajoutant à celle déjà allouée par l'arrêt du 31/5/2006 ;
PAR CES MOTIFS
Statuant en dernier ressort,
Vu l'arrêt du 31/5/2006,
Vu le rapport de M. SOUDANT, expert,
Statuant sur les points non tranchés,
I - Fixe indemnité d'éviction à la somme globale de 196 891 €,
II - Condamne M. PRUVOST à payer ladite somme aux consorts HAROUTUNIAN à hauteur d'un tiers chacun ,
III - Condamne M. PRUVOST à payer aux consorts HAROUTUNIAN la somme complémentaire de 1 200 € au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile à hauteur d'un tiers au profit de chacun d'eux,
IV - Condamne M. PRUVOST aux entiers dépens, en ce inclus les frais d' expertise, dont distraction au profit de la SCP BERNABE CHARDIN CHEVILLER.