CJUE, 1re ch., 12 octobre 2023, n° C-670/21
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
BA
Défendeur :
Finanzamt X
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Arabadjiev
Juges :
M. von Danwitz, M. Xuereb (rapporteur), Mme Ziemele
Avocat général :
M. Collins
Avocat :
Me Riedel
LA COUR (première chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 63 à 65 TFUE.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BA au Finanzamt X (bureau des impôts X, Allemagne) au sujet du calcul des droits de succession portant sur une propriété foncière située dans un pays tiers.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Au deuxième considérant de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »), les parties à cet accord ont réaffirmé « la grande priorité qu’[elles] attachent aux relations privilégiées, fondées sur leur proximité, leurs valeurs communes de longue date et leur identité européenne, qui lient la Communauté européenne, ses États membres et les États de l’[Association européenne de libre-échange (AELE)] ».
Le droit allemand
L’ErbStG
4 L’Erbschaftsteuer- und Schenkungsteuergesetz (loi sur les droits de succession et de donation), dans sa version publiée le 27 février 1997 (BGBl. 1997 I, p. 378), tel que modifié par le Gesetz zur Reform des Erbschaftsteuer- und Bewertungsrechts (loi de réforme du régime des droits de succession et des règles d’évaluation), du 24 décembre 2008 (BGBl. 2008 I, p. 3018) (ci-après l’« ErbStG »), prévoit, à son article 1er, paragraphe 1, point 1, que sont soumises aux droits de mutation sur les successions « les transmissions à cause de mort ».
5 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de l’ErbStG :
« L’obligation fiscale s’applique
1. dans les cas visés à l’article 1er, paragraphe 1, points 1 à 3, à la totalité de la dévolution patrimoniale lorsque le défunt, à la date du décès, le donateur, à la date où il effectue la donation, ou l’acquéreur, à la date du fait générateur de l’impôt (article 9), ont la qualité de résidents (obligation fiscale illimitée).
Sont considérés comme des résidents :
a) les personnes physiques qui ont un domicile ou leur résidence habituelle sur le territoire national ;
[...] »
6 L’article 3, paragraphe 1, de l’ErbStG prévoit :
« La transmission à cause de mort vise
1. l’acquisition par dévolution successorale [article 1922 du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil, ci-après le “BGB”)], par legs (articles 2147 et suivants du [BGB]) ou par invocation d’un droit réservataire (articles 2303 et suivants du [BGB]) ;
[...] »
7 L’article 9, paragraphe 1, de l’ErbStG dispose :
« L’impôt devient exigible,
1. en cas d’acquisition à cause de mort, au moment du décès du défunt
[...] »
8 L’article 10, paragraphes 1 et 6, de l’ErbStG énonce :
« (1) L’acquisition imposable vise l’enrichissement de l’acquéreur, pour autant que cet enrichissement ne soit pas exonéré (articles 5, 13, 13a, 13c, 16, 17 et 18). Dans les cas visés à l’article 3, l’on entend par “enrichissement”, sans préjudice du paragraphe 10, le montant obtenu lorsque l’on déduit de la valeur de l’ensemble de la dévolution patrimoniale, à déterminer conformément à l’article 12, pour autant que cette valeur soit imposable, le passif successoral déductible en vertu des paragraphes 3 à 9, dont la valeur est à déterminer conformément à l’article 12. [...]
[...]
(6) [...] Les dettes et charges, économiquement liées au patrimoine fiscalement exonéré en vertu de l’article 13c ne sont déductibles qu’à hauteur du montant qui correspond au rapport entre la valeur de ce patrimoine, à évaluer après application de l’article 13c, et la valeur avant application de l’article 13c. »
9 Aux termes de l’article 12, paragraphes 1, 3 et 7, de l’ErbStG :
« (1) L’évaluation est effectuée, sauf disposition contraire prévue aux paragraphes 2 à 7, conformément aux dispositions de la première partie du Bewertungsgesetz (BewG) (Allgemeine Bewertungsvorschriften) [loi sur l’évaluation (dispositions générales d’évaluation)], dans sa version telle que publiée le 1er février 1991 (BGBl. [1991] I p. 230), modifié en dernier lieu par l’article 2 du [Gesetz zur Reform des Erbschaftsteuer- und Bewertungsrechts (loi de réforme du régime des droits de succession et des règles d’évaluation)] du 24 décembre 2008 (BGBl. [2008] I p. 3018), dans sa version respectivement en vigueur [(ci-après le “BewG”)].
[...]
(3) La possession immobilière (article 19, paragraphe 1, du [BewG]) doit être évaluée selon la valeur fixée au jour de référence de l’évaluation (article 11) conformément à l’article 151, paragraphe 1, première phrase, point 1, du [BewG].
[...]
(7) La possession immobilière étrangère et le patrimoine professionnel étranger sont évalués conformément à l’article 31 du [BewG]. »
10 L’article 13c, paragraphes 1 et 3, de l’ErbStG prévoit :
« (1) Les biens immobiliers visés au paragraphe 3 doivent être évalués à 90 % de leur valeur.
[...]
(3) La valeur réduite s’applique aux biens immobiliers bâtis et aux portions divises d’immeubles qui
1. sont loués à des fins résidentielles,
2. sont situés en Allemagne, dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État de l’Espace économique européen,
3. ne font pas partie du patrimoine professionnel privilégié ou du patrimoine privilégié d’une exploitation agricole ou forestière visés à l’article 13a. [...] »
Le BewG
11 L’article 9 du BewG dispose :
« (1) Aux fins des évaluations, sauf disposition contraire, il convient de se baser sur la valeur vénale.
(2) La valeur vénale est déterminée par le prix auquel un bien pourrait être vendu, en fonction de sa nature, dans le cadre de transactions commerciales habituelles. Il convient de tenir compte à cet égard de toutes les circonstances ayant une incidence sur le prix. Les situations inhabituelles ou personnelles ne doivent pas être prises en compte.
[...] »
12 L’article 31, paragraphe 1, du BewG énonce :
« L’évaluation du patrimoine agricole et forestier, du patrimoine immobilier et du patrimoine professionnel étrangers, est régie par les dispositions de la première partie de la présente loi, notamment l’article 9 (valeur vénale). [...] »
13 Aux termes de l’article 151, paragraphes 1 et 4, du BewG :
« (1) Doivent être évaluées de manière distincte (article 179 de l’Abgabenordnung [(code des impôts)]) :
1. les valeurs de la possession immobilière (articles 138 et 157),
[...]
(4) Le patrimoine étranger n’est pas soumis à l’évaluation distincte. »
14 L’article 177 du BewG prévoit :
« Les évaluations visées à l’article 179 et aux articles 182 à 196 doivent se fonder sur la valeur vénale (article 9). »
Le BGB
15 L’article 1030, paragraphe 1, du BGB dispose :
« Une chose peut être grevée de telle manière que la personne en faveur de laquelle la charge est faite a le droit de tirer les fruits de la chose (usufruit). »
16 L’article 2147 du BGB énonce :
« L’héritier ou un légataire peut être chargé d’un legs. Sauf disposition contraire prévue par le défunt, l’héritier est chargé du legs. »
17 Aux termes de l’article 2174 du BGB :
« Le legs fonde un droit pour le légataire de réclamer à la personne chargée du legs la remise de la chose léguée. »
18 L’article 2176 du BGB prévoit :
« La créance du légataire prend naissance (dévolution du legs), sans préjudice du droit de refuser le legs, au moment du décès. »
L’accord fiscal entre l’Allemagne et le Canada
19 L’accord entre la République fédérale d’Allemagne et le Canada en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et de certains autres impôts, de prévenir l’évasion fiscale et de fournir assistance en matière d’impôts, conclu à Berlin le 19 avril 2001 (BGBl. 2002 II, p. 670, ci-après l’« accord fiscal entre l’Allemagne et le Canada »), prévoit, à son article 2, intitulé « Impôts visés » :
« (1) Le présent Accord s’applique aux impôts sur le revenu et sur la fortune perçus par chacun des États contractants et, en ce qui concerne la République fédérale d’Allemagne, à ceux perçus pour le compte de ses Länder, de ses subdivisions politiques ou de ses collectivités locales, quel que soit le système de perception.
(2) Sont considérés comme impôts sur le revenu et sur la fortune les impôts perçus sur le revenu total, sur la fortune totale, ou sur des éléments du revenu ou de la fortune, y compris les impôts sur les gains provenant de l’aliénation de biens mobiliers ou immobiliers, ainsi que les impôts sur les plus-values.
(3) Les impôts actuels auxquels s’applique l’Accord sont :
a) en ce qui concerne le Canada :
les impôts qui sont perçus par le Gouvernement du Canada en vertu de la loi de l’impôt sur le revenu,
(ci-après dénommés “impôt canadien”) ;
b) en ce qui concerne la République fédérale d’Allemagne :
aa) l’impôt sur le revenu (Einkommensteuer),
bb) l’impôt sur les sociétés (Körperschaftsteuer),
cc) l’impôt sur la fortune (Vermögensteuer),
dd) la contribution des patentes (Gewerbesteuer), et
ee) la surtaxe de solidarité (Solidaritätszuschlag),
(ci-après dénommés “impôt allemand”).
4. L’Accord s’applique aussi aux impôts sur le revenu de nature identique ou analogue et aux impôts sur la fortune qui seraient établis après la date de signature de l’Accord et qui s’ajouteraient aux impôts actuels ou qui les remplaceraient. Les autorités compétentes des États contractants se communiquent les modifications importantes apportées à leurs législations fiscales respectives. »
20 L’article 26 de l’accord fiscal entre l’Allemagne et le Canada, intitulé « Échange de renseignements », dispose :
« (1) Les autorités compétentes des États contractants échangent les renseignements nécessaires pour appliquer les dispositions du présent Accord ou celles du droit interne des États contractants relatives aux impôts visés par l’Accord dans la mesure où l’imposition qu’elle prévoit n’est pas contraire à l’Accord. L’échange de renseignements n’est pas restreint par l’article 1. Les renseignements reçus par un État contractant sont tenus secrets de la même manière que les renseignements obtenus en application du droit interne de cet État et ne sont communiqués qu’aux personnes ou autorités (y compris les tribunaux et organes administratifs) concernées par l’établissement ou le recouvrement des impôts visés par l’Accord, ou nonobstant les dispositions du paragraphe 4, les impôts perçus par un “Land”, ou une subdivision politique ou collectivité locale d’un État contractant qui sont de nature analogue à ceux auxquels s’applique l’Accord. Ces personnes ou autorités n’utilisent ces renseignements qu’à ces fins. Il ne peut être fait état de ces renseignements au cours d’audiences publiques de tribunaux ou dans des jugements que si l’autorité compétente de l’État contractant qui fournit les renseignements ne soulève pas d’objections.
(2) Les dispositions du paragraphe l ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un État contractant l’obligation :
a) de prendre des mesures administratives dérogeant à sa législation et à sa pratique administrative ou à celles de l’autre État contractant ;
b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre État contractant ;
c) de fournir des renseignements qui révéleraient un secret commercial, industriel, professionnel ou un procédé commercial ou des renseignements dont la communication serait contraire à l’ordre public.
(3) Les autorités compétentes des États contractants s’entendent sur les principes et procédures concernant l’échange de renseignements personnels.
(4) Pour l’application du présent article, les impôts visés par l’Accord sont, nonobstant les dispositions de l’article 2, tous les impôts perçus par un État contractant. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
21 M. A, résident allemand, est décédé au cours de l’année 2016. Il a légué à son fils, BA, résidant également en Allemagne, par un acte authentique établi en 2013, sa demi-part dans un patrimoine immobilier situé au Canada. Les biens immobiliers composant ce patrimoine sont loués à des fins résidentielles et ne font pas partie d’un patrimoine professionnel.
22 Par décision du 17 juillet 2017, le bureau des impôts X a fixé le montant des droits de succession dus par BA en Allemagne sur l’ensemble de la dévolution patrimoniale. Aux fins du calcul de ces droits, les biens immobiliers situés au Canada ont été évalués à leur pleine valeur vénale.
23 Par lettre du 19 mars 2018, BA a demandé la modification du montant des droits de succession afin que ces biens soient évalués à 90 % de leur valeur vénale, conformément à l’article 13c, paragraphe 1, de l’ErbStG. BA a fait valoir que les biens immobiliers en cause remplissaient les conditions pour bénéficier de cet avantage fiscal à la seule exception de celle prévue au paragraphe 3, point 2, de cet article, qui exige que le bien immobilier soit situé en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE. Il a soutenu que cette dernière disposition portait atteinte à la libre circulation des capitaux entre les États membres et les pays tiers, consacrée à l’article 63 TFUE.
24 Par décision du 25 avril 2018, le bureau des impôts X a rejeté la demande de modification présentée par BA puis, par décision du 23 avril 2019, la réclamation que celui-ci avait introduite.
25 Le bureau des impôts X a estimé que la différence de traitement entre les biens immobiliers loués à des fins résidentielles, situés dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE, et les biens de même nature, situés en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE, n’était pas contraire à l’article 63 TFUE.
26 La Cour aurait considéré, dans son arrêt du 22 avril 2010, Mattner (C 510/08, EU:C:2010:216), qu’il existe une restriction à la libre circulation des capitaux lorsqu’un abattement sur les bases imposables dépend du lieu de résidence des intéressés. De même, dans son arrêt du 17 janvier 2008, Jäger (C 256/06, EU:C:2008:20), elle aurait jugé que l’octroi d’avantages fiscaux en matière de droits de succession à la condition que le bien acquis par voie de succession soit situé sur le territoire national constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 63 TFUE. Cependant, le bureau des impôts X a estimé que ces jurisprudences ne s’appliquaient pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui exclut du champ d’un avantage fiscal des biens immobliers situés dans un État tiers qui n’est pas partie à l’accord EEE.
27 Le 24 mai 2019, BA a introduit un recours devant le Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne, Allemagne), la juridiction de renvoi, tendant, en substance, à l’annulation de la décision du 25 avril 2018.
28 En premier lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité à l’article 63 TFUE d’une disposition nationale qui exclut de l’octroi de l’avantage fiscal un bien immobilier loué à des fins résidentielles situé au Canada. Selon cette juridiction, les biens immobiliers en cause rempliraient l’ensemble des conditions prévues par le droit national pour pouvoir bénéficier de l’avantage fiscal prévu à l’article 13c, paragraphes 1 et 3, de l’ErbStG à l’exception de celle exigeant que le bien soit situé en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE.
29 En second lieu, la juridiction de renvoi se demande si une mesure nationale qui soumettrait à un impôt sur les successions plus élevé les biens immobiliers situés dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE et qui pourrait constituer une restriction à la libre circulation des capitaux peut être justifiée par la clause de standstill prévue à l’article 64 TFUE, par l’un des motifs énoncés à l’article 65 TFUE ou par des raisons impérieuses d’intérêt général.
30 Tout d’abord, selon cette juridiction, l’article 64 TFUE ne semblerait pas applicable dans la mesure où l’avantage fiscal prévu à l’article 13c, paragraphes 1 et 3, de l’ErbStG a été introduit le 24 décembre 2008, avec effet au 1er janvier 2009 et, dès lors, postérieurement au 31 décembre 1993.
31 Ensuite, d’une part, la juridiction de renvoi considère que des biens immobiliers loués à des fins résidentielles, situés en Allemagne, dans un autre État membre, dans un État partie à l’accord EEE ou dans un autre pays tiers, se trouvent dans une situation comparable aux fins de l’application de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE.
32 D’autre part, cette juridiction estime que la possibilité de justifier la restriction à la libre circulation des capitaux sur le fondement de l’article 65, paragraphe 1, sous b), TFUE, prévoyant que les États membres peuvent prendre les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et règlements, notamment en matière fiscale, semble peu envisageable dans la mesure où, en vertu de l’article 26, paragraphe 4, de l’accord fiscal entre l’Allemagne et le Canada, ces deux États peuvent recourir à l’échange de renseignements pour tous les impôts perçus dans l’un d’eux.
33 Enfin, ladite juridiction indique qu’il ne semble exister aucune raison impérieuse d’intérêt général, au sens de l’article 65, paragraphe 2, TFUE, susceptible de justifier la restriction à la libre circulation des capitaux découlant de la réglementation nationale.
34 Dans ces conditions, le Finanzgericht Köln (tribunal des finances de Cologne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 63, paragraphe 1, et les articles 64 et 65 TFUE doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale d’un État membre relative à la perception de l’impôt sur les successions qui prévoit, aux fins du calcul de cet impôt, qu’un bien immobilier bâti faisant partie du patrimoine privé, situé dans un pays tiers (en l’espèce, le Canada) et loué à des fins résidentielles, est évalué à sa pleine valeur, alors qu’un bien immobilier faisant partie du patrimoine privé, situé en Allemagne, dans un État membre de l’Union européenne ou dans un État de l’Espace économique européen, et loué à des fins résidentielles, n’est pris en compte lors du calcul de l’impôt sur les successions qu’à 90 % de sa valeur ? »
Sur la question préjudicielle
35 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 63 à 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui prévoit que, aux fins du calcul des droits de succession, un bien immobilier bâti faisant partie du patrimoine privé, situé dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE et loué à des fins résidentielles, est évalué à sa pleine valeur vénale, alors qu’un bien de même nature situé sur le territoire national, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE est évalué, pour les besoins de ce calcul, à 90 % de sa valeur vénale.
36 Selon une jurisprudence constante de la Cour, si la fiscalité directe relève de la compétence des États membres, ces derniers doivent toutefois exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union et, notamment, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE [arrêt du 21 décembre 2021, Finanzamt V (Successions – Abattement partiel et déduction des parts réservataires), C 394/20, EU:C:2021:1044, point 27 ainsi que jurisprudence citée].
37 L’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit de manière générale les restrictions aux mouvements de capitaux entre les États membres ainsi qu’entre les États membres et les pays tiers.
38 Il résulte d’une jurisprudence constante que le traitement fiscal des successions relève des dispositions du traité FUE relatives aux mouvements des capitaux, à l’exception des cas où leurs éléments constitutifs se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt du 22 novembre 2018, Huijbrechts, C 679/17, EU:C:2018:940, point 16 et jurisprudence citée).
39 Une situation dans laquelle un État membre applique des droits de succession à des biens successoraux situés hors de son territoire, appartenant à une personne résidant sur son territoire à la date de son décès et revenant à un héritier également résident de cet État membre, ne saurait être considérée comme une situation purement interne. Par conséquent, une telle situation relève des mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE.
40 Il y a donc lieu d’examiner si une réglementation nationale d’un État membre qui prévoit que, aux fins du calcul des droits de succession, un bien immobilier situé dans un État tiers non partie à l’accord EEE est évalué à sa pleine valeur vénale alors qu’un tel bien situé dans cet État membre est évalué, pour les besoins de ce calcul, à hauteur de 90 % de sa valeur vénale constitue une restriction aux mouvements de capitaux au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE et, dans l’affirmative, de vérifier si une telle restriction peut être admise au titre de l’article 64, paragraphe 1, TFUE ou, le cas échéant, être justifiée au regard de l’article 65 TFUE.
Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE
41 La Cour a jugé, en matière de droits de succession, que le fait de subordonner l’octroi d’avantages fiscaux à la condition que le bien transmis soit situé sur le territoire national constitue une restriction à la libre circulation des capitaux prohibée, en principe, par l’article 63, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 18 décembre 2014, Q, C 133/13, EU:C:2014:2460, point 20 et jurisprudence citée). De même, des mesures ayant pour effet de diminuer la valeur de la succession d’un résident d’un État autre que celui sur le territoire duquel se trouvent les biens concernés constituent également une telle restriction [arrêt du 21 décembre 2021, Finanzamt V (Successions – Abattement partiel et déduction des parts réservataires), C 394/20, EU:C:2021:1044, point 32 ainsi que jurisprudence citée].
42 En outre, il convient de rappeler que les mesures interdites par l’article 63, paragraphe 1, TFUE comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents de cet État membre d’en faire dans d’autres États (arrêt du 15 octobre 2009, Busley et Cibrian Fernandez, C 35/08, EU:C:2009:625, point 20).
43 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal prévoit que, lorsqu’une succession comprend des biens immobiliers bâtis qui font partie du patrimoine privé et qui sont loués à des fins résidentielles, ces biens sont évalués, aux fins du calcul des droits de succession, non à leur pleine valeur vénale mais à 90 % de celle-ci, lorsqu’ils sont situés sur le territoire national, dans un autre État membre ou dans un État tiers partie à l’accord EEE. Cette réglementation exclut de l’avantage fiscal les biens immobiliers situés dans un État tiers qui n’est pas partie à l’accord EEE.
44 Une telle réglementation, qui fait dépendre le bénéfice de l’avantage fiscal de la localisation des biens compris dans la succession, aboutit à ce que les biens immobiliers situés dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE soient soumis à une charge fiscale plus lourde que ceux situés sur le territoire national et, partant, a pour effet de diminuer la valeur de cette succession (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2008, Jäger, C 256/06, EU:C:2008:20, point 32).
45 En outre, ce désavantage fiscal est susceptible de dissuader une personne physique, résidant en Allemagne, tant de procéder à un investissement dans un bien immobilier loué à des fins résidentielles situé dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE que de conserver un tel bien dont elle est propriétaire (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2009, Busley et Cibrian Fernandez, C 35/08, EU:C:2009:625, point 27).
46 Il en résulte qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal constitue une restriction aux mouvements de capitaux, au sens de l’article 63, paragraphe 1, TFUE, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le gouvernement allemand.
Sur l’application de l’article 64, paragraphe 1, TFUE concernant les restrictions à la libre circulation des capitaux à l’égard des pays tiers
47 La juridiction de renvoi se demande si une telle restriction, en ce qu’elle concerne les mouvements de capitaux avec un pays tiers, peut être admise au titre de l’article 64, paragraphe 1, TFUE.
48 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, l’article 63 TFUE ne porte pas atteinte à l’application, aux pays tiers, des restrictions existant le 31 décembre 1993 en vertu du droit national ou du droit de l’Union, en ce qui concerne les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers lorsqu’ils impliquent des investissements directs, y compris les investissements immobiliers, l’établissement, la prestation de services financiers ou l’admission de titres sur les marchés des capitaux.
49 S’agissant de la notion de « restrictions existant le 31 décembre 1993 », figurant à l’article 64, paragraphe 1, TFUE, il convient de rappeler que toute disposition nationale adoptée postérieurement à cette date n’est pas, de ce seul fait, automatiquement exclue du régime dérogatoire prévu à cette disposition. En effet, la Cour a admis que peuvent être assimilées à de telles restrictions « existantes » celles prévues par des dispositions adoptées après ladite date qui, dans leur substance, sont identiques à la réglementation antérieure ou qui se bornent à réduire ou à supprimer un obstacle à l’exercice des droits et des libertés de circulation figurant dans cette réglementation [arrêt du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C 135/17, EU:C:2019:136, point 37 et jurisprudence citée].
50 En l’occurrence, il y a lieu de relever que, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, l’avantage fiscal en cause au principal, prévu à l’article 13c, paragraphes 1 et 3, de l’ErbStG, a été introduit pour la première fois dans le système juridique allemand le 24 décembre 2008, avec effet au 1er janvier 2009. Dès lors, ainsi que le constatent d’ailleurs le gouvernement allemand et la Commission européenne, la clause de standstill prévue à l’article 64, paragraphe 1, TFUE ne saurait s’appliquer à cette réglementation nationale, adoptée postérieurement au 31 décembre 1993.
51 En conséquence, une restriction à la libre circulation des capitaux vers un pays tiers, telle que celle en cause au principal, n’est pas susceptible d’échapper à l’application de l’article 63, paragraphe 1, TFUE sur le fondement de l’article 64, paragraphe 1, TFUE.
52 Dans ces conditions, il convient d’examiner dans quelle mesure la restriction à la libre circulation des capitaux ainsi constatée est susceptible d’être justifiée au regard de l’article 65 TFUE.
Sur l’existence d’une justification à la restriction à la libre circulation des capitaux au titre de l’article 65 TFUE
53 En vertu de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, l’article 63 TFUE ne porte pas atteinte au droit qu’ont les États membres d’appliquer les dispositions pertinentes de leur législation fiscale qui établissent une distinction entre les contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieu où leurs capitaux sont investis.
54 Cette disposition, en tant qu’elle constitue une dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, doit faire l’objet d’une interprétation stricte. Partant, elle ne saurait être interprétée en ce sens que toute législation fiscale comportant une distinction entre les contribuables en fonction du lieu où ils résident ou de l’État dans lequel ils investissent leurs capitaux est automatiquement compatible avec le traité FUE. En effet, la dérogation prévue à l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE est elle-même limitée par l’article 65, paragraphe 3, TFUE, qui prévoit que les dispositions nationales visées au paragraphe 1 de cet article « ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 63 [TFUE] » (arrêt du 27 avril 2023, L Fund, C 537/20, EU:C:2023:339, point 44 et jurisprudence citée).
55 La Cour a également jugé qu’il y a lieu, dès lors, de distinguer les différences de traitement permises au titre de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE des discriminations interdites par l’article 65, paragraphe 3, TFUE. Or, pour qu’une législation fiscale nationale puisse être considérée comme compatible avec les dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux, il faut que la différence de traitement qui en résulte concerne des situations qui ne sont pas objectivement comparables ou qu’elle soit justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (arrêts du 30 juin 2016, Feilen, C 123/15, EU:C:2016:496, point 26, et du 27 avril 2023, L Fund, C 537/20, EU:C:2023:339, point 45 ainsi que jurisprudence citée).
56 Il y a donc lieu d’examiner, en premier lieu, la comparabilité des situations en cause au principal et le cas échéant, en second lieu, la possibilité de justifier le traitement différencié de ces situations par une raison impérieuse d’intérêt général.
Sur la comparabilité des situations en cause
57 Dans le cadre de l’examen de la comparabilité des situations concernées, la juridiction de renvoi considère qu’un bien immobilier du patrimoine privé loué à des fins résidentielles, situé dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE, se trouve dans une situation objectivement comparable à celle d’un bien de même nature situé en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE. Selon cette juridiction, les situations ne diffèreraient que par la localisation du bien immobilier.
58 Le gouvernement allemand, quant à lui, fait valoir, en substance, que les situations respectives des biens immobiliers situés, d’une part, dans un État tiers qui n’est pas partie à l’accord EEE et, d’autre part, en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE ne sont pas objectivement comparables. En effet, le législateur allemand ne serait pas tenu d’étendre l’avantage fiscal prévu par la réglementation nationale en cause au principal, qui vise à promouvoir des logements à des loyers abordables en Allemagne, dans les autres États membres ou dans les États parties à l’accord EEE, aux biens immobiliers situés dans des États tiers qui ne sont pas parties à cet accord. Outre que la situation en termes de loyers serait susceptible d’être très différente dans ces derniers États, ce gouvernement estime, en se référant à l’arrêt du 18 décembre 2014, Q (C 133/13, EU:C:2014:2460, point 27), que la différence de traitement fiscal entre des successions concernant, d’une part, des biens immobiliers loués à des fins résidentielles situés dans lesdits États et, d’autre part, des biens similaires situés en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE est inhérente à l’objectif poursuivi par le législateur allemand.
59 Il découle de la jurisprudence de la Cour, d’une part, que le caractère comparable ou non d’une situation transfrontalière avec une situation interne doit être examiné en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause ainsi que de l’objet et du contenu de ces dernières, et, d’autre part, que seuls les critères de distinction pertinents établis par la législation en cause doivent être pris en compte aux fins d’apprécier si la différence de traitement résultant d’une telle législation reflète une différence de situation objective (arrêt du 27 avril 2023, L Fund, C 537/20, EU:C:2023:339, point 54 et jurisprudence citée).
60 Il ressort des observations soumises à la Cour par le gouvernement allemand que la réglementation nationale en cause au principal a pour objet de diminuer la charge fiscale pesant sur un bien immobilier loué à des fins résidentielles qui est susceptible de contraindre l’héritier à vendre un tel bien immobilier en raison de l’impôt sur les successions dont il est redevable, contrairement aux investisseurs institutionnels qui ne sont pas soumis à cet impôt.
61 L’avantage fiscal résultant de cette réglementation concerne les successions de tous les biens immobiliers loués à des fins résidentielles, sans distinction, situés en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE.
62 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que le calcul des droits de succession est, en application de ladite réglementation, directement lié à la valeur vénale des biens inclus dans la succession, de sorte qu’il n’existe objectivement aucune différence de situation de nature à justifier une inégalité de traitement fiscal en ce qui concerne le niveau des droits de succession dus au titre, respectivement, d’un bien immobilier situé en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE, et d’un bien immobilier situé dans un État tiers autre que les États parties à l’accord EEE (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 2008, Jäger, C 256/06, EU:C:2008:20, point 44).
63 En outre, aucun élément du dossier dont dispose la Cour ne permet de constater que les biens immobiliers du patrimoine privé loués à des fins résidentielles situés au Canada ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle des biens immobiliers du patrimoine privé loués à des fins résidentielles situés en Allemagne, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE.
64 Dans ces conditions, et sans préjudice de l’examen du caractère éventuellement justifié de la réglementation en cause au principal au titre d’une raison impérieuse d’intérêt général, admettre que des situations ne seraient pas comparables du seul fait que le bien immobilier en cause soit situé dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE, alors que l’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit précisément les restrictions aux mouvements de capitaux transfrontaliers, viderait cette disposition de son contenu [voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C 135/17, EU:C:2019:136, point 68].
65 À cet égard, la situation en cause au principal dans la présente affaire est différente de la situation ayant donné lieu à l’arrêt du 18 décembre 2014, Q (C 133/13, EU:C:2014:2460), invoqué par le gouvernement allemand. En effet, l’avantage fiscal en cause dans cette dernière affaire visait à préserver l’intégrité de certains domaines ruraux typiques relevant du patrimoine culturel et historique national contre les morcellements ou les dénaturations et ne s’appliquait qu’aux donations portant sur ces domaines spécifiques. En revanche, l’avantage fiscal en cause au principal vise les successions des biens immobiliers loués à des fins résidentielles de manière générale.
66 Eu égard aux considérations qui précèdent, la différence de traitement en cause au principal concerne des situations objectivement comparables.
Sur l’existence d’une raison impérieuse d’intérêt général
67 Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence constante de la Cour, une restriction à la libre circulation des capitaux peut être admise si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général, qu’elle est propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif [voir, en ce sens, arrêts du 18 juin 2020, Commission/Hongrie (Transparence associative), C 78/18, EU:C:2020:476, point 76, et du 27 avril 2023, L Fund, C 537/20, EU:C:2023:339, point 66 ainsi que jurisprudence citée].
68 En l’occurrence, il y a lieu de constater que, si la juridiction de renvoi n’invoque pas de telles raisons dans la décision de renvoi, le gouvernement allemand fait valoir que la restriction à la libre circulation des capitaux opérée par la réglementation nationale en cause au principal est susceptible d’être justifiée par deux raisons impérieuses d’intérêt général, à savoir, d’une part, les exigences liées à la politique du logement social d’un État membre et, d’autre part, la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux.
– Sur la politique du logement social d’un État membre
69 Le gouvernement allemand fait valoir que l’avantage fiscal prévu à l’article 13c, paragraphes 1 et 3, de l’ErbStG est justifié par des exigences liées à la politique du logement menée par cet État membre. En effet, cette disposition réduirait l’impôt sur les successions dont l’héritier d’un bien immobilier loué à des fins résidentielles est redevable et permettrait ainsi de diminuer la charge fiscale susceptible de le contraindre à vendre ce bien. En outre, il favoriserait la location de logements par des particuliers par rapport à la location de logements par des grands investisseurs institutionnels, qui ne sont pas soumis à l’impôt sur les successions. Ainsi, l’avantage fiscal prévu par cette disposition serait propre à garantir, en complément d’autres mesures, l’objectif consistant à permettre à la population d’accéder à des logements à des loyers abordables non seulement en Allemagne mais également dans les autres États membres ainsi que dans les États parties à l’accord EEE, l’accès de la population à des logements à des loyers abordables constituant également une mission de nature européenne.
70 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà admis que des exigences liées à la politique du logement social d’un État membre et au financement de celle-ci peuvent, en principe, constituer des raisons impérieuses d’intérêt général (arrêt du 1er octobre 2009, Woningstichting Sint Servatius, C 567/07, EU:C:2009:593, point 30).
71 La Cour a également jugé que l’Union ayant une finalité économique et sociale, les droits résultant des dispositions du traité FUE relatives à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux doivent être mis en balance avec les objectifs poursuivis par la politique sociale, parmi lesquels figure, notamment, ainsi qu’il ressort de l’article 151, premier alinéa, TFUE, une protection sociale adéquate (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C 201/15, EU:C:2016:972, point 77).
72 Quant à l’accord EEE, celui-ci réaffirme, ainsi que cela ressort de son deuxième considérant, les relations privilégiées, fondées sur leur proximité, leurs valeurs communes de longue date et leur identité européenne, qui lient l’Union, ses États membres et les États de l’AELE. C’est à la lumière de ces relations privilégiées qu’il convient de comprendre l’un des principaux objectifs de l’accord EEE, à savoir réaliser de la manière la plus complète possible la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux dans l’ensemble de l’Espace économique européen (EEE), de sorte que le marché intérieur réalisé sur le territoire de l’Union soit étendu aux États de l’AELE (arrêt du 2 avril 2020, Ruska Federacija, C 897/19 PPU, EU:C:2020:262, point 50).
73 Ainsi, un objectif tenant à la politique sociale, tel que la promotion et la mise à disposition de logements à des loyers abordables dans les États membres et les États parties à l’accord EEE, peut, en principe, constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier des restrictions à la liberté de mouvements des capitaux telles que celles établies par la réglementation nationale en cause au principal.
74 Toutefois, il importe encore de vérifier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 67 du présent arrêt, si la restriction à la libre circulation des capitaux qu’engendre la réglementation nationale en cause au principal est propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.
75 À cet égard, il n’apparaît pas qu’une mesure nationale telle que celle prévue à l’article 13c, paragraphes 1 et 3, de l’ErbStG, qui opère une distinction selon que les bien immobiliers loués à des fins résidentielles sont situés soit sur le territoire national, de l’Union ou de l’EEE soit sur le territoire d’un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE, soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif invoqué par le gouvernement allemand. En effet, ainsi que l’a relevé, à juste titre, la Commission lors de l’audience, au lieu de s’attacher aux endroits où la pénurie de tels logements est particulièrement marquée, comme, notamment, dans les grandes villes allemandes, l’article 13c de l’ErbStG s’applique de façon générale, notamment dans les États parties à l’accord EEE, et fait abstraction de la localisation du bien immobilier en zone rurale ou urbaine. De plus, toute catégorie de bien immobilier loué à des fins résidentielles, du plus simple au plus luxueux, peut faire l’objet de l’évaluation à 90 % de sa valeur vénale pour les besoins du calcul des droits de succession (voir, en ce sens, arrêt du 15 octobre 2009, Busley et Cibrian Fernandez, C 35/08, EU:C:2009:625, point 32).
76 En outre, il ne ressort pas du dossier dont dispose la Cour que la réglementation en cause au principal obligerait les héritiers à conserver leur logement pendant une période déterminée et à l’utiliser à des fins locatives, de sorte que ceux-ci peuvent, après avoir bénéficié de l’avantage fiscal en cause au principal, vendre ce logement ou l’utiliser comme résidence secondaire.
77 Dans ces conditions, l’avantage fiscal en cause au principal ne saurait être considéré comme justifié par l’objectif de promouvoir et de mettre à disposition des logements à des loyers abordables dans les États membres et les États parties à l’accord EEE.
– Sur la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux
78 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux constitue une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction à la libre circulation des capitaux [arrêt du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C 135/17, EU:C:2019:136, point 74 et jurisprudence citée].
79 Il importe de rappeler que la jurisprudence relative aux restrictions à l’exercice des libertés de circulation au sein de l’Union ne saurait être intégralement transposée aux mouvements de capitaux entre les États membres et les pays tiers, de tels mouvements s’inscrivant dans un contexte juridique différent [arrêt du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C 135/17, EU:C:2019:136, point 90 et jurisprudence citée].
80 En particulier, lorsque la réglementation d’un État membre fait dépendre le bénéfice d’un avantage fiscal de la satisfaction de conditions dont le respect ne peut être vérifié qu’en obtenant des renseignements des autorités compétentes d’un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE, il est, en principe, légitime pour cet État membre de refuser l’octroi de cet avantage si, notamment en raison de l’absence d’une obligation conventionnelle de cet État tiers de fournir des informations, il s’avère impossible d’obtenir ces renseignements de ce dernier (arrêt du 10 février 2011, Haribo Lakritzen Hans Riegel et Österreichische Salinen, C 436/08 et C 437/08, EU:C:2011:61, point 67 ainsi que jurisprudence citée).
81 Selon la réglementation nationale en cause au principal, l’avantage fiscal en cause est accordé lorsque le bien immobilier est loué à des fins résidentielles.
82 Il y a lieu de relever qu’il ressort de la décision de renvoi que, en vertu de l’article 26, paragraphe 4, de l’accord fiscal entre l’Allemagne et le Canada, les impôts visés par cet accord sont, nonobstant les dispositions de l’article 2 de cet accord, tous les impôts perçus par un État contractant. À cet égard, le point 11 du protocole à l’[accord fiscal entre l’Allemagne et le Canada] (BGBl. II 2002, p. 703) prévoit que, en ce qui concerne l’article 26 dudit accord, il est entendu que, lorsqu’un État contractant demande des renseignements en conformité avec cet article, l’autre État contractant s’efforce d’obtenir les renseignements relatifs à cette demande de la même façon que si ses propres impôts étaient en jeu même si cet autre État n’a pas besoin, au même moment, de ces renseignements. En outre, la possibilité d’avoir recours à l’article 26, paragraphe 4, de l’accord fiscal entre l’Allemagne et le Canada a été confirmée par le gouvernement allemand lors de l’audience de plaidoiries.
83 Par conséquent, les autorités allemandes sont en mesure de demander aux autorités canadiennes compétentes les informations nécessaires en vue de vérifier que les conditions prévues à l’article 13c de l’ErbStG sont remplies afin d’accorder l’avantage fiscal en cause au principal lorsque le bien immobilier se situe au Canada. À cet égard, il ressort également de la décision de renvoi qu’il n’existe pas de difficultés dans le cadre de cet échange de renseignements.
84 Il s’ensuit que la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux ne saurait justifier la restriction à la libre circulation des capitaux induite par la réglementation nationale en cause au principal.
85 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que les articles 63 à 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui prévoit que, aux fins du calcul des droits de succession, un bien immobilier bâti faisant partie du patrimoine privé, situé dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord EEE et loué à des fins résidentielles, est évalué à sa pleine valeur vénale, alors qu’un bien de même nature situé sur le territoire national, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord EEE est évalué, pour les besoins de ce calcul, à 90 % de sa valeur vénale.
Sur les dépens
86 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
Les articles 63 à 65 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre qui prévoit que, aux fins du calcul des droits de succession, un bien immobilier bâti faisant partie du patrimoine privé, situé dans un État tiers autre qu’un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, et loué à des fins résidentielles, est évalué à sa pleine valeur vénale, alors qu’un bien de même nature situé sur le territoire national, dans un autre État membre ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen est évalué, pour les besoins de ce calcul, à 90 % de sa valeur vénale.