CJUE, 5e ch., 12 octobre 2023, n° C-286/22
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
KBC Verzekeringen NV
Défendeur :
P&V Verzekeringen CVBA
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Regan
Juges :
M. Csehi, M. Ilešič, M. Jarukaitis (rapporteur), M. Gratsias
Avocat général :
Mme Medina
Avocats :
Me Maes, Me Verbist
LA COUR (cinquième chambre),
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité (JO 2009, L 263, p. 11).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant KBC Verzekeringen NV (ci-après « KBC ») à P&V Verzekeringen CVBA (ci-après « P&V ») au sujet du droit éventuel d’un assureur en matière d’accidents du travail, qui est subrogé dans les droits d’un cycliste qui circulait sur un vélo à assistance électrique, d’être indemnisé par l’assureur de la responsabilité civile du conducteur de la voiture impliquée dans l’accident qui a entraîné le décès de ce cycliste.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Le considérant 2 de la directive 2009/103 énonce :
« L’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs (l’assurance automobile) revêt une importance particulière pour les citoyens européens [...] »
4 Aux termes de l’article 1er de cette directive, intitulé « Définitions » :
« Au sens de la présente directive, on entend par :
1) “véhicule” : tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée, ainsi que les remorques, même non attelées ;
[...] »
5 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Obligation d’assurance des véhicules », dispose, à son premier alinéa :
« Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées [...] pour que la responsabilité civile relative à la circulation des véhicules ayant leur stationnement habituel sur son territoire soit couverte par une assurance. »
6 L’article 13 de la même directive, intitulé « Clauses d’exclusion », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que, aux fins de l’application de l’article 3, soit réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers victimes d’un sinistre, toute disposition légale ou clause contractuelle contenue dans une police d’assurance délivrée conformément à l’article 3 qui exclut de l’assurance l’utilisation ou la conduite de véhicules par :
[...]
b) des personnes non titulaires d’un permis leur permettant de conduire le véhicule concerné ;
[...] »
7 Le 24 novembre 2021, la directive (UE) 2021/2118 du Parlement européen et du Conseil, modifiant la directive 2009/103 (JO 2021, L 430, p. 1), a été adoptée. La directive 2021/2118 modifie notamment l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103. Conformément à l’article 2 de la directive 2021/2118, cette modification sera applicable à partir du 23 décembre 2023.
Le droit belge
8 L’article 1er de la wet betreffende de verplichte aansprakelijkheidsverzekering inzake motorrijtuigen (loi relative à l’assurance obligatoire de la responsabilité en matière de véhicules automoteurs), du 21 novembre 1989 (Belgisch Staatsblad, 8 décembre 1989, p. 20122), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi du 21 novembre 1989 »), contient notamment la définition suivante :
« Pour l’application de la présente loi on entend :
Par véhicules automoteurs : les véhicules destinés à circuler sur le sol et qui peuvent être actionnés par une force mécanique sans être liés à une voie ferrée ; tout ce qui est attelé au véhicule est considéré comme en faisant partie.
Sont assimilées aux véhicules automoteurs, les remorques construites spécialement pour être attelées à un véhicule automoteur en vue du transport de personnes ou de choses et qui sont déterminées par le Roi. Le Roi peut, par arrêté délibéré en Conseil des ministres, préciser quels sont les moyens de transport relevant de la définition de véhicule automoteur. »
9 L’article 29 bis de cette loi dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :
« § 1. En cas d’accident de la circulation impliquant un ou plusieurs véhicules automoteurs [...] et à l’exception des dégâts matériels et des dommages subis par le conducteur de chaque véhicule automoteur impliqué, tous les dommages subis par les victimes et leurs ayants droit et résultant de lésions corporelles ou du décès [...] sont réparés solidairement par les assureurs qui, conformément à la présente loi, couvrent la responsabilité du propriétaire, du conducteur ou du détenteur des véhicules automoteurs. La présente disposition s’applique également si les dommages ont été causés volontairement par le conducteur.
[...]
§ 2. Le conducteur d’un véhicule automoteur et ses ayants droit ne peuvent se prévaloir du présent article, sauf si le conducteur agit en qualité d’ayant droit d’une victime qui n’était pas conducteur et à condition qu’il n’ait pas causé intentionnellement les dommages.
§ 3. Il faut entendre par véhicule automoteur tout véhicule visé à l’article 1er de la présente loi, à l’exclusion des fauteuils roulants automoteurs susceptibles d’être mis en circulation par une personne handicapée. »
Le litige au principal et la question préjudicielle
10 Le 14 octobre 2017, BV (ci-après la « victime »), qui circulait sur un vélo à assistance électrique sur la voie publique, a été happé par une voiture assurée par KBC au titre de la loi du 21 novembre 1989. La victime a été grièvement blessée et est décédée le 11 avril 2018. Cet accident constituant, pour cette victime, un « accident de trajet », P&V, assureur de son employeur en matière d’accidents du travail, a versé des indemnités et a été subrogée dans ses droits et ceux de ses ayants droit.
11 P&V a assigné KBC devant le politierechtbank West-Vlaanderen, afdeling Brugge (tribunal de police de Flandre occidentale, division de Bruges, Belgique) afin d’obtenir le remboursement de ses frais sur la base de l’article 1382 de l’ancien code civil belge ou de l’article 29 bis de la loi du 21 novembre 1989. KBC a présenté une demande reconventionnelle visant à obtenir de P&V un remboursement au titre d’une somme d’argent qui aurait été indûment versée. En défense, P&V a fait valoir, en invoquant cet article 29 bis, que la victime ne pouvait pas être considérée comme ayant été le conducteur d’un véhicule automoteur.
12 Par un jugement du 24 octobre 2019, cette juridiction a constaté que le conducteur de la voiture concernée n’était pas responsable de l’accident en cause, mais que, en vertu dudit article 29 bis, KBC était néanmoins tenue d’indemniser la victime ainsi que P&V, qui était subrogée dans les droits de cette victime, au motif que cette dernière n’était pas le conducteur d’un véhicule automoteur et qu’elle avait donc droit à une indemnisation au titre du même article.
13 KBC a interjeté appel de ce jugement devant le rechtbank van eerste aanleg West-Vlaanderen, afdeling Brugge (tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges, Belgique). P&V a formé un appel incident.
14 Par un arrêt du 20 mai 2021, cette juridiction a déclaré l’appel principal non fondé et l’appel incident fondé. En ce qui concerne l’application de l’article 29 bis de la loi du 21 novembre 1989, elle a notamment relevé que la notion de « véhicule automoteur », visée à cet article, correspondait à celle de « véhicule », figurant à l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103. Ayant constaté que la notion de « force mécanique » n’était définie ni dans cette loi ni dans cette directive, elle a considéré que cette notion était néanmoins explicite et que les termes « qui peuvent être actionnés par une force mécanique » devaient être compris comme signifiant qu’un véhicule automoteur est un véhicule capable de mouvement sans effort musculaire. Elle en a déduit qu’un vélo n’est pas un véhicule automoteur, au sens de ladite loi, s’il dispose d’un moteur auxiliaire mais que la force mécanique ne peut pas, à elle seule, faire démarrer le vélo ou le maintenir en mouvement.
15 Au regard des informations fournies par le fabricant du vélo à assistance électrique en cause, ladite juridiction a constaté que le moteur de celui-ci ne fournissait qu’une assistance au pédalage, y compris s’agissant de la fonction « turbo » de ce moteur, et que cette fonction ne pouvait être activée qu’après utilisation de la force musculaire, que ce soit en pédalant, en marchant avec le vélo ou en le poussant. Elle en a déduit que la victime n’était pas conductrice d’un véhicule automoteur, au sens de l’article 1er de la loi du 21 novembre 1989, et qu’elle pouvait prétendre à une indemnisation au titre de l’article 29 bis de cette loi en tant qu’« usager faible de la route », de même que l’assureur en matière d’accidents du travail, subrogé dans les droits de cette victime.
16 KBC s’est pourvue en cassation contre l’arrêt mentionné au point 14 du présent arrêt devant le Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique), la juridiction de renvoi. Devant cette juridiction, KBC relève notamment que la définition de la notion de « véhicule automoteur » figurant à l’article 1er de ladite loi correspond à celle du terme « véhicule » figurant à l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103. Elle en déduit que le droit belge doit être interprété conformément à cette directive.
17 Sur le fond, KBC soutient que, dès lors que l’article 1er de la loi du 21 novembre 1989 ne distingue pas entre les véhicules destinés à circuler sur le sol qui peuvent être actionnés exclusivement par une force mécanique et ceux qui peuvent être actionnés également par une force mécanique, seuls les véhicules actionnés exclusivement par la force musculaire sont exclus du champ d’application de cette loi. Elle en conclut que le rechtbank van eerste aanleg West-Vlaanderen, afdeling Brugge (tribunal de première instance de Flandre occidentale, division de Bruges) a méconnu la notion de « véhicule automoteur » et violé les articles 1er et 29 bis de ladite loi ainsi que, notamment, l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103.
18 La juridiction de renvoi fait valoir que la solution du litige dont elle est saisie requiert une interprétation de la notion de « véhicule », au sens de l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103.
19 Dans ces conditions, le Hof van Cassatie (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« L’article 1er, point 1, de la directive [2009/103], tel qu’applicable avant sa modification par la directive [2021/2118], qui définit le terme “véhicule” comme “tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée, ainsi que les remorques, même non attelées”, doit-il être interprété en ce sens qu’un vélo électrique (“speed pedelec”), dont le moteur fournit uniquement une assistance au pédalage, de sorte que le vélo ne peut pas se déplacer de manière autonome sans force musculaire, mais uniquement en utilisant la force motrice et la force musculaire, et qu’un vélo électrique qui est équipé d’une fonction “turbo” grâce à laquelle le vélo accélère sans pédaler jusqu’à une vitesse de 20 km/h lorsqu’on appuie sur le bouton “turbo”, mais qui nécessite la force musculaire pour utiliser la fonction “turbo”, ne sont pas des véhicules, au sens de la directive 2009/103 ? »
Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle
20 Le gouvernement allemand conteste la recevabilité de la présente demande de décision préjudicielle au motif que celle-ci ne fait pas apparaître pourquoi l’interprétation sollicitée du droit de l’Union est pertinente pour la solution du litige au principal. Ce litige relèverait exclusivement du droit national de la responsabilité, qui ne serait pas harmonisé par le droit de l’Union, et il ne ressortirait pas du dossier que les dispositions du droit de l’Union ont été déclarées applicables par le droit national.
21 Selon la jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre de la coopération entre cette dernière et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation ou sur la validité d’une règle de droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C 62/14, EU:C:2015:400, point 24 ainsi que jurisprudence citée, et du 28 octobre 2020, Pegaso et Sistemi di Sicurezza, C 521/18, EU:C:2020:867, point 26 ainsi que jurisprudence citée).
22 Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union européenne sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêts du 16 juin 2015, Gauweiler e.a., C 62/14, EU:C:2015:400, point 25 ainsi que jurisprudence citée, et du 28 octobre 2020, Pegaso et Sistemi di Sicurezza, C 521/18, EU:C:2020:867, point 27 ainsi que jurisprudence citée).
23 Par ailleurs, il est vrai que la Cour a itérativement jugé que l’obligation de couverture par l’assurance de la responsabilité civile des dommages causés aux tiers du fait des véhicules automoteurs est distincte de l’étendue de l’indemnisation de ces dommages au titre de la responsabilité civile de l’assuré. En effet, alors que la première est définie et garantie par la réglementation de l’Union, la seconde est régie, essentiellement, par le droit national [arrêts du 23 octobre 2012, Marques Almeida, C 300/10, EU:C:2012:656, point 28, ainsi que du 30 mars 2023, AR e.a. (Action directe contre l’assureur), C 618/21, EU:C:2023:278, point 42 et jurisprudence citée].
24 Ainsi, la réglementation de l’Union ne vise pas à harmoniser les régimes de responsabilité civile des États membres et, en l’état actuel du droit de l’Union, ces derniers restent libres de déterminer le régime de responsabilité civile applicable aux sinistres résultant de la circulation des véhicules [voir, en ce sens, arrêts du 23 octobre 2012, Marques Almeida, C 300/10, EU:C:2012:656, point 29, ainsi que du 30 mars 2023, AR e.a. (Action directe contre l’assureur), C 618/21, EU:C:2023:278, point 43 et jurisprudence citée].
25 Par conséquent, en l’état actuel du droit de l’Union, les États membres restent, en principe, libres de déterminer, dans le cadre de leurs régimes de responsabilité civile, en particulier, les dommages causés par des véhicules automoteurs qui doivent être réparés, l’étendue de l’indemnisation de ces dommages et les personnes ayant droit à une telle réparation [voir, en ce sens, arrêts du 24 octobre 2013, Drozdovs, C 277/12, EU:C:2013:685, point 32, ainsi que du 30 mars 2023, AR e.a. (Action directe contre l’assureur), C 618/21, EU:C:2023:278, point 22 et jurisprudence citée].
26 Cela étant, lorsque, selon le droit d’un État membre, pour interpréter une disposition relevant d’un domaine non harmonisé, il convient de se référer à une notion du droit de l’Union, il existe un intérêt de l’Union certain à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, la notion reprise du droit de l’Union reçoive une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elle est appelée à s’appliquer [voir, par analogie, arrêts du 24 octobre 2019, Belgische Staat, C 469/18 et C 470/18, EU:C:2019:895, point 22, ainsi que du 27 avril 2023, Banca A (Application de la directive fusion dans une situation interne), C 827/21, EU:C:2023:355, point 44].
27 En l’occurrence, la question préjudicielle ne porte pas sur les matières mentionnées au point 25 du présent arrêt. En particulier, par celle-ci, la juridiction de renvoi ne demande pas à la Cour si une victime telle que celle en cause au principal a le droit d’obtenir une réparation au titre de la directive 2009/103, mais interroge la Cour uniquement sur la portée de la notion de « véhicule » qui figure à l’article 1er, point 1, de cette directive.
28 Or, si, certes, les explications avancées par la juridiction de renvoi sur le lien existant entre la législation nationale applicable et cette disposition de la directive 2009/103 – lien que les juridictions nationales sont tenues d’exposer à la Cour en vertu de l’article 94, sous c), de son règlement de procédure – sont succinctes, cette juridiction indique toutefois, dans sa demande de décision préjudicielle, que la solution du litige dont elle est saisie présuppose l’interprétation de cette notion. En outre, il ressort de cette demande que, selon ladite juridiction, la définition de la notion de « véhicules automoteurs » figurant à l’article 1er de la loi du 21 novembre 1989 correspond à celle de « véhicule » figurant à ladite disposition de la directive 2009/103.
29 Par ailleurs, d’une part, la Cour dispose de l’ensemble des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile à la question qui lui est posée et, d’autre part, la réalité du litige au principal de même que l’absence de caractère hypothétique de cette question ne font aucun doute.
30 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la présente demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur la question préjudicielle
31 Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens que relève de la notion de « véhicule », au sens de cette disposition, un vélo dont le moteur électrique fournit uniquement une assistance au pédalage et qui dispose d’une fonction lui permettant d’accélérer sans pédaler jusqu’à une vitesse de 20 km/h, cette fonction ne pouvant toutefois être activée qu’après utilisation de la force musculaire.
32 Aux fins de l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.
33 S’agissant du libellé de l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103, il convient de rappeler que cette disposition prévoit que, aux fins de cette directive, la notion de « véhicule » vise « tout véhicule automoteur destiné à circuler sur le sol et qui peut être actionné par une force mécanique, sans être lié à une voie ferrée, ainsi que les remorques, même non attelées ». Partant, conformément au sens habituel de ces termes dans le langage courant, cette notion, en tant qu’elle vise « tout véhicule automoteur », se réfère nécessairement à un engin conçu pour se déplacer sur le sol au moyen d’une force produite par une machine, par opposition à une force humaine ou animale, à l’exception des véhicules se déplaçant sur rails.
34 S’il découle ainsi du libellé de l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103 que seuls relèvent de la notion de « véhicule », au sens de cette disposition, des véhicules destinés à circuler sur le sol qui peuvent être actionnés par une force mécanique, à l’exception de ceux qui se déplacent sur rails, ce libellé ne permet pas, à lui seul, de répondre à la question posée, dès lors qu’il ne contient pas d’indication permettant de déterminer si une telle force mécanique doit jouer un rôle exclusif dans l’actionnement du véhicule concerné.
35 En effet, les versions de cet article 1er, point 1, notamment en langues française, italienne, néerlandaise et portugaise, dans la mesure où elles se réfèrent, au sujet de la force mécanique, à la circonstance que celle-ci « peut » actionner les véhicules concernés, pourraient être lues en ce sens que constituent des « véhicules », au sens de cette disposition, non seulement ceux propulsés exclusivement par une force mécanique, mais également ceux qui sont susceptibles de se mouvoir par d’autres moyens. Toutefois, dans d’autres versions linguistiques, en particulier celles en langues espagnole, allemande, grecque, anglaise et lituanienne, ladite disposition est rédigée différemment, de sorte qu’elle ne saurait être lue dans ce même sens.
36 Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, les dispositions du droit de l’Union doivent être interprétées et appliquées de manière uniforme, à la lumière des versions établies dans toutes les langues de l’Union. En cas de disparité entre les différentes versions linguistiques d’un texte du droit de l’Union, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêts du 8 décembre 2005, Jyske Finans, C 280/04, EU:C:2005:753, point 31, et du 21 décembre 2021, Trapeza Peiraios, C 243/20, EU:C:2021:1045, point 32).
37 Ainsi, s’agissant de l’économie générale de la directive 2009/103, il y a lieu de relever, d’une part, que, aux termes du considérant 2 de cette directive, l’obligation d’« assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation des véhicules automoteurs », que ladite directive prévoit, se réfère à « l’assurance automobile », expression qui vise traditionnellement, dans le langage courant, l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation d’engins tels que les motocycles, les voitures et les camions qui, hormis les cas où ils sont hors d’usage, sont mus exclusivement au moyen d’une force mécanique.
38 D’autre part, l’article 13 de la directive 2009/103 précise, à son paragraphe 1, sous b), que chaque État membre prend toutes les mesures appropriées pour que, aux fins de l’application de l’article 3 de celle-ci, soit réputée sans effet, en ce qui concerne le recours des tiers victimes d’un sinistre, toute disposition légale ou clause contractuelle contenue dans une police d’assurance délivrée conformément à cet article 3 qui exclut de l’assurance l’utilisation ou la conduite de véhicules par des personnes non titulaires d’un permis leur permettant de conduire le véhicule concerné. Or, il ressort du libellé de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, relative au permis de conduire (JO 2006, L 403, p. 18), que, en principe, seule la conduite de véhicules susceptibles de circuler par leurs propres moyens, à l’exception de ceux qui se déplacent sur rails, est soumise à un permis de conduire national.
39 Quant aux objectifs poursuivis par la directive 2009/103, il convient de rappeler que celle-ci vise à assurer la libre circulation tant des véhicules stationnant habituellement sur le territoire de l’Union que des personnes qui sont à leur bord et à garantir que les victimes des accidents causés par ces véhicules bénéficieront d’un traitement comparable, quel que soit l’endroit du territoire de l’Union où l’accident s’est produit, de même qu’à assurer ainsi la protection des victimes d’accidents causés par les véhicules automoteurs, cet objectif de protection des victimes ayant été constamment poursuivi et renforcé par le législateur de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 20 juin 2019, Línea Directa Aseguradora, C 100/18, EU:C:2019:517, points 33, 34 et 46 ainsi que jurisprudence citée, et du 20 mai 2021, K.S. (Frais de remorquage d’un véhicule endommagé), C 707/19, EU:C:2021:405, point 27].
40 Or, des engins qui ne sont pas actionnés exclusivement par une force mécanique et qui ne peuvent donc pas se déplacer sur le sol sans utilisation de la force musculaire, tels que le vélo à assistance électrique en cause au principal, lequel, au demeurant, peut accélérer sans pédaler jusqu’à une vitesse de 20 km/h, n’apparaissent pas de nature à causer aux tiers des dommages corporels ou matériels comparables, quant à leur gravité ou à leur quantité, à ceux que peuvent causer les motocycles, les voitures, les camions ou d’autres véhicules, circulant sur le sol, actionnés exclusivement par une force mécanique, ces derniers pouvant atteindre une vitesse certaine, sensiblement plus élevée que celle pouvant être atteinte par de tels engins, et étant, encore actuellement, très majoritairement utilisés aux fins de la circulation. L’objectif de protection des victimes d’accidents de la circulation causés par les véhicules automoteurs, poursuivi par la directive 2009/103, n’impose donc pas que de tels engins relèvent de la notion de « véhicule », au sens de l’article 1er, point 1, de cette directive.
41 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 1er, point 1, de la directive 2009/103 doit être interprété en ce sens que ne relève pas de la notion de « véhicule », au sens de cette disposition, un vélo dont le moteur électrique fournit uniquement une assistance au pédalage et qui dispose d’une fonction lui permettant d’accélérer sans pédaler jusqu’à une vitesse de 20 km/h, cette fonction ne pouvant toutefois être activée qu’après utilisation de la force musculaire.
Sur les dépens
42 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :
L’article 1er, point 1, de la directive 2009/103/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, concernant l’assurance de la responsabilité civile résultant de la circulation de véhicules automoteurs et le contrôle de l’obligation d’assurer cette responsabilité,
doit être interprété en ce sens que :
ne relève pas de la notion de « véhicule », au sens de cette disposition, un vélo dont le moteur électrique fournit uniquement une assistance au pédalage et qui dispose d’une fonction lui permettant d’accélérer sans pédaler jusqu’à une vitesse de 20 km/h, cette fonction ne pouvant toutefois être activée qu’après utilisation de la force musculaire.