CA Versailles, ch. 1 sect. 1, 14 mars 2023, n° 21/06191
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Alstom Transport (SA), Alstom Network UK LTD (Sté)
Défendeur :
Alexander Brothers LTD (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Manes
Conseillers :
Mme Lauer, Mme Du Crest
Avocats :
Me Dupuis, Me De Pouzilhac, Me Zerhat, Me Zorrilla, Me Garnier
FAITS ET PROCÉDURE
La société de droit français Alstom Transport SA et la société de droit anglais Alstom Network UK Ltd. (Ci-après " les sociétés Alstom " ou " Alstom ") ont conclu avec la société Alexander Brothers Ltd (ci-après " la société ABL " ou " ABL "), société de droit de la région administrative de Hong Kong (République populaire de Chine), trois contrats de consultant pour les assister dans la soumission d'offres de fourniture de matériel ferroviaire en Chine.
Les deux premiers contrats, datés des 26 août et 22 décembre 2004, étaient relatifs à des appels d'offres du ministère des transports chinois pour la fourniture de locomotives électriques à huit essieux dédiés au transport de fret lourd d'une part, et à la fourniture de rames automotrices de transport de passagers à grande vitesse d'autre part.
Le troisième, conclu le 2 décembre 2009, concernait un appel d'offres de la Shanghai Shengton Holding Group (entreprise publique chinoise) pour la fourniture de matériel roulant destiné à l'extension de la ligne 2 du métro de Shanghai. Alstom Transport SA a obtenu l'attribution de ces trois marchés. Elle a payé les premiers termes des contrats 1 et 2 en février 2006 et novembre 2008 mais n'a pas réglé le solde et n'a rien versé au titre du contrat n° 3.
Le 20 décembre 2013, ABL a déposé une requête en arbitrage auprès de la chambre de commerce internationale sur le fondement des clauses compromissoires stipulées par les trois contrats, qui prévoyaient un arbitrage à Genève avec application du droit suisse au fond du litige. La société Alexander Brothers Ltd réclamait le solde de ses factures pour les trois contrats, soit 2 975 480 euros en principal, outre les intérêts, ainsi que 1 500 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice causé par le comportement incorrect et les audits incessants d'Alstom et 1 000 000 euros à titre de dommages-intérêts punitifs.
Par une sentence rendue à Genève le 29 janvier 2016, sous l'égide de la chambre du commerce internationale (CCI), le tribunal arbitral, composé de M. Dietschi, M. Schimmel, arbitres, et de M. Konrad, président, a :
- condamné les sociétés Alstom Transport SA et Alstom Network UK Ltd à payer à la société Alexander Brothers Ltd la somme de 932 800 euros outre les intérêts, au titre du contrat de consultant n°1 pour des locomotives électriques de fret lourd à 8 essieux, ainsi que la somme de 624 440 euros outre les intérêts au titre du contrat de consultant EMU n°2,
- condamné la société Alexander Brothers Ltd à payer aux sociétés Alstom Transport SA et Alstom Network UK Ltd la somme de 77 000 euros pour les frais de l'arbitrage et celle de 66 281,68 euros pour les honoraires d'avocats qu'elles ont versés,
- rejeté les autres demandes.
Cette sentence arbitrale a été revêtue de l'exequatur par ordonnance du président du tribunal de grande instance de Paris le 30 mars 2016.
Par acte du 20 avril 2016, la sentence revêtue de l'exequatur a été signifiée à la requête de la société Alexander Brothers Ltd à la société Alstom Transport SA.
Le 18 mai 2016, les sociétés Alstom Transport SA et Alstom Network UK Ltd ont interjeté appel de cette ordonnance.
Par une ordonnance sur incident rendue le 22 septembre 2016, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Paris a :
- aménagé l'exécution de la sentence arbitrale rendue entre les parties à Genève le 29 janvier 2016, revêtue de l'exequatur par ordonnance du 30 mars 2016, jusqu'à ce qu'il soit statué sur l'appel de cette ordonnance,
- ordonné la consignation par les sociétés Alstom Transport SA et Alstom Network UK Ltd, dans le mois de la présente ordonnance, de la somme de 1 557 240 euros,
- désigné la Caisse des Dépôts et Consignations en qualité de séquestre judiciaire
- et ordonné à celle-ci de conserver les fonds dus par les sociétés Alstom Transport SA et Alstom Network UK Ltd en exécution de la sentence revêtue de l'exequatur jusqu'à ce qu'il soit statué sur l'appel de l'ordonnance du 30 mars 2016,
- rejeté toute autre demande,
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'instance principale.
Par un arrêt avant-dire droit rendu le 10 avril 2018, la cour d'appel de Paris a :
- rabattu l'ordonnance de clôture,
- ordonné la réouverture des débats,
- invité les parties à conclure avant le 19 juin 2018 sur l'existence d'un contrat de corruption,
- ordonné aux sociétés Alstom Transport SA et Alstom Network UK Ltd de déposer au greffe de la chambre 1-1 de la cour avant le 19 juin 2018 et, passé ce délai, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et par pièce manquante :
* les clés des contrats de consultants (pièces R-27 et R-28 de la procédure arbitrale),
* les dépositions écrites de Mme Guo Qi, de M. Thierry Best et de M. Gabillet,
* l'intégralité de la transcription des auditions de témoins et des débats devant le tribunal arbitral
* l'intégralité des pièces justificatives des services rendus par ABL (la société Alexander Brothers Ltd)
* le premier rapport établi à la suite de l'audit d'août 2012 et ses annexes,
* le second rapport établi à la suite de l'audit de juin 2013 et ses annexes.
- réservé la liquidation éventuelle de l'astreinte,
- renvoyé le dossier à l'audience de mise en état du 21 juin 2018,
- réservé le surplus des demandes ainsi que les dépens.
Par un arrêt du 28 mai 2019 cour d'appel de Paris a :
- infirmé l'ordonnance du 19 mai 2016 (sic) par laquelle le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris a conféré l'exequatur à la sentence rendue le 29 janvier 2016 entre les parties.
- rejeté la demande d'exequatur formée par la société Alexander Brothers Ltd ;
- condamné la société Alexander Brothers Ltd à restituer à la société Alstom Transport SA la somme de 1 828 850,88 euros ;
- condamné la société Alexander Brothers Ltd aux dépens ;
- rejeté les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le 19 juillet 2019, la société Alexander Brothers Ltd a formé un pourvoi en cassation à l'encontre de cet arrêt.
Par arrêt en date du 29 septembre 2021, la Cour de cassation a :
- cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mai 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Paris,
- remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyé devant la cour d'appel de Versailles,
- condamné la société Alstom Transport SA et la société Alstom Network UK Ltd aux dépens,
En application de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté la demande formée par la société Alstom transport SA et la société Alstom Network UK Ltd et les a condamnés à payer à la société Alexander Brothers Ltd la somme de 3 000 euros,
- dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé,
Les sociétés Alstom Transport SA et Alstom Network UK Ltd ont saisi la cour d'appel de Versailles par déclaration de saisine du 12 octobre 2021.
Par dernières conclusions notifiées le 10 novembre 2022 (104 pages), la société Alstom Transport SA et la société Alstom Network UK Ltd demandent à la cour, au fondement des articles 1520 et 1525 du code de procédure civile, de :
- constater que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international,
- constater que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire au principe de la contradiction,
- en conséquence, infirmer l'ordonnance du 30 mars 2016 du président du tribunal de grande instance de Paris concernant l'exequatur de la sentence en date du 29 janvier 2016,
- rejeter la demande d'Alexander Brothers d'exequatur de la sentence en date du 29 janvier 2016,
- ordonner la levée du séquestre effectué auprès de la Caisse des dépôts et consignation et la restitution des fonds séquestrés à Alstom Transport,
- en tout état de cause, condamner Alexander Brothers à payer à Alstom Transport et Alstom Network UK la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 28 octobre 2022 (81 pages), la société Alexander Brothers Ltd demande à la cour de :
- juger que l'exequatur de la sentence arbitrale rendue entre les parties le 29 janvier 2016 est conforme à l'ordre public international,
- dire que la sentence arbitrale rendue entre les parties le 29 janvier 2016 est conforme au principe du contradictoire,
Par conséquent,
- confirmer l'ordonnance du 30 mars 2016 ayant revêtu de l'exequatur la sentence arbitrale du 29 janvier 2016 rendue entre les parties,
- débouter les sociétés Alstom de leur appel et rejeter toutes leurs demandes,
En toutes hypothèses,
- condamner les sociétés Alstom in solidum au paiement d'une indemnité de 60 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR,
I. Sur la portée de la cassation et les limites de la saisine
A. Sur la portée de la cassation
Les dispositions des articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile prévoient respectivement que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l'arrêt qui la prononce ; qu'elle s'étend également à l'ensemble des dispositions de l'arrêt cassé ayant un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant la décision cassée et que l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exclusion des chefs non atteints par la cassation.
Se fondant sur le principe selon lequel le juge ne peut pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis, la Cour de cassation a estimé que, pour rejeter la demande d'exequatur de la sentence au motif que la reconnaissance ou l'exécution de cette sentence est contraire à l'ordre public international, l'arrêt attaqué a dénaturé le procès-verbal de transcription de l'audience du 23 mars 2015 (pièce 58-1 Alstom) en retenant à tort :
- qu'au cours de l'instance arbitrale, Mme Guo Qi, interrogée à plusieurs reprises sur les conditions dans lesquelles elle s'était procuré :
- le compte rendu de la réunion du 9 avril 2004 entre le ministère chinois des chemins de fer et Datong,
- la présentation powerpoint de la société Siemens sur sa stratégie commerciale sur le marché chinois, sa conception des transferts de technologie et les caractéristiques techniques de ses trains à grande vitesse,
- et les informations confidentielles émanant de l'autorité adjudicatrice transmises par ses soins à Alstom ainsi que, par les conseils de celle-ci, sur les moyens par lesquels l'appel d'offres avait été remporté, avait refusé de répondre ;
- que M. Wong, comptable, a soutenu que les dépenses opérationnelles faites par carte bancaire depuis les comptes bancaires des associés s'accompagnaient de justificatifs mais qu'il n'a pas allégué que ceux-ci consisteraient en des factures et non en de simples reçus de carte de crédit, ni qu'ils seraient exhaustifs ;
- qu'il s'en déduisait que, d'une part, les seules diligences de la société Alexander Brothers qui n'apparaissait pas disproportionnées à la rémunération contractuelle prévue ont consisté dans la communication de documents confidentiels dont les conditions d'obtention délibérément dissimulées font présumer l'origine illicite, et que, d'autre part, la société Alexander Brothers est essentiellement un véhicule de transfert de fonds vers ses associés pour des usages peu ou pas vérifiables.
Selon la Cour de cassation, contrairement à l'analyse à laquelle s'est livré l'arrêt attaqué, " la transcription de l'audience arbitrale mentionne, en premier lieu, les réponses de Mme Guo Qi, lors de son interrogatoire par le tribunal arbitral, sur les conditions d'obtention des documents confidentiels auprès d'interlocuteurs chinois nommément identifiés, en deuxième lieu, que celle-ci a uniquement refusé de répondre aux demandes des conseils d'Alstom devant les services britanniques de lutte contre la corruption en raison de l'introduction de la procédure d'arbitrage, et, en dernier lieu, que M. Wong, interrogé par le président du tribunal arbitral, a déclaré inexact l'affirmation selon laquelle les dépenses opérationnelles n'auraient été justifiées que par des tickets de carte bancaire et que l'objet et la nature de celles-ci ne seraient pas indiqués ".
Elle en déduit que la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis de ladite transcription.
La Cour de cassation a dès lors cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mai 2019 par la cour d'appel de Paris entre les parties, a remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles.
Il s'ensuit que la cassation concerne l'ensemble des dispositions de l'arrêt du 28 mai 2019 de sorte que la cour se retrouve saisie de l'appel formé contre l'ordonnance d'exequatur du 30 mars 2016.
B. Sur les limites de la saisine et l'office du juge
L'article 1514 du code de procédure civile dispose que : " Les sentences arbitrales sont reconnues ou exécutées en France si leur existence est établie par celui qui s'en prévaut et si cette reconnaissance ou cette exécution n'est pas manifestement contraire à l'ordre public international ".
L'article 1516, alinéa 1, du même code précise que : " La sentence arbitrale n'est susceptible d'exécution forcée qu'en vertu d'une ordonnance d'exequatur émanant du tribunal judiciaire dans le ressort duquel elle a été rendue ou du tribunal judiciaire de
Paris lorsqu'elle a été rendue à l'étranger ".
Selon l'article 1525 du code de procédure civile, " la décision qui statue sur une demande de reconnaissance ou d'exequatur d'une sentence arbitrale rendue à l'étranger est susceptible d'appel. L'appel est formé dans le délai d'un mois à compter de la signification de la décision.
Les parties peuvent toutefois convenir d'un autre mode de notification lorsque l'appel est formé à l'encontre de la sentence revêtue de l'exequatur. La cour d'appel ne peut refuser la reconnaissance ou l'exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l'article 1520 ".
L'article 1520, alinéas 1, 4 et 5, du code de procédure civile dispose que :
" Le recours en annulation [contre la sentence arbitrale] n'est ouvert que si :
(…)
4° Le principe de la contradiction n'a pas été respecté ; ou
5° La reconnaissance ou l'exécution de la sentence est contraire à l'ordre public international ".
Il résulte de ces dispositions que le juge de l'exequatur, comme le juge de l'annulation, est juge de l'admission ou du refus d'admission de la sentence dans l'ordre juridique français et non juge de l'affaire pour laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage. Il ne doit donc pas procéder à une révision au fond de la sentence (Cass. 1ère Civ., 4 juin 2008, n°06-15.320 ; 1ère Civ. 6 octobre 2010, n°09-10.530 ; 1ère Civ. 29 juin 2011, n°10-16.680 ; Cass. 1ère Civ., 12 février 2014, n°10-17.076) mais apprécier l'existence d'indices précis, graves et concordants caractérisant une violation de l'ordre public international.
La violation doit être non simplement celle de l'ordre public interne, mais celle de l'ordre public international, lequel s'entend de la conception française de l'ordre public, c'est-à-dire de l'ensemble des règles et des valeurs dont l'ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance, même dans des matières internationales ; son appréciation doit être concrète, le contrôle de la cour d'appel ne devant pas porter sur l'appréciation que les arbitres ont faite sur la solution donnée au litige (Civ. 1re, 19 nov. 1991, no 89-22.042 P: Rev. arb. 1992. 76, note Idot ; Civ. 1re, 15 mars 1988 : Rev. arb. 1990. 115, note Idot).
Si la Cour de cassation a d'abord considéré que cette violation devait être manifeste, effective et concrète (1ère Civ., 7 septembre 2022, n°15-01650 dit " Etat de Lybie c/ Sorelec "), elle a récemment considéré qu'il convenait de démontrer une " violation caractérisée " de la conception française de l'ordre public international et que le juge de l'exequatur n'était pas limité aux éléments de preuve produits devant les arbitres, ni lié par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux, son seul office à cet égard consistant à s'assurer que la production des éléments de preuve devant elle respectait le principe de la contradiction et celui d'égalité des armes (1ère Civ., 23 mars 2022, n°17-17.981 dans l'affaire dite " Bekolon c/ République du Kirghizistan ").
La Cour de cassation a en l'espèce considéré que " Le juge de l'annulation doit rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence est compatible avec l'ordre public international. Il lui appartenait, non pas de vérifier si […] les agissements de la République du Kirghizistan constituaient des violations de l'obligation de traitement juste et équitable prévue par le traité bilatéral d'investissement, mais de rechercher si la reconnaissance ou l'exécution de la sentence était de nature à entraver l'objectif de lutte contre le blanchiment. [La cour d'appel] a retenu à bon droit qu'une telle recherche, menée pour la défense de l'ordre public international, n'était ni limitée aux éléments de preuve produits devant les arbitres ni liée par les constatations, appréciations et qualifications opérées par eux, son seul office à cet égard consistant à s'assurer que la production des éléments de preuve devant elle respectait le principe de la contradiction et celui d'égalité des armes. " (souligné par la cour)
La Cour de cassation retient encore qu'en relevant les indices graves, précis et concordants qui permettent d'identifier des pratiques de blanchiment, " la cour d'appel, qui n'a pas procédé à une nouvelle instruction ou à une révision au fond de la sentence, mais a porté une appréciation différente sur les faits au regard de la seule compatibilité de la reconnaissance ou de l'exécution de la sentence avec l'ordre public international ", de sorte que la cour d'appel “ a estimé souverainement qu'il en résultait des indices graves, précis et concordants de ce qu'Insan Bank avait été reprise par M. [K] afin de développer, dans un Etat où ses relations privilégiées avec le détenteur du pouvoir économique lui garantissaient l'absence de contrôle réel de ses activités, des pratiques de blanchiment qui n'avaient pu s'épanouir dans l'environnement moins favorable de la Lettonie.
Sans être tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, elle en a exactement déduit que la reconnaissance ou l'exécution de la sentence, qui aurait pour effet de faire bénéficier M. [K] du produit d'activités délictueuses, violait de manière caractérisée l'ordre public international, de sorte qu'il y avait lieu d'en prononcer l'annulation.” (souligné par la cour).
S'agissant spécialement des éléments versés aux débats concernant le contrat de consultant n°3, pour lequel les arbitres ont estimé qu'il n'y avait pas lieu de condamner les sociétés Alstom au paiement des commissions de la société ABL compte tenu de l'insuffisance des preuves de services, la société ABL fait valoir qu'ils doivent être exclus du présent débat.
Toutefois, la cour, dans le cadre de son appréciation de la conformité de l'exécution de la sentence à la conception française de l'ordre public international, n'est pas tenue par les appréciations et qualifications opérées par les arbitres.
Sur ce point, la Cour de cassation a considéré, au visa de l'article 1520 du code de procédure civile, que " Si la mission de la cour d'appel, saisie en vertu de ce texte, est limitée à l'examen des vices que celui-ci énumère, aucune limitation n'est apportée à son pouvoir de rechercher en droit et en fait tous les éléments concernant les vices en question. " (1ère Civ., 7 septembre 2022, n°20-22.118).
Il s'ensuit que les éléments de preuves produits concernant le contrat n°3 et considérés par les sociétés Alstom comme des indices de corruption, seront également examinés.
II. Sur le premier moyen d'infirmation : la contrariété de la sentence à l'ordre public international
Les sociétés Alstom demandent l'infirmation de l'ordonnance du 30 mars 2016 ayant conféré l'exéquatur à la sentence arbitrale prononcée le 29 janvier 2016, au fondement des articles 1520 et 1525 du code de procédure civile, au motif que l'exécution de la sentence serait contraire à la conception française de l'ordre public international en ce qu'elle condamne les sociétés Alstom à procéder à un paiement en présence d'un faisceau d'indices de corruption.
La société Alexander Brothers sollicite la confirmation de l'ordonnance du 30 mars 2016 et considère que les sociétés Alstom ne démontrent pas un faisceau d'indices précis, graves et concordants de corruption qui rendrait l'exécution de la sentence arbitrale du 29 janvier 2016 contraire à l'ordre public international.
A. Sur l'insuffisance des preuves de services
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation de l'ordonnance du 30 mars 2016 en ce qu'elle a conféré l'exequatur à la sentence arbitrale du 29 janvier 2016, les sociétés Alstom soutiennent qu'alors que les contrats de consultant n°1, 2 et 3 prévoyaient en leur article 4.1 d) l'obligation pour la société Alexander Brothers de fournir et de justifier de preuves de services, qui pouvaient consister en tous types de documents expliquant ou justifiant la réalité et la nature de ses activités, ces preuves conditionnant le versement de sa rémunération, la société Alexander Brothers n'a pas justifié de preuves de services suffisantes au long de la période d'exécution des contrats. Elles déduisent de cette insuffisance et de ses doutes quant à l'authenticité de certaines preuves de services des indices de corruption.
Répliquant à l'intimée qui conteste le fait qu'elle évoque les preuves de services produites dans le cadre du contrat n°3 au motif que le tribunal arbitral a rejeté sa demande en paiement dans le cadre de ce contrat n°3, les sociétés Alstom considère que les actes illégaux commis par un consultant dans le cadre de l'exécution d'un contrat constituent un élément à prendre en compte au titre du faisceau d'indices de corruption pour les autres contrats en cause, même s'il s'agit d'un élément extrinsèque à ces autres contrats.
Les sociétés Alstom indiquent tout d'abord que lors de l'audience arbitrale, Mme Guo Qi aurait reconnu qu'elle n'avait pas été en mesure de présenter une documentation suffisamment ordonnée et adéquate comme preuves de services. Elles précisent que l'absence de documentation suffisante comme preuves de services constitue une inexécution contractuelle, et justifie un refus de paiement. Elles considèrent que cette problématique avait été soulevée avant le début de l'arbitrage, et notamment pendant les audits de conformité conduits par le Département E&C au cours desquels Mme Guo Qi, en dépit de son engagement à produire davantage de documents pour justifier des actions effectuées et en dépit de plusieurs demandes en ce sens, ne s'était pas exécutée.
S'agissant du contrat n°1, les sociétés Alstom exposent que la société Alexander Brothers a produit un premier dossier de 22 notes rédigées par Mme Guo Qi, datées entre le 5 novembre 2003 et le 24 mai 2005 et toutes adressées à l'attention de M. Loïc Mahé, senior vice-président d'Alstom Transport en Chine au cours de cette période, puis un deuxième dossier contenant d'autres notes, datées entre le 8 janvier 2006 et le 2 septembre 2009, parfois accompagnées de documents ou courriers émis par le ministère des chemins de fer et le CNTIC (China National Technical Import and Export Corporation).
Elles font valoir tout d'abord que cette documentation ne reflète aucune action substantielle de la part de la société Alexander Brothers tel qu'attendue en vertu de l'article 3 du contrat. Le premier dossier de preuves de services démontre, selon elles, que le consultant n'a agi que comme " boîte aux lettres " et s'est contenté de transmettre les correspondances entre la société Alstom Transport, le ministère chinois des chemins de fer et les partenaires locaux d'Alstom en Chine, alors pourtant que Mme Guo Qi avait été recrutée pour sa proximité avec les hauts responsables décisionnaires du projet et sa connaissance du processus de prise de décision au sein de ce ministère. Les sociétés
Alstom ajoutent que le second dossier de preuves de services n'est constitué que des traductions ou résumés de documents ou courriers émis par le ministère des chemins de fer et le CNTIC, et ne comporte aucune analyse ni recommandation de la part d'Alexander Brothers. Elles en déduisent que la société Alexander Brothers ne démontre pas avoir exercé une mission d'assistance et de soutien.
Les sociétés Alstom indiquent ensuite qu'aucun justificatif ne permet d'établir la réalité et la substance des réunions avec Mme Guo Qi visées dans la documentation fournie.
Elles déplorent qu'aucun document contemporain des réunions ne permettent d'établir la réalité de leur tenue, ainsi que l'absence d'extrait d'agenda, ordre du jour, compte rendu de réunion ou correspondance échangée avec une autre partie que la société Alstom Transport à ce sujet (notes des 9 et 13 janvier 2005, 3 février 2005 ou 21 mai 2005).
En outre, les sociétés Alstom expliquent qu'un certain nombre de documents transmis par la société Alexander Brothers à titre de preuves de services ne sont d'aucune utilité pour la société Alstom Transport. Elles déplorent ainsi que la documentation relative à la coopération entre la société Alstom Transport et la société Datong Locomotives (ci-après " la société Datong ") ne comprennent que des notes de la société Alstom Transport elle-même, des documents sans aucune analyse du consultant ni aucun document contemporain d'une réunion ou d'un échange permettant d'en attester la réalité et la teneur. Selon elles, en l'absence de traces d'échanges avec des correspondants sur place et d'analyse du consultant, ce que la société Alexander Brothers prétend être des " missions d'information " n'est pas démontrée.
S'agissant du contrat n°2, les sociétés Alstom précisent que la société Alexander Brothers a fourni, à titre de preuves de services, un premier dossier de documents contenant 16 notes rédigées par Mme Guo Qi datées entre le 5 septembre 2003 et le 28 janvier 2005, avec pour certaines des pièces-jointes, ces notes étant très courtes et toutes adressées à l'attention de M. Loïc Mahé, ainsi qu'un deuxième dossier de preuves de services contenant d'autres notes du consultant, datées entre le 25 avril 2006 et le 8 août 2011, accompagnées parfois de pièces jointes.
Les sociétés Alstom considèrent que ces preuves de services sont insuffisantes aux motifs que :
- Les documents communiqués par la société Alexander Brothers ne reflètent pas d'actions de sa part correspondant aux services attendus en vertu de l'article 3 du Contrat (formulaire " Keys "), celle-ci se contentant, selon les appelantes, d'agir principalement comme une simple " boîte aux lettres ". Les sociétés Alstom ajoutent que les notes figurant dans le deuxième dossier ne sont que des traductions ou des résumés de documents ou courriers de la part du ministère des chemins de fer, du CNTIC ou du CRC (China Railway Corporation), sans aucune analyse ou recommandation de la part d'Alexander Brothers.
- Aucune des notes présentes dans le second dossier ne précise le destinataire au sein de la société Alstom Transport (sachant qu'à la date de ces notes, M. Loïc Mahé avait quitté la société) et rien ne permet de vérifier comment et à quelle date les notes de Mme Guo Qi auraient été envoyées aux équipes d'Alstom Transport en charge de l'appel d'offres.
- Certains documents mentionnent des réunions qui se seraient tenues avec des membres du ministère, mais il n'y a aucune documentation contemporaine pouvant attester de leur réalité et indiquer les sujets discutés.
- Un certain nombre de documents inclus dans les preuves de services ne paraît d'aucune utilité pour Alstom Transport et ne démontre aucune action concrète et substantielle de la part d'Alexander Brothers.
- Il semblerait que certaines notes de Mme Guo Qi (notes manuscrites pièce 46, pièce 47) n'aient pas été envoyées aux sociétés Alstom comme preuves de services, mais ont été produites par la société Alexander Brothers postérieurement aux audits, postérieurement à l'arbitrage et postérieurement à l'audience devant la cour d'appel de Paris.
S'agissant du contrat n°3, les sociétés Alstom exposent que la société Alexander Borthers a fourni, à titre de preuves de services, une note de deux pages incluant une liste d'actions ou de réunions qui auraient été réalisées concernant l'appel d'offres (18 au total), avec la date, le nom des contacts concernés et un résumé de l'objet des réunions ou des messages transmis ; cinq e-mails échangés entre Mme Guo Qi et M. Guy Sellier de la société Alstom Transport entre janvier et mars 2008 (et deux autres e-mail postérieurs mais qui ne concernent pas le projet de l'extension de la ligne 2 du métro de Shanghai) ; huit notes adressées à la société Alstom Transport, datées entre le 10 et le 24 janvier 2008. Considérant ces preuves de services comme insuffisantes, et s'appuyant s'agissant du contrat n°3 sur les constatations des arbitres, les sociétés Alstom considèrent :
- que ces documents ne permettent pas de démontrer les actions qui auraient été réalisées par la société Alexander Brothers dans le cadre de la procédure d'appel d'offres car la description des actions et réunions est courte et vague et ne comporte aucun document contemporain permettant d'en établir la réalité ;
- que l'authenticité de certains documents est douteuse.
Par ailleurs, les sociétés Alstom indiquent que l'intimée verse une nouvelle pièce (pièce 89 ABL) comportant 23 notes de Mme Guo Qi datées entre le 10 janvier 2008 et le 2 septembre 2011 relatives au projet de la ligne 2 du métro de Shanghai. Elles précisent que les sept premières notes de ce dossier, datées entre le 10 et le 24 janvier 2008, sont déjà connues et avaient été transmises comme preuves de services du contrat n°3 lors de l'arbitrage et devant la cour d'appel de Paris, mais que les seize autres n'ont pas été produites antérieurement alors même que l'insuffisance des preuves de services était dans le débat.
Les sociétés Alstom, qui considèrent qu'il n'a pas été démontré que cette documentation a été effectivement transmise par le consultant avec ses factures, demandent à la cour de ne pas tenir compte de ces pièces dans l'appréciation du faisceau d'indices de corruption.
Elles ajoutent en outre que ces nouvelles notes de Mme Guo Qi produites tardivement par l'intimée ne pourraient remédier à l'insuffisance déjà démontrée des preuves de services. Elles considèrent que ces notes ne comportent que des informations très générales sur le projet ; qu'elles ne font suite à aucune demande de la société Alstom
Transport et sont toutes adressées à un destinataire qui n'est pas connu ; que leur mode de transmission n'est pas établi ; surtout, ces nouvelles notes, datées entre le 26 février 2008 et le 2 septembre 2011, sont postérieures à la décision des autorités adjudicatrices d'attribuer le marché concerné à la société Alstom Transport (annoncées officiellement le 4 février 2008) et ne permettent donc pas de justifier d'action pour l'obtention du marché.
Poursuivant la confirmation de l'ordonnance d'exequatur du 30 mars 2016, la société Alexander Brothers demande à la cour, au fondement des articles 1520 5° et 1525 du code de procédure civile, de rejeter les demandes des sociétés Alstom au motif qu'il n'est pas démontré d'indices suffisamment précis, graves et concordants de corruption, qu'ils soient pris individuellement ou dans leur ensemble.
Elle indique avoir transmis 25 documents en 2005, 29 documents en 2008 et 45 documents en 2009 comme pièces justificatives des services rendus pour contrat n°1 ;
17 documents en 2005, 33 documents en 2008 et 27 documents en 2012 comme pièces justificatives des services rendus pour le contrat n°2 ; 20 documents en 2010 et 7 documents en 2012 comme pièces justificatives des services rendus pour le contrat n°3.
Elle soutient que la High Court britannique et le tribunal fédéral suisse, saisis respectivement d'un recours contre l'exequatur de la sentence arbitrale et d'un recours en annulation de la sentence arbitrale, ont été saisis des mêmes griefs et que leurs décisions concluant au rejet des demandes des sociétés Alstom doivent être prises en compte.
Elle fait valoir, à titre liminaire, le caractère opportuniste des allégations de corruption présentées par les sociétés Alstom qui, selon elle, n'ont jamais contesté l'ensemble des preuves de services apportées par la société ABL avant le commencement de la procédure d'arbitrage en décembre 2013. Elle ajoute que la transmission de nombreux documents par la société ABL au cours de l'audit n'a appelé aucun commentaire de la part des sociétés Alstom. Elle insiste également sur le raisonnement du tribunal arbitral qui, s'agissant des contrats n°1 et 2, a considéré que le comportement des contractants adopté postérieurement à la conclusion des contrats créait une pratique courante entre les parties et constituait une modification ultérieure implicite de l'étendue des obligations de la société ABL relatives aux preuves de services. Elle déplore un renversement de la charge de la preuve opéré par les sociétés Alstom, l'obligeant à rapporter la preuve d'un fait négatif (lié à l'absence de corruption). Elle rappelle que les relations contractuelles entre les parties remontent au début des années 2000 et se sont fondées sur des liens de confiance, Mme Guo QI ayant travaillé pendant cinq ans en tant que cadre supérieur au sein du groupe Alstom ce qui a favorisé les échanges d'informations par oral, pratique commerciale courante en Chine. Elle ajoute que les sociétés Alstom ont procédé au paiement en 2005 et 2008 des premières échéances des contrats n°1 et 2, sans jamais élever de protestations ni demander des informations complémentaires.
S'agissant du contrat n°1, la société ABL considère avoir rempli sa mission d'assistance et de soutien en intervenant auprès des autorités chinoises et de la société Datong Locomotives pour la convaincre de coopérer avec la société Alstom Transport afin de bénéficier d'un transfert de technologies, et en négociant avec ces-derniers dans l'intérêt des sociétés Alstom. Elle ajoute avoir rempli une mission d'information en transmettant aux sociétés Alstom différents documents, après les avoir préalablement traduits, obtenus auprès du MCCF et de la société Datong et qu'elle tenait régulièrement informée la société Alstom Transport des avancées. Elle ajoute avoir attiré l'attention de cette dernière sur certains points importants du projet et lui a fourni des conseils techniques démontrant son implication dans la mise en place du projet et ses recommandations pour en faciliter la continuité et l'exécution.
Elle insiste sur le fait que les sociétés Alstom, qui ont remporté le marché, ont procédé à un premier virement le 10 février 2006 de 30% du montant global du contrat et à un second virement de 25% le 17 novembre 2018, ce qui démontre qu'elles considéraient que la société ABL avait rempli ses obligations.
S'agissant du contrat n°2, la société ABL explique qu'alors que le MCCF avait l'habitude de travailler avec la société Siemens, Mme Guo QI a pris contact avec M. ShuGuang Zhang, vice-directeur du Bureau des Transports et chef du projet EMU, afin d'organiser une réunion stratégique entre le MCCF et les sociétés Alstom pour que celles-ci puissent soumettre une proposition pour le projet, et a rencontré ce dernier à plusieurs reprises au cours de l'année 2004. Selon elle, contrairement à ce que prétendent les appelantes, le fait que les notes personnelles de Mme Guo QI aient été prises à la main lors de réunions constitue un gage d'authenticité de ces documents.
Elle ajoute qu'après la soumission de l'offre, d'importantes discussions ont eu lieu pour trouver un accord sur les missions et la rémunération de chaque partie dans le projet auxquelles la société ABL a activement participé.
Elle précise en outre avoir fourni des conseils techniques aux sociétés Alstom, notamment dans ses négociations avec M. ShuGuang Zhang, chef du projet.
Elle soutient également avoir représenté les intérêts des sociétés Alstom auprès des autorités chinoises, en particulier du MCCF et du bureau conjoint de l'EMU.
Enfin, selon elle, la transmission et la traduction des documents du CITC et de la CRC démontrent également une activité d'assistance réalisée dans le cadre de l'exécution du projet.
Elle soutient que les appelantes font preuve de mauvaise foi lorsqu'elles énoncent que les preuves de services n'étaient pas suffisantes alors même qu'un premier versement de 30% du montant global du contrat a été effectué le 10 février 2006, puis un second versement de 50% le 17 novembre 2008, démontrant ainsi qu'à l'époque les sociétés ALSTOM étaient satisfaites des preuves de services fournies par ABL.
S'agissant du contrat n°3, la société ABL fait valoir que la sentence arbitrale n'a pas fait droit à ses demandes, de sorte que ce contrat n'a pas à être évoqué dans le cadre de cette procédure.
Répondant aux sociétés Alstom qui soupçonnent la fabrication de documents, elle explique qu'il n'est pas anormal dans des relations commerciales de reprendre dans des emails le contenu de différentes notes, de réunions (surtout à un jour d'intervalle) et ce pour de multiples raisons, tels que par exemple faire une synthèse de la situation, ou s’assurer que le destinataire a bien pris connaissance de tous les éléments.
Elle ajoute que les sociétés Alstom opèrent une confusion entre les preuves de services fournies au moment de la facturation et les preuves de service fournies pour les besoins de l'arbitrage, arguant que les documents versés dans le cadre de l'arbitrage ne représentaient pas l'exhaustivité des preuves de service transmises lors de la facturation.
Elle déduit de l'ensemble de ces éléments que les preuves de services qu'elle a fournies étaient suffisantes et qu'au cours de la période d'exécution des contrats, la société Alstom a commencé à opérer des versements pour les deux premiers contrats, versements qui n'ont été suspendus qu'en raison de l'enquête du SFO et non pour des raisons d'indices de corruption existant avec ABL, lesquels n'ont été évoqué qu'à partir de la procédure d'arbitrage.
Appréciation de la cour
La société Alexander Brothers appartient depuis 2002 à trois actionnaires : Mme Guo Qi (également directrice de la société) à hauteur de 33.34%, sa soeur Mme Guo Yi, à hauteur de 19%, et l'époux de cette dernière, M. Dong Hai (également managing director de la société), à hauteur de 47.66% (pièce 28 Alstom).
Mme Guo Qi a été salariée de la société Alstom entre 1996 et 2001.
Il n'est pas contesté que la nomination de la société Alexander Brothers comme consultant et intermédiaire des sociétés Alstom dans le cadre de ces appels d'offres est lié à la proximité de Mme Guo Qi avec les responsables décisionnaires du projet et sa connaissance du processus de prise de décisions au sein du ministère chinois des chemins de fer (MCCF) (p.8 des conclusions Alstom, p.6 des conclusions ABL).
Les trois contrats de consultant ont prévu dans leur article 4.1 d) la fourniture de preuves de services, l'article 4.1 d) du contrat n°3 étant plus strict que dans les deux contrats précédents (pièces 2, 3, 4 Alstom et pièce 8 ABL).
Il résulte des auditions de Mme Guo Qi devant le tribunal arbitral que ces preuves de services n'ont pas été conservées de manière ordonnée dans les trois contrats, et spécialement pour le premier, et qu'elles ont parfois consisté en des notes manuscrites (pièce 24.1 Alstom : transcription des audiences d'arbitrage p.89 à 92).
Par ailleurs, conformément à ce qu'avance l'intimée, il ressort des auditions de Mme Guo Qi devant le tribunal arbitral qu'avant la procédure d'arbitrage, les sociétés Alstom ne lui ont jamais reprochée une insuffisance de preuves de services : " avant cet arbitrage, Alstom ne m'a jamais reproché de n'avoir pas fourni de preuves de services " (pièce 24.1 Alstom p.93).
Il ressort en outre du compte rendu de réunion entre Mme Guo Qi et M. Franck Michaud (country compliance officer des sociétés Alstom) le 30 mai 2012 que des documents supplémentaires ont été demandés à la société ABL non pas dans le cadre de soupçons de corruption comme le prétend les appelantes, mais dans le cadre des audits diligentés suite à une enquête du SFO qui, à l'époque de l'audit, ne concernait pas les activités des sociétés Alstom en République populaire de Chine (pièce 48 Alstom).
Il apparaît par ailleurs lors d'un échange de courriels en septembre 2012 avec M. Michaud, que la société ABL a coopéré à cet audit en transmettant des factures (pièce 55 ABL), et qu'elle a par la suite continué à coopérer avec M. Agulla (compliance officer de la société Alstom Transport) fin 2012 (échanges de courriels de décembre 2012 : pièces 16 et 94 ABL).
Il est donc établi que les sociétés Alstom n'ont pas remis en cause les preuves de services fournies par la société ABL tout au long de la période d'exécution des contrats (de 2004 à la fin du mois de septembre 2012) et n'ont commencé à prétendre qu'elles étaient insuffisantes qu'au moment de l'introduction de la procédure d'arbitrage en décembre 2013.
< Preuves de services dans le cadre du contrat n°1
Le contrat de consultant n°1 a été signé le 26 août 2004 et a donné lieu au versement des deux premières tranches de la rémunération sur quatre (soit 55% du prix total du contrat) le 10 février 2006 et le 17 novembre 2008.
Parallèlement, la société Alstom Transport a signé le marché des locomotives avec le ministère chinois des chemins de fer (MCCF) le 25 février 2005.
L'article 3 du contrat de consultant mettait à la charge de la société ABL les missions suivantes (le " Consultant " étant la société ABL et la " Société " étant les sociétés Alstom) :
" Les services que le CONSULTANT doit fournir dans le cadre du présent Accord comprennent, sans s'y limiter, les éléments suivants :
(a) fournir des conseils de nature générale ou particulière concernant le développement et la mise en oeuvre du Projet ;
(b) obtenir et traiter toutes les informations relatives au Projet qui peuvent avoir un intérêt pour la SOCIETE ;
(c) fournir des études de marché et un soutien administratif ;
(d) aider la SOCIETE à préparer les études de faisabilité et les études environnementales qu'elle pourrait entreprendre ;
(e) fournir des conseils sur les questions financières telles que les moyens de financer le projet ;
(f) établir des contacts, organiser des rendez-vous et coordonner des visites de clients au nom de la SOCIETE et établir des contacts à tous les niveaux nécessaires ;
(g) fournir des conseils par rapport à toute relation avec les autorités du pays du Projet, y compris fournir à la SOCIETE les lois et documents gouvernementaux appropriés, diriger, canaliser et recevoir les informations, et mettre à disposition son personnel et ses installations de bureau dans le pays du Projet, y compris une secrétaire bilingue, pour assister la SOCIETE sur demande et, si la SOCIETE le requiert, participer aux réunions avec les autorités.
(h) fournir tous les services de traduction, de visa et d'organisation de voyages jugés nécessaires par la SOCIETE.
(i) aider à obtenir tous les accords, autorisations ou approbations dans le pays du Projet ;
(j) fournir des conseils relatifs à l'évaluation des sous-traitants et fournisseurs potentiels dans le pays du Projet ou ailleurs ; si cela est demandé, aider la SOCIETE à obtenir des devis locaux pour du matériel ou de l'équipement et optimiser l'achat de tels matériels ou équipements par le biais du troc ou autrement ;
(k) accompagner la SOCIETE dans la préparation de l'offre et de la correspondance et de la documentation connexes nécessaires ou utiles à la promotion adéquate des intérêts de la SOCIETE pour le Projet, en particulier dans les domaines financier, commercial et juridique, y compris le développement d'une stratégie destinée à maximiser les chances de l'Unité de se voir attribuer le Contrat (réf. Article 4) ;
(l) assister la SOCIETE dans la négociation du Contrat et des contrats à conclure avec les sous-traitants de la SOCIETE ;
(m) assister la SOCIETE dans l'obtention des permis d'importation, des exemptions douanières et des permis de travail, le cas échéant ;
(n) assister la SOCIETE pendant la mise en oeuvre du Projet, en particulier pour les questions financières, commerciales et juridiques ;
(o) fournir toute autre assistance dans son domaine d'expertise que la SOCIETE pourrait raisonnablement exiger et qui serait nécessaire ou souhaitable en vue de la mise en oeuvre rapide du Projet ;
(p) à la demande de la SOCIETE, aider la SOCIETE à recouvrer les paiements dus par le Client ;
(q) à la demande de la SOCIETE, fournir une assistance à la SOCIETE dans le cadre de toute réclamation, litige ou autre procédure découlant de ou résultant de toute proposition, offre, contrat ou commande faisant l'objet de cet Accord. " (pièce 2 Alstom traduction libre).
La fourniture de preuves de services était prévue à l'article 4.1 d) en ces termes :
" Le CONSULTANT s'engage à fournir à la SOCIETE de manière régulière et par écrit des rapports détaillés de son activité s'agissant des services et de l'assistance fournis conformément à l'article 3 de cet Accord. Des traces de ces activités doivent être conservées par le Consultant, et sur demande de la SOCIETE, présentées comme des preuves matérielles de l'intervention et des services du CONSULTANT pour la SOCIETE concernant le Projet. Le respect par le CONSULTANT de cette obligation est essentiel pour que la SOCIETE puisse effectuer les paiements de la rémunération du CONSULTANT mentionnée à l'article 6 ci-dessous, lorsque celle-ci est effectivement due. " (pièce 2 Alstom traduction libre).
L'article 4.1.d) du contrat n°1 précisait la nature des documents pouvant être fournis comme preuves de services par le consultant :
" Ces preuves de l'activité du Consultant peuvent être (liste non-exhaustive…) :
- tous documents (lettres, e-mails, télécopies, etc.) du Consultant à la Société expliquant le travail effectué. En cas de référence à des réunions, le nom et la fonction des participants doivent être mentionnées ;
- des rapports, analyses, consultations sur des sujets spécifiques concernant le projet avec les courriers d'accompagnements correspondants ;
- une référence à l'intervention du Consultant pour la rédaction de documents spécifiques (réclamations, négociations, traductions, etc.) ;
- tout document justifiant des activités liées à la fourniture à la Société des services listés ci-dessus par le Consultant ".
En application de l'article 4.1 d) du contrat, la société ABL a remis deux dossiers de documents à titre de preuves de services qui sont versés aux débats.
En premier lieu, les preuves de services sont constituées d'échanges entre Mme Guo Qi et les sociétés Alstom auxquels sont joints divers documents. Plus précisément, les échanges entre la société ABL et les sociétés Alstom consistent en des courriers à en-tête de la société ABL signés par Mme Guo Qi et adressés, entre le 5 novembre 2003 et le 24 mai 2005 (pièce 25 Alstom : 1 dossier) et entre le 8 janvier 2006 et le 9 septembre er 2009 (pièce 26 Alstom : 2 dossiers), à M. Loïc Mahé, vice-président d'Alstom ème Transport en Chine du 1 mai 2003 au 30 septembre 2005, ou à une personne er indéterminée (" Dear Sir " sans plus de précision). Il ne s'agit pas de courriels et aucune trace d'envoi postal ou par télécopie n'est annexée à ces correspondances.
M. Mahé ne s'est pas présenté devant le tribunal arbitral pour témoigner et les sociétés Alstom se sont opposés à son interrogatoire par téléphone ou visio-conférence (pièce 24.1 p.14). Il a cependant fourni un témoignage écrit à destination du tribunal arbitral le 14 décembre 2014 (pièce 5 ABL). Les sociétés Alstom ne contestent à aucun moment que M. Mahé a été destinataire de ces lettres mais déplorent que l'interlocuteur désigné par le mot " Sir " ne soit pas identifié.
Il s'ensuit que ces lettres doivent être présumées comme ayant été transmises aux sociétés Alstom.
En second lieu, la cour ne note qu’aucun des documents joints à ces correspondances ne proviennent de la société ABL mais proviennent d'autres parties à l'appel d'offre.
Les documents joints aux échanges correspondent notamment à un protocole d'accord entre la société Alstom Transport et la société Datong Locomotives (partenaire chinois de la société Alstom Transport en Chine et sa co-entreprise dans le cadre de l'appel d'offre) (pièce 25 Alstom p.3 à 6), des documents en chinois de la Railway Locomotive Joint Office (composé par des fonctionnaires du MCCF et des représentants de CNTIC) traduits en anglais (pièce 25 p.18 à 22) et (pièce 26 p.11) et des comptes-rendus de réunions entre la société Alstom Transport et la société Datong, ou entre le MCCF et la société Datong.
Aucun de ces documents joints n'est une production de la société ABL ni ne mentionne la société ABL.
Cela ne signifie pas pour autant que la société ABL n'a pas fourni un service. En effet, la teneur des lettres de Mme Guo Qi démontre qu'alors que le marché n'a pas encore été attribué, elle informe M. Mahé de la progression et des faiblesses des propositions de la société Alstom Transport dans l'esprit de la partie chinoise (le MCCF, qui est le donneur d'ordre, et la société Datong, qui est sa co-entreprise qui souhaite bénéficier d'un transfert de technologie le plus important possible). Elle permet ainsi à la société Alstom
Transport d'adapter son offre au fil de ses négociations avec la partie chinoise.
Par ailleurs, Mme Guo Qi formule des propositions pour que la société Alstom Transport adapte son offre et admette des concessions sur tel ou tel point.
Ainsi, par exemple, le 29 novembre 2004, Mme Guo Qi suggère à M. Mahé que les sociétés Alstom fournissent une liste complète et confirmée des composants des locomotives avec une liste ventilée des prix, et présente ces informations comme une condition préalable posée par la société Datong pour leur coopération industrielle (pièce 25 traduction libre Alstom p.22).
Autre exemple, le 9 janvier 2005, Mme Guo Qi a alerté M. Mahé sur la nécessité de trouver un accord avec la société Datong sur les prix, au risque d'entraîner des conséquences négatives sur l'exécution du contrat EMU (objet du contrat n°2) signé le 9 octobre 2004 entre le MCCF et la société Alstom Transport, et a proposé de faire superviser le travail par une équipe technique (pièce 25 traduction libre Alstom : p.25).
Le 5 décembre 2004, Mme Guo Qi explique être intervenue pour expliquer la position d'Alstom au MCCF (pièce 25 traduction libre Alstom p.23).
En troisième lieu, la société ABL produit aux débats des notes manuscrites datées de 2004 qui justifieraient, selon elle, plusieurs rencontres avec M. ShuGuang Zhang du 31 mars 2004, du 1er avril 2004 et du 31 mai 2004 (pièce 46 ABL). Force est de constater que ces notes, rédigées en chinois, avec des traductions libres en français ou en anglais sous forme de prise de notes, sont peu lisibles et inexploitables de sorte que la cour ne peut en tirer aucune conséquence.
Il s'ensuit que la société ABL justifie, par les preuves de services produites, avoir rempli une mission d'information (b), de traduction (h) de la fourniture de conseils (a, g, j) et l'établissement de contacts (f).
< Preuves de services dans le cadre du contrat n°2
Le contrat de consultant n°2 a été signé le 22 décembre 2004.
L'article 3 et l'article 4.1 d) du contrat relatif aux services que doit rendre le consultant et aux preuves de services sont identiques au contrat n°1 (pièce 3 Alstom traduction libre).
Le marché dit " EMU " a été signé entre le MCCF et la société Alstom Transport précédemment, le 9 octobre 2004. Un premier versement de 30% du montant global du contrat a été effectué par les sociétés Alstom le 10 février 2006, puis un second versement de 50% le 17 novembre 2008.
En application de l'article 4.1 d) du contrat, la société ABL a remis deux dossiers de documents à titre de preuves de services qui sont versés aux débats (pièces 31 et 32 Alstom).
A l'instar du contrat n°1, les preuves de services sont constitués d'échanges entre Mme Guo Qi et les sociétés Alstom auxquels sont joints divers documents.
Plus précisément, les échanges entre la société ABL et les sociétés Alstom consistent en des courriers à en-tête ABL signés par Mme Guo Qi et adressés, entre le 5 septembre 2003 et le 8 août 2011 à M. Loïc Mahé, vice-président d'Alstom Transport en Chine, ou à une personne indéterminée (" Dear Sir " sans plus de précision).
Il ne s'agit pas de courriels et aucune trace d'envoi postal ou par télécopie n'est annexée à ces correspondances.
M. Mahé ne s'est pas présenté devant le tribunal arbitral pour témoigner et les sociétés
Alstom se sont opposés à son interrogatoire par téléphone ou visio-conférence (pièce 24.1 p.14). Il a cependant fourni un témoignage écrit à destination du tribunal arbitral le 14 décembre 2014 (pièce 5 ABL). Les sociétés Alstom ne contestent à aucun moment que M. Mahé a été destinataire de ces lettres mais déplorent que l'interlocuteur désigné par le mot " Sir " ne soit pas identifié.
Il s'ensuit que, comme pour le contrat n°1, ces lettres doivent être présumées comme ayant été transmises aux sociétés Alstom.
Par ailleurs, il résulte des productions qu'aucun des documents transmis par la société ABL n'est une production de la société ABL elle-même mais consiste en des documents, en chinois ou partiellement traduit en anglais, provenant de la société Siemens (pièce 31 p.4 à 43), ou signés entre la société Alstom Transport et un autre interlocuteur (la société Sifang, co-entreprise de la société Alstom sur place), des documents de la Railway Locomotive Joint Office (composé par des fonctionnaires du MCCF et des représentants de CNTIC (China National Technical Import and Export Corporation)) (pièce 31 p.122 à 124), de la CNTIC (pièce 31 p.151 à 153), ou des documents internes à la société Alstom elle-même.
Il n'est pas contesté qu'un échange du 9 janvier 2005 avec M. Mahé, déjà fourni à titre de preuve de service dans le contrat n°1. Toutefois, cet échange concerne les négociations en cours du marché des locomotives et leurs conséquences sur le marché EMU, et concernent de ce fait les deux contrats de consultant (pièce 31 p.150).
Plus généralement, il résulte des échanges que Mme Guo Qi informe ses interlocuteurs des difficultés ou mécontentements chinois et indique poursuivre ses négociations pour faire avancer le projet Alstom.
Ainsi, dans une lettre du 20 août 2004, elle indique avoir exposé les propositions des sociétés Alstom en matière de prix et de transfert de technologie Aucun compte rendu de réunion n'est annexé (pièce 31 p.108).
Par lettre du 21 août 2004, elle rend compte d'une réunion avec le MCCF et le CNTIC et produit un projet d'accord sur le transfert de technologie (pièce 31 p.109 à 115). Sa lettre évoque divers points juridiques et techniques pour lesquels elle a besoin de clarifications afin d'exposer de façon précise les propositions d'Alstom au donneur d'ordre. Dans un second échange du 8 septembre 2004, elle expose à nouveau les points qui demeurent litigieux et précise " je ferai de mon mieux pour négocier avec les clients (...) j'ai besoin de plus de temps pour y travailler " (pièce 31 p.126).
Il se déduit de la technicité des points évoqués que la participation de Mme Guo Qi aux échanges n'est pas seulement un travail de communication, mais aussi un travail de recueil de renseignements et de négociation.
Par lettre du 29 août 2004, elle indique avoir sollicité la position de M. Zhang Shuguang sur le " MOU " (memorandum of understanding, protocole d'accord) en cours de discussion (pièce 31 p.125).
Par lettre du 8 septembre 2004, elle informe M. Mahé de l'avancée des négociations sur le prix et les désaccords avec les autorités chinoises (pièce 31 p.128).
Dans certaines lettres (dont le destinataire n'est cependant pas identifié " Dear Sir "), Mme Guo Qi formule des recommandations et des indications de délais pour convaincre les autorités chinoises (par exemple, pièce 32 p.34)
La société ABL verse également une note manuscrite en chinois qui serait le compte rendu d'une réunion qui se serait tenue entre le ministère et la société Alstom Transport le 9 août 2004, avec sa traduction libre en français. Il ne ressort pas de ce document une participation active de la part de Mme Guo Qi dans la discussion, mais seulement une prise de notes pour suivre les négociations (pièce 47 ABL).
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société ABL justifie, par les preuves de services produites, avoir rempli une mission d'information (b), de traduction (h) de la fourniture de conseils (a, g, j) et l'établissement de contacts (f).
< Preuves de services dans le cadre du contrat n°3
Le contrat de consultant n°3 a été conclu le 2 décembre 2009.
L'article 3 du contrat met à la charge de la société ABL les missions suivantes (" l'unité
" étant la société Alstom transport) :
" Les services comprennent, sans s'y limiter, la mise en oeuvre de tous les efforts possibles pour atteindre l'objectif du présent Accord, y compris le fait d'agir de bonne foi et de se conformer à toutes les instructions raisonnables de l'UNITÉ, et d'accomplir les tâches suivantes
a) fournir des conseils de nature générale ou particulière concernant le développement et la mise en oeuvre du Projet ;
(b) obtenir et traiter toutes les informations relatives au Projet qui peuvent avoir un intérêt pour la société ;
(c) établir des contacts, fixer des rendez-vous et coordonner les visites des clients pour le compte de l'UNITÉ et établir des contacts à tous les niveaux nécessaires
(d) fournir des conseils dans le cadre des relations avec les autorités du pays du projet, notamment en fournissant à l'UNITÉ les lois et documents gouvernementaux appropriés, en dirigeant, canalisant et accélérant les communications, en assistant l'UNITÉ sur demande et, si l'UNITÉ le demande, en participant à des réunions avec les autorités
(e) assister l'UNITÉ dans la préparation de l'offre et de la correspondance connexe, ainsi que de la documentation nécessaire ou souhaitable pour la bonne promotion des intérêts de l'UNITÉ en rapport avec le projet, et en particulier en ce qui concerne les questions financières, commerciales et juridiques, y compris l'élaboration d'une stratégie visant à maximiser les chances de l'UNITÉ de se voir attribuer le Contrat.
(f) assister l'UNITÉ dans la négociation du Contrat et des contrats à conclure avec les sous-traitants de l'UNITÉ
(g) assister l'UNITÉ pendant l'exécution du Contrat et en particulier dans les domaines financiers, commercial et juridique
(h) fournir toute autre assistance dans son domaine d'expertise que l'UNITÉ pourrait raisonnablement exiger et qui est nécessaire ou souhaitable en vue d'une exécution rapide du Contrat
(i)à la demande de l'UNITÉ, aider l'UNITÉ à recouvrer les paiements dus par le client
(j) à la demande de I'UNITÉ, fournir une assistance à I'UNITÉ dans le cadre de toute plainte, litige ou autre procédure découlant ou résultant de toute proposition, offre, contrat ou commande faisant I' objet du contrat ou du présent Accord ".
La fourniture de preuves de services, prévue à l'article 4.1 d), est plus précise et exigeante que dans les deux premiers contrats de consultant :
" Chaque facture du Consultant au titre des Services devra être accompagnée de preuves écrites de ces services pour la période correspondante ou, en cas de paiement différé, devra faire référence aux preuves écrites des Services soumises antérieurement.
Le Consultant devra conserver des documents justificatifs complets de ses activités, qu'il devra à tout le moins présenter avec ses factures à titre de preuve matérielle de son intervention et de la fourniture de ses Services pour la Société dans le cadre du Projet. Les justificatifs écrits des Services devront prouver la fourniture des Services ainsi que la valeur ajoutée du Consultant ; ils prendront la forme de rapports, comptes-rendus de réunions, correspondances, télécopies, ou e-mails clairs et lisibles ou toute autre forme écrite appropriée et, dans chaque cas, la source de la preuve écrite du Service devra être clairement identifiable grâce au papier en-tête, au cachet d'une société, à une signature ou de toute autre manière. Le respect par le Consultant des exigences ci-dessus constitue une condition suspensive du paiement par la Société à leur échéance de tous montants dus au Consultant au titre de sa rémunération visée à l'article 6 ci-dessus. Le Consultant s'engage à remettre à la Société à tout autre moment, si celle-ci lui en fait la demande par écrit, des rapports détaillés et exacts de ses activités dans le cadre de la fourniture des Services " (pièce 4 Alstom traduction libre).
Ce contrat n'a donné lieu à aucun versement de la part des sociétés Alstom.
Il est surprenant de noter que le marché concernant la fourniture de matériel pour l'extension de ligne 2 du métro de Shanghai a été conclu entre la société Alstom Transport et la Shanghai Shengton Holding Group antérieurement au contrat de consultant n°3, le 10 mars 2008.
Le contrat de consultant n°3 apparaît dès lors comme la " régularisation " d'un travail déjà effectué.
Contrairement aux autres contrats de consultant, il ressort des preuves de services du contrat n°3 que des échanges ont eu lieu par courriels entre Mme Guo Qi et M. Sellier (sur sa boîte mail personnelle yahoo.fr) entre le 20 janvier 2008 et le 19 février 2009 (soit antérieurement à la signature du contrat de consultant).
Des échanges ont également eu lieu entre la société ABL et les sociétés Alstom via des courriers à en-tête de la société ABL signés par Mme Guo Qi et adressés, entre le 10 janvier 2008 et le 24 janvier 2008, à une personne indéterminée (" Dear Sir " sans plus de précision) (pièce 33 Alstom).
Il ressort de ces courriels et lettres, au demeurant très courts et antérieurs à la signature du contrat de consultant, que Mme Guo Qi informe M. Sellier puis son autre(s) interlocuteur(s), des renseignements obtenus sur le projet d'appel d'offre du ministère des transports chinois, de la teneur des négociations avec les sociétés concurrentes mais également de l'identité des interlocuteurs idoines au sein de la municipalité de Shanghai.
Dès lors, il résulte des preuves de services fournies pour le contrat n°3 qu'elles ont consisté principalement en une transmission de renseignements et d'informations, et non en l'établissement de contacts, ni en la fourniture de conseils techniques ou de recommandations.
Elles apparaissent dès lors largement insuffisantes à justifier la bonne exécution du contrat, d'autant que ce dernier, rédigé postérieurement, semble avoir eu pour vocation de régulariser une situation préexistante (situation liée aux relations entretenues avec la société Alstom Transport par Mme Guo Qi depuis 2003).
S'agissant de la pièce 89 de la société ABL, contestée par les société Alstom, la courobserve qu'elle est présente au bordereau des pièces de l'intimée et qu'elle a dûment été communiquée dans le cadre de la présente instance. Par conséquent, la cour en tiendra compte.
Cette pièce est constituée de lettres signées par Mme Guo Qi et adressées à un interlocuteur non identifié, entre le 10 janvier 2008 et le 2 septembre 2011, traduites en français, dont certaines ont déjà été versées dans le cadre des preuves de services du contrat n°3 (pièce 33 Alstom). Dans ces lettres, Mme Guo Qi informe son interlocuteur des difficultés d'exécution du marché (problèmes de livraisons de matériel, difficultés rencontrées sur les lignes de métro …). Ces échanges très courts ne consistent qu'en de brefs échanges d'informations et ne sont pas suffisants à démontrer une réelle mission d'information, d'assistance et de soutien par la société ABL.
Par conséquent, il résulte de l'ensemble de ces éléments que les preuves de services fournies dans le cadre des contrats de consultant n°1 et 2 sont suffisantes à démontrer les prestations de services de la société ABL au profit des sociétés Alstom. Au demeurant, jusqu'à la procédure d'arbitrage, les sociétés Alstom n'y a trouvé rien à redire et ont procédé aux premiers versements de la rémunération de son consultant.
En revanche, les preuves de services fournies dans le cadre du contrat n°3, antérieur à ce dernier, sont largement insuffisantes à démontrer la teneur exacte des services rendus et à justifier de sa rémunération. L'action de la société ABL pour favoriser l'obtention par les sociétés Alstom du marché de la fourniture de matériel pour l'extension de ligne 2 du métro de Shanghai ne correspond pas aux dispositions contractuelles, postérieures, et demeure floue. Toutefois, ces éléments qui caractérisent une inexécution des dispositions contractuelles, ne suffisent pas à démontrer un indice de corruption.
B. Sur la transmission de documents et informations confidentielles
Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation de l'ordonnance du 30 mars 2016 en ce qu'elle a conféré l'exequatur à la sentence arbitrale du 29 janvier 2016, les sociétés Alstom font valoir que constitue un indice de corruption le fait que la société Alexander Brothers a pu se procurer des documents et informations sensibles ou confidentiels sur les appels d'offres, mais a refusé ou s'est avéré incapable d'expliquer précisément et de justifier comment elle les avait obtenus, tant lors des audits que lors de la procédure d'arbitrage ou devant la cour d'appel de Paris.
Selon elles, ces documents et informations sensibles sont :
- pour le contrat n°1 :
- un compte-rendu de réunion entre le ministère des chemins de fer et la société Datong, partenaire local d'Alstom Transport,
- un rapport de la société Datong concernant la négociation avec Alstom Transport pour la mise en place de leur coopération,
- un rapport d'évaluation par le ministère des chemins de fer des offres techniques soumises par Alstom Transport et ses concurrents,
- pour le contrat n°2 :
- une présentation powerpoint de la société Siemens, concurrente de la société
Alstom Transport, contenant des informations commerciales, stratégiques et techniques,
- pour le contrat n°3 :
- des informations sur le résultat de l'évaluation des offres de la société Alstom Transport et de ses concurrents avant son annonce officielle.
Les sociétés Alstom soutiennent que Mme Guo Qi a refusé de répondre, dans le cadre des audits de conformité, aux conseils de la société Alstom, le cabinet Fulcrum Chambers, portant sur l'origine et la façon dont elle s'était procurée ces documents. Elles ajoutent que les réponses de cette dernière devant les arbitres sur ce point sont lacunaires et non crédibles.
S'agissant du compte-rendu de réunion entre le ministère des chemins de fer et la société Datong du 9 avril 2004, les sociétés Alstom expliquent que ce document contient des informations sensibles, notamment sur l'opinion du ministère concernant la coopération entre Alstom Transport et Datong et l'insistance du ministère sur l'importance du transfert de technologie et le type de technologie attendu. D'après la lettre d'accompagnement de Mme Guo Qi du 10 avril 2004, ce document proviendrait du bureau de Liu Zhijun, le ministre des chemins de fer. Les sociétés Alstom considèrent que Mme Guo Qi n'a donné aucune information précise sur les circonstances et les raisons pour lesquelles un ministre aurait remis ce document très sensible.
S'agissant du rapport du 15 avril 2004 de la société Datong au CNR (entreprise publique chinoise de fabrication de trains et de matériel ferroviaire et également société-mère de Datong) concernant la négociation avec Alstom Transport, les sociétés Alstom expliquent la sensibilité de ce document en ce qu'il souligne certains des objectifs que la société Datong espérait atteindre dans le cadre des négociations avec Alstom Transport sur leur coopération, comme le calendrier de livraison et le contenu du transfert de technologie, ce qui exclut qu'il était destiné à être porté à la connaissance de la société Alstom Transport. Elles précisent que d'après la note jointe de Mme Guo Qi, ce document proviendrait " du bureau du CNR " et que, devant la cour, la société Alexander Brothers n'apporte pas d'explication sur l'obtention de ce document.
S'agissant du rapport du ministère des chemins de fer daté du 9 mai 2004 analysant et comparant les propositions techniques soumises par la société Alstom Transport et ses concurrents, les sociétés Alstom font valoir que ce document a été établi avant le dépôt des offres par les soumissionnaires mais qu'il n'est pas démontré qu'il aurait été communiqué avant l'appel d'offres ; que, contrairement à ce qu'avance l'intimée, sa transmission à un soumissionnaire est contraire au principe de confidentialité posé par la loi chinoise sur les appels d'offre du 30 août 1999 ; qu'il n'est pas établi que ce rapport a été transmis par le ministère et qu'il n'a été produit aucune trace d'une transmission similaire aux autres soumissionnaires. Elles insistent sur le fait que les explications de la société Alexander Brothers sur ce point sont arrivées très tardivement (conclusions n°3 devant la cour d'appel de Paris après réouverture des débats).
S'agissant de la présentation powerpoint de la société Siemens contenant des informations sur sa stratégie commerciale sur le marché chinois, les sociétés Alstom considèrent qu'il n'est pas démontré que ce document a été présenté lors d'un forum organisé par ce concurrent en 2003 auquel auraient assisté des responsables du ministère des chemins de fer. Elles estiment en outre que, bien que Mme Guo Qi a indiqué lors de l'audience d'arbitrage qu'il lui avait été remis par Liu Gang, responsable des matériels roulants au sein du ministère des chemins de fer, les raisons de cette transmission, contraire à la loi chinoise en matière d'appel d'offres, d'un document établi avant le début de la procédure d'appel d'offres, demeurent inconnues.
Enfin, les sociétés Alstom font valoir que Mme Guo Qi n'a pas expliqué de façon claire et convaincante comment elle était parvenue à obtenir l'octroi du marché de la ligne 2 du métro de Shanghaï à la société Alstom Transport, dont l'offre technique était pourtant moins bien notée, et comment elle avait obtenu, avant l'annonce officielle, des informations sur le résultat de l'évaluation des offres techniques présentées par les différents soumissionnaires.
Poursuivant la confirmation de l'ordonnance du 30 mars 2016 en ce qu'elle a conféré l'exequatur à la sentence arbitrale du 29 janvier 2016, la société ABL fait valoir qu'elle n'a jamais refusé de répondre sur la façon dont elle avait obtenu ces documents et informations, mais soutient que la question ne lui a jamais été posée avant la procédure arbitrale. S'appuyant sur le plan de discussion établi avec le cabinet Fulcrum Chambers, elle conteste que ce dernier l'ai interrogée sur ce point. Elle conteste également avoir refusé de répondre à compter de 2014, expliquant que son refus n'était motivé que parce que la procédure d'arbitrage avait été initiée.
Rappelant que l'arrêt de la cour d'appel de Paris a été cassé en raison de la dénaturation des réponses de Mme Guo Qi au cours de l'audience d'arbitrage sur l'origine des documents confidentiels transmis, elle soutient avoir expliqué la façon dont ces documents ont été obtenus et insiste sur le fait que les sociétés Alstom n'ont jamais demandé à ce que ces pièces soient écartés des débats lors de l'arbitrage.
Elle fait valoir les éléments suivants :
- le compte rendu de réunion du 9 avril 2004 lui a été fourni par le Ministre des chemins de fer, M. Liu Zhijun, afin qu'Alstom puisse poursuivre le projet ;
- S'agissant du rapport de Datong concernant la négociation avec Alstom Transport pour la mise en place de leur coopération, la société ABL soutient que la question de l'origine de ce document ne lui a jamais été posée par le cabinet Fulcrum Chambers et que Mme Guo Qi a indiqué que ce document provenait du bureau du CNR ;
- S'agissant du rapport d'évaluation par le MCCF des offres techniques soumises par Alstom Transport et ses concurrents, la société ABL soutient que la question de l'origine de ce document ne lui a jamais été posée ni pendant les audits, ni a posteriori par le cabinet Fulcrum Chambers. Elle explique que ce document lui a été transmis, conformément à la loi chinoise, avant la " bid invitation " c'est-à-dire avant le lancement officiel de l'appel d'offres, au cours d'une période où le gouvernement dialogue avec les différents soumissionnaires, et ce afin de faire jouer la concurrence et obtenir la meilleure offre. De plus, la société ABL considère que les informations contenues dans ce rapport d'évaluation ne sont que des informations techniques générales, qui ne sont nullement confidentielles ;
- S'agissant de la présentation power point de la société Siemens, elle fait valoir que la question de son origine ne lui a jamais été posée avant l'arbitrage et que ce document, nullement confidentiel, a été divulgué par la société Siemens lors d'une conférence ouverte au public en septembre 2003, avant que l'appel d'offres EMU ne soit mis en place, et a ensuite été communiqué à la société ABL par M. Liu Gang (MCCF) dans le contexte du processus itératif en amont de l'appel d'offres ;
- Les informations sur le résultat de l'évaluation des offres d'Alstom Transport et de ses concurrents avant l'annonce officielle ont été communiquées à Mme Guo Qi par Mme Muriel Lo, manager d'Alstom Transport Chine, comme en a témoigné Mme Guo Qi lors de l'audience devant le tribunal arbitral.
Appréciation de la cour
Pour répondre au moyen soulevé par les sociétés Alstom, il appartient à la cour de vérifier si Mme Guo Qi ou la société ABL ont justifié de l'origine des documents transmis qui présentent tous, à des degrés divers, un caractère sensible et/ou stratégique.
- En premier lieu, le compte rendu de réunion du 9 avril 2004 entre le ministère des chemins de fer et la société Datong, partenaire local d'Alstom Transport, revêt un caractère stratégique pour les autorités chinoises et n'était pas destiné a priori à être transmis aux sociétés Alstom en ce qu'il évoque le transfert de technologie dont bénéficierait la société Datong dans le cadre de son partenariat avec les sociétés Alstom (pièce 25 Alstom).
Interrogée sur l'origine de ce document par le co-arbitre M. Schimmel, Mme Guo Qi répond que c'est M. Liu Zhijun (ministre des chemins de fer de 2003 à 2011) qui lui a donné (pièce 24.1 p.132) et qu'elle a refusé de répondre au conseil des sociétés Alstom
(le cabinet Fulcrum Chambers) sur ce point parce que la procédure arbitrale était initiée (pièce 24.1 p.97-98).
- S'agissant, en second lieu, du rapport de la société Datong concernant la négociation menée avec la société Alstom Transport pour la mise en place de leur coopération, ce document comporte également des informations stratégiques, non destinées à priori aux sociétés Alstom.
Interrogée sur l'origine de ce document par le co-arbitre M. Schimmel, Mme Guo Qi répond qu'il lui a été fourni par le bureau du CNR (entreprise publique chinoise de fabrication de trains et de matériel ferroviaire et également société-mère de Datong) (pièce 24.1 p.99).
Elle confirme ce qu'elle avait indiqué à M. Mahé dans une lettre du 16 avril 2004 (pièce 245 Alstom).
- Le troisième document est un rapport d'évaluation établi par le MCCF des offres techniques soumises par la société Alstom Transport et ses concurrents, les sociétés Siemens et Bombardier, concernant une locomotive électrique pour la ligne Da Qin.
Ce document présente un caractère stratégique. Son caractère confidentiel est cependant contesté par la société ABL.
Ce document a été transmis par Mme Guo Qi à M. Mahé le 9 mai 2004, soit avant l'attribution de l'offre aux sociétés Alstom (pièce 25 Alstom).
Elle n'en précise pas l'origine dans son courriel et n'a pas été interrogée sur ce point ni par le cabinet Fulcrum Chambers pendant les audits (ainsi que cela ressort du plan de discussion en pièce 48), ni devant le tribunal arbitral.
Contestant le caractère confidentiel de ce document, la société ABL prétend qu'avant le lancement de l'appel d'offres (la " bid invitation "), l'autorité publique peut discuter avec les soumissionnaires potentiels afin de faire jouer la concurrence et obtenir des offres plus favorables, et que ce serait dans ce contexte que Mme Guo Qi aurait obtenu ce rapport d'évaluation.
Or, force est de constater que la société ABL ne démontre pas ce qu'elle affirme.
L'extrait traduit de la loi sur la procédure d'appel d'offres en Chine qu'elle verse aux débats concerne la procédure une fois l'appel d'offres lancé (pièce 49 ABL) et à aucun moment, elle ne précise dans ses écritures la date à laquelle la " bid invitation " a été publiée pour chacun des trois marchés en cause.
S'agissant du power point de la société Siemens (pièce 31 Alstom), d'après les écritures de l'intimée ce document a été divulgué par la société Siemens lors d'une conférence ouverte au public en septembre 2003. Mme Guo Qi a transmis ce document non daté à M. Mahé le 5 septembre 2003.
Interrogé par le conseil de la société ABL devant le tribunal arbitral, Mme Guo Qi a expliqué que ce document lui avait été communiqué par M. Liu Gang (responsables des véhicules roulants au sein du MCCF) à une époque où les accords entre le groupe Alstom et le groupe Siemens sur la répartition de leurs activités en Asie prenait fin (pièce 24.1 p.129-130).
Dans ses écritures, la société ABL affirme que cette transmission de document a eu lieu en amont de l'appel d'offres, mais ne le démontre pas.
- Enfin, les informations sur le résultat de l'évaluation des offres de la société Alstom Transport et de ses concurrents dans le cadre de la fourniture de matériel pour l'extension de la ligne 2 du métro de Shanghai, avant l'annonce officielle, ont été communiquées par Mme Guo Qi à M. Sellier en deux temps :
- d'abord par courriel le 4 février 2008 en ces termes " Je voudrais vous confirmer que nous avons gagné le marché de ce projet. Je vous écrirai plus tard pour les détails (…) ",
- puis dans un courriel du 11 février 2008 par la transmission d'informations sur les notes attribuées aux soumissionnaires au premier tour d'évaluation concernant le marché (pièce 33 Alstom).
Interrogée par les arbitres sur ce point, Mme Guo Qi explique que la note d'Alstom et de ses concurrents lui a été communiquée par Mme Muriel Lo, manager d'Alstom Transport Chine (pièce 24.1 p.130), laquelle est d'ailleurs évoquée comme une interlocutrice de Mme Guo Qi dans ses échanges avec M. Sellier.
Ainsi, seule l'origine du rapport d'évaluation par le MCCF des offres techniques concernant une locomotive électrique pour la ligne Da Qin soumises par la société Alstom Transport et ses concurrents, n'est pas connue.
Mme Guo Qia précisément indiqué l'origine de l'ensemble des autres documents évoqués par les appelantes et remis par elle lors de l'exécution des contrats.
Contrairement à ce que prétendent les appelantes, Mme Guo Qi n'a pas refusé de s'expliquer sur l'origine de ces documents avant l'arbitrage (dans la plupart des cas, comme exposé ci-dessus, elle en cite la source en transmettant le document). Elle a cessé de répondre aux auditeurs et au cabinet d'avocat des sociétés Alstom à partir du moment où la procédure d'arbitrage était lancée (à partir du 20 décembre 2013, date de l'introduction de l'instance d'après la sentence arbitrale p.11) (pièces 34, 70, 71 Alstom et pièce 18 ABL).
Par ailleurs, si ces documents présentent un caractère stratégique et n'étaient pas a priori destinés à être portés à la connaissance des sociétés Alstom, la cour ne dispose d'aucun élément de preuve lui permettant de soupçonner que ces documents ont été obtenus en échange de pots-de-vin, d'un avantage quelconque ou de procédés déloyaux. Les audits diligentés par les sociétés Alstom et dont les conclusions sont assez succinctes n'ont pas mis en exergue de versements suspects ni de dépenses de divertissement inexpliquées ou somptuaires.
Il en résulte que ces éléments sont insuffisants à caractériser des indices graves, précis et concordants de corruption.
C. Sur le versement de 280 589,20 euros à la société Sitico International Trading Co (ci-après " la société Sitico ")
Moyens des parties
Les sociétés Alstom font valoir que constitue un indice de corruption les versements en 2006 et 2009 d'un montant total de 280 589,20 euros de la société Alexander Brothers à la société Sitico Shanghai International Trading Co (SITICO), laquelle agissait en tant qu'agent importateur pour le compte de l'entreprise publique chinoise cliente d'Alstom Transport, pour l'appel d'offres concernant la fourniture d'équipements pour la ligne 1 du métro de Shanghai (ayant fait l'objet d'un contrat de consultant intégralement payé, qui n'était pas dans le champ de la saisine du tribunal arbitral). Elles font valoir que ces versements ont été effectués à leur insu et ont été découverts en 2013 à l'occasion des audits de conformité.
Elles soutiennent tout d'abord que la version de la société Alexander Brothers pour justifier ces versements a évolué :
- en indiquant d'abord que ces versements entre elle et SITICO ne concernaient pas la société Alstom transport ;
- en produisant ensuite un contrat d'une seule page, signé entre la société Alexander Brothers et SITICO, mettant à la charge de cette dernière, en des termes vagues et succincts, dans le cadre de la ligne 1 du métro de Shanghaï, la fourniture de services : " 1. Assistance pour interagir avec le client, 2. Conseil sur l'exécution du contrat, 3. Conseil sur des questions logistiques, 4. Traduction, visa et organisation de voyage ", mais pour lequel l'intimée n'a jamais fourni aucun justificatif permettant d'établir l'existence de services réalisés par SITICO, et n'a jamais pu clarifier le véritable objet de ce contrat ;
- lors de l'audience d'arbitrage, en entretenant une confusion avec le rôle d'agent importateur qu'a effectivement joué la société SITICO en étant directement rémunéré par la société Alstom Transport, en parfaite transparence avec les autorités chinoises, en vertu d'un contrat distinct d'importation pour l'extension de la ligne 1 du métro de Shanghai (pièce 39)
- dans ses mémoires d'arbitrage, en prétendant que les sociétés ALSTOM lui avait demandé de " collaborer " avec SITICO, en tentant de créer une confusion avec la mission d'agent d'importation de SITICO, sans que cette affirmation ne soit corroborée par aucune pièce ;
- en indiquant (Mme Guo Qi) lors de l'audience d'arbitrage qu'une partie significative de sa rémunération au titre du contrat de consultant avec les sociétés Alstom pour le projet de la ligne 1 du métro de Shanghai était justement destinée à couvrir la rémunération de SITICO en tant que consultant, sans néanmoins corroborer cette affirmation par un élément de preuve.
Les sociétés Alstom font valoir que ces versements sont intervenus dans le contexte d'un projet autre que les trois projets concernés par l'arbitrage, et insistent sur le fait qu'ils :
- sont contemporains de l'attribution et de l'exécution du projet concerné par le contrat n°3 (ligne 2 du métro de Shanghai), ainsi que du projet concerné par le contrat n°1 (daté du 26 août 2004 et pour lequel le contrat attribué à Alstom Transport a été conclu avec le client le 9 octobre 2004) ;
- ont été effectués sous couvert d'un contrat de prestations de services entre Alexander Brothers et SITICO daté du 10 août 2004 ;
- concernent une entité publique (SITICO) agissant pour le compte de Shanghai Shentong Metro Group quise trouvait être également le client d'Alstom Transport pour le projet de la ligne 2 du métro de Shanghai, objet du contrat n°3 ;
- ne sont justifiés par aucune contrepartie ostensible permettant de relier les flux financiers à l'un ou l'autre des contrats de consultant.
En outre, les sociétés Alstom indiquent qu'un dirigeant de SITICO, M. Wenqiang Chen, avait été condamné en 2016, par les juridictions pénales chinoises, à six ans d'emprisonnement pour des actes de corruption.
Enfin, selon elles, les développements de l'intimée sur les principes de droit civil d'indépendance des contrats ne sont pas pertinents et n'ont pas vocation à s'appliquer au cas d'espèce.
La société ABL explique à titre liminaire que ces paiements ont été versés à SITICO en vertu d'un contrat de services signé par ABL et SITICO en lien avec le projet de la ligne 1 du métro de Shanghai, lequel est étranger au présent litige.
Au fondement des articles 1103 et 1186 du code civil et du principe de l'indépendance des contrats, la société ABL fait valoir que les conditions de l'indivisibilité contractuelle (opération unique, existence d'une interdépendance, et connaissance par les parties de l'existence d'une opération d'ensemble) ne sont pas réunies. Elle considère que les cinq contrats de consultant conclus entre ABL et les sociétés ALSTOM l'ont été de manière totalement indépendante. Elle réfute l'existence d'une opération unique, arguant du fait que les différents appels d'offres conclus concernent des marchés différents. Elle réfute l'existence d'une interdépendance dans la mesure où le litige ne concerne que trois contrats sur cinq, les deux autres ayant été exécutés, et où aucun lien entre les contrats n'a été créé par la volonté des parties. Selon elle, les sociétés Alstom procèdent par insinuation mais ne démontrent pas ce qu'elles avancent. Elle en déduit qu'il est inopérant de se prononcer sur les sommes versées au titre de ce contrat sans lien avec l'objet du litige.
Par ailleurs, elle soutient que ce sont les sociétés Alstom, elles-mêmes, qui ont demandé à SITICO de collaborer avec ABL sur le projet de la ligne 1 du métro de Shanghai. Elle ajoute que le contrat conclu avec Alstom dans le cadre de ce projet prévoyait le versement à ABL d'une rémunération de 1,9% du montant du marché, laquelle incluait la rémunération de SITICO à hauteur de 0,75%, et que les sociétés Alstom, si elles n'avaient pas été informées de cette collaboration avec SITICO, n'auraient pas accepté de rémunérer ABL d'un tel montant.
Enfin, elle expose que la condamnation d'un manager de SITICO, M. Wenqiang CHEN, en 2016 pour des actes de corruption n'a rien à voir avec les projets ferroviaires et la société ABL, entité distincte de SITICO, qui n'a jamais été concernée par les faits, ajoutant que la responsabilité pénale est en tout état de cause individuelle.
Appréciation de la cour
La cour n'étant pas saisi de la question de l'exécution ou de l'inexécution d'un contrat, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions des articles 1103 et 1186 du code civil applicables en matière de responsabilité contractuelle.
En outre, comme exposé précédemment, dans le cadre de son appréciation de la conformité de l'exécution de la sentence à la conception française de l'ordre public international, la cour n'est pas tenue par les appréciations et qualifications opérées par les arbitres, de sorte que les éléments de preuves produits concernant la destination de versements opérés par Alstom à ABL, considérés par les sociétés Alstom comme des indices de corruption, seront également examinés.
En l'espèce, sont en cause des versements effectués en 2006 et 2009 d'un montant total de 280 589,20 euros par la société Alexander Brothers à la société Sitico Shanghai International Trading Co (SITICO), versements dont les sociétés Alstom disent avoir eu connaissance en 2013 (pièce 45 Alstom).
Ces versements ont été effectués en exécution d'un contrat conclu le 10 août 2004 entre la société ABL et la société Sitico International Trading Co prévoyant, en son article 2 intitulé " scope of services ", des missions de consultant mises à la charge de cette dernière : " Assistance dans l'interface avec les autres clients, conseil pour l'exécution du contrat, conseil pour les questions logistiques, traduction, visa et organisation de voyage ".
Ce contrat a été signé dans le cadre du projet de la fourniture de matériel roulant pour la ligne 1 du métro de Shanghai (pièce 36 Alstom art 1 " in the frame of the Shanghai line 1 Rolling Stock contract ").
Il prévoyait le versement en trois fois d'une rémunération à la société Sitico International Trading Co d'un montant égal à 0,75% du montant du marché.
Les factures jointes émises par la société Sitico International Trading Co à l'attention de la société ABL sont très peu détaillées, et se contentent de reprendre les missions stipulées au contrat (Pièce n°36 Alstom).
Le projet de la fourniture de matériel roulant pour la ligne 1 du métro de Shanghai a été remporté par les sociétés Alstom le 30 juin 2004 (pièce 9 Alstom paragraphes 220 et suivants).
Peu après, le 26 août 2004, les sociétés Alstom ont conclu un contrat de consultant avec la société ABL portant sur la fournitures d'information, d'assistance et de soutien dans le cadre de l'exécution de ce marché (intitulé " Shanghai line 1 Rolling Stock contract " (pièce 7 ABL).
Ce contrat de consultant, distinct des trois contrats de consultant litigieux ayant donné lieu à la sentence arbitrale du 29 janvier 2016, a été intégralement exécuté par la société ABL et intégralement payé par les sociétés Alstom.
Avant cela, un contrat d'agent d'importation avait été signé en 2004 entre la société Sitico International Trading Co et la société Alstom Transport concernant ce même marché relatif à la fourniture de matériel roulant pour la ligne 1 du métro de Shanghai.
Dans ce contrat, la société Alstom Transport était désignée comme le vendeur et la société Sitico International Trading Co comme l'acheteur. La société Sitico International Trading Co agissait en tant qu'agent importateur (pièce 39 Alstom,).
Ainsi, les sociétés Alstom avaient connaissance de l'existence et du rôle de la société Sitico International Trading Co.
De plus, elles avaient recours à ses services d'agent importateur depuis 1999 (pièce 9 paragraphe 225 et paragraphe 243 : audition de M. Gabillet devant le tribunal arbitral).
Interrogé par le tribunal arbitral, M. Best, vice-président d'Alstom transport en Chine de juillet 1999 au 1er mai 2003 (avant M. Mahé), a confirmé que la société Sitico International Trading Co agissait comme agent importateur (pièce 24.2 p.55 et p.58).
Il a en outre précisé, sur question de son conseil, que : " L'agent d'importation est désigné par le client. Dans ce cas, Sitico a été désignée par la Ville de Shanghai " (Pièce 24.2 transcription du 24 mars 2015 p.65).
C'est donc logiquement qu'en marge du marché relatif à la fourniture de matériel roulant pour la ligne 1 du métro de Shanghai, un contrat d'agent d'importation a été signé entre les sociétés Alstom et la société Sitico International Trading Co.
Un courriel de M. Sheng Ruobin, de la société Sitico International Trading Co, du 11 décembre 2014 adressé à Mme Guo Qi, confirme ces liens contractuels entre les sociétés Alstom et la société Sitico International Trading Co agissant comme agent d'importation : " Fin juillet 2014, M. L. Mahé de la société Alstom Transport a désigné SITICO International Trading Co. comme agent d'importation pour le contrat de renouvellement des véhicules importés pour la ligne 1 du métro de Shanghai, responsable des dédouanements à l'importation, des logistiques et des paiements à l'extérieur en application du contrat. " (pièce 40 Alstom).
Cependant, il résulte des dispositions des contrats précités du 10 août 2004 (Sitico/ABL) et du 26 août 2004 (Alstom/ABL) et de 2004 (Alstom/Sitico) un " mélanges des genres " dans le rôle joué par la société Sitico International Trading Co. Non seulement la société Sitico International Trading Co était chargée de verser le prix du marché de la ligne 1 versé par le donneur d'ordre chinois aux sociétés Alstom en devises étrangères (euros) et a agi comme agent importateur (stockage et dédouanement du matériel expédié par Alstom en Chine). Mais elle a également perçu une rémunération de la société ABL, laquelle était dans le même temps payée par les sociétés Alstom en vertu d'un contrat de consultant.
De plus, il est surprenant de constater que dans un courriel en réponse adressé par Mme Guo Qi à M. Agulla (auditeur d'Alstom) le 21 janvier 2013, cette dernière explique, pour justifier les deux versements litigieux, que " ces services fournis par SITICO [à ABL] n'étaient pas liés à Alstom " (pièce 35 Alstom).
Les sociétés Alstom indiquent avoir eu connaissance des versements de la société ABL à la société Sitico International Trading Co, pour des activités de consultant, en 2013 lors du second audit et considèrent que ces versements sont un indice de corruption.
Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, dans le cadre de l'exécution du marché relatif à l'extension de la ligne 1 du métro de Shanghai, les sociétés Alstom étaient informées de la collaboration entre la société Sitico International Trading Co et la société ABL.
Devant le tribunal arbitral, Mme Guo Qi s'est exprimée de façon peu claire au point que ses dires ont donné lieu à plusieurs traductions différentes des interprètes présents devant les arbitres. Finalement, les propos de Mme Guo Qi, répondant aux questions du conseil des sociétés Alstom, ont été traduits de la façon suivante : " le contrat de consultant était complémentaire au contrat d'agent d'importation. En d'autres termes, il a favorisé le contrat d'agent d'importation (…) En fait, M. Mahé m'a demandé de signer ce contrat de consultant. Il a dit que signer ce contrat permettrait d'aider notre service logistique et notre exécution future " (pièce 24.1 Alstom p.74, p.71 à 81)
En outre, il ressort du témoignage écrit de M. Mahé, vice-président d'Alstom Transport en Chine du 1 mai 2003 au 30 septembre 2005, à l'attention du tribunal arbitral que : er " En 2004, Alstom a gagné l'appel d'offres pour le projet de la 2ème extension de la Ligne 1 du Métro de Shanghai, attribué par Shanghai Shentong Co. J'ai personnellement demandé à M. Sheng Ruobin de SITICO Int'l Trading Co. (sic) de contacter Mme Guo Qi, afin d'apporter son expertise et assistance pour l'exécution du
Projet de la 2ème Extension de la Ligne 1 du Métro de Shanghai, dans le cadre de l'accord global entre ALSTOM et ABL pour l'exécution de ce Projet. Lorsque j'étais en charge d'ALSTOM Transport Chine, les relations d'ALSTOM avec SITICO Int'l Trading Co. et avec ABL ont toujours été fondées sur une confiance mutuelle dans l'expertise de chacun " (souligné par la cour) (pièce 5 ABL).
Dans son courriel adressé à Mme Guo Qi du 11 décembre 2014 (alors que l'arbitrage est en cours), M. Sheng Ruobin confirme cette mise en relation à l'initiative des sociétés Alstom : " M. Mahé nous a également indiqué qu'ABL était le consultant pour le projet, et était responsable des discussions sur les sujets concernés avec notre société. En août 2004, je vous ai contacté et j'ai discuté avec vous en détail des questions spécifiques et nous sommes arrivés à un accord " (pièce 40 Alstom).
Dès, les sociétés Alstom sont mal fondées à considérer les versements litigieux comme un indice de corruption dèslors qu'elles étaient informées des liens entre la société Sitico International Trading Co et la société ABL dansle cadre de l'exécution du marché relatif à l'extension de la ligne 1 et que le courriel interne suite à l'audit de 2013 se contente d'exposer ce que contient le contrat du 10 août 2004 sans mentionner que son existence vient d'être découverte (pièce 45 Alstom).
Il en résulte que les éléments de preuve versés aux débats par les sociétés Alstom sont insuffisants à démontrer un indice de corruption.
D. Sur l'attribution du marché de la ligne 2 du métro de Shangaï à Alstom et ses partenaires alors même que leur offre technique était moins bien notée Moyens des parties
Poursuivant l'infirmation de l'ordonnance du 30 mars 2016 en ce qu'elle a conféré l'exequatur à la sentence arbitrale du 29 janvier 2016, les sociétés Alstom font valoir que constitue un indice de corruption l'absence d'explication sur les actions de Mme Guo Qi (dans le cadre du contrat n°3) pour permettre l'attribution du marché de la ligne 2 du métro de Shanghai au consortium formé par la société Alstom Transport et ses partenaires, alors que son offre était moins bien notée que celle de ses concurrents et ce, jusqu'aux derniers jours précédant l'attribution du marché.
S'appuyant sur les preuves de services, l'audience d'arbitrage et les écritures de l'intimée devant le tribunal arbitral et la cour d'appel de Paris, les sociétés Alstom font valoir en premier lieu que la société Alexander Brothers n'a jamais expliqué comment Mme Guo Qi avait été informée de l'attribution du marché à la société Alstom dès le 28 janvier 2008 alors que les résultats ont été officiellement annoncés le 4 février 2008.
Selon elles, la société ABL a d'abord indiqué devant la cour d'appel de Paris avoir reçu cette information dans le cadre d'échanges officiels et licites avec le gouvernement chinois, en raison du caractère prétendument itératif de la procédure d'appel d'offres, puis a affirmé, pour la première fois dans le cadre de la présente procédure, sans que cela ne soit corroboré par une preuve, que l'information relative à sa notation lui aurait été transmise par une personne travaillant au sein d'Alstom Transport en Chine, Mme Muriel Lo.
En second lieu, les sociétés Alstom considèrent que, contrairement à ce qu'elle prétend, la société ABL n'a pas clarifié comment elle avait réussi à convaincre la municipalité de Shanghai d'attribuer le projet à la société Alstom Transport en à peine quelques jours, alors que son offre était moins bien notée (la note du 7 août 2009 citée par l'intimée a un contenu succinct et vague). Selon elles, l'explication fournie par la société ABL selon laquelle la société Alstom Transport aurait consenti une diminution du prix de ses pièces détachées, est contredite par un e-mail du 11 février 2008 adressé par Mme Guo Qi à Alstom dans lequel cette baisse du prix est présentée comme étant postérieure à la décision des autorités municipales de lui accorder le projet.
Poursuivant la confirmation de l'ordonnance d'exequatur du 30 mars 2016, la société ABL réfute que l'obtention du marché de la ligne 2 du métro de Shanghai par les sociétés Alstom malgré une offre moins bien notée que celle de ses concurrents, constitue un indice de corruption.
Outre le fait que cet élément concerne le contrat n°3 extérieur au présent litige, elle expose que le marché de la ligne 2 du métro de Shanghai a été attribué aux sociétés ALSTOM en mars 2008, soit avant même la formalisation du contrat n°3 du 2 décembre 2009, car celles-ci ont accepté de transférer leur technologie à un moindre coût. Selon elle, c'est Mme Muriel LO, Manager d'Alstom Transport Chine, qui a communiqué les notes d'ALSTOM à Mme Guo QI, les autorités chinoise transmettant souvent des informations aux participants des appels d'offres afin de renforcer la concurrence entre les soumissionnaires et d'obtenir l'offre la plus pertinente possible. Elle précise qu'en détenant ces notes, Mme Guo QI a été en mesure de conseiller ALSTOM sur la marche à suivre pour remporter l'appel d'offres, et a ainsi expliqué à M. Guy SELLIER, directeur de business développement chez ALSTOM Transport en Chine, que les prix proposés étaient trop élevés et que les prix sur les pièces de rechange devaient être diminués, créant un équilibre entre la technologie transférée et le prix proposé. Elle précise que c'est en suivant ce conseil, que la notation technique d'ALSTOM a pu être augmentée.
Appréciation de la cour
La chronologie des échanges de courriels transmis entre M. Sellier, de la société Alstom transport, et Mme Guo Qi - courriels fournis comme preuves de services du contrat n°3
- que Mme Guo Qi est informée de l'infériorité de la note d'Alstom le 28 janvier 2008 ; que le 30 janvier 2008, elle indique que le résultat de l'évaluation technique sera annoncé le 1 février 2008 et que la décision finale sera communiquée le 4 février 2008 ; et que er le 4 février 2008 elle annonce que les sociétés Alstom ont remporté le marché. Dans un courriel du 11 février 2008, elle donne le détail de l'évaluation des offres : " Dans la base de la méthode de calcul de la demande de soumission, la CRC a 0,6 point de plus que nous. Mais les autorités municipales sont décidées à nous octroyer le projet. Nous avons ensuite obtenu la totalité des points pour les pièces détachées. Finalement, nous avons obtenu ce marché avec + 0,4 point " (pièce 33).
Devant le tribunal arbitral Mme Guo Qi a expliqué avoir eu connaissance par Mme Muriel Lo que la note de la société Alstom Transport était inférieure à celle des autres concurrents et avoir mené des discussions d'une part avec la mairie de Shanghai sur l'opportunité de favoriser l'activité économique de la co-entreprise d'Alstom en Chine, et d'autre part avec la société Alstom Transport afin qu'elle diminue le prix de ses pièces de rechange (pièce 24.1 Alstom p.130-131).
Rien dans ce déroulé ne permet d'établir que Mme Guo Qi aurait eu recours à des méthodes corruptives pour convaincre l'acheteur public. L'emploi de l'adverbe " ensuite " est insuffisant à démontrer que la négociation sur les prix des pièces détachées était postérieure à l'attribution du marché, d'autant que Mme Guo Qi s'exprime en chinois et que son courriel a fait l'objet d'une traduction libre de la part des appelantes.
Les sociétés Alstom échouent donc, sur ce point, à établir un indice de corruption.
E. Sur la comptabilité de la société Alexander Brothers
Moyens des parties
Parmi les indices de corruption invoqués à l'appui de leur demande d'infirmation de l'ordonnance d'exequatur du 30 mars 2016, les sociétés Alstom font valoir que les audits réalisés par le département E&C du groupe Alstom ont révélés plusieurs irrégularités et carences dans la comptabilité d'Alexander Brothers :
- Une défaillance générale de contrôle interne ne permettant pas de vérifier l'objet des dépenses engagées pour le compte de la société : les sociétés Alstom indiquent que les paiements sont effectués avec les cartes bancaires personnelles des actionnaires de la société Alexander Brothers (Mme Guo Qi à hauteur de 33.34%, sa sœur Mme Guo Yi à hauteur de 19%, et l'époux de cette dernière, M. Dong Hai, à hauteur de 47.66%), et non avec des cartes bancaires rattachées à un compte détenu par la société, et que ces dépenses sont ensuite regroupées et comptabilisées dans les comptes de la société à partir des tickets de cartes bancaires ou des reçus comme des " sommes dues aux actionnaires ", de sorte que la société n'est pas en mesure de contrôler la nature des dépenses effectuées ni si elles ont été faites dans l'intérêt de la société. Elles ajoutent que ces dépenses portent sur des montants très significatifs (1,6 millions d'euros de 2009 à 2011 et 1,8 millions d'euros de 2005 à 2008). Elles précisent que contrairement à ce qu'a prétendu M. Wong, expert-comptable de la société Alexander Brothers, devant les arbitres, il résulte des audits qu'il n'est procédé à aucune vérification de la nature des dépenses effectuées ;
- Des erreurs ont été constatées dans la comptabilité d'Alexander Brothers, pour un certain nombre de dépenses (déplacements, divertissements, honoraires de gestion ou de conseil) ;
- Plusieurs récépissés étaient libellés au nom de sociétés tierces (dépenses engagées par ces sociétés tierces et non par Alexander Brothers), notamment par la société Beijing Dacelue Business Consulting, sans justification concernant la nature et l'objet de ces paiements effectués par ces tiers ;
- Les dépenses enregistrées dans la rubrique des frais d'exploitation (" Operating Expenses ") incluaient des frais dits de divertissement (" Entertainment ") d'un montant élevé, et dont la nature n'était pas justifiée : sur ce point, les sociétés Alstom soulignent que c'est en 2008 (date d'attribution du marché pour le contrat n°3) que ces frais étaient les plus importants, leur montant s'élevant à 72 256 dollars.
Répliquant à l'intimé, les sociétés Alstom insistent sur le fait que, peu importe que la comptabilité soit conforme aux normes comptables locales, puisque la difficulté se situe en amont, dans l'impossibilité de vérifier la nature et la destination des flux financiers et dans le fait que les carences dans le contrôle des dépenses des actionnaires ne permettent pas de prévenir ou d'empêcher le versement de paiements illicites.
En réponse, la société ABL soutient qu'aucune preuve précise de carences ou de comptabilité insincère n'est apportée par les sociétés Alstom.
Rappelant le motif de cassation de l'arrêt de la cour d'appel de Paris en ce qu'il a dénaturé les déclarations du comptable de la société ABVL (M. Herbert Wong) lors de la procédure arbitrale, elle souligne que les dépenses engagées pour le compte de la société ABL sont vérifiées. Elle explique que l'autorisation de remboursement d'une dépense était décidée soit par un manager si la dépense est engagée par un salarié, soit par un actionnaire si celle-ci était engagée par un manager et, une fois confirmée, l'autorisation de remboursement était signée par la personne l'autorisant, M. Wong se devant alors de vérifier la réalité du reçu ou de la facture fournie, ainsi que l'importance et la fréquence de la somme engagée.
Par ailleurs, elle fait valoir que la présence d'erreurs marginales n'entache pas la comptabilité d'ABL et indique que cette dernière a été certifiée de 2004 à 2012 par un commissaire aux comptes, lequel a attesté devant le Tribunal arbitral que la comptabilité d'ABL était sincère et conforme à la règlementation de Hong Kong.
Elle ajoute que les rapports d'audits ont démontré que malgré certaines lacunes, aucun paiement inhabituel n'était apparu, ce qu'a relevé le tribunal arbitral.
S'agissant des dépenses que les sociétés Alstom estiment ne pas être justifiées dans leur nature ou objet, elle explique avoir partagé les frais d'un séminaire commun avec la société dont elle partageait les bureaux (société Beijing Dacelue Business Consulting) et que les dépenses de divertissement, pratique courante en Chine et qui n'étaient pas en lien avec les contrats de consultant, ont été expliquées par M. Wong lors de l'audience arbitrale.
Appréciation de la cour
Il résulte du rapport d'audit d'août 2012 des sociétés Alstom qu'ont été analysés les états financiers de la société ABL pour les exercices clos au 31 décembre 2009, 2010 et 2011 et les principales entrées et sorties de trésorerie d'ABL :
" - Les coûts opérationnels ne sont pas payés via les comptes bancaires d'ABL. Les actionnaires ont supporté les dépenses et payés les différents vendeurs à travers leurs propres cartes de crédits. Les dépenses sont ensuite groupées et enregistrées dans le compte " montant dû aux actionnaires :
- Aucune transaction inhabituelle importante n'a été identifiée pendant notre revue et les principales transactions ont été identifiées. Cependant, plusieurs erreurs comptables et problèmes de contrôle interne ont été relevées " (pièce n°43, 44 et 45 Alstom).
Il résulte de cet audit que la nature des dépenses engagées par les actionnaires et donnant lieu à un remboursement par la société ensuite, n'est pas rigoureusement examinée :
" - Le niveau de documentation n'est pas considéré comme approprié, étant donné que la plupart des coûts testés sont uniquement justifiés par des tickets de carte de crédit.
Le but et la nature des coûts ne sont pas déclarés.
- Plusieurs reçus sont regroupés. Notre analyse a mis en évidence que les entrées comptables sont difficilement conciliables avec les reçus.
- Différentes erreurs ont été relevées concernant le remboursement et la déclaration des coûts (incohérences entre le reçu et le remboursement). "
Toutefois, il ressort des déclarations de M. Wong, expert-comptable de la société ABL, devant le tribunal arbitral qu'aucune malversation n'a été remarquée et que les comptes ont été dûment certifiés entre 2004 et 2012 (pièce 58 ABL).
Ainsi, devant le tribunal arbitral M. Wong apporte son témoignage le 1 décembre 2014 er (pièce 46 Alstom) :
" Dans le cas d'ABL et pour autant que je sache, je confirme que toutes les dépenses étaient en relation directe avec les missions contractuelles d'ABL et en pleine conformité avec toutes les dispositions contractuelles et les déclarations de conformité ainsi que les exigences légales applicables. "
" Les frais remboursables sont versés aux personnes qui en font la demande après qu'il a été validé qu'elles s'occupent des activités ordinaires de l'entreprise. Cette pratique courante est de toute façon en totale conformité avec la réglementation fiscale de Hong Kong. "
" Les prétendues erreurs de comptabilisation dans les écritures qui ont pu être invoquées au cours des audits résultent d'une mauvaise interprétation de ces tickets de caisse ou reçus. Ces dépenses remboursables n'ont été comptabilisées dans des classes de comptes incorrectes que pour des dépenses qui n'auraient pas eu d'impact significatif sur l'exactitude des états financiers. En outre, le montant n'était pas significatif. "
" En ce qui concerne les prétendus tickets ou reçus ambigus et peu clairs, la plupart d'entre eux ont été conservés et comptabilisés depuis 2005. Au moment où la société a reçu, approuvé et enregistré ces tickets ou reçus, ils étaient lisibles et acceptés sans observation particulière comme preuve lors des processus d'audit. "
Entendu par les arbitres, il ajoute (pièce 24.2 p.9) :
" Tout d'abord, j'aimerais préciser qu'à Hong Kong, il est très difficile pour une société d'avoir des cartes de crédit pour le compte de la société. Normalement, c'est donc le personnel ou les actionnaires qui paient dans un premier temps, puis ils se font rembourser par la société " ; " normalement tous les documents, toutes les dépenses sont justifiées par des reçus. Et ils n'ont eu que deux jours. Il était impossible qu'ils vérifient tous les documents. Il faudrait deux ou trois semaines pour vérifier tous les documents. " ; " nous vérifierons la réalité du reçu ou de la facture qui est fourni.
Certainement, nous vérifierons si les sommes qu'ils ont dépensées n'étaient pas trop importantes ou trop fréquentes " ; " nous n'avons pas à connaître la nature et le projet.
Il appartient au manager de décider (…) S'il s'agit d'une dépense des actionnaires, elle sera vérifiée par un autre actionnaire. (…) chaque fois qu'une demande de remboursement est présentée, elle doit être signée par le supérieur, et cette signature était présente à chaque fois. "
En outre, en septembre 2012, la société ABL a apporté des clarifications aux auditeurs des sociétés Alstom concernant la comptabilité et, contrairement à ce que soutiennent les appelantes, ces réponses semblent avoir été satisfaisantes puisque que le compliance officer d'Alstom a le 18 septembre 2012 annoncé que la société ABL pouvait renvoyer les factures afin d'obtenir le paiement de ses services (pièce 54 et 55 ABL : Echange de courriels entre M. Franck MICHAUD et Mme Guo QI en date des 17 et 18 septembre 2012).
Enfin, dans un rapport du 29 juillet 2016 (pièce 57 ABL), Mme L. L. Hui, expert-comptable et commissaire aux comptes de la société ABL, conclut que " ces états financiers donnent une image fidèle et présentent sincèrement l'état des affaires de la
Société au 3l décembre 2015 et de sa perte et de son flux de trésorerie pour l'exercice clos conformément aux HKFRSPE et ont été correctement préparés conformément à l'ordonnance sur les Sociétés de Hong-Kong. "
Dès lors, il résulte de l'ensemble de ces éléments que la comptabilité de la société ABL ne comporte pas d'irrégularité ni de carences constitutives d'un indice de corruption.
F. Sur l'insuffisance des moyens humains et matériels de la société Alexander Brothers
Moyens des parties
A l'appui de leur demande d'infirmation de l'ordonnance d'exequatur du 30 mars 2016, les sociétés Alstom font valoir que constitue un indice de corruption l'insuffisance des moyens matériels et humains de la société Alexander Brothers, pendant la période d'exécution des contrats (2004-2008), au regard de l'importance des diligences revendiquées.
Selon elles, bien que les fiches de renseignement de la société transmises par Mme Guo Qi en 2011 et 2012 indiquent l'emploi de sept salariés répartis sur deux bureaux (Shanghai et Pékin), aucune preuve n'a été apportée de la présence de ces salariés pendant la période pertinente pour le litige et de leur prétendue implication dans l'exécution des contrats.
En outre, les sociétés Alstom précisent que dans l'e-mail envoyé par Mme Guo Qi le 21 janvier 2013 en réponse aux questions d'Alstom, la liste des dépenses ne comprend que le paiement de trois salaires par mois et ce, uniquement pour l'année 2009 (donc postérieurement à la période d'exécution des contrats). Les sociétés Alstom ajoutent qu'au cours de l'arbitrage, aucun des témoins auditionnés n'a mentionné l'implication d'autres personnes que Mme Guo Qi, laquelle a été la seule interlocutrice de la société Alstom Transport pendant toute la durée d'exécution des contrats. Elles précisent que Mme Guo Qi, qui a travaillé auparavant dans le domaine des médias et des relations publiques, ne paraissait pas avoir de connaissances techniques spécifiques.
Par ailleurs, sur le plan matériel, les sociétés Alstom soutiennent que sur toute la période auditée, de 2004 à 2011, la société Alexander Brothers n'a perçu aucun revenu d'un quelconque autre client que les sociétés Alstom. Elles ajoutent que la société Alexander Brothers ne détenait pas de bureau en nom propre, ni à l'adresse de son siège social à Hong-Kong, ni sur le territoire continental chinois. Elles indiquent également que l'audit des comptes sur la période 2009-2011 a révélé que la quasi-totalité des fonds reçus par la société Alexander Brothers (4,121 millions de dollars) revenaient aux actionnaires par le biais de remboursement de dépenses (" frais d'exploitation ") (1,597 millions de dollars), le versement de dividendes (1,886 millions de dollars) et le remboursement de prêts en compte courant d'associés (742 000 dollars), et que l'audit réalisé en juin 2013 sur la période 2006-2008 a confirmé la même situation. Elles en déduisent " une très forte emprise [des actionnaires] et une très faible consistance de la société ".
La société ABL réplique que ses moyens matériels et humains sont suffisants au regard des diligences accomplies.
S'agissant de ses moyens matériels, elle conteste n'avoir eu que les sociétés Alstom comme clientes, et indique que le recours à un consultant par ces dernières n'a lieu qu'après une procédure de vérification préalable. Elle ajoute que le compliance officer d'Alstom a lui-même visité les bureaux de Hong Kong et de Pékin avant la formalisation des contrats.
S'agissant des moyens humains, la société ABL soutient que depuis 2002 elle est composée de trois actionnaires et de sept salariés, et que seulement trois salariés ont un salaire excédant 1000 dollars mensuels (d'où le fait que seulement trois salariés n'aient été évoqués lors de l'audit de 2013 car la question de l'auditeur, M. Eduardo Agulla, ne concernaient que les salaires supérieurs à 1000 dollars entre 2009 et 2011). Elle ajoute que si Mme Guo Qi a été la seule interlocutrice des sociétés Alstom, elle n'a pas été la seule à travailler pour ces dernières, notamment pour effectuer des traductions en langue anglaise, langue que ne maîtrisait pas Mme Guo Qi.
Appréciation de la cour
S'agissant du nombre de salariés de la société ABL, il résulte des écritures des parties que Mme Guo Qi est une ancienne employée de la société Alstom Transport en Chine qui a toujours entretenu des contacts avec des membres de cette société (la société ABL fait état dans ses écritures de contacts avec M. Best, vice-président d'Alstom transport en Chine jusqu'au 1 mai 2003, puis avec son successeur M. Mahé, contacts qui ne sont pas er contestés).
De plus, ainsi que cela ressort de ses auditions devant le tribunal arbitral, Mme Guo Qi savait s'exprimer en langue anglaise (pièce 24.1 et pièce 48 Alstom) mais indique mal la maîtriser. De sorte que la traduction des nombreux documents en chinois transmis à la société Alstom Transport par ABL en langue anglaise a nécessairement impliqué l'intervention d'autres personnes qu'elle.
En outre, postérieurement à la période d'exécution des contrats, le courriel de Mme Guo Qi du 21 janvier 2013 évoquant le versement de deux salaires et le paiement des dividendes de deux actionnaires n'est pas probant puisqu'il répond à une question de
M. Eduardo Agulla portant sur les dépenses de fonctionnement supérieures à 1000 dollars (pièce 35 Alstom).
Au 29 mai 2012, la fiche de renseignement intitulée " business advisor profil " de la société ABL indique qu'elle emploie deux personnes au sein de son bureau principal (dont le lieu n'est pas précisé), quatre personnes (dont deux vendeurs et un technicien) au sein du bureau de Pékin et trois personnes (dont un vendeur et un technicien) au sein du bureau de Hong-Kong (pièce 64 ABL). Celle de 2013 comporte les mêmes indications (pièce 73 ABL).
Il n'est donc pas démontré que la société ABL n'avait pas d'autre salarié en plus des trois actionnaires de la société. Et à supposer qu'il n'y en ait pas eu, cette absence n'est pas de nature à constituer un indice de corruption dans la mesure où les missions confiées par les sociétés Alstom consistaient principalement en des activités de prise de contact, de relations et de négociations dont la réussite dépendait d'un intuitu personae avec les décideurs du projet, intuitu personae que détenait Mme Guo Qi.
S'agissant des moyens matériels de la société ABL, il résulte des pièces du dossier que la société ABL a eu au moins un autre client (la société Onyx) pendant la période d'exécution des contrats de consultant avec les sociétés Alstom.
Ainsi, un accord de coopération a été passé entre la société ABL et la société ONYX Asia Holdings PTE LTD le 28 juillet 2002. L'article 7 de cet accord prévoyait une rémunération pour la société ABL Resources Limited sur la base d'un pourcentage du résultat du marché obtenu, qui devait être versé en deux fois au fur et à mesure de l'avancée du contrat (pièce 65 ABL). Un second accord de coopération a été signé entre ces deux sociétés le 28 août 2003 concernant le projet " Shanghai Laogan Landfill Phase 4 ". L'article 7 de ce contrat prévoyait une rémunération pour la société ABL Resources Limited de 1,7 millions RMB qui devaient être versés en trois fois au fur et à mesure de l'avancée du contrat (pièce n°66 ABL).
En outre, il résulte du second mémoire d'arbitrage de la société ABL (pièce 42 Alstom paragraphe 15) qu'elle a investi des fonds au sein d'une compagnie maritime, la société ABL ayant également un objet social en ce domaine, par le biais d'une société Star Cheer Holding Ltd en 2010 (pendant la période d'exécution des contrats). La société Star Cheer Holding Ltd n'était donc pas totalement étrangère à la société ABL, néanmoins ces transferts de fonds démontrent que la société ABL avait d'autres clients.
Enfin, s'agissant des bureaux de la société ABL, il résulte des pièces du dossier que la société avait son siège social et était immatriculée à Hong-Kong ((pièces 1, 2 et 3 ABL) et qu'elle sous-louait des bureaux à Pékin et Shanghai.
Ainsi, il ressort d'un compte-rendu de réunion entre les sociétés Alstom et ABL du 22 septembre 2008 qui s'est déroulée " dans les bureaux d'Alstom China " que : " Sur la question de l'immatriculation / représentation légal en Chine, le consultant reconnait que la société n'a pas de siège social immatriculé en Chine, mais a signé des contrats de sous-location avec des sociétés locales à Shanghai (Changhai Aou-Jin Media Co. Ltd) et Pékin (Beijing Global Strategy Consulting Co. Ltd). Après vérification, les adresses mentionnées dans les contrats de sous-location sont identiques aux informations fournies par le Profil de l'Agent (cf. documents joints, datés de 2004). "
(Pièce n°47 Alstom)
Il ressort également d'un compte-rendu de réunion entre les sociétés Alstom et ABL du 30 mai 2012, au sein du bureau de Pékin de la société ABL, que : " La société est immatriculée à Hong Kong avec une activité commerciale en Chine, partageant des bureaux avec deux autres sociétés à Pékin et à Shanghai. Guo Qi vit à Pékin.(…)
L'espace de bureaux est partagé avec la société Beijing Global Strategy Consulting Co. Ltd. (http://www.strategy4china.com) et situé dans un complexe résidentiel. Aucune plaque de la société n'est visible à l'extérieur de la porte des bureaux. " (Pièce n°48 Alstom)
Enfin, les audits effectués par les sociétés Alstom ont mis en évidence que la plupart des dépenses de la société étaient constituées par le versement du salaire ou des dividendes des actionnaires, et par leur remboursement étant donné qu'ils utilisaient leur carte bancaire personnelle pour leurs dépenses professionnelles (pièce 44 Alstom).
Toutefois, il ressort du compte-rendu de réunion entre les sociétés Alstom et ABL du 30 mai 2012 que " Concernant la situation financière de la société (pas de revenus commerciaux pour les exercices financiers 2009, 2010 et 2011), le Conseiller Commercial [i.e. la société ABL] a expliqué que cette situation résultait de la nature du revenu généré par son activité. Le Conseiller Commercial affirme être payé uniquement au succès, ce qui explique qu'il n'y ait pas de revenus enregistrés récemment malgré les activités commerciales générant quelques dépenses " (pièce n°48 Alstom).
Compte tenu de la structure des revenus du consultant (lequel est rémunéré en fonction des succès obtenus) et du fait qu'il est rare à Hong-Kong qu'une société détienne sa propre carte bancaire (cf. audition de M. Wong), ces éléments ne suffisent pas à constituer un indice de corruption.
Enfin, la cour note que devant le tribunal arbitral, M. Best a confirmé qu'avant d'être choisi comme consultant, la société ABL a fait l'objet d'un processus de vérification préalable par les sociétés Alstom. Sur question de son conseil devant les arbitres, il répond :
" Q : Toujours sur ce processus, vous avez décrit le processus de nomination d'un consultant chez Alstom. Pouvez-vous être plus précis et nous dire si un directeur de projet ou un directeur pays peut autoriser lui-même, de son propre chef, la nomination d'un consultant ?
R : Eh bien il ne peut pas. Il ne peut absolument pas. Il peut le conseiller. Il peut présenter des arguments. Il peut demander de se rendre à Paris, il peut aller au siège et expliquer combien c'est important et pourquoi ce consultant est le meilleur consultant pour ce projet, etc. mais il ne peut pas signer le document lui-même, le contrat avec un consultant. Le contrat est signé par Paris " (souligné par la cour) (pièce 24.2 transcription 24 mars 2015 p.64).
Dès lors, l'insuffisance des moyens matériels et humains dénoncée par les sociétés Alstom n'est pas établi et ne peut donc pas être considérée comme un indice de corruption.
G. Sur le caractère disproportionné de la rémunération de la société Alexander
Brothers
Moyens des parties
A l'appui de leur demande d'infirmation de l'ordonnance d'exequatur du 30 mars 2016, les sociétés Alstom soutiennent qu'il existe une disproportion entre les diligences ostensibles de la société Alexander Brothers - telles qu'elles résultent du contenu de le documentation fournie comme preuves de services- et la rémunération réclamée au titre des contrats de consultant (7 525 200 euros). Elles précisent que la rémunération était conditionnelle et due uniquement lorsque les sociétés Alstom se voyaient effectivement attribuées les marchés concernés, grâce aux services exécutés par le consultant. Or, selon elles, une rémunération conditionnée à l'octroi du marché, dont le niveau est décorrélé de l'importance des services devant être réalisés par le consultant, constitue un facteur de risque de corruption. Elles ajoutent que ces rémunérations s'avèrent disproportionnées au regard du faible nombre d'actions finalement revendiquées par la société Alexander
Brothers et de la nature de ses prétendues actions, qui ne paraissent pas substantielles et significatives pour l'obtention des projets.
En réponse, la société ABL fait valoir que sa rémunération en pourcentage correspondait au standards internationaux (aux alentours de 2% du contrat) et est raisonnable compte tenu de la durée des contrats (plus de 8 ans : du 26 août 2004 à la fin du mois de septembre 2012), arguant qu'un indice de corruption est constitué lorsque le pourcentage est particulièrement élevé sur une durée d'exécution courte. Elle ajoute que les pourcentages ont été proposés unilatéralement par les sociétés Alstom et qu'elle n'a fait qu'accepter les montants, et que les pourcentages n'ont pas été dissimulés puisqu'ils ont été inclus dans le contrat.
Appréciation de la cour
En l'espèce, la rémunération de la société ABL était constituée par un pourcentage déduit du montant du contrat éventuellement remporté par les sociétés Alstom, donc une rémunération au succès (" sucess fee "), sur une période d'exécution longue :
- 1,9% contrat n°1 pour une période d'exécution de 6 ans ;
- 0,5% contrat n°2 pour une période d'exécution de près de 8 ans ;
- 2% contrat n°3 pour une période d'exécution non établie puisque les preuves de services sont antérieures à la signature du contrat, laquelle est postérieure à l'attribution de l'offre.
Force est de constater que ces pourcentages, inférieurs ou égaux à 2%, sachant que le montant du marché était particulièrement élevé et que la durée d'exécution du contrat ne se limitait pas à l'obtention de l'offre mais se poursuivait dans le cadre de l'exécution du contrat, sont conformes aux standards internationaux.
Ainsi, un rapport de l'OCDE du 4 novembre 2009 intitulé " Typologie du rôle des intermédiaires dans les transactions commerciales internationales " (p.29 et 30) explique :
" Il arrive également qu'un intermédiaire touche une commission liée aux résultats, lesquels correspondent souvent à un pourcentage de la valeur du contrat obtenu. Les sociétés comme les intermédiaires estiment que ce système est source d'incitations et confère de la souplesse aux contrats. Les commissions liées au résultat présentent toutefois davantage de risques de corruption transnationale. (…) Pour limiter au maximum les risques de corruption, certaines sociétés fixent des commissions liées aux résultats en se fondant sur des critères explicites, pertinents et objectifs. Ces critères peuvent comprendre les facteurs probables d'obtention du contrat, par exemple la qualité du produit de l'intermédiaire et le fait qu'il entretienne déjà des relations avec le client potentiel. Le pourcentage de commission peut être d'autant plus élevé que les chances de remporter le contrat sont faibles. Certaines sociétés limitent la commission liée aux résultats à 5 % du contrat mais un tel plafond pourrait être excessif ou non adapté dans le cas de contrats de très grande envergure. (…) Les sociétés ont en outre établi des orientations spécifiques concernant la rémunération, qui fixent les taux de commissions et les procédures de paiement -- modalités, devise et lieu. Les principes directeurs peuvent préciser que les paiements suivent une échelle mobile, le pourcentage de la commission diminuant lorsqu'augmente la valeur du contrat. Les paiements peuvent également être échelonnés dans le temps selon des étapes convenues au contrat et peuvent être vérifiés par la société") (souligné par la cour) (pièce 75 ABL).
En outre, dans le cadre d'une sentence rendue dans une affaire n°4145 dont la teneur est reprise dans une sentence arbitrale n°8891, rendue en 1998, publiée dans le Journal du droit international aux éditions du Jurisclasseur (1996-2000), le tribunal arbitral précisé " qu'il est rare dans la pratique qu'un simple agent reçoive des commissions supérieures à 1% ou 2% " et exposé que dans le cas d'espèce qui lui était soumis, un taux de commission fixé à 8% constituait une présomption de ce que l'intermédiaire devait reverser certaines sommes (pièce 76 ABL).
Dès lors, même siles commissions de la société ABL dépendaient uniquement du résultat de sa mission, il n'en demeure pas moins que sa rémunération était limitée à un pourcentage raisonnable (inférieure ou égale à 2%) au vu des standards internationaux, compte tenu du montant important du marché. Son versement était échelonné en fonction de l'avancée de sa mission, dont elle devait rendre compte via des preuves de services, preuves qui ont été valablement fournies dans le cadre des contrats n°1 et n°2.
La cour observe en outre que les marchés en cause ont tous été remportés par les sociétés Alstom.
Il s'ensuit que la disproportion qu'elle dénonce n'est pas établie et qu'il ne peut pas, par conséquent, en être déduit un indice de corruption.
H. Sur les condamnations pour corruption prononcées en République populaire de Chine
Moyens des parties
A l'appui de leur demande d'infirmation de l'ordonnance d'exequatur du 30 mars 2016 en raison d'une contrariété avec l'ordre public international, les sociétés Alstom font valoir que la corruption est un problème majeur en Chine, identifié notamment par l'organisation Transparency International, auquel le gouvernement n'apporte des réponses que depuis 2012, et ce, particulièrement dans le secteur ferroviaire.
Elles insistent sur les lourdes condamnations prononcées à l'encontre de M. Liu Zhijung, ancien ministre des chemins de fer de 2003 à 2011, et M. Zhang Shuguang, ingénieur en chef adjoint du ministère des chemins de fer, tous deux en poste lors de la période d'attribution et d'exécution des marchés.
Elles ajoutent que les documents produits par la société Alexander Brothers comme preuves de services mentionnent plusieurs réunions entre Mme Guo Qi et M. Zhang
Shuguang et que cette dernière a obtenu des documents sensibles ou confidentiels de la part du cabinet de M. Liu Zhijung.
Les sociétés Alstom précisent que ces affaires de corruption ne suffisent pas à établir l'existence de corruption dans l'exécution des contrats de consultant signés avec la société Alexander Brothers, mais constituent des éléments de contexte à prendre en considération dans le cadre de l'examen du faisceau d'indices.
Les sociétés Alstom répliquent en outre que l'ancienneté des contrats et l'existence de paiements sont indifférents dans la mesure où l'objet du litige porte sur la violation de l'ordre public international.
La société ABL réplique que pour être considéré comme un indice probant, l'existence d'un climat de corruption dans le pays doit être corroboré par d'autres éléments matériels mais qu'il représente un indice de moindre intensité lorsqu'il n'a pas de lien direct avec les faits. Rappelant le principe selon lequel la responsabilité pénale est individuelle, elle souligne que la condamnation prononcée contre M. Liu ZHIJUN, ministre du MCCF, est sans rapport avec son activité. Elle précise que les sociétés Alstom restent actives en Chine depuis la sentence arbitrale et prolongent leur implantation dans le pays. Elle soutient en outre que la société ABL n'a jamais été poursuivie pour des faits de corruption d'agents publics étrangers.
Elle ajoute que les sociétés Alstom ne peuvent alléguer d'une violation caractérisée de l'ordre public international compte tenu de l'ancienneté des contrats et du fait qu'ils ont été partiellement exécutés.
Appréciation de la cour
Le gouvernement de la République populaire de Chine mène depuis 2013 une campagne anti-corruption tant au sein de l'Etat et des entités publiques qu'à la tête des grandes entreprises privées. Toutefois, il n'est pas établi qu'une décision de condamnation pour corruption ou pour tout autre atteinte à la probité a été rendue contre la société ABL ou l'un de ses membres.
Compte tenu du principe de responsabilité pénale individuelle, le seul fait que Mme Guo Qi a rencontré M. Zhang Shuguang lors de l'exécution du contrat n°1 (pièce 25 et 26 Alstom), par la suite condamné pour des faits de corruption sans rapport avec la société ABL, ne suffit pas à constituer un indice grave et précis de corruption.
Dès lors, il résulte de l'examen des pièces versées aux débats que seule est démontrée l'insuffisance des preuves de services du contrat de consultant n°3, laquelle est constitutive d'un indice de non-exécution du contrat. Les indices de corruption dénoncés par les sociétés Alstom ne sont en revanche pas suffisamment établis.
L'exécution en France de la sentence arbitrale du 29 janvier 2016 n'est donc pas de nature à entraîner la rémunération de faits corruptifs et ne porte pas atteinte à la conception française de l'ordre public.
Le moyen des sociétés Alstom sur ce point sera par conséquent rejeté.
III. Sur le deuxième moyen d'infirmation : l'exécution de la sentence et sa contrariété à l'ordre public international
Moyens des parties
Les sociétés Alstom demandent l'infirmation de l'ordonnance du 30 mars 2016 ayant conféré l'exéquatur à la sentence arbitrale prononcée le 29 janvier 2016, au fondement des articles 1520 et 1525 du code de procédure civile, au motif que l'exécution de la sentence violerait les règles de prévention de la corruption qui s'imposent à) elles et serait, de ce fait, contraire à la conception française de l'ordre public international.
Elles font valoir que la lutte contre la corruption est un principe d'ordre public international, non seulement en termes de répression mais aussi en termes de prévention.
S'appuyant sur la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, du 17 décembre 1997 et son annexe II, le rapport de la Banque mondiale sur l'intégrité de 2010, les principes directeurs sur les agents, intermédiaires et autres tiers publié par la chambre de commerce internationale (CCI) et sur les Règles pour combattre la corruption émises par elle en 2011, mais également sur l'article 17 de la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 (dite " loi Sapin 2 ") les sociétés Alstom expliquent que les entreprises sont tenues de mettre en place et d'appliquer des programmes de conformité internes visant à prévenir la commission d'actes de corruption, le recours à des intermédiaires étant spécialement identifié comme un risque spécifique. Elles expliquent que, conformément aux standards légaux, nationaux et internationaux, la décision de refuser un paiement dans une situation de risque avéré de corruption est une obligation pour l'entreprise soumise à ces législations. Elles ajoutent qu'en l'espèce, les audit sont révélé des violations par la société Alexander Brothers de sa politique d'éthique et de conformité de sorte que la reconnaissance et l'exécution de la sentence du 29 janvier 2016 les conduirait à effectuer un paiement interdit en vertu des législations de lutte contre la corruption, et portant atteinte à l'ordre public international.
Par ailleurs, elles soutiennent que la décision des arbitres d'écarter l'application de la politique éthique et conformité du groupe Alstom, exclusivement fondée sur un raisonnement contractuel visant à rechercher la commune intention des parties, va à l'encontre de l'objectif de lutte contre la corruption. Selon elles, dès lors que l'application par une entreprise de son programme de conformité anti-corruption lui impose de refuser un paiement réclamé par un tiers, et que la règle mise en œuvre par cette décision de refus est conforme ou résulte des standards reconnus de lutte contre la corruption, il ne saurait être admis qu'une telle décision de l'entreprise puisse être écartée au motif que les parties se seraient préalablement accordées pour ne pas appliquer les stipulations résultant de la transposition contractuelle du programme de conformité de l'entreprise.
Elles considèrent ainsi que, si le juge de l'exequatur écarte les obligations résultant de ces programmes de conformité pour faire prévaloir un prétendu accord des parties de ne pas les appliquer, alors la législation relative à la prévention de la corruption, telle que la Loi Sapin 2 en France, serait vidée de sa substance et réduite à un simple formalisme et les entreprises s'exposeraient à des sanctions.
Elles soulignent enfin que le principe d'actualité de l'ordre public international implique que le contenu de l'ordre public est fixé au jour où le juge français statue (Cass., Civ. 1ère, 23 novembre 1976, n°75-13.113).
En réponse, la société ABL réplique que les appelantes ne peuvent considérer comme établie une violation de l'ordre public international au motif qu'il y aurait une contrariété avec les normes d'éthique et de conformité internes qu'elles se sont édictées. Selon elle, les normes contre la corruption issues de la politique éthique et conformité des sociétés Alstom, si elles visent à donner effet à des normes légales et réglementaires pouvant faire partie de l'ordre public international, ne peuvent être considérées comme faisant partie du corpus normatif de l'ordre public international car elles n'en présentent pas les attributs essentiels. Elle fait valoir en outre que les sociétés Alstom s'appuient rétroactivement sur des dispositions unilatérales et détournent la finalité de leur programme de conformité afin de se soustraire à leurs obligations contractuelles.
Elle ajoute que le tribunal arbitral a invité les parties à se prononcer sur ce moyen de droit dans l'ordonnance procédurale n°18 en les invitant à répondre à la question suivante : "En vertu du droit suisse, l'exécution des obligations peut-elle être excusée, faire l'objet de renonciation ou être modifiée par le fait que le créancier ait tardé à en poursuivre l'exécution ?". Selon elle, contrairement à l'interprétation des sociétés Alstom, cette question revenait à demander aux parties si le fait, pour le créancier, de ne pas exiger l'exécution d'une obligation conformément à la lettre du contrat pouvait mener à une modification de la manière dont le débiteur devait exécuter ses obligations.
Enfin, elle fait valoir que les arbitres ont soumis ce moyen de droit aux parties, mais qu'ils n'étaient pas tenus de leur soumettre au préalable le raisonnement juridique qui étaye leur motivation.
Appréciation de la cour
La convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, du 17 décembre 1997, établit des normes juridiquement contraignantes tendant à faire de la corruption d'agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales une infraction pénale. Elle prévoit également un certain nombre de mesures permettant une mise en œuvre efficace de ses provisions. Il s'agit du premier et du seul instrument international de lutte contre la corruption ciblant " l'offre " de pots-de-vin à des agents publics étrangers. Elle a été ratifiée par la France le 31 juillet 2000 et est entrée en vigueur dans l'ordre juridique français le 29 septembre 2000.
La loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite " loi Sapin 2 ") dispose en son article 17 que les entreprises sont tenues de prendre des mesures destinées à prévenir et à détecter la commission, en France ou à l'étranger, de faits de corruption ou de trafic d'influence, ces mesures étant contrôlées par l'agence française anti-corruption (AFA).
Ces textes, postérieurs à la période d'exécution des contrats litigieux sont néanmoins applicables car il appartient au juge d'apprécier la conformité d'une décision étrangère à l'ordre public international au jour où il statue (Cass., Civ. 1ère, 23 novembre 1976, n°75-13.113).
Dans cette optique, la cour n'examine la conformité de l'exécution d'une sentence arbitrale à la conception française de l'ordre publique international qu'au regard des normes juridiques internationales, législatives et réglementaires applicables, et non au regard des règles de conformité internes que s'est fixée unilatéralement une société en application de ces textes.
En outre, la cour n'est pas saisie d'un recours au fond contre la sentence arbitrale de sorte qu'elle n'a pas à apprécier le raisonnement des arbitres mais seulement la conformité de l'exécution de la sentence à la conception française de l'ordre public international.
Enfin, comme vu précédemment, il ne résulte pas des productions des parties, et notamment des sociétés Alstom, des indices précis, graves et concordants de corruption susceptibles d'entraîner une violation caractérisée de l'ordre public international.
Dès lors, le moyen soulevé par les sociétés Alstom sera rejeté.
IV. Sur le troisième moyen d'infirmation : la violation du principe de la contradiction
Moyens des parties
Les sociétés Alstom demandent l'infirmation de l'ordonnance du 30 mars 2016 ayant conféré l'exéquatur à la sentence arbitrale prononcée le 29 janvier 2016, au fondement des articles 1520 4° et 1525 du code de procédure civile, au motif que la sentence violerait le principe de la contradiction, en ce qu'elle est fondée sur des moyens de droit qui n'ont pas été soumis à la discussion préalable des parties.
Elles indiquent que le tribunal arbitral a fondé sa décision sur la doctrine suisse relative à la recherche de l'intention subjective des parties en vertu de l'article 18 du Code des obligations suisse, en considérant que " lorsque le comportement ultérieur des parties est contraire aux dispositions d'un contrat conclu entre elles, ce comportement doit être considéré comme une modification ultérieure implicite de ce contrat ". Il a ainsi considéré que par leur comportement, et notamment par le fait qu'une partie des commissions avaient été payées à la société ABL pour ces contrats, les parties avaient adopté une interprétation plus souple des exigences en matière de preuves de services, caractérisant ainsi une " modification ultérieure implicite " des dispositions de ces contrats.
Or, les sociétés Alstom font valoir que ce moyen n'a été soulevé par aucune des parties dans le cadre de l'audience arbitrale ni dans leurs mémoires, et que de plus, le principe d'une modification tacite par les parties des clauses des contrats n'a pas non plus été discuté au cours de l'audience. Elles indiquent que leurs conseils ont répondu aux arguments d'Alexander Brothers, notamment concernant l'absence alléguée de contestation antérieure de la part de la société Alstom Transport sur la conformité des preuves de services, et l'application du principe de l'estoppel, mais que la question d'une modification ultérieure et tacite du contrat n'a pas été mise dans le débat.
Elles précisent que si elles avaient été interrogées sur ce point, elles auraient pu faire valoir d'autres arguments pour contester l'existence d'une telle modification tacite, comme par exemple l'existence d'une clause dans le contrat n°3 prévoyant que toute modification au contrat par les parties n'est valable que si elle est faite par écrit. Elles considèrent par conséquent qu'elles ont été privées de la possibilité de répondre et en déduisent une atteinte au principe du contradictoire.
Enfin, les sociétés Alstom font valoir que le caractère prévisible de la règle de droit appliquée par le tribunal arbitral est indifférent. Selon elles, le tribunal arbitral ne peut appliquer d'office aucun moyen de droit sans le soumettre à la discussion préalable des parties, quand bien même ce moyen de droit paraîtrait prévisible ou nécessairement dans la cause. Elles opèrent une distinction entre l'identification de la règle de droit par l'arbitre, qui doit être mise dans le débat et discutée entre les parties, et la mise en œuvre de la règle de droit par l'arbitre qu'il n'est pas nécessaire de mettre dans le débat puisque l'arbitre n'est pas tenu de soumettre son raisonnement juridique à une discussion préalable contradictoire des parties.
Poursuivant la confirmation de l'ordonnance d'exequatur du 30 mars 2016, la société ABL conteste l'existence d'une violation du principe du contradictoire au motif que, selon elle, la règle de droit visant à la recherche de l'intention subjective des parties a été largement débattue, notamment dans les mémoires pré et post audience, et qu'elle constitue une règle de droit parfaitement établie en droit suisse.
Appréciation de la cour
Le principe de la contradiction exige que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leur adversaire de sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n'ait échappé à leur débat contradictoire.
Cependant, alors que les arbitres sont tenus de mettre dans le débat les moyens juridiques sur lesquels ils se fondent, il n'y a aucune violation du principe de la contradiction à ne pas soumettre préalablement au prononcé de la sentence la motivation de celle-ci au débat contradictoire, sauf à empêcher les arbitres de jamais statuer s'il leur fallait provoquer les explications des parties sur le raisonnement à tenir.
En l'espèce, saisis par la société ABL (demanderesse) d'une demande en paiement des trois contrats de consultant, les arbitres ont envisagé le litige sous l'angle de l'exécution ou de la non-exécution d'une obligation contractuelle. Il ressort de la motivation de la sentence qu'ils ne se sont pas penchés sur la teneur des preuves de services, mais ont pris en compte, s'agissant des contrats n°1 et 2, le fait que les sociétés Alstom avaient procédé à un versement partiel de la rémunération de son consultant sans demander des preuves de services complémentaires et qu'en procédant ainsi, elle changeait de comportement par rapport aux dispositions du contrat. Appliquant une règle de droit suisse, les arbitres ont considéré que ce changement de comportement était équivalent à une modification ultérieure des dispositions du contrat, de sorte que les preuves de services fournies par la société ABL devaient être considérées comme suffisantes. Ils en ont déduit que les sociétés Alstom étaient donc tenues de verser le reliquat de rémunération restant dû pour ces deux contrats.
Les sociétés Alstom estiment que le moyen de droit suisse retenu par les arbitres – selon lequel lorsque le comportement ultérieur des parties est contraire aux dispositions d'un contrat conclu entre elles, ce comportement doit être considéré comme une modification ultérieure implicite de ce contrat (pièce 9 Alstom paragraphe 305) - n'a pas été soumis à la contradiction.
Il ressort pourtant de la sentence arbitrale que, s'agissant de la violation par la société abl de ses obligations contractuelles en matière de preuves de services, les sociétés alstom ont exposé les moyens suivants :
" 294. Les défenderesses n'ont pas renoncé à l'obligation contractuelle de la demanderesse de fournir et de conserver des preuves de ses prestations de services de la manière indiquée dans les contrats de consultant. Même avant l'arbitrage, les défenderesses ont fait part à de multiples reprises à la demanderesse de l'insuffisance alléguée des preuves de ses prestations de services.
295. La violation par la demanderesse de ses obligations contractuelles décharge les défenderesses de leur obligation de paiement ".
Il en résulte que les sociétés Alstom ont contesté avoir renoncé à l'obligation contractuelle de fournir des preuves de services. Se faisant, elles se sont donc exprimées sur la question d'un changement de comportement induisant une modification ultérieure des dispositions du contrat.
Ceci est confirmé par les développements des sociétés Alstom dans leur second mémoire d'arbitrage, dans une partie intitulée " Respondents never waived ABL's obligation to provide proof of services as a condition for payment " (traduction libre d'Alstom : " Les Défenderesses n'ont jamais renoncé à l'obligation d'ABL de fournir des preuves de services comme condition du paiement ").
Dans cette partie, répliquant à la société ABL, les sociétés Alstom contestent qu'il puisse être déduit des versements opérésle fait qu'elles auraient renoncé à contrôler les preuves de services de son consultant :
- s'agissant des contrats 1 et 2 ayant donné lieu à paiement partiel : " a waiver from Respondents regarding the adequacy of the proofs of services may not be presumed and would have to be proven by ABL " (traduction libre d'Alstom : " une renonciation des Défenderesses s'agissant du caractère adéquat des preuves de services ne peut pas être présumée et doit être prouvée par ABL ") (paragraphe 261) ;
- et s'agissant du contrat n° 3 " The fact that services may have been performed before the execution of this consultancy agreement does not change the fact that the consultant is under the contractual obligation to produce detailed evidence of such services. As a consequence, no waiver can be inferred for the conclusion of this agreement " (traduction libre d'Alstom : " Le fait que les services aient pu être exécutés avant la signature de ce contrat de consultant ne change rien au fait que le consultant est soumis à une obligation contractuelle de fournir la preuve détaillée ce ces services.
En conséquence, aucune renonciation ne peut être déduite de la conclusion de ce contrat "). (paragraphe 266) (pièce 64 Alstom).
Au surplus, une ordonnance de procédure, rendue dansle cadre de la procédure arbitrale le 28 mai 2015, a demandé des précisions aux parties et leur a laissé jusqu'au 25 juin 2015 pour rendre un mémoire (pièce 65 Alstom).
Les précisions demandées sont les suivantes :
" Les Parties sont invitées à commenter spécifiquement les aspects de droit suisse de leurs arguments respectifs. En particulier, les questions suivantes doivent être abordées dans leurs mémoires postérieurs à l'audience :
(a) En droit suisse, peut-on excuser, renoncer ou modifier l'exécution des obligations par un retard pour faire exécuter des obligations contractuelles ? " (pièce 65 Alstom).
Le mot " retard " se rapportait en réalité à l'exécution par la société ABL de son obligation de fournir des preuves de services suffisantes et à l'obligation pour les société Alstom de s'assurer de la bonne exécution de cette disposition contractuelle.
Le mémoire postérieur à l'audience des société Alstom est sans équivoque sur ce point :
- " En l'espèce, les Défendeurs n'ont aucunement renoncé à leurs droits, que ce soit de manière explicite ou implicite, de faire appliquer les obligations du Demandeur au titre des Contrats de consultant.
En particulier, le paiement des premières factures émises par ABL ne constitue pas une annulation implicite de l'obligation du Demandeur de respecter ses obligations accessoires et les conditions pour les paiements ultérieurs ". (pièce 66 traduction libre Alstom paragraphes 166 et 167).
- " En l'espèce, il n'a ni été établi, ni prétendu, que les Parties auraient convenu, explicitement ou implicitement, d'une modification des dispositions des Contrats de consultant relatives aux preuves de services.
Au contraire, les deux Parties se sont toujours appuyées sur ces dispositions pour leurs positions respectives, y compris dans la présente procédure d'arbitrage. Il s'ensuit qu'aucune modification des obligations contractuelles existantes n'est intervenue " (pièce 66 traduction libre Alstom paragraphes 176 et 177).
Dès lors, les jurisprudences citées par les sociétés Alstom, qui concernent des cas d'espèce distincts, sont inopérantes (CA Paris, 15 mai 2008, n°06/15435, confirmé par
Cass. Civ. 1, 1er juillet 2009, n°08-17721 ; Cass. 1ère civ., 26 juin 2013, n°12-16224).
Il s'ensuit que les sociétés Alstom ne démontrent pas que la sentence arbitrale a été rendue en violant le principe du contradictoire de sorte que le moyen sera rejeté.
Il résulte de ce qui précède que l'ordonnance du 30 mars 2016 ayant revêtu de l'exequatur la sentence arbitrale du 29 janvier 2016 rendue entre les parties doit être confirmée.
Les demandes des sociétés Alstom seront dès lors rejetées.
V. Sur les frais irrépétibles et les dépens
Selon l'article 639 du code de procédure civile, la juridiction de renvoi statue sur la charge de tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris sur ceux afférents à la décision cassée.
Les sociétés Alstom, parties perdantes, seront condamnées aux dépens d'appel de l'instance cassée et de la présente instance, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile. Leur demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile sera de ce fait rejetée.
Il apparaît équitable d'allouer à la société ABL la somme de 30 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Les sociétés Alstom seront dès lors condamnées in solidum à lui verser cette somme.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
Dans les limites de la cassation prononcée le 29 septembre 2021 (pourvoi n°19-19.769),
CONFIRME l'ordonnance du 30 mars 2016 rendue par le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris conférant l'exéquatur à la sentence rendue le 29 janvier 2016 par le tribunal arbitral composé de M. Konrad, M. Dietschi, M. Schimmel ;
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum la société Alstom Transport SA et la société Alstom Network UK Ltd à verser à la société Alexander Brothers Ltd 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la société Alstom Transport SA et la société Alstom Network UK Ltd aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes.