Livv
Décisions

CA Angers, ch. civ. A, 26 septembre 2023, n° 19/01537

ANGERS

Arrêt

Infirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Muller

Conseillers :

Mme Gandais, Mme Elyahyioui

Avocats :

Me Denis, Me Loiseau

TGI de Saumur, du 23 mai 2019, n° 18/000…

23 mai 2019

EXPOSE DU LITIGE

Suivant acte authentique en date du 21 janvier 2003, Mme [S] [I] a acquis auprès de M. [U] [T] une parcelle de terre et de taillis cadastrée section Z n°[Cadastre 2] sur la commune de [Localité 9] (49), pour une contenance de 07ha 01a 95ca, au prix de 15'245 euros.

Suivant acte sous seing privé en date du 16 décembre 2014, un compromis de vente était établi entre Mme [I], venderesse, et M. [Z] [V] et Mme [K] [F] épouse [V], acquéreurs, portant sur une partie d'environ 5ha à prendre sur la parcelle cadastrée section Z n°[Cadastre 2] moyennant le prix de 1 600 euros l'hectare, soit pour une surface de 5ha, un prix total de 8 000 euros.

Le compromis, dont la réitération par acte authentique devait intervenir au plus tard le 16 février 2015, précisait que la parcelle serait distraite de la contenance vendue grâce à un document d'arpentage à établir aux frais de la venderesse par tout géomètre-expert de son choix.

Le 5 janvier 2015, l'institut national de l'origine de la qualité (ci-après l'INAO) indiquait à Mme [I], qu'une aire délimitée de sa parcelle cadastrée Z n°[Cadastre 2], pour 3ha 53a 35ca, était classée en zone appellation d'origine contrôlée (ci-après AOC) [Localité 10]-[Localité 7].

Suivant courriels des 6 et 7 janvier 2015, la venderesse informait les acquéreurs qu'une partie de la parcelle vendue se trouvait en appellation [Localité 10]-[Localité 7] et que le prix n'était plus le même.

Aucun accord n'ayant pu intervenir entre les parties, Mme [I] a fait assigner, par actes d'huissier en date des 22 décembre 2017 et 12 janvier 2018, les époux [V] devant le tribunal de grande instance de Saumur ainsi que la société BBR Agence du marché qui l'avait mise en contact avec les acquéreurs, aux fins de voir principalement prononcer la nullité du compromis de vente et obtenir leur condamnation in solidum à lui payer des dommages et intérêts.

Suivant jugement en date du 23 mai 2019, le tribunal de grande instance de Saumur a :

- prononcé la nullité du compromis de vente en date du 16 décembre 2014 intervenu entre Mme [S] [I] et M. [Z] [V] et son épouse Mme [K] [F] pour la vente d'une partie d'environ cinq hectares à prendre dans une parcelle en nature de taillis cadastrée section Z n°[Cadastre 2] sur la commune de [Localité 9],

- débouté Mme [S] [I] de sa demande de dommages et intérêts à l'encontre de M. [Z] [V] et de son épouse Mme [K] [F] et à l'encontre de l'Agence du Marché,

- rejeté les demandes de M. [Z] [V] et de son épouse Mme [K] [F],

- condamné M. [Z] [V] et son épouse Mme [K] [F] à payer à Mme [S] [I] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [Z] [V] et son épouse Mme [K] [F] aux entiers dépens de l'instance,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Le tribunal a, à titre principal, retenu que la venderesse apportait la preuve qu'elle avait commis une erreur sur les qualités substantielles de la chose objet de la vente puisqu'elle avait appris seulement après la signature du compromis de vente qu'une partie de la parcelle vendue était classée en zone AOC appellation Saumur-Champigny et non pas zone NC de bois et taillis. Le tribunal a ajouté qu'il ne s'agit pas d'une erreur sur la valeur mais bien d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue, laquelle a été considérée comme excusable, le changement de classification ayant été connu de la venderesse après la signature du compromis de vente.

Par déclaration reçue au greffe le 24 juillet 2019, les époux [V], intimant Mme [I], ont interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant débouté Mme [I] de sa demande indemnitaire formée à leur encontre.

Moyens

Suivant conclusions en date du 14 janvier 2020, l'intimée formait un appel incident s'agissant du chef du jugement l'ayant déboutée de sa demande de dommages et intérêts formée à l'encontre des époux [V].

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, à leurs dernières conclusions :

- en date du 31 mars 2020 pour les époux [V],

- en date du 14 janvier 2020 pour Mme [I]

Qui peuvent se résumer comme suit.

Les époux [V] demandent à la cour de :

- dire Mme [S] [I] mal fondée dans son appel incident et la débouter de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- les déclarer recevables et fondés en leur appel,

- y faisant droit, infirmer et réformer le jugement rendu en ce qu'il a prononcé la nullité du compromis du 16 décembre 2014, et en ce qu'il a rejeté leurs demandes, et en ce qu'il les a condamnés à payer à Mme [S] [I] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les a condamnés aux dépens,

- débouter Mme [S] [I] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

- la condamner à signer chez Me [R] l'acte de vente portant sur les terres objet du compromis du 16 décembre 2014 qui constitue la pièce n° 2 produite par Mme [S] [I], et ce sous astreinte de 300 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la signification de la décision à intervenir,

- confirmer ledit jugement en ses dispositions non contraires,

- condamner Mme [S] [I] à leur payer la somme de 6 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Au soutien de leur appel, ils exposent que le classement de la parcelle, objet du compromis de vente, en zone AOC [Localité 10]-[Localité 7] ne concerne nullement une donnée essentielle du contrat, déterminante du consentement de la venderesse. Ils ajoutent que l'intimée souhaitait surtout se séparer rapidement de son bien immobilier pour obtenir de la trésorerie. Les appelants considèrent que la venderesse se plaint en réalité d'une prétendue erreur sur la valeur du bien vendu mais qu'en tout état de cause, elle avait la volonté de baisser le prix de vente dans l'optique d'une cession rapide, acceptant d'ailleurs sans réserve leur contre-proposition. Les époux [V] soulignent ainsi que la venderesse entendait clairement réitérer la vente au prix convenu au compromis pour des terres qu'elle savait classées en zone AOC, souhaitant vendre rapidement et les menaçant uniquement d'un contrôle fiscal. Par ailleurs, les appelants soutiennent que l'intimée, alors épouse de viticulteur, savait, dès l'achat du terrain en 2003, qu'une partie de la parcelle acquise était classée en zone AOC, tout comme les parcelles voisines dont certaines étaient exploitées par son époux. Ils estiment en tout état de cause que la venderesse a commis une erreur inexcusable en ne tenant pas compte, pour fixer le prix de vente du terrain, de la classification en zone AOC alors qu'elle avait elle-même acquis le terrain à un viticulteur et qu'elle connaissait parfaitement l'existence de cette zone AOC. S'agissant de la prétendue vileté du prix, les appelants relèvent que l'intimée excipe de cette cause de nullité du seul fait de la prescription de son action en rescision pour lésion. Ils indiquent qu'elle n'apporte en toute hypothèse aucun élément relativement à la valeur du terrain vendu. Ils rappellent en outre que la vileté du prix s'apprécie au regard du sérieux du prix convenu et non par rapport au caractère insuffisant du prix qui renvoie quant à lui à la notion de lésion. Les appelants affirment que le prix convenu n'est aucunement dérisoire et que la sous-évaluation de la part de la venderesse relevait de la seule action en rescision pour lésion. En réponse à la demande indemnitaire, ils font grief à l'intimée d'invoquer leur responsabilité dans la prescription de son action en rescision alors que celle-ci lui est exclusivement imputable. Ils ajoutent que la venderesse n'établit aucune intention de nuire de leur part ou autre stratagème fautif.

Mme [I] demande à la cour, au visa des dispositions de l'article 1591, des anciens articles 1134 et 1382 du code civil, de :

- enjoindre à M. et Mme [V] de verser aux débats leur pièce n° 15 bis visée aux termes de leurs écritures d'appelants,

- confirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Saumur en date du 27 juin 2019 en ce qu'il a déclaré nul le compromis régularisé le 16 décembre 2014,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté sa demande de dommages et intérêts,

- statuant à nouveau, condamner les époux [V] à lui verser la somme de 15 000 euros pour résistance abusive,

- en toutes hypothèses, rejeter l'ensemble des demandes fins et conclusions de M. et Mme [V],

- condamner M. et Mme [V] à lui verser la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

À l'appui de ses demandes, l'intimée fait valoir à titre principal qu'elle n'avait pas connaissance du classement de sa parcelle en zone AOC et que son consentement à la vente a été vicié puisqu'elle s'est trompée sur les qualités essentielles de la parcelle, erreur ayant, par ricochet, eu une incidence sur la détermination de son prix de vente. Réfutant les attestations adverses, elle expose qu'elle n'a été informée que postérieurement à la signature du compromis de vente du classement du terrain en zone AOC de sorte que le prix s'en trouvait nettement supérieur. Elle se prévaut d'une erreur excusable dans la mesure où elle avait elle-même acheté cette parcelle comme n'étant pas classée en zone AOC et qu'elle avait eu recours à une agence immobilière pour vendre son bien. L'intimée ajoute que nonobstant son souhait de voir intervenir rapidement la vente, elle n'a pu consentir valablement à celle-ci puisqu'elle pensait céder de simples taillis alors qu'il s'agissait de terres à vigne. A titre subsidiaire, elle se prévaut de la vileté du prix de vente dès lors que la valeur vénale de la parcelle est bien supérieure, s'appuyant tant sur l'avis estimatif produit par les appelants que sur les références versées par ses soins. Elle considère ainsi que le prix figurant au compromis de vente est dérisoire et justifie l'annulation de celui-ci. L'intimée sollicite enfin une indemnité au regard de l'attitude malintentionnée des appelants qui ont saisi l'opportunité d'une acquisition de terres pour un prix dérisoire et qui sont restés sciemment silencieux à ses demandes d'annulation du compromis de vente pour l'empêcher d'exercer, dans les délais, l'action en rescision pour lésion. Elle ajoute que compte tenu de sa situation financière quasi inextricable, elle n'a pas été en mesure de faire face à ses différentes échéances de prêt pour sa résidence principale.

Le conseil de Mme [I] a indiqué au greffe de la cour, le 9 mars 2023, ne plus intervenir au soutien des intérêts de celle-ci.

Conformément à l'avis de clôture et de fixation délivré par le greffe aux parties le 2 mars 2023, l'ordonnance de clôture a été rendue le 5 avril 2023 et l'affaire fixée à l'audience de plaidoiries du 15 mai 2023.

Le 23 juin 2023, le greffe de la cour sollicitait auprès du conseil des appelants la communication de la pièce numérotée 15 bis 'Attestation complémentaire de M. [U] [T] du 23 juillet 2019" figurant au bordereau de communication de ses pièces et auprès du conseil de l'intimée, toujours constitué, la transmission de son entier dossier.

Le 3 juillet 2023, le conseil des appelants transmettait au greffe de la cour, avec copie au conseil de l'intimée, la pièce numérotée 15 bis.

Suivant courrier du 29 juin 2023 enregistré au greffe le 7 juillet 2023, le conseil de l'intimée transmettait à la cour l'intégralité de ses pièces.

Motivation

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, la cour observe qu'à sa demande, la pièce numérotée 15 bis figurant au bordereau de communication des pièces des appelants, ayant été transmise en cours de délibéré par leur conseil, la demande de l'intimée tendant à enjoindre la production de cette pièce, est devenue sans objet.

I- Sur la demande principale en nullité du compromis de vente pour erreur

Selon l'article 1109 du code civil dans sa rédaction applicable au litige, il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.

L'article 1110 ancien du même code civil précise que l'erreur n'est cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.

L'erreur sur la substance s'entend non seulement de celle qui porte sur la matière même dont la chose est composée mais aussi plus généralement de celle qui a trait aux qualités substantielles, authenticité, origine, utilisation, en considération desquelles les parties ont contracté.

L'erreur sur la valeur n'est pas une cause de nullité du contrat.

En l'espèce, la parcelle litigieuse, d'une contenance de 7ha 01a 95ca, située sur la commune de [Localité 9] et cadastrée section Z[Cadastre 2] a été acquise par Mme [I] auprès de M. [U] [T], viticulteur, suivant acte authentique en date du 21 janvier 2003, moyennant un prix de 15'245 euros. Aux termes dudit acte, le bien vendu était désigné comme étant une parcelle de terre et de taillis.

Le compromis de vente conclu le 16 décembre 2014 entre les parties à l'instance désigne cette même parcelle comme étant en nature de taillis.

Toutefois, il s'avère qu'au début du mois de janvier 2015, à l'occasion des opérations de bornage réalisées par la SCP Lecouteux-Branly-[G], géomètre-expert et destinées à permettre la distraction des 5 hectares à vendre sur la totalité de la parcelle Z [Cadastre 2], la venderesse était alertée par le géomètre de ce qu'une partie du bois se trouvait en zone AOC Saumur-Champigny, ainsi que cela ressort du plan cadastral adressé par ce technicien à l'intimée et produit aux débats.

Le courriel du 5 janvier 2015 émis par M. [L] [E] de l'INAO confirme, en réponse au questionnement de Mme [I] suivant courriel du même jour, que « La parcelle section Z n°[Cadastre 2] est bien classée en partie en AOC pour une surface approximative de 3ha 53a 35ca sur une superficie fiscale de 7ha 01a 95ca. »

Pour démontrer l'erreur alléguée, la venderesse s'appuie sur ce courriel, sur ses échanges avec le notaire des acquéreurs ainsi que sur le compromis de vente, évoquant la vente d'un bois et ne faisant à aucun moment mention de terres à vigne.

S'il est exact que l'intimée a toujours présenté le bien à vendre comme étant un bois et ce, jusqu'au courriel adressé le 6 janvier 2015 à l'acquéreur, auprès duquel elle évoquait alors le zonage AOC d'une partie de la parcelle en vente, il s'avère, au vu des pièces produites, notamment en cause d'appel, qu'elle avait préalablement connaissance de la qualité de terre à vigne pour une partie de la parcelle.

Aux termes d'une attestation en date du 17 mai 2018 complétée par une seconde établie le 23 juillet 2019, M. [T], vendeur de la parcelle litigieuse à l'intimée, a indiqué que cette dernière, présente lors de la vente de 2003, a été informée de la présence d'une partie du taillis en AOC [Localité 10]-[Localité 7], 'Mme M.F. [I] et [lui] même [ayant] convenu ensemble de ne pas déclarer cette partie lors de la vente au vu de l'importance des travaux (bloc de roches). « Les parties à l'acte, selon le vendeur, s'étaient ainsi mises d'accord pour ignorer qu'une partie était plantable en vigne vu l'importance des travaux de remise en état » et ainsi, ne l'ont pas mentionné à l'acte.

L'intimée qui remet en cause l'authenticité de ces attestations qu'elle estime produites pour les besoins de la cause, n'établit pas la complaisance de son rédacteur. En outre, ces attestations, circonstanciées, produites par les appelants, respectent les dispositions de l'article 202 du code de procédure civile. A défaut d'élément propre à les remettre en cause, la valeur probante de ces attestations est donc suffisante pour être retenues par la cour.

Par ailleurs, il est établi, ainsi que cela ressort du courriel adressé le 5 janvier 2015 par l'intimée elle-même à l'INAO qu'elle savait que des parcelles jouxtant celle vendue aux appelants et exploitées pour partie par son ex-époux, viticulteur, se trouvaient en zone AOC [Localité 10] [Localité 7], et ce, depuis plus de 10 ans.

Il résulte de ces éléments qu'au jour de la signature du compromis de vente avec les époux [V], l'intimée ne peut soutenir qu'elle était persuadée d'un zonage simplement agricole pour la parcelle vendue. En définitive, il apparaît qu'en connaissance de cause, elle a accepté de leur vendre un bien défini contractuellement comme une parcelle de bois alors même qu'elle savait qu'une partie correspondait à des terres à vigne et qu'elle a ainsi pu se convaincre du risque du classement de cette partie en AOC, ce qui retire à l'erreur alléguée sa crédibilité et à tout le moins la rend inexcusable. Partant, l'intimée ne peut, une fois obtenue la confirmation par l'INAO d'un zonage AOC, invoquer une erreur sur la substance pour justifier sa demande d'annulation de la vente.

La décision déférée doit donc être infirmée et il convient de débouter Mme [I] de sa demande en nullité, pour erreur, du compromis de vente conclu le 16 décembre 2014 avec les époux [V].

II- Sur la demande subsidiaire en nullité du compromis de vente pour vileté du prix

L'article 1591 du code civil dispose que le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties, ce dont la jurisprudence déduit que le prix doit, notamment être sérieux et non vil.

Le vil prix est un prix excessivement bas, sans aucun rapport avec la valeur de la chose vendue, c'est à dire un prix dérisoire ou inexistant.

Pour que la vente soit nulle, il faut que le prix soit tellement bas qu'il peut être considéré comme inexistant ou dérisoire. Le caractère réel et sérieux du prix ne se confond pas avec la valeur du bien vendu en sorte que le juge n'est aucunement obligé de rechercher la valeur réelle de la chose vendue dès lors qu'elle l'a été en contrepartie d'un prix qui n'est pas dérisoire.

Par ailleurs, les juges du fond apprécient souverainement si le prix stipulé est dérisoire, en fonction de l'ensemble des conditions de vente et le caractère sérieux du prix s'apprécie à la date de la vente.

Il incombe donc à l'intimée, qui sollicite la nullité du compromis de vente litigieux pour vileté du prix, de rapporter la preuve que le prix convenu ne correspond pas à un prix réel et sérieux et s'assimile ainsi à une absence de prix.

La venderesse affirme que le prix de cession de la parcelle litigieuse est un vil prix, la somme de 8 000 euros mentionnée au compromis de vente, étant dérisoire par rapport à la valeur réelle de la parcelle. En ce sens, elle produit aux débats un document établi par la SAFER intitulé 'le prix des terres' et mentionnant pour des terres classées en zone AOC [Localité 10]-[Localité 7], une valeur comprise entre [Cadastre 2]'000 euros par hectare (fourchette basse) et 64'000 euros (fourchette haute), pour l'année 2014. Si aux termes de ses écritures, l'intimée indique que la SAFER Maine Océan aurait pris attache avec elle pour l'informer du prix réel de la parcelle, à savoir 70 000 euros, elle ne verse aucune pièce pour étayer cette affirmation.

Les appelants produisent pour leur part un avis de valeur établi le 4 mars 2015 par M. [Y], géomètre, qui conclut pour 2 hectares environ de bois-taillis, en aire d'AOC [Localité 10]-[Localité 7], à une estimation de 7 500 euros à 10 000 euros par hectare et pour 3 hectares environ de bois-taillis et divers, à une estimation de 1 500 euros par hectare, soit une estimation de la valeur globale de la parcelle litigieuse comprise entre 19'500 et 24'500 euros. Le géomètre observe que la mise en culture pour des vignes entraînerait d'importants et coûteux travaux de déboisement, défrichement et remise en état de culture, puis des frais à engager sur plusieurs années.

D'une part, il importe de relever que le prix de vente de la parcelle litigieuse était initialement fixé par l'intimée à 20 000 euros et que cette dernière a accepté l'offre d'acquisition à 8 000 euros faite par les appelants, 'du fait du besoin urgent de trésorerie' selon ses propres indications données aux termes d'un courriel du 12 janvier 2015. La contre-proposition faite par les acquéreurs s'appuyait sur la qualité et la quantité de bois.

D'autre part, si les évaluations susmentionnées font état de chiffrages différents, force est de constater que l'estimation produite par les appelants intègre quant à elle le coût des travaux indispensables pour une mise en culture des vignes, au regard de l'état actuel de la parcelle.

En définitive, le prix figurant au compromis de vente litigieux n'est pas dérisoire même s'il ne correspond pas à la valeur réelle du bien vendu. Le prix de 20 000 euros initialement sollicité par l'intimée correspond finalement à l'estimation faite par M. [Y], géomètre, aux termes de son avis de valeur produit par les appelants. Si la venderesse a finalement accepté l'offre de 8 000 euros formulée par les candidats acquéreurs et ce, pour des raisons financières, cela ne saurait préjudicier à ces derniers dans l'appréciation du caractère sérieux du prix.

Il s'ensuit que le prix convenu de 8 000 euros pour la parcelle litigieuse, même s'il est modeste, ne peut être considéré comme inexistant. L'intimée, qui ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un vil prix à la date de la vente, sera en conséquence déboutée de sa demande subsidiaire de nullité du compromis de vente sur ce fondement.

III- Sur la demande indemnitaire

L'intimée réitère en appel sa demande tendant à obtenir la condamnation des appelants à lui payer la somme de 15'000 euros en réparation de son préjudice, leur imputant un immobilisme volontaire, animé d'une intention de nuire et destiné à la rendre forclose en son action en rescision pour lésion. Elle évoque également un abus de droit de nature à lui ouvrir un droit à réparation.

Comme relevé à juste titre par les premiers juges, l'intimée ne peut faire peser sur les appelants la prescription de son action en rescision pour lésion. Il lui appartenait d'initier cette action dans le délai de deux ans et ce, quelque soit le comportement des acquéreurs. Suivant courrier du 28 janvier 2015, Me [R], Notaire des acquéreurs, avait d'ailleurs alerté la venderesse sur le risque d'une vente lésionnaire.

Aussi, il ne peut être déduit du silence gardé par les acquéreurs en janvier 2015, aux demandes de la venderesse d'annuler le compromis de vente, une intention de nuire.

Par ailleurs, l'intimée n'établit aucunement l'abus de droit des appelants, se bornant à faire état de leur attitude attentiste, sans autre développement ou pièce démontrant leur mauvaise foi.

Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire formée par la venderesse à l'encontre des acquéreurs.

IV- Sur la demande reconventionnelle tendant à la signature de l'acte authentique

L'article 1589 du code civil dispose que la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix.

Au vu de ce qui précède, le compromis de vente du 16 décembre 2014, n'étant pas entaché de nullité, ladite vente étant parfaite, il y a lieu de condamner la venderesse à signer l'acte réitératif dudit compromis de vente en l'étude notariale de Me [R], notaire à [Localité 6] (49), dans un délai de deux mois à compter de l'envoi du projet d'acte par le notaire rédacteur, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé ce délai de deux mois et qui courra pendant un délai de quatre mois.

V- Sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

L'intimée qui succombe en ses demandes sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi que sollicité par le conseil des appelants.

Il serait inéquitable de laisser à la charge des appelants les frais engagés dans le cadre de cette instance. L'intimée sera condamnée à leur payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans la mesure où l'intimée succombe en toutes ses demandes, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande formée au titre de ses frais irrépétibles d'appel.

Dispositif

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe,

INFIRME, dans les limites de sa saisine, le jugement du tribunal de grande instance de Saumur du 23 mai 2019 sauf en ses dispositions ayant débouté Mme [S] [I] de sa demande indemnitaire formée à l'encontre de M. [Z] [V] et de Mme [K] [F] épouse [V],

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DEBOUTE Mme [S] [I] de sa demande principale en nullité du compromis de vente du 16 décembre 2014 pour erreur,

DEBOUTE Mme [S] [I] de sa demande subsidiaire en nullité du compromis de vente du 16 décembre 2014 pour vileté du prix,

CONDAMNE Mme [S] [I] à signer l'acte réitératif du compromis de vente du 16 décembre 2014 portant sur une parcelle de 5ha à prendre sur la parcelle cadastrée section Z n°[Cadastre 2] sur la commune de [Localité 9] (49), en l'étude notariale de Me [R], notaire à [Localité 6] (49), dans un délai de deux mois à compter de l'envoi du projet d'acte par le notaire rédacteur, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, passé ce délai de deux mois et qui courra pendant un délai de quatre mois.

CONDAMNE Mme [S] [I] à payer à M. [Z] [V] et à Mme [K] [F] épouse [V] la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,

DEBOUTE Mme [S] [I] de sa demande formée au titre de ses frais irrépétibles d'appel,

CONDAMNE Mme [S] [I] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.