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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 12 octobre 2023, n° 19/20475

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Thetapharm (SAS)

Défendeur :

Lactalis International (SNC)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Prigent

Conseillers :

Mme Renard, Mme Soudry

Avocats :

Me Bayonne, Me Teytaud, Me Castilan, Me Buisson-Fizellier

T. com. Créteil, du 15 oct. 2019, n° 201…

15 octobre 2019

FAITS ET PROCÉDURE :

Par lettre d'intention du 22 octobre 2010, la société Lactalis International (société Lactalis) a confié à la société Thetapharm "la promotion médicale et pharmaceutique de notre gamme de produits infantiles à marque Picot dans les pays d'Afrique noire francophone."

Depuis janvier 2013, la société Thetapharm était rémunérée sur la base d'une commission de 9% du chiffre d'affaires.

Suite à la suspicion en décembre 2017 de la présence de la bactérie salmonella dans des lots de laits commercialisés, la société Lactalis International a été contrainte d'interrompre ses livraisons et rappeler les produits déjà livrés.

Par courrier du 23 mars 2018 de son conseil adressé à la société Lactalis International, la société Thetapharm prenait acte de la rupture unilatérale du contrat aux torts exclusifs de sa cocontractante et sollicitait une indemnisation.

Par acte d'huissier de justice du 19 juin 2018, la société Thetapharm a assigné devant le tribunal de commerce de Créteil la société Lactalis International en paiement de commissions ainsi que du préjudice résultant de la rupture du contrat par la société Lactalis International.

Par jugement du 15 octobre 2019, le tribunal de commerce de Créteil a :

- Condamné la société Lactalis International à payer à la société Thetapharm la somme de 116.761, 83 euros, augmentée des intérêts au taux légal à partir du 22 mars 2018, et débouté du surplus ;

- Débouté la société Thetapharm de sa demande de condamnation au titre de la rupture du contrat ;

- Débouté la société Thetapharm de sa demande de condamnation au titre de préjudice moral ;

- Dit irrecevables les demandes au visa des dispositions de l'article L.442-6-1-5° du code de commerce ;

- Condamné la société Lactalis International à payer à la société Thetapharm la somme de 3.000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'a déboutée du surplus de sa demande, et débouté la société Lactalis International de sa demande formée de ce chef ;

- Ordonné l'exécution provisoire de ce jugement sous réserve qu'en cas d'appel, il soit fourni par le bénéficiaire une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à son profit ;

- Condamné la société Lactalis International aux dépens ;

- Liquidé les dépens à recouvrer par le greffe à la somme de 114,98 euros TTC (dont 20.00% de TVA).

Par déclaration du 5 novembre 2019, la société Thetapharm a interjeté appel du jugement du tribunal de commerce de Créteil en date du 15 octobre 2019 en ce qu'il a :

- Débouté la société Thetapharm de ses demandes suivantes :

*Condamner la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 631 000 euros correspondant à 2 ans de commissions au titre de la rupture du contrat d'agent commercial

A titre subsidiaire,

* Condamné la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 631 000 euros pour rupture brutale des relations établies ;

* Condamné la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 15 000 euros au titre de préjudice financier

* Condamner la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 15 février 2022, la société Thetapharm demande à la cour, au visa des articles L134 et suivants du code de commerce ainsi que de l'article L442-6-1-5° du code de commerce, de :

- Dire que la cour d'appel de Paris est saisie du litige par l'effet dévolutif de l'appel prévu à l'article 562 du code de procédure civile et que les demandes de la société Thetapharm relèvent de son pouvoir juridictionnel,

En conséquence,

- Dire la société Thetapharm recevable en ces demandes et rejeter les fins de non-recevoir soulevées par la société Lactalis,

- Confirmer purement et simplement le jugement du tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a :

* Condamné la société Lactalis à payer à la société Thetapharm la somme de 116 761.83 euros, augmentée des intérêts au taux légal à partir du 22 mars 2018 ;

* Condamné la société Lactalis à payer à la société Thetapharm la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Réformer pour le surplus.

Et, statuant à nouveau :

- Dire les sociétés Lactalis et Thetapharm liées par un contrat d'agent commercial ;

- Condamner la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 631 000 euros correspondant à 2 ans de commissions à titre d'indemnité de rupture ;

A titre subsidiaire

- Condamner la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 631 000 euros pour rupture brutale des relations établies ;

- Condamner la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 15 000 euros au titre de préjudice financier ;

- Condamner la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral ;

- Débouter purement et simplement la société Lactalis de l'intégralité de ses demandes ;

Dans tous les cas :

- Condamner la société Lactalis à verser à la société Thetapharm la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Lactalis aux entiers dépens d'instance, en ce compris l'intégralité des frais d'exécution.

Dans ses dernières conclusions, notifiées par le RPVA le 7 mars 2022, la société Lactalis International, demande à la cour de :

A titre principal :

Vu les dispositions des articles L. 442-6-I-5° (dans ses dispositions applicables lors des faits), L.134-1 et L.134-12 du code de commerce et de l'Annexe 4-2-1 de l'article D. 442-3 du code de commerce,

Vu les dispositions des articles 122 et suivants du code de procédure civile,

- Réformer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes de la société Thetapharm sur le fondement de l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, tout en statuant sur les demandes fondées sur les articles L.134-1 et L.134-12 du Code de commerce ;

Et, statuant à nouveau, déclarer irrecevable l'ensemble des demandes formulées par la société Thetapharm

A titre subsidiaire :

Vu les dispositions des articles L.134-1 et L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

Rejeter la demande de la société Thetapharm de :

- 631.000 € au titre de l'indemnité pour rupture d'un contrat d'agent commercial ;

- 631.000 € au titre de l'indemnité pour rupture brutale de relation commerciale établie ;

- 15.000 € au titre de son préjudice financier ;

- 50.000 € au titre de son préjudice moral ;

- Puisque le contrat la liant à la société Thetapharm ne saurait être assimilé à un contrat d'agent commercial ;

- Puisque qu'aucune rupture brutale de la relation commerciale ne peut être imputée à la société Lactalis International ;

- Puisque qu'aucune rupture du contrat d'agent commercial n'est imputable à la société Lactalis International ;

En tout état de cause :

Vu les dispositions des articles L.134-1 et L. 442-6-I-5° du code de commerce,

Rejeter l'ensemble des demandes de la société Thetapharm sauf à condamner la société Lactalis International à verser la somme maximale de 147.037 € au titre de la rupture du contrat d'agent commercial alléguée par la société Thetapharm ;

- Condamner la société Thetapharm à régler la somme de 10.000 € à la société Lactalis International au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Thetapharm aux entiers dépens d'instance dont distraction au profit de Maître François Teytaud, Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- Puisque l'indemnité due au titre de la rupture du contrat d'agent commercial alléguée par la société Thetapharm ne saurait être supérieure à la somme de 147.037 € ;

- Puisque l'indemnisation demandée par la société Thetapharm au titre de la rupture brutale de relation commerciale est disproportionnée ;

- Puisque l'indemnité pour rupture brutale de relation commerciale ne peut se cumuler avec le paiement des commissions non versées entre décembre 2017 et fin mars 2018 ;

- Puisque que le préjudice financier de la société Thetapharm n'est pas justifié ;

- Puisque que la société Thetapharm ne démontre pas avoir subi un préjudice moral ;

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 5 janvier 2023.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur les limites de l'appel

La disposition du jugement "Condamne la société Lactalis International à payer à la société Thetapharm la somme de 116.761, 83 euros, augmentée des intérêts au taux légal à partir du 22 mars 2018", n'est pas comprise dans la déclaration d'appel et n'a pas fait l'objet d'un appel incident. Elle est donc définitive.

Sur la demande de la société Lactalis d'irrecevabilité des demandes de la société Thetapharm

La société Lactalis fait valoir que la société Thetapharm a formé une demande sur le fondement de l'article L. 442-6 I, 5° du code de commerce, que, dès lors qu'une partie se fonde sur l'article L. 442-6, I, 5°, du code de commerce, même à titre subsidiaire, le tribunal doit déclarer l'ensemble des demandes irrecevables, et qu'en conséquence le tribunal de commerce devait déclarer l'ensemble des demandes de la société Thetapharm irrecevables.

La société Thetapharm réplique que la cour d'appel de Paris étant la seule cour désignée pour connaître les litiges relatifs à l'application de l'article L. 442-6 du code de commerce et le tribunal de commerce de Créteil étant une juridiction du ressort de cette cour d'appel, la Cour d'appel de Paris est valablement saisie pour connaître de la demande formée sur le fondement de l'article précité, et conformément à l'effet dévolutif de l'appel prévu à l'article 562 du code de procédure civile.

Le tribunal de commerce de Créteil avait le pouvoir juridictionnel de statuer sur les demandes de la société Thetapharm fondées sur les articles L 134 - 1 et L 134 - 12 du code de commerce, a statué sur ces demandes et a déclaré irrecevable la demande formée à titre subsidiaire sur la base de l'article L442 - 6 du code de commerce.

La cour d'appel de Paris est juridiction d'appel des décisions prononcées par le tribunal de commerce de Créteil et a le pouvoir juridictionnel de statuer sur les demandes fondées sur l'article L442 - 6 du code de commerce.

La cour d'appel de Paris est en conséquence valablement saisie pour connaître de l'ensemble des demandes de la société Thetapharm du fait de l'effet dévolutif de l'appel

Il y a lieu de déclarer recevables les demandes de la société Thetapharm.

Sur la demande d'indemnisation de la société Thetapharm sur le fondement du contrat d'agent commercial :

Sur la qualification du contrat

La société Thetapharm fait valoir que l'étendue de la mission était telle que la qualification d'agent commercial doit être retenue : Recherche et référencement de nouveaux clients, négociation des commandes, concession de remises, délais de paiement, négociations des volumes, des modalités de livraison, gestion de catalogue, représentation de la société Lactalis International auprès des tiers et des autorités locales.

La société Lactalis répond que :

- La société Thetapharm ne peut être qualifiée d'agent commercial en ce qu'elle n'était investie d'aucun pouvoir de négocier les contrats pour le compte de la société Lactalis International,

- La société Thetapharm ne s'est jamais présentée comme un agent commercial mais comme un délégué médical, ayant un rôle d'information et non de négociation des conditions des contrats de vente,

- En tout état de cause, la société Thetapharm ne dispose pas d'un mandat de négociation des commandes ou de représentation de la société Lactalis International : les tâches confiées à la société Thetapharm sont incompatibles avec le statut d'agent commercial, la société Lactalis International fixait elle-même les prix de ses produits et chaque prise de décision de la société Thetapharm nécessitait l'aval de la société Lactalis International,

- Si la Cour devait retenir la qualification de contrat d'agent commercial ou de relation commerciale, aucune rupture n'est imputable à la société Lactalis International qui a toujours souhaité poursuivre ses relations avec la société Thetapharm.

L'article L.134-1 du code de commerce, qui transpose l'article 1 de la directive européenne n°86/653/CEE du 18 décembre 1986, dispose que : "l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale. Ne relèvent pas des dispositions du présent chapitre les agents dont la mission de représentation s'exerce dans le cadre d'activités économiques qui font l'objet, en ce qui concerne cette mission, de dispositions législatives particulières.".

Il est de principe que l'application du statut d'agent commercial ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties dans le contrat, ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention, mais des conditions dans lesquelles l'activité est effectivement exercée.

Par un arrêt du 4 juin 2020 (Trendsetteuse, C-828/18), la CJUE a dit pour droit que l'article 1, paragraphe 2, de la directive 86/653 doit être interprété en ce sens qu'une personne ne doit pas nécessairement disposer de la faculté de modifier les prix des marchandises dont elle assure la vente pour le compte du commettant pour être qualifiée d'agent commercial, au sens de cette disposition.

Ainsi il importe peu que l'agent commercial ne conclut pas lui-même les contrats qu'il est chargé de négocier. En outre, la mission de négociation ne s'entend pas exclusivement du pouvoir de modifier les prix des produits ou services mais consiste à faire en sorte que l'offre du mandant reçoive une acceptation du client, ce qui peut être caractérisé par le démarchage de la clientèle, l'orientation de son choix en fonction de ses besoins, sa fidélisation par des actions commerciales ou encore la valorisation du produit.

Il est rappelé en outre que la qualité de mandataire indépendant de l'agent commercial s'entend tout à la fois de ce qu'il exerce à ses risques et se trouve libre et autonome s'agissant de l'organisation de son travail, ce qui le différencie du simple mandataire.

Par lettre d'intention du 22 octobre 2010, la société Lactalis a confié à la société Thetapharm "la promotion médicale et pharmaceutique de notre gamme de produits infantiles à marque Picot dans l'Afrique noire francophone. Nous sommes convaincus que votre travail de promotion médicale et pharmaceutique permettra l'implantation et le déploiement de notre marque Picot dans le réseau."

Depuis janvier 2013, la société Thetapharm était rémunérée sur la base d'une commission de 9% du chiffre d'affaires.

Contrairement à ce qu'allègue la société Lactalis, l'inscription de l'intermédiaire au registre spécial des agents commerciaux n'est pas une condition nécessaire à la reconnaissance de ce statut. De même, la qualité d'agent commercial doit être appréciée dans le cadre de l'exécution du présent contrat et non dans le cadre d'une autre affaire dans laquelle la société Thetapharm n'aurait pas revendiqué le statut d'agent commercial.

Le pouvoir de négociation ne se résume pas à la fixation des tarifs, ce qui en l'espèce est sans incidence, puisqu'il n'est pas contesté que dans beaucoup de pays africains, le prix des laits infantiles est fixé par le gouvernement comme en attestent les pièces suivantes versées aux débats :

- Courriel du 18 novembre 2016 adressé par la société Thetapharm à la société Lactalis : "Vous pouvez publier votre grille tarifaire mais il est à noter que vous ne pouvez modifier les prix au Sénégal et en Côte d'Ivoire où vos produits disposent d'AMM en cours : au Sénégal, aucune augmentation de prix n'a été acceptée depuis plus de 10 ans, en RCI, les augmentations de prix ne sont acceptées que tous les 5ans."

- Lettre de la République du Sénégal notifiant les résultats de la commission nationale du visa donnant un avis favorable à la fixation des laits Picot avec la précision que : "les prix proposés ne peuvent subir aucune augmentation pendant une durée de trois ans."

- Courriel du 19 janvier 2017 adressé par la société Thetapharm à la société Lactalis : "Nous préférons cependant vous prévenir que si vous décidez de réenregistrer ces produits, il est très peu probable que la DPM accepte une augmentation de prix de plus de 5-10%, ce qui, sur NQ1&2, reviendrait à peu près au prix de 2.78 €" '

- Courriel adressé par la société Thetapharm à la société Lactalis : "Comme évoqué au téléphone, nous vous suggérons de revenir aux prix 2016 demandés par Laborex Sénégal (') Thetapharm a par le passé avertit plusieurs fois Lactalis que les augmentations de prix sous soumissions préalables à la DPM [Direction de la Pharmacie et du Médicament] pourraient un jour être retoquées par les Grossistes. C'est ce qui arrive aujourd'hui "

La société Thetapharm avait cependant le pouvoir d'accorder des remises aux clients, de négocier des volumes avec les grossistes locaux ainsi que le rachat des stocks comme en atteste le mail suivant : Courriel du 1er septembre 2017 adressé par la société Thetapharm à la société Lactalis : "Comme discuté aujourd'hui, je te confirme qu'à votre demande, la remise sur la facture Mauritanie sera partagée avec Thetapharm. Pas de retour encore de la part de Laborex Mauritanie en tout cas."

Aux termes d'un courriel du 5 mars 2010, la société Thetapharm rappelait à la société Lactalis les termes de son partenariat "Dans le cadre de notre partenariat, la gamme Picot serait intégrée dans le portefeuille de produit d'un réseau dédié à l'univers infantile'"

"L'ajout de la gamme Picot à ce portefeuille dédié à l'univers infantile serait un atout pour Lactalis. En effet, la gamme bénéficierait ainsi de la forte notoriété de nos gammes et serait d'ores et déjà "cautionnée" par l'historique positif de ces produits. De plus elle serait parfaitement complémentaire."

La société Lactalis soutient qu'elle disposait d'importateurs locaux (Supermarket Congo, El Walief Soudan etc.) qui passaient commande et des grossistes pharmaceutiques situés en France qui passaient commande depuis la France auprès de la société Lactalis pour leurs réseaux en Afrique et qu'elle était en relation commerciale avec ceux-ci afin qu'ils distribuent ses produits via leurs filiales locales.

Mais dans son courriel du 5 mars 2010, la société Thetapharm précisait : "Commissions calculées sur les ventes locales. ['] Comme nous vous l'avons dit, les décisions sont prises localement, et nous vous proposerons de vous faire bénéficier de nos relations" historiques "pour négocier avec eux les conditions de commercialisation les plus adaptées."

La société Thetapharm adressait les courriels suivants à la société Lactalis :

Courriel du 19 avril 2016 : "Etant donné les outils marketing que je viens de découvrir nous sommes très confiants pour le BBG1&2 et nous pouvons nous engager sur un écoulement sous un an. Car le lancement de Picot BBG sera la priorité des mois à venir.

En revanche, pour le AR1, c'est plus difficile de se prononcer et il y a bien un risque. Je propose donc de supprimer le AR1 du courrier de mise en place.

En fonction des ventes du AR1 chez Ubipharm (qui vient de vous passer une commande de 120 boites) nous pourrons faire une nouvelle proposition à Laborex plus tard lorsque nous aurons plus d'historique sur le produit."

Courriel du 3 avril 2015 : "A priori ce n'est pas gagné...

Cependant, je rends visite à Pharmagabon & Ubipharm Gabon mercredi prochain.

Si tu m'envoies les courriers au plus tard mardi, je pourrais négocier directement avec eux."

Courriel du 18 août 2016 : "Je te rassure : le discours décrit ci-dessous est uniquement un discours commercial destiné aux grossistes et preneurs de commande en pharmacie dans le but de référencer rapidement les nouvelles références. Devant un prescripteur, le discours est différent."

Courriel du 3 avril 2017 de la société Lactalis à la société Thetapharm :

"Bonjour [F],

Tu trouveras ci-joint une stat présentant les commandes ayant fait l'objet de l'opération BBG

Les clients ci-dessous ont donc commandé de ces deux références :

Sais-tu si les autres clients passeront commande dans les semaines à venir '"

La société Thetapharm verse aux débats de nombreux courriels relatifs à la passation des commandes, au suivi des commandes, aux autorisations de mise sur le marché des produits commercialisés.

- courriel du 2 août 2016 de la société Thetapharm à la société Lactalis :

"Je vous prie de trouver ci-joint les autorisations de commercialisation en Côte d'Ivoire des laits Gourmand et Anti régurgitation et des céréales cacao et biscuit.

Vous trouverez aussi les courriers de mise en place chez les grossistes de ces produits : merci de me les renvoyer sur papier entête, signés et tamponnés."

- Courriel du 18 novembre 2016 de la société Lactalis à la société Thetapharm :

"Nous avons reçu les cotations pour le lancement d'une formule Pré Picot sur l'Afrique.

Le prix départ sera de 4€/unité'

Comme nous sommes soumis à des minimas de production élevés, nous avons besoin de ta confirmation surpotentiel/volumes commande de MEP/positionnement prix/quel besoin d'accompagnement sur la formule."

- Courriel du 31 juillet 2017 de la société Lactalis à la société Thetapharm :

"Il est indispensable de s'assurer que tous les grossistes commandent le plus rapidement possible notre référence Pré Picot."

- Courriel du 29 décembre 2016 de la société Lactalis à la société Thetapharm :

"Suite aux dernières discussions sur les lancements poussifs de BBG 1 & 2 400 g.

Nous sommes sur-stockés et en recherche de solution d'écoulement'

Nous sommes prêts à financer une opération 1 acheté 1 offert au niveau des GP si commande par 50 cartons.

Pensez vous cela réalisable ' Si oui quels pays '

Si non, quel type d'opération peut-on mettre en place et sur quels pays '"

- Courriel du 27 juillet 2016 de la société Lactalis à la société Thetapharm :

"Notre superviseur tchadien a travaillé un grossiste assez ancien au Tchad, mais qui n'a jamais commandé nos gammes.

ll m'a adressé la commande ci-dessous'.

Peux-tu stp me faire parvenir une proforma avec escompte pour prépaiement '

Voire, éventuellement, même si on est en dessous des quantités fixées au départ, 10% d'UG BBG en plus en compensation de la durée de vie courte '"

-Courriel du 4 août 2016 de la société Lactalis à la société Thetapharm :

"Pour finir tu trouveras ci-joint :

- La proforma Tchad avec une remise de 1% pour paiement par avance

- La proforma Mauritanie sans la mention "participation fret"."

- Courriel du 27 septembre 2017 de la société Thetapharm à la société Lactalis :

"Est-ce que tu sais s'il y a eu une suite de la part de Tedis au mail ci-dessous ' Tedis Burkina n'a toujours pas de nouvelles de sa commande."

- Courriel du 27 septembre 2017 de la société Thetapharm à la société Lactalis :

"Par ailleurs, le grossiste El Emel Pharma nous a aussi contacté pour référencer Picot ; je lui ai proposé les mêmes quantités que Laborex et il a validé, il veut que nous lui proposions une proforma.

ll souhaite l'exclusivité, mais je lui ai dit que ce n'était pas possible."

Courriel du 28 novembre 2017 de la société Thetapharm à la société Lactalis : "notre responsable en Mauritanie a rdv régulièrement avec Laborex, il n'a jamais manqué de lui rappeler de passer sa commande."

La société Lactalis se prévaut du fait que la société Thetapharm agissait sous son contrôle sans pouvoir prendre d'initiative. Cependant, les différents échanges entre les parties démontrent que la société Lactalis avait pour mission l'implantation et le déploiement de la marque Picot dans le réseau et elle justifie par le démarchage mis en place auprès des clients et des autorités locales, les opérations publicitaires, la gestion des commandes, avoir contribué à la réalisation d'un chiffre d'affaires supérieur à 3 000 000 euros en faveur de la société Lactalis avant la rupture des relations.

Si les commandes émanaient des grossistes pharmaceutiques, la société Thetapharm était en relation avec ceux-ci pour leur proposer les produits de la marque Picot, en fonction des besoins des clients, mettre en place des opérations commerciales pour en favoriser la vente, en négocier les volumes, transmettre les commandes reçues et les factures. La société Thetapharm intervenait également auprès des clients pour l'octroi de remise, la reprise d'invendus ou de produits périmés.

Au vu de ces éléments et de la mission confiée à la société Thetapharm, la qualification d'agent commercial doit être retenue quant aux relations contractuelles liant les parties.

Sur la rupture du contrat

La société Thetapharm fait valoir que :

- La rupture est intervenue aux torts de la société Lactalis qui n'a pas mis le mandataire en mesure d'exécuter le mandat en cessant de l'approvisionner et en ne garantissant pas un stock suffisant ;

- la société Lactalis n'a plus honoré ses commandes à compter de la mi-novembre 2017 et a mis fin à sa production en décembre 2017 ;

- la société Lactalis a également manqué à son devoir d'information en ne l'avisant pas de l'évolution de la situation ;

- La société Thetapharm a connu un préjudice qui résulte de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune qui doit être réparé au titre de l'indemnité de rupture de l'agent commercial.

La société Lactalis International soutient que :

- Les circonstances de la rupture ne lui sont pas imputables en ce qu'elle ne fait que subir un défaut d'approvisionnement du fait de l'arrêt de la production au sein de l'usine Celia-Laitière de [Localité 5]

- Elle n'a donc à aucun moment souhaité cette rupture et en a également subi un préjudice

- La société Thetapharm ne démontre pas l'existence d'un préjudice financier consécutif à la déloyauté de la société Lactalis International

- La société Lactalis International a toujours accompagné la société Thetapharm suite au retrait des produits distribués si bien que celle-ci ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un préjudice moral au titre de cette crise.

L'article L134-4 du code de commerce dispose que les contrats intervenus entre les agents commerciaux et leurs mandants sont conclus dans l'intérêt commun des parties (alinéa 1) ; que les rapports entre l'agent commercial et le mandant sont régis par une obligation de loyauté et un devoir réciproque d'information (alinéa 2) ; que l'agent commercial doit exécuter son mandat en bon professionnel ; et que le mandant doit mettre l'agent commercial en mesure d'exécuter son mandat (alinéa 3).

L'article L 134-12 du même code, dont les dispositions sont d'ordre public, indique qu'en cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi ; qu'il perd toutefois le droit à réparation s'il n'a pas notifié au mandant, dans un délai d'un an à compter de la cessation du contrat, qu'il entend faire valoir ses droits ; et que ses ayants droit bénéficient également du droit à réparation lorsque la cessation du contrat est due au décès de l'agent.

Par ailleurs, l'article L 134-16 prévoit qu'est réputée non écrite toute clause ou convention dérogeant, au détriment de l'agent commercial, aux dispositions de l'article précité.

La Direction générale de la Santé, aux termes d'un communiqué de presse du 2 décembre 2017, a indiqué que la société Lactalis avait procédé au retrait et au rappel de 12 lots de lait contaminés par des salmonelles.

Par arrêté préfectoral du 9 décembre 2017, le préfet de la Mayenne a pris la décision suivante :

"l'activité de production de poudres de lait infantile de l'entreprise Célia sise à [Localité 5] est arrêtée ; la mesure s'applique sur les tours de séchage n°1 et n° 2 ainsi que les ateliers de conditionnement."

La reprise de l'activité est subordonnée à des contrôles sanitaires et à des résultats satisfaisants à des analyses de recherches salmonelles.

Il est versé un courriel du 4 décembre 2017 de la société Thetapharm adressé à la société Lactalis : "pour faire suite aux appels en urgence des grossistes de Côte d'Ivoire, nous nous sommes permis d'indiquer à notre responsable ivoirien le lien ci-dessous comprenant les numéros de lots concernés'Merci de nous mettre en copie des emails qui seront envoyés aux grossistes/à nos superviseurs."

La société Thetapharm était informée début décembre 2017 des difficultés sanitaires de la société Lactalis.

La société Lactalis indique s'être adressée directement à ses clients pour les informer du retrait/rappel des produits. Elle verse aux débats des courriels du 21 décembre 2017 informant des grossistes du retrait à la vente des lots de laits infantiles.

La société Lactalis justifie avoir informé ses clients à compter du 4 décembre 2017 et tout au long du mois du décembre 2017 du retrait de certains lots de lait infantile en raison d'une suspicion de présence de salmonelle.

Il résulte d'une information diffusée sur le portail du ministère de l'Economie et des Finances en date du 10 janvier 2018 que le 2/12, 10/12, puis le 21/12 2017, des mesures de retrait-rappel de produits de nutrition spécialisée fabriqués par la société Lactalis ont été annoncées du fait d'un risque de contamination par des salmonelles. Il y est ajouté que le 10 décembre 2017, faute d'une démarche volontaire de l'entreprise, c'est le ministre de l'Economie et des Finances qui a ordonné cette procédure de retrait-rappel concernant un nombre important de boites de produits infantiles.

Ce n'est que le 21 décembre 2017, dans un communiqué de presse, que le groupe Lactalis a fait savoir qu'il procédait, en accord avec les autorités, à un nouveau rappel incluant l'ensemble des produits infantiles et nutritionnels fabriqués ou conditionnés dans l'usine de [Localité 5].

Par courrier du 23 mars 2018, le conseil de la société Thetapharm écrivait à la société Lactalis pour lui faire part que du fait de la contamination de l'usine de [Localité 5], elle avait dû cesser la promotion commerciale des produits de la marque Picot, qu'elle ne percevait plus de commissions depuis le mois de décembre 2017 et qu'elle n'avait perçu la commission pour les 15 premiers jours du mois de novembre 2017 que le 20 mars 2018.

Elle ajoutait qu'elle avait dû maintenir ses équipes sur place afin de servir de relais entre la société Lactalis et les autorités locales et verser en interne les commissions dues sans recevoir de rémunération de la part de la société Lactalis.

Le conseil de la société Thetapharm lui rappelait que celle-ci lui avait adressé le 7 février 20l8, un courriel pour l'informer de l'ensemble des difficultés et des conséquences financières désastreuses qu'engendraient les retraits de lot et l'arrêt de la production, sans recevoir de réponse claire et concrète.

Par courrier du 23 mars 2018, la société Thetapharm prenait acte de la rupture unilatérale du contrat aux torts exclusifs de la société Lactalis et sollicitait une indemnisation.

La société Lactalis fait valoir qu'elle a formulé une offre d'indemnisation orale à la société Thetapharm. Cependant, celle-ci a sollicité un écrit formalisant cette proposition et la société Lactalis ne justifie pas de la réponse donnée.

Il n'est pas contesté que la société Thetapharm a continué à représenter la société Lactalis jusqu'à la rupture du contrat dans les pays dans lesquels elle exerçait son contrat d'agent commercial sans être rémunérée malgré les demandes formulées auprès de la société Lactalis.

Si la société Thetapharm a été avisée en décembre 2017, de la crise sanitaire, du fait de l'intervention des autorités étatiques, elle n'a reçu des informations de la société Lactalis que pour gérer les relations avec ses clients sans jamais évoquer l'exécution de ses propres obligations contractuelles, malgré les demandes de la société Thetapharm.

La société Lactalis n'a versé à la société Thetapharm les commissions dues jusqu'au mois de mars 2018 soit la somme de 116 761,83 euros que postérieurement à la condamnation du tribunal de commerce de Créteil en date du 15 octobre 2019.

Elle lui a donné des informations erronées sur la reprise des activités commerciales liées aux produits de la marque Picot.

La société Lactalis indique que le 10 janvier 2018, elle faisait part à la société Thetapharm d'une "proposition de commande pour la reprise, basé sur le réalisé 2017" et que le 11 avril 2018, elle annonçait à sa cocontractante le planning prévisionnel de reprise.

ll résulte d'un courriel de la société Lactalis en date du 4 octobre 2018 qu'elle est de nouveau autorisée à commercialiser les produits de nutrition infantile et qu'elle peut prendre des commandes pour des livraisons à la fin de l'année, soit 10 mois après le rappel des premiers lots de boites de lait.

La société Lactalis, en interrompant l'exécution du contrat, tout en sollicitant la collaboration de la société Thetapharm pour l'aider à gérer la crise sanitaire localement, sans lui verser la moindre rémunération, et en lui donnant des informations erronées sur une reprise éventuelle des livraisons a fait preuve de déloyauté dans l'exécution du contrat ce qui caractérise une faute grave justifiant la rupture du contrat aux torts de la société Lactalis.

Le fait que la société Thetapharm soit à l'origine de la notification de la rupture est sans incidence sur l'imputation des torts de celle-ci.

La société Lactalis oppose le fait que les circonstances de la rupture ne lui sont pas imputables car elle ne fait que subir un défaut d'approvisionnement du fait de l'arrêt de la production au sein de l'usine Celia-Laiterie de [Localité 5].

Il résulte de la lettre d'intention du 22 octobre 2010, que la société Lactalis International a confié à la société Thetapharm "la promotion médicale et pharmaceutique de notre gamme de produits infantiles à marque Picot pour l'Afrique Noire francophone."

Il résulte du site internet Société.Com et du compte-rendu n°25 de la commission d'enquête constituée par l'assemblée nationale que la société Celia-Laiterie de [Localité 5] appartient au groupe Lactalis qui en est le gérant. La société Lactalis International ne peut donc se soustraire à sa responsabilité imputable à un défaut d'approvisionnement de la société Celia-Laiterie de [Localité 5] qui est intégrée dans la chaîne de production du groupe Lactalis auquel les deux sociétés appartiennent.

Si la société Lactalis International rencontrait des difficultés d'approvisionnement avec son producteur de produits infantiles, elle n'était pas fondée à l'opposer à son agent commercial et ce d'autant plus qu'elle lui a demandé de continuer à intervenir postérieurement à l'arrêt de la mise sur le marché des produits infantiles de la marque Picot afin d'en informer les clients et les autorités sanitaires locales et de gérer les relations avec ceux-ci.

Le groupe Lactalis, responsable des produits qu'il commercialise est à l'origine du retrait des produits infantiles litigieux. Le contrat d'agent commercial ayant été signé avec la société Lactalis International, la société Thetapharm a, à juste titre, assigné en indemnisation cette dernière.

L'indemnité de rupture est destinée à réparer le préjudice subi par l'agent du fait de la perte pour l'avenir des revenus tirés de l'exploitation de la clientèle commune. Son quantum n'étant pas réglementé, il convient de fixer son montant en fonction des circonstances spécifiques de la cause.

Pour fixer cette indemnité, il sera tenu compte de la durée du mandat soit 8 ans et de la contribution conséquente de la société Thetapharm à la constitution de la clientèle de la société Lactalis qui a établi une facturation d'un montant de 3 369 808 euros durant la dernière année complète d'exercice soit l'année 2016.

La société Thetapharm justifie également qu'elle a subi une perte de confiance de la clientèle sur le sol africain du fait de la contamination des produits commercialisés.

Au vu de ces éléments, l'indemnité sera fixée à deux années de commission. Cette indemnité sera évaluée sur la base des 3 dernières années d'activité soit de 2015 à 2017. Il ressort du tableau récapitulant les commissions versées pour ces 3 années qu'elles s'élèvent à la somme mensuelle de 21 938 € (263 259,74 € en 2015) + 25 273 € (303 282,73€ en 2016) + 26 307 € (263 068,97€ sur 10 mois en 2017) ce qui donne une moyenne mensuelle de 24 506 euros X 24 mois = 588 144 euros pour deux années de commissions.

Sur les demandes subsidiaires au titre de la rupture brutale des relations établies, du préjudice financier, moral

Il a été fait droit à la demande formée à titre principal ; il n'y a donc pas lieu de statuer sur les demandes formées à titre subsidiaire.

Sur les demandes accessoires

Les dispositions de première instance relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront confirmées.

La société Lactalis qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et devra verser à la société Thetapharm la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Dans la limite de l'appel,

Infirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Thetapharm de sa demande de condamnation au titre de la rupture du contrat,

Le confirme pour le surplus,

Déclare recevables les demandes de la société Thetapharm devant la cour d'appel de Paris,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne la société Lactalis International à verser à la société Thetapharm la somme de 588 144 euros en réparation de la rupture du contrat d'agent commercial,

Dit n'y avoir lieu de statuer sur les demandes subsidiaires,

Condamne la société Lactalis International à verser à la société Thetapharm la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Lactalis International aux dépens d'appel.