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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 12 octobre 2023, n° 23/06230

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Visiondistri (SARL)

Défendeur :

Distribution Casino France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Masseron

Conseillers :

Mme Chopin, M. Najem

Avocats :

Me Teytaud, Me Gouachon, Me Fromantin, Me Semoun

T. com. Lyon, prés., du 17 mars 2023, n°…

17 mars 2023

EXPOSE DU LITIGE

La société Distribution Casino France exploite sous les enseignes Le Petit Casino, Vival, Spar, Supermarché Casino, Géant Casino, Casino Shop, ou encore Casino Shopping un réseau, principalement alimentaire, de proximité, supermarchés, hypermarchés.

La société Visiondistri est dirigée par M. [X] [C] qui en est également l'associé unique par l'intermédiaire de la société Mur Distri.

M. [X] [C] indique qu'il est franchisé Casino depuis l'année 2003, dans un premier temps sous l'enseigne Vival, et ensuite sous l'enseigne Le Petit Casino.

Au cours de l'année 2017, il a conclu un contrat de location-gérance portant sur un magasin sous enseigne Le Petit Casino, place de la bourse à [Localité 2], location-gérance à laquelle il a mis fin au cours de l'année 2020.

Au cours de l'année 2018, la société Visiondistri a conclu avec la société Distribution Casino France un second contrat de location gérance pour une seconde supérette sous l'enseigne Le Petit Casino, [Adresse 1], à [Localité 2].

La société Visiondistri a signé le 15 juillet 2020 avec la société Distribution Casino France un contrat d'affiliation d'une durée de 5 ans, pour l'exploitation de ce point de vente.

Ce même jour, la société Dsitribution Casino France a cédé ce fonds de commerce à la société Visiondistri.

Par cet avenant du 15 juillet 2020, les parties ont supprimé l'obligation d'approvisionnement à hauteur de 75% pour les produits à marque nationale qui figurait dans le contrat et l'ont remplacée par une obligation d'approvisionnement par priorité.

Les relations entre les parties se sont tendues au cours de l'année 2022.

Estimant que les manquements contractuels de la société Distribution Casino s'accumulaient, la société Visiondistri lui a adressé une lettre recommandée avec accusé de réception en date 16 décembre 2022 aux termes de laquelle elle se plaignait de la pratique du « ciseau tarifaire » à son détriment et la mettait en demeure de cesser, sous peine de résiliation du contrat d'affiliation.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 13 février 2023, la société Visiondistri a entendu résilier le contrat d'affiliation conclu entre les parties.

Par exploit du 6 mars 2023, la société Distribution Casino France a saisi la juridiction des référés du tribunal de commerce de Lyon afin qu'elle ordonne à la société Visiondistri la reprise des relations contractuelles, telles qu'elles résultent du contrat du 15 juillet 2020 et de son avenant et ce, jusqu'à ce qu'une décision au fond ayant autorité de la chose jugée intervienne s'agissant de la rupture du contrat par la société Visiondistri, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard et d'infraction constatée à compter du prononcé de l'ordonnance à intevenir.

Par ordonnance contradictoire du 17 mars 2023, le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon, a :

- rejeté l'exception d'incompétence ;

- ordonné à la société Visiondistri la reprise des relations contractuelles avec la société Distribution Casino France telles qu'elles résultent du contrat du 15 juillet 2020 et son avenant et ce, jusqu'à ce qu'une décision au fond ayant autorité de la chose jugée intervienne s'agissant de la rupture du contrat par la société Visiondistri et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard et infraction constatée à compter du trentième jour suivant la signification de l'ordonnance ;

- réservé à son profit le pouvoir de liquider l'astreinte ainsi prononcée ;

- condamné la société Visiondistri à payer la somme de 5.000 euros à la société Distribution Casino France au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société Visiondistri à payer à la société Distribution Casino France, en cas d'exécution forcée de la décision à intervenir, au paiement d'une indemnité équivalente au droit proportionnel mis à la charge du créancier par l'huissier instrumentaire au titre de l'article 10 du décret 2001-212 du 8 mars 2001 ;

- condamné la société Visiondistri aux dépens.

Par déclaration du 3 avril 2023, la société Visiondistri a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 4 septembre 2023, la société Visiondistri demande à la cour, au visa des articles 680, 693 et 873 du code de procédure civile, de :

In limine litis,

- juger que l'acte de signification de l'ordonnance critiquée est nul dans la mesure où il mentionne la compétence de la cour d'appel de Lyon qui ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de trancher du présent appel ;

- juger que cette irrégularité de l'acte de signification emporte comme conséquence que l'astreinte prononcée n'a pas commencé à courir, et empêche sa liquidation ;

A titre principal,

- juger que le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon a excédé son pouvoir juridictionnel en jugeant au terme d'une analyse des stipulations contractuelles du caractère abusif du contrat d'affiliation litigieux, alors que cette demande n'était pas formulée par la société Distribution Casino France, en qu'elle relève du pouvoir du fond déjà saisi ;

En conséquence,

- annuler l'ordonnance de référé rendue le 17 janvier 2023, sous le rôle n°2023R287 ;

A titre subsidiaire,

- juger que la société Casino Distribution France ne démontre pas l'existence d'un dommage imminent, pas plus que d'un trouble manifestement illicite ;

- juger qu'il n'y a pas lieu à référé ;

- juger que l'ordonnance critiquée est excessive et met en péril l'activité de la société Visiondistri ;

En conséquence,

- infirmer l'ordonnance de référé rendue le 17 janvier 2023, sous le rôle n°2023R287, en toutes ses dispositions ;

En tout état de cause, et statuant à nouveau,

- condamner la société Distribution Casino France à payer à la société Visiondistri la somme de 15.000 euros pour les frais irrépétibles engendrés à Visiondistri en première instance, y ajoutant la somme de 15.000 euros en cause d'appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Distribution France Casino aux dépens.

Elle expose notamment que :

- la compétence territoriale du premier juge n'est plus contestée,

- la signification du 30 mars 2023 est nulle, dans la mesure où l'acte mentionne la compétence de la cour d'appel de Lyon qui ne dispose pas du pouvoir juridictionnel de trancher le présent appel

- cette irrégularité de l'acte de signification emporte comme conséquence que l'astreinte prononcée n'a pas commencé à courir, et empêche sa liquidation,

- le premier juge a commis un excès de pouvoir emportant la nullité de l'ordonnance rendue, en ce qu'il n'avait pas le pouvoir juridictionnel d'interpréter les clauses d'un contrat et son exécution pour juger abusive la résiliation prononcée,

- la pièce n°26 de son bordereau de communication de pièces n'est pas la seule preuve produite pour établir la pratique du ciseau tarifaire et les prix abusifs et déloyaux, elle constitue donc un indice corroboré par d'autres éléments de preuve, étant précisé qu'il s'agit d'un enregistrement récent qui ne doit pas être jugé irrecevable, le juge appréciant sa valeur probante,

- le premier juge ne pouvait pas ordonner la reprise d'un contrat résilié par l'effet d'une clause résolutoire régulièrement acquise,

- cette clause résolutoire a été mise en oeuvre selon la forme requise par le contrat, alors que la société Distribution Casino France n'a jamais entendu mettre fin aux manquements dénoncés,

- la résiliation s'est faite aux torts de la société Distribution Casino France, alors que, principalement, deux fautes lui sont reprochées : l'abus dans la fixation des prix, et l'occultation du magasin de la société Visiondistri sur son application informant le consommateur des magasins Casino proches de sa localisation,

- l'origine du dommage imminent est donc licite,

- les fautes graves commises par la société Distribution Casino France excluent que la rupture de la relation entre les parties puisse être considérée comme brutale,

- la société Distribution Casino France considère à tort que la relation commerciale entre les parties a débuté en 2018, date à laquelle le contrat de location-gérance a été conclu, alors que le contrat d'affiliation a été signé en réalité le 15 juillet 2020,

- en raison de ses fautes, en outre, la société Distribution Casino France ne peut solliciter un préavis, lequel n'excéderait pas six mois,

- la décision rendue met en péril l'activité de la société Visiondistri, en ce qu'elle la contraint à résilier le contrat de distribution conclu avec Système U et à déposer l'enseigne, avec toutes conséquences au plan de l'affiliation à un réseau commercial, (pénalités, frais, perte du stock notamment),

- la ré-affiliation au réseau Casino, dont la résiliation a été valablement conduite, ne pourrait être que provisoire et si le juge du fond venait à reconnaître la responsabilité de la société Distribution Casino France et la validité de la résiliation, elle serait amenée à supporter des conséquences financières qui entraîneraient sa faillite,

- l'ensemble des mesures prises sous astreinte provoquent enfin des conséquences financières excessives.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 29 août 2023, la société Distribution Casino France demande à la cour, au visa des articles 680, 693, 872 et 873 du code de procédure civile, des articles 1103, 1104 et 1112 du code civil et de l'article L. 442-1 II du code de commerce, de :

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance du tribunal de commerce de Lyon en date du 17 mars 2023 ;

Et, en tout état de cause,

- débouter la société Visiondistri de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre principal, sur la reprise ou la poursuite du contrat conclu entre les parties,

- dire que la rupture unilatérale par la société Visiondistri du contrat du 15 juillet 2020, à durée déterminée et dont l'échéance contractuelle est fixée au 14 juillet 2027 qui fait loi des parties, constitue un trouble manifestement illicite au préjudice de la société Distribution Casino France en ce qu'il met un terme immédiat au contrat qui fait la loi des parties ;

En conséquence,

- ordonner à la société Visiondistri la reprise des relations contractuelles avec la société Distribution Casino France telles qu'elles résultent du contrat du 15 juillet 2020 et son avenant et ce jusqu'à ce qu'une décision au fond ayant autorité de la chose jugée intervienne s'agissant de la rupture du contrat par la société Visiondistri et ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard et infraction constatée à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir ;

- se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte ainsi prononcée ;

A titre subsidiaire, sur la reprise des effets du contrat pendant le préavis du fait du caractère manifestement abusif de la rupture au sens de l'article 442-1 II du code de commerce,

- dire que la rupture par la société Visiondistri de la relation commerciale établie, depuis 50 mois, avec la société Distribution Casino France revêt un caractère manifestement brutal ;

En conséquence,

- ordonner à la société Visiondistri de respecter un préavis dans les conditions et obligations telles qu'elles résultent du contrat du 15 juillet 2020 de six mois ou, à tout le moins, jusqu'à ce qu'une décision au fond ayant autorité de la chose jugée intervienne s'agissant de la rupture du contrat de franchise par la société Visiondistri pour mettre un terme à sa relation commerciale avec la société Distribution Casino France et aux conditions strictes du contrat de franchise conclu entre les parties et ce sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard et infraction constatée à compter du prononcé de l'ordonnance à intervenir ;

- se réserver le pouvoir de liquider l'astreinte ainsi prononcée ;

Sur l'article 700 et l'exécution provisoire,

- condamner la société Visiondistri au paiement d'une somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ; ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Elle expose notamment que :

- la première signification de l'ordonnance rendue n'est pas nulle en ce que la seule conséquence attachée à l'erreur du commissaire de justice concernant la cour d'appel compétente ne réside pas dans la nullité de l'acte en son entier mais seulement dans le fait que le délai d'appel n'a pas commencé à courir, et en ce qu'aucun grief n'est justifié, alors qu'il ne peut être raisonnablement prétendu que cette signification n'aurait pas fait courir l'astreinte,

- le premier juge n'a commis aucun excès de pouvoir en ce qu'il n'a pas interprété le contrat et s'est attaché à vérifier si le grief invoqué pour justifier la mise en oeuvre de la clause résolutoire figurait dans les obligations mises à la charge de la société Distribution Casino France,

- la pièce n°26 du bordereau de communication de la société Visiondistri doit être écartée des débats, alors qu'elle n'indique pas la date de l'enregistrement ni le nom de l'interlocuteur de M [C], de sorte qu'elle a été obtenue de façon déloyale,

- la clause résolutoire a été mise en oeuvre de façon irrégulière,

- la prétendue mise en oeuvre de la clause résolutoire selon les formes du contrat est un débat sans intérêt, et rien ne permettait à la société Visiondistri de mettre en oeuvre la clause résolutoire sur le fondement de la violation de l'obligation de bonne foi résultant d'une prétendue pratique du ciseau tarifaire, étant précisé que la mise en demeure délivrée n'est pas restée sans effet,

- l'abus allégué dans la fixation des prix, contesté au demeurant, ne tombe pas sous le coup de la clause résolutoire contractuelle et permet seulement le cas échéant de saisir le juge d'une demande de dommages intérêts et/ou aux fins de résolution,

- le seul grief invoqué, à savoir la pratique du ciseau tarifaire ne peut, avec l'évidence requise en référé, constituer une faute, alors que la société Visiondistri croit pouvoir prétendre établir une pratique déloyale de ciseau tarifaire en signalant 30 références, soit 0,001% des produits proposés par la société Distribution Casino France,

- la résiliation survenue est donc abusive et constitue bien un trouble manifestement illicite puisqu'elle aboutit à mettre un terme anticipé au contrat d'affiliation à durée déterminée qui fait la loi des parties,

- la société Visiondistri est infondée à prétendre à l'existence d'autres fautes contractuelles alors que seule la pratique du ciseau tarifaire motive l'acquisition de la clause résolutoire,

- la société Visiondistri ne peut pas non plus revendiquer le bénéficie des dispositions de l'article 1226 du code civil,

- subsidiairement, les parties avaient établi des relations pérennes et stables,

- la rupture de relations décidée par la société Visiondistri revêt bien un caractère imprévisible et inattendu,

- l'unique grief invoqué ne peut constituer une faute manifestement grave de nature à priver la société Distribution Casino France d'un préavis suffisant,

- il appartient enfin à la société Visiondistri France de supporter les conséquences de ses choix alors que rien ne s'oppose à la poursuite du contrat.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Il sera observé à titre liminaire que la cour n'est pas saisie de la question de la compétence territoriale du tribunal de commerce de Lyon, ce qui ne fait pas débat.

- sur la nullité de l'acte de signification du 30 mars 2023

L'article 680 du code de procédure civile dispose que l'acte de notification d'un jugement à une partie doit indiquer de manière très apparente le délai d'opposition, d'appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l'une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ; il indique, en outre, que l'auteur d'un recours abusif ou dilatoire peut être condamné à une amende civile et au paiement d'une indemnité à l'autre partie.

La société Visiondistri expose que l'acte de signification de l'ordonnance rendue est nul pour avoir mentionné que l'éventuel appel relevait de la compétence de la cour d'appel de Lyon.

Cependant, il est constant que la société Visiondistri a interjeté appel de la décision rendue devant la cour d'appel de Paris dès le 3 avril 2023, de sorte que l'ambiguïté qui serait issue de la mention erronée de la cour d'appel de Lyon, à la supposer établie, sur l'exercice d'un recours n'a causé aucun grief à l'appelante.

La nullité alléguée n'est donc pas encourue.

En revanche, si, en application des dispositions de l'article 680 du code de procédure civile, l'acte de notification de la décision doit indiquer de manière apparente le délai d'appel lorsque cette voie de recours est ouverte, et les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé, ces modalités comprennent notamment le siège territorial de la cour d'appel qui doit être saisie. L'acte de signification dont s'agit mentionnant par erreur que la juridiction devant laquelle le recours devait être exercé était la cour d'appel de Lyon au lieu de la cour d'appel de Paris, cet acte n'a pu faire courir le délai d'appel.

S'agissant de l'astreinte prononcée, à défaut de preuve de l'existence d'un grief, l'acte de notification irrégulier est susceptible de constituer la mise en demeure préalable nécessaire à une exécution forcée (Civ. 2e, 14 février 2008, n° 06-20.988 , Bull. civ. II, n° 33).

De la sorte, ladite signification qui, en l'espèce est irrégulière, sans qu'elle n'ait causé grief, est donc susceptible de constituer une simple mesure préalable à l'exécution forcée, et non le point de départ de l'astreinte, étant précisé qu'une seconde signification est intervenue le 21 avril 2023, qui n'est arguée d'aucune irrégularité.

 

 

- sur l'excès de pouvoir

La cour d'appel qui annule un jugement, pour un motif autre que l'irrégularité de l'acte introductif d'instance, est tenue de statuer sur le fond de l'affaire en vertu de l'effet dévolutif de l'appel, sauf pour un appel- nullité, applicable en cas d'absence de voie de recours contre une décision en excès de pouvoir du premier juge.

Ainsi, l'appel nullité n'est recevable qu'en l'absence de voies de recours et doit porter exclusivement sur un excès de pouvoir du juge résultant soit d'une méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, soit d'un excès de pouvoir positif, le juge s'arrogeant des attributions que le dispositif normatif lui refuse, ou un excès de pouvoir négatif, le juge refusant d'exercer les compétences que la loi lui attribue.

En l'espèce, la société appelante ayant formé un appel, voie normale de la procédure, conforme à l'article 542 du code de procédure civile, l'ordonnance en litige n'est pas nulle, mais encourt une réformation ou une annulation.

Au demeurant, il apparaît que le juge des référés n'a commis aucun excès de pouvoir en considérant que la demande de la société Distribution Casino France était fondée et à supposer que la déclaration d'appel tende à l'annulation de l'ordonnance rendue au sens de l'article 562 du code de procédure civile, il y a lieu de constater que la société Visiondistri ne formule aucun moyen qui conduirait à annuler cette ordonnance, qui a été rendue par le juge compétent après une analyse des moyens de droit et de fait qui étaient soumis par la demanderesse, cette analyse l'ayant conduit à faire droit à la demande.

Cette demande de la société Visiondistri sera rejetée.

- sur le rejet de la pièce n°26 du bordereau de communication de pièces de la société Visiondistri

Si la preuve est libre en matière commerciale, il demeure, au regard de l'article 9 du code de procédure civile et des dispositions de l'article 6 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme, qu'il incombe à chaque partie de prouver, conformément à la loi, les faits nécessaires au succès de sa prétention et au juge de puiser sa conviction dans les preuves régulièrement recueillies en rejetant les procédés dérivant de l'utilisation de moyens frauduleux.

Il est demandé à ce titre le rejet de la pièce n°26, telle que communiquée par la société Visiondistri, s'agissant de l'enregistrement d'une conversation entre M [C] et un salarié de la société Distribution Casino France.

Force est de constater que l'enregistrement des propos tenus à l'insu de l'auteur constitue un procédé déloyal au sens du code de procédure civile mais qu'en l'espèce, la pièce querellée n'est pas l'enregistrement lui-même mais un document écrit le retranscrivant, qu'il y est indiqué par l'huissier de justice qui a procédé à cette retranscription que M [C] 'a enregistré une conversation qu'il a eue avec un interlocuteur dont il ne souhaite pas divulguer l'identité', de sorte qu'il n'apparaît pas que l'enregistrement ait eu lieu à l'insu de la personne, et qu'il n'est pas établi non plus que les propos tenus aient été obtenus à l'occasion d'un stratagème.

Par conséquent, il n'est pas démontré que la pièce n°26 a été obtenue par un procédé déloyal, ni qu'elle est irrecevable, alors qu'il appartient au juge d'apprécier souverainement la force probante d'une telle pièce et si la pièce produite présente des garanties suffisantes pour emporter sa conviction.

Cette demande sera rejetée.

- sur le fond du référé

L'article 873, alinéa 1er, du code de procédure civile dispose que le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de sa compétence, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite résulte quant à lui de toute perturbation procédant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation de la règle de droit. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date où le juge statue et avec l'évidence qui s'impose en référé, la méconnaissance d'un droit sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui ne s'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer. Pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date où le juge statue et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage. La constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.

La rupture brutale d'une relation commerciale établie est donc susceptible de constituer un trouble manifestement illicite à laquelle le juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, peut mettre fin, au provisoire, dans l'attente d'une décision au fond.

De même ce juge peut, pour prévenir un dommage imminent et même en présence de contestations sérieuses, prendre des mesures provisoires jusqu'à ce qu'il soit statué au fond.

L'article L 442-1 II du code de commerce dispose, pour sa part, qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels.

Pour déterminer si une relation commerciale peut être qualifiée d'établie, la jurisprudence prends prend en compte plusieurs critères tels que la durée des relations entre les partenaires, la continuité de celles-ci ou encore l'importance ou l'évolution du chiffre d'affaires réalisé : l'ensemble des critères constitue des indices quant à l'existence et la qualité de la relation commerciale, le critère de la durée restant prépondérant.

La société Distribution Casino France fonde ses demandes tendant à la reprise des relations contractuelles à titre principal sur le non-respect du contrat, notamment de sa clause résolutoire et le caractère unilatéral de la résiliation survenue ; elle invoque, à titre subsidiaire, la responsabilité délictuelle de l'article L 442-1 II du code de commerce.

L'article 1212 du code civil dispose que lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l'exécuter jusqu'à son terme, tandis que l'article 1224 de ce code précise que la résolution résulte soit de l'application d'une clause résolutoire soit, en cas d'inexécution suffisamment grave, d'une notification du créancier au débiteur ou d'une décision de justice.

Même le juge des référés a le pouvoir d'ordonner la reprise et le maintien d'une relation contractuelle lorsque l'une des parties y a mis un terme de manière irrégulière ou abusive (Com. 10 novembre 2009, n° 08-18.337. - Com. 3 mai 2012, n° 10-28.366 ). Cette résurrection contractuelle constitue une mesure d'exécution en nature.

Il est constant que la société Visiondistri a mis fin de manière anticipée au contrat d'affiliation conclu avec la société Distribution Casino France dont la poursuite avait été convenue par les parties jusqu'au 14 juillet 2025.

La société Visiondistri soutient que l'exécution du contrat d'affiliation crée une situation préjudiciable à son endroit, la société Distribution Casino France ayant mis en place, à son détriment, une pratique de 'ciseau tarifaire', constitutive d'un abus de position dominante prohibé, tel que prévu et défini aux articles L 420-2 du code de commerce et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne. Cette pratique met en scène une entreprise qui exploite abusivement sa position dominante, par un effet de ciseau, lorsqu'elle facture à ses contractants, en l'occurrence à ses affiliés, des tarifs de prestations intermédiaires plus élevés que les prix de détail qu'elle pratique à l'égard de ses propres clients, plaçant ses affiliés dans l'impossibilité de dégager des bénéfices.

En la matière, le trouble manifestement illicite ne peut être constitué que dans l'hypothèse où la résiliation est manifestement illicite. Or, au vu des circonstances de l'espèce, il ne ressort pas avec l'évidence requise en référé que la résiliation est manifestement intervenue en dehors des clauses contractuelles.

En effet, le refus pour une partie, qui argue de la résolution d'un contrat, d'exécuter ce dernier alors qu'aucune juridiction de fond n'a encore statué sur la fin de cette convention, est susceptible de constituer un trouble manifestement illicite dès lors que le comportement de cette partie remet en cause de manière flagrante le principe de la force obligatoire des contrats et est contraire au principe selon lequel nul ne peut se faire justice à soi-même. Toutefois, ce comportement peut perdre son caractère de trouble manifestement illicite si le comportement de l'autre partie est susceptible de constituer lui-même une illicéité flagrante.

En l'espèce, l'article 13 du contrat d'affiliation stipule :

' En cas d'inexécution totale ou partielle de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie pourra résilier de plein droit le contrat, sans indemnité ni préavis, après une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception restée infructueuse pendant 15 jours. (...) La résiliation prendra effet par l'envoi d'une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception, la date d'envoi faisant foi'.

La mise en demeure adressée par la voie recommandée avec avis de réception le 16 décembre 2022 par la société Visiondistri à la société Distribution Casino France vise à la fois la pratique du ciseau tarifaire et l'occultation du magasin Casino Pont Neuf sur l'application Casino Max. La lettre de résiliation adressée par cette même voie recommandée avec avis de réception le 13 février 2023 est rédigée comme suit : 'Nous constatons que vous n'avez pas mis fin à votre pratique de ciseau tarifaire dans le délai de 15 jours imparti. Cela a été constaté par huissier le 6 janvier 2023, dont vous trouverez ci-joint le procès-verbal. Nous vous joignons également les constats d'huissier qui avaient été établis les 22 et 24 novembre 2022. Dans ces conditions, nous vous notifions par la présente la résiliation du contrat d'affiliation qui nous lie'.

Force est de constater que la clause résolutoire a été formellement respectée par l'envoi préalable à la résiliation d'une mise en demeure, peu importe dans ces conditions que la société Distribution Casino France lui ait répondu par une proposition de rencontre rapide.

Par ailleurs, si la clause résolutoire prévue à l'article 13 liste plusieurs cas de résiliation possible, tout en précisant que cette liste n'est pas 'exhaustive', le contrat d'affiliation qui lit les parties est soumis aux dispositions de droit commun qui incluent nécessairement, contrairement à ce qu'a pu affirmer le premier juge, les dispositions de l'article 1104 du code civil qui dispose que les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi, cette disposition étant d'ordre public.

Or, si la société Distribution Casino France conteste l'analyse faite de la pratique du ciseau tarifaire dans sa lettre du 30 décembre 2022 répondant à la mise en demeure délivrée, considérant que ce grief n'est pas fondé, il reste que les éléments produits, notamment les constats d'huissier des 22 et 24 novembre 2022, et 6 janvier 2023 sont de nature à fonder la résiliation au vu de cette pratique prohibée, qu'il n'appartient pas au juge des référés de trancher, mais qui avec l'évidence requise en référé parait plausible.

Ainsi, la reprise de l'exécution du contrat d'affiliation dans les conditions dénoncées par la société Visiondistri est sérieusement susceptible d'entraîner une pratique prohibée au sens des articles L420-2 du code de commerce et 102 du traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne, voire des sanctions pécuniaires, et à tout le moins, de fonder la résolution du contrat aux torts de la société Disribution Casino France, étant observé que l'assignation délivrée à l'initiative de la société Vision Distri devant le tribunal de commerce de Lyon au fond tend à cette fin et que l'affilié ayant une obligation d'approvisionnement quasiment exclusive auprès de la société Distribution Casino France, il se trouve incontestablement prisonnier d'une telle pratique.

Il sera enfin relevé que la société Distribution Casino France ne produit aucun élément contraire, se contentant de contester le grief qui lui est fait, tandis qu'elle ne justifie pas non plus du stratagème qu'elle impute à la société Visiondistri, qui aurait consisté à rompre abusivement le contrat d'affiliation qui les lie pour qu'elle puisse s'affilier à un autre réseau de distribution.

Dans ces conditions, il ne peut être considéré que la résiliation unilatérale du contrat d'affiliation qui a été opérée par la société Visiondistri constitue une violation manifeste de la règle de droit et, par suite, un trouble manifestement illicite, alors que la reprise forcée du contrat de services, est elle-même susceptible de constituer une illicéité manifeste.

Il convient de relever que la notion de dommage imminent est indépendante de celle du trouble manifestement illicite, l'article 873 du code de procédure civile ne les liant pas et ne faisant aucune référence au caractère licite ou non de la situation à l'origine du dommage à prévenir.

Il apparaît que la société Distribution Casino France ne fait état d'aucun péril économique lié à la perte d'un affilié de sorte que l'existence d'un dommage imminent résultant de la résiliation anticipée du contrat d'affiliation n'est pas établie.

L'ordonnance sera par conséquent infirmée en ce qu'elle a ordonné la reprise des relations contractuelles entre les parties sous astreinte, alors qu'il y a lieu de considérer qu'il n'y a pas lieu à référé sur ce point.

Sur le caractère brutal de la rupture au sens de l'article 442-1 II du code de commerce cité plus haut, il apparaît que :

- si le contrat d'affiliation a été signé en juillet 2020 pour 5 ans, il a été précédé d'autres contrats notamment de location-gérance, de sorte que la relation commerciale des parties doit être considérée comme établie,

- il n'est pas contestable que la résiliation du contrat par lettre du 13 février 2023 a comporté un effet immédiat,

- il sera rappelé que l'article 13 du contrat qui lie les parties stipule que ledit contrat peut être résilié dans l'hypothèse suivante : 'En cas d'inexécution totale ou partielle de ses obligations par l'une des parties, l'autre partie pourra résilier de plein droit le contrat, sans indemnité ni préavis, après une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception restée infructueuse pendant 15 jours. (...) La résiliation prendra effet par l'envoi d'une nouvelle lettre recommandée avec accusé de réception, la date d'envoi faisant foi',

- il s'avère que la lettre de résiliation du 13 février 2023 a été précédée de la mise en demeure exigée par le contrat et adressée à la société Distribution Casino France le 16 décembre 2022,

- ainsi, la notification de l'intention de rompre est intervenue à tout le moins le 16 décembre 2022, de sorte que la rupture, avec l'évidence requise en référé, ne peut pas être considérée comme brutale et que le préavis qui a couru jusqu'au 13 février 2023 est suffisant. Il est ainsi suffisamment établi que, dès cette date du 16 décembre 2022 la société Distribution Casino France était informée de l'aléa qui pesait sur la pérennité des relations entre les parties.

De la sorte, il n'y a pas lieu à référé sur ce point.

Dans ces conditions, l'ensemble des demandes de la société Distribution Casino France sera rejeté.

La décision du premier juge sera infirmée quant aux dépens et aux sommes allouées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. Une somme sera également mise à la charge de la société Distribution Casino France pour les frais irrépétibles en cause d'appel, outre les dépens.

PAR CES MOTIFS

Rejette l'exception de nullité de l'acte de signification du 30 mars 2023,

Rejette la demande d'annulation de l'ordonnance rendue tirée d'un excès de pouvoir,

Rejette la demande tendant à voir déclarer la pièce n°26 irrecevable et devant être écartée des débats,

Infirme l'ordonnance de référé rendue en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit n'y avoir lieu à référé sur l'ensemble des demandes,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la société Distribution Casino France aux dépens d'appel et de première instance,

Condamne la société Distribution Casino France à payer à la société Visiondistri une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et de première instance.