CA Amiens, ch. économique, 12 octobre 2023, n° 22/00585
AMIENS
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Grevin
Conseillers :
Mme Leroy-Richard, Mme Vannier
Avocats :
Me David, Me Le Roy, Me Joly, Me Malingue, Me Delahousse
La SAS [S] [X], créée le 11 octobre 1960, a une activité d'exploitation forestière et de négoce de bois, elle est située à [Localité 1] et présidée depuis janvier 2005 par M. [T] [X].
Courant 2009/ 2010, M. [E] [B] et la SAS [S] [X] sont entrés en relation d'affaires.
La SAS [S] [X] a régulièrement versé des commissions à M. [E] [B].
En septembre 2018, la SAS [S] [X] a informé ce dernier de sa volonté de mettre un terme à leur collaboration.
Se prévalant du statut d'agent commercial tel que prévu par le code de commerce, M. [B], par courrier recommandé du 4 octobre 2018, a demandé à la société [S] [X] le paiement d'une indemnité légale de cessation de mandat, au visa de l'article L.134-12 du code de commerce et d'une indemnité compensatrice de préavis prévue à l'article L.134-11 du même code.
Par courrier recommandé du 6 février 2019, la SAS [S] [X] s'est opposé à cette demande.
Par LRAR du 18 mars 2019, M. [B] a mis en demeure la SAS [S] [X] de lui régler les deux indemnités susmentionnées.
Par acte d'huissier du 23 avril 2019, M. [E] [B] a fait assigner la SAS [S] [X] devant le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon en paiement de la somme de 4.619 € ttc à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 36 953 €, à titre d'indemnité légale de cessation de mandat, avec intérêts à compter du 4 octobre 2018.
Suivant jugement du 14 janvier 2020, le tribunal de commerce de La Roche-sur-Yon s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de commerce de Saint-Quentin.
Suivant jugement contradictoire du 30 décembre 2021, le tribunal de commerce de Saint-Quentin a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, débouté M. [E] [B] de l'intégralité de ses demandes et l'a condamné à payer à la SAS [S] [X] la somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
M. [E] [B] a relevé appel de cette décision par déclaration du 9 février 2022.
Aux termes de ses dernières conclusions du 19 avril 2023, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, M. [E] [B] demande à la cour de réformer le jugement entrepris et de condamner la SAS [S] [X] à lui régler la somme de 4.619 € ttc, à titre d'indemnité compensatrice de préavis et la somme de 36.953 €, à titre d'indemnité légale de cessation de mandat, 5 000 € au titre des frais irrépétibles, ainsi qu'aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoué.
Par conclusions du 5 juillet 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour un exposé détaillé des moyens développés, la SAS [S] [X] demande à la cour de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions, de débouter M. [B] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions et y ajoutant de condamner M. [B] à lui payer la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
SUR CE :
L'appelant prétend à la reconnaissance du statut d'agent commercial aux motifs qu'il exerçait cette activité sous la forme d'entrepreneur individuel depuis le 2 octobre 1995, qu'il était immatriculé au registre spécial des agents commerciaux et par conséquent assujetti aux obligations déclaratives auprès des caisses des entrepreneurs indépendants, à celle de tenue d'une comptabilité, soumis à la TVA et qu'il importe peu que son inscription au registre soit périmée sur la période litigieuse dans la mesure où il s'agit d'une simple mesure de police administrative qui n'exclut pas la reconnaissance du statut.
Il affirme qu'il ne s'est pas contenté de mettre en relation vendeurs et acheteurs comme un simple apporteur d'affaires ou courtier et qu'il s'est comporté comme un agent commercial dans le cadre d'un mandat d'intérêt commun, car son entremise lui permettait de recevoir des commissions de la société [X] et à cette dernière de développer son chiffre d'affaires.
Il explique que par son intermédiation il a créé une part de marché qui a généré au profit de la société [X] un important chiffre d'affaires en contre partie duquel il a perçu des commissions, qu'il présentait ainsi que son sous agent espagnol des offres de produits de la société [X] aux différents clients, qu'il renseignait sur la qualité des essences et leur disponibilité, qu'il faisait remonter les doléances des clients et gérait les commandes.
Il précise à cet effet qu'il organisait des réunions d'achat de produits, qu'il conseillait les clients lorsqu'ils se déplaçaient au siège de la société, que ces démarches généraient des bordereaux de cubage édités par la société [X] que cette dernière adressait à M. [B] à charge pour ce dernier de les retransmettre aux clients.
Il soutient que la société [X] est défaillante à contredire cette prétention étayée par différentes pièces et que celles produites par elle sont établies de mauvaise foi.
Il fait remarquer que s'il a pu utiliser l'expression 'mes clients' dans le cadre des échanges avec la société [X], cette expression est un simple abus de langage, que comptablement il démontre que les clients étaient ceux de la société [X], qu'elle facturait et encaissait les ventes sur la base de son intermédiation.
La société [X] soutient que M. [B] ne peut prétendre à la reconnaissance du statut d'agent commercial, qu'il est défaillant à rapporter la preuve des indices permettant cette reconnaissance de statut, qu'en réalité il s'agissait d'un simple apporteur d'affaires ou courtier dans la mesure où il permettait à ses clients par son intervention de se fournir en bois de qualité auprès d'elle et qu'en contre partie elle lui servait des commissions pour rétribuer cet apport d'affaires.
Elle fait remarquer que M. [B] n'a jamais revendiqué l'établissement d'un contrat écrit ni le statut d'agent commercial avant la fin de leurs relations d'affaires, que son inscription en qualité d'agent commercial était périmée et qu'il n'a jamais été investi d'une mission de négociation et/ou représentation exercée de façon permanente.
Elle explique qu'il n'a jamais été chargé de prospecter de façon continue de nouveaux clients et de négocier des ventes de façon permanente pour de nouveaux clients.
Elle affirme que M. [B] disposait d'une clientèle propre, que ce fait ressort des pièces et exclut la reconnaissance du statut d'agent commercial.
Aux termes de l'article L. 134-1 du code de commerce, l'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale.
Ces dispositions résultent de la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants ayant transposé en droit français la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986 relative à la coordination des droits des Etats membres concernant les agents commerciaux indépendants.
L'article premier de cette directive dispose que 'l'agent commercial est celui qui, en tant qu'intermédiaire indépendant, est chargé de façon permanente, soit de négocier la vente ou l'achat de marchandises pour une autre personne, ci-après dénommée 'commettant', soit de négocier et de conclure ces opérations au nom et pour le compte du commettant.'
Interprétant l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil du 18 décembre 1986, dans son arrêt du 4 juin 2020, Trendsetteuse (C-828/18, points 33 et 34), la CJUE énonce que les tâches principales d'un agent commercial consistent à apporter de nouveaux clients au commettant et à développer les opérations avec les clients existants et que l'accomplissement de ces tâches peut être assuré par l'agent commercial au moyen d'actions d'information et de conseil ainsi que de discussions, qui sont de nature à favoriser la conclusion de l'opération de vente des marchandises pour le compte du commettant, même si l'agent commercial ne dispose pas de la faculté de modifier les prix desdites marchandises. Il résulte de la généralité de ces termes qu'il n'est pas nécessaire de disposer de la faculté de modifier les conditions des contrats conclus par le commettant pour être agent commercial.
Dès lors, doit être qualifié d'agent commercial le mandataire, personne physique ou morale qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux, quoiqu'il ne dispose pas du pouvoir de modifier les prix de ces produits ou services.
En l'espèce si M. [B] justifie avoir eu la qualité d'agent commercial antérieurement au 20 février 2007 et à compter du 25 mars 2021 et qu'en 1998, 2002 et 2003 il a contracté dans ce cadre juridique avec différentes sociétés en ce non compris la société [X], sur la période litigieuse courant à compter de 2010 jusque 2018 il ne justifie pas de son immatriculation au registre spécial des agents commerciaux, ni avoir formalisé un contrat écrit d'agent commercial notamment avec la société [S] [X].
A défaut de contrat écrit et pour prétendre à la reconnaissance de ce statut il pèse sur M. [B] l'obligation de démontrer l'existence dans ses conditions d'exercice des critères susceptibles de permettre au juge de caractériser l'existence de ce statut dans les termes de la définition ci-dessus reprise à savoir, avoir de façon permanente, négocié et conclu des contrats de vente, d'achat, de bois au nom et pour le compte de la société [X].
M. [B] justifie exercer en qualité de commerçant indépendant.
S'il prétend avoir été lié contractuellement dans le cadre d'un statut d'agent commercial avec la société [X] durant 8 années entre 2010 et 2018, il ne produit aucune pièce pour la période s'écoulant entre 2010 et 2015.
Dans ces circonstances il est défaillant à démontrer avoir été l'agent commercial de la société [X] sur cette période.
Pour la période courant sur les années 2016, 2017 et 2018 il produit des bordereaux de cubage édités par la société [X] renseignant sur le volume vendu aux clients de M. [B] et permettant à ce dernier d'émettre sa facture de commissions pour l'entremise. Il ne démontre pas avoir négocié pour le compte de la société [X] ces volumes ni que ces commandes sont la conséquence d'un démarchage commercial de clients potentiels pour leur proposer des produits adaptés à leurs besoins.
D'ailleurs il ne développe pas sa pratique ni le modus operandi mis en place pour négocier pour le compte de la société [X] des contrats de vente et d'achat de bois.
Il produit des pièces numérotées n°163, 164,165, 166, 167, 171 à 196, à chaque pièce est joint une liasse de sous pièces non numérotées, très volumineuse constituée essentiellement d'échanges de courriels majoritairement en langue anglaise et espagnole.
Sur le bordereau de communication reprenant cette numérotation il est mentionné que ces pièces correspondent au suivi des commandes et offres commerciales.
Cependant, outre le fait que 90 % des pièces écrites en langues étrangères sont irrecevables à défaut d'être traduites, les rares pièces en langue française concernent des échanges entre M. [B] et des professionnels, le nom de la société [X] n'apparaissant pas dans les adresses e-mail et ne caractérisant pas que M. [B] assurait des suivis de commandes et des offres commerciales pour le compte de cette dernière.
Il ne produit aucune pièce démontrant qu'il a proposé des produits, des volumes et des prix à différents clients et qu'il a retransmis à la société [X] les demandes issues de ces négociations.
Sans abus de langage et spontanément, dans un courriel du 21 novembre 2018 il indique qu'il a fait des réceptions de bois de son client Fibromade chez [X] et que concernant Aserpal et Losan il s'agit de clients qu'il a apportés.
Ces déclarations consistent en un aveu par M. [B] qu'il avait des clients ayant des besoins en bois, qu'il apportait des affaires à la société [X], ces apports pris de façon isolée ne permettent pas de reconnaître à M. [B] le statut d'agent commercial dans sa relation d'affaires avec la société [X] mais une simple opération d'intermédiation, étant observé que lorsqu'il a pu occuper le statut d'agent commercial pour d'autres sociétés il a toujours pris la peine de formaliser un contrat écrit, ce qu'il n'a jamais fait avec la société [X].
Par sa pratique il s'est contenté d'orienter ses clients qui avaient des besoins en bois divers afin qu'ils puissent s'approvisionner auprès de la société [X] dont il connaissait les possibilités de fourniture.
Il a d'ailleurs été commissionné pour ces apports d'affaires.
M. [B] est en conséquence également défaillant à démontrer qu'il était l'agent commercial de la société [X] sur la période s'écoulant entre 2016 et 2018.
C'est donc par de justes motifs que les premiers juges après avoir constaté que M. [B] se contentait de mettre en relation des sociétés utilisatrices de bois avec la société [X] vendeuse de bois, qu'il renseignait ses clients sur les essences les cubages et les prix disponibles, qu'il organisait des déplacements sur les lieux d'exploitation et conseillait ses clients sur les choix de grumes, en ont conclu que M. [B] occupait un rôle au profit de ses clients et non en qualité d'agent mandaté par la société [X] et qu'ils ont écarté la reconnaissance du statut d'agent commercial sollicitée par M. [B].
M. [B] qui n'a pas le statut d'agent commercial ne peut prétendre au paiement de sommes consécutives à la rupture d'un tel contrat.
Partant le jugement est confirmé en toutes ses dispositions.
M. [B] qui succombe supporte les dépens d'appel et est condamné à payer à la société [X] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe ;
Confirme le jugement du tribunal de commerce de Saint-Quentin du 30 décembre 2021 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
Condamne M. [E] [B] à payer à la SAS [S] [X] la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [E] [B] aux dépens.