Cass. crim., 22 septembre 2004, n° 03-86.473
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cotte
Rapporteur :
Mme de la Lance
Avocats :
SCP Waquet, Farge et Hazan, SCP Célice, Blancpain et Soltner
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, des articles L. 212-1 et R. 213-10 du Code de l'organisation judiciaire et l'article 510 du Code de procédure pénale ;
"en ce qu'il résulte de l'arrêt attaqué que la cour d'appel était composée de "M. Romme, vice-président placé affecté à la Cour par ordonnance de Monsieur le premier président en date du 3 mars 2003" ;
"alors que toute accusation en matière pénale devant être examinée par un tribunal établi par la loi, la composition d'une formation de jugement doit être conforme aux dispositions législatives et réglementaires prévues à cet effet ; que tout arrêt devant faire la preuve par lui-même de la composition légale de la juridiction de laquelle il émane, la seule mention relative à un magistrat "vice-président placé affecté à la Cour par ordonnance de Monsieur le premier président", qui ne précise pas au regard des dispositions de l'article R. 213-10 du Code de l'organisation judiciaire à quel titre ce conseiller a été désigné pour siéger au sein de la cour d'appel, ne permet pas d'établir que la juridiction est légalement établie ; que, dès lors, l'arrêt attaqué encourt la nullité" ;
Attendu que les mentions de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel était composée conformément aux prescriptions des articles 510 du Code de procédure pénale et L. 212-2 du Code de l'organisation judiciaire ;
Que, dès lors, le moyen inopérant en ce qu'il invoque la violation des dispositions réglementaires du Code de l'organisation judiciaire, doit être écarté ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-7 et 313-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Philippe X... du chef de complicité d'escroquerie à une peine de deux ans d'emprisonnement ;
"aux motifs que l'existence d'un circuit de traites croisées non causées entre les sociétés du groupe Y..., celles de Feibelmann et celles de Marx est parfaitement établie et reconnue par ces trois protagonistes ; ceux-ci ont formellement mis en cause Philippe X... dans l'organisation de ce circuit (...) ; que la participation active de Philippe X... aux infractions pour laquelle sa complicité est poursuivie apparaît comme suffisamment établie ;
"alors, d'une part, que la complicité suppose une infraction principale ; que l'escroquerie commise au préjudice d'une personne morale suppose des manoeuvres frauduleuses de nature à tromper les personnes physiques qui la représentent ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constate que le représentant de la Société générale, au préjudice de laquelle les prétendues escroqueries auraient été commises, Philippe X..., directeur adjoint de l'agence Nice Arenas et chargé de la clientèle commerciale, était pleinement informé du caractère non causé des traites ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé les textes précités ;
"alors, d'autre part, qu'en statuant par de tels motifs, sans s'expliquer davantage sur le point de savoir si les manoeuvres imputées aux prévenus avaient été déterminantes dans la remise des fonds par la Société générale, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision" ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-7 et 441-1 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Philippe X... du chef de complicité de faux et usage de faux à la peine de deux ans d'emprisonnement ;
"aux motifs que la société Stereoflex a été créditée d'une somme de 1 356 630 francs par des remises d'effet à l'escompte tirés notamment sur les sociétés Les Mimosas et DIP gérées par MARX avec lesquelles elle n'avait aucune relation commerciale, effets revenus ensuite impayés mais qui entre temps avaient donné lieu à 4 virements au profit des sociétés FED et FEM du groupe Y... ; qu'il est reconnu par Philippe X... qu'il a lui-même rempli le nom du tireur, SARL Stereoflex, sur les effets en cause et a signé deux des ordres de virement qui correspondaient d'après lui à des ordres téléphonés, totalement contestés par le responsable de la société ; que la participation active de Philippe X... aux infractions pour laquelle sa complicité est poursuivie apparaît comme suffisamment établie ;
"alors, d'une part, que Philippe X... est prévenu pour s'être rendu complice de l'infraction de faux commise par Christian Y... en ayant fait créditer les comptes FED et FEM par débits du compte Stereoflex sur la base de faux ordres de virement ;
qu'en conséquence, en condamnant le prévenu du chef de complicité de faux pour avoir rempli le nom du tireur sur les effets de commerce portés à l'escompte, faits non compris dans la prévention, la cour d'appel a excédé les termes de sa saisine et violé l'article 388 du Code de procédure pénale ;
"alors, d'autre part, que la complicité suppose la participation à une infraction principale ;
qu'en s'abstenant de constater quel est le faux réalisé par Christian Y... auquel Philippe X... aurait participé, la cour d'appel a violé l'article 121-7 du Code pénal ;
"alors, en outre, qu'une traite non acceptée par le tiré portant sur des opérations commerciales imaginaires constitue une simple allégation soumise à vérification qui ne peut constituer le délit de faux ;
qu'en conséquence, en qualifiant de faux l'altération portée sur des lettres de change revenues impayées, sans rechercher ainsi que l'exigeait cette dernière constatation, si ces effets avaient été acceptés, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision ;
"alors, enfin, qu'en se bornant à relever que les ordres téléphoniques étaient "totalement contestés" par la société Stereoflex, partie civile, sans rechercher si, au-delà de cette contestation, ces ordres avaient ou non existé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer Philippe X... coupable de complicité d'escroquerie, de faux et usage de faux, l'arrêt, par motifs propres et adoptés, énonce que l'organisation d'un circuit de traites croisées non causées a permis à trois groupes de sociétés, essentiellement le groupe Y..., d'obtenir, par présentation à l'escompte de ces lettres de change, des sommes importantes auprès d'une agence de la Société générale à Nice, que les dirigeants de ces sociétés, en difficultés financières, ont été aidés pour l'organisation de ces opérations par Philippe X..., directeur adjoint de l'agence bancaire où ces sociétés ont domicilié leurs comptes, qu'il résulte de leurs déclarations et de différentes pièces du dossier que celui-ci a mis en place cet échange de lettres de change et a accepté à l'escompte ces effets qu'il savait non causés ;
Que les juges ajoutent qu'une société italienne, ayant son compte dans cette même agence bancaire, a été créditée à son insu par la remise d'effets à l'escompte tirés sur des sociétés des groupes précités, que quatre virements ont bénéficié à d'autres sociétés du circuit, avant que les effets ne reviennent impayés, et que ces faux ordres de virement, imputés à Christian Y..., ont été signés, pour deux d'entre eux, par le prévenu qui les a exécutés ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations relevant de son appréciation souveraine, et dès lors que le représentant d'une personne morale qui trompe volontairement celle-ci en participant aux manoeuvres frauduleuses destinées à la spolier, ne saurait être assimilé à cette personne morale et intervient comme un tiers, complice de l'escroc, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous leurs éléments constitutifs les délits reprochés, sans excéder sa saisine, a justifié sa décision ;
D'où il suit que les moyens ne peuvent être admis ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 152-6 du Code du travail et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Philippe X... du chef de corruption passive à la peine de deux ans d'emprisonnement ;
"aux motifs que Philippe X... a reconnu s'être rendu au Brésil en compagnie de Christian Y... et a admis avoir bénéficié de repas sur place ce qui paraît déjà pour le moins étonnant si l'on se réfère à la relation habituelle du banquier avec son client ; qu'il est mis en cause par tous les autres prévenus pour avoir sollicité le paiement de commissions sur les avantages qu'il leur procurait, généralement à hauteur de 10 % de ceux-ci ; qu'il a procédé à des versements d'espèces relativement importants sur différents comptes de la Caisse d'épargne ce qui paraît pour le moins curieux pour un cadre de la BNP qui devait bénéficier de certains avantages de la part de son employeur ;
"alors que le délit de corruption de salarié n'est caractérisé que si la convention passée par le corrupteur et le corrompu a précédé l'acte ou l'abstention qu'elle avait pour objet de rémunérer ;
qu'en conséquence, en se bornant à relever des remises de fonds ou autres avantages, sans préciser la chronologie entre ces remises et les actes de la fonction prétendument réalisés en contrepartie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale" ;
Attendu que, pour déclarer Philippe X... coupable de corruption passive, l'arrêt prononce par les motifs repris partiellement au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces motifs exempts d'insuffisance, et dès lors que le caractère d'antériorité de la convention conclue entre le corrupteur et le corrompu résulte suffisamment du fait que les avantages reçus ont été réitérés, de telle sorte qu'ils ont nécessairement précédé les agissements du corrupteur et déterminé le corrompu, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que le moyen doit donc être écarté ;
Sur le cinquième moyen de cassation, pris de la violation des articles 132-28, 313-7 du Code pénal, 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt a prononcé à l'encontre de Philippe X... l'interdiction d'exercer toute activité de banquier ou d'employé de banque ainsi que celle de dirigeant, gérant ou administrateur de toute société ou entreprise commerciale ou industrielle pendant 5 ans ;
"alors que seule l'activité professionnelle à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise peut faire l'objet d'une interdiction ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt que c'est à l'occasion d'une activité bancaire que les infractions imputées à Philippe X... ont été commises ; qu'en conséquence, en prononçant l'interdiction pour 5 ans d'exercer, outre l'activité de banquier ou d'employé de banque, celle de dirigeant, gérant ou administrateur de toute entreprise commerciale ou industrielle, la cour d'appel a violé les textes précités" ;
Attendu qu'après avoir déclaré le prévenu coupable de complicité d'escroquerie, de faux et d'usage de faux, les juges du second degré l'ont condamné, notamment, à la peine complémentaire de cinq ans d'interdiction d'exercer toute activité de banquier, d'employé de banque, de dirigeant, gérant ou administrateur de toute société ou entreprise commerciale ou industrielle ;
Attendu qu'en prononçant une telle peine conformément aux dispositions des articles 441-10 et 131-27 du Code pénal, l'arrêt n'encourt pas le grief allégué ;
Que le moyen ne peut être admis ;
Sur le septième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Philippe X..., solidairement avec les autres prévenus, à payer à la Société Générale la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
"aux motifs que le tribunal a débouté la Société générale de ses demandes en retenant sa propre défaillance dans la réalisation des faits ; qu'un tel raisonnement ne peut être suivi dans la mesure où la culpabilité de Philippe X... a été confirmée et qu'on doit en déduire qu'elle a été abusée par la personne qui était investie du pouvoir de l'engager à l'égard des autres coprévenus ;
"alors, d'une part, que si la victime des faits susceptibles d'être qualifiés d'escroquerie est une société, personne morale, cette société ne saurait être déclarée bien fondée en son action civile qu'autant que les agissements délictueux dont elle prétend demander réparation ont été de nature à tromper la personne physique qui la représentait ; qu'il ressort des propres constatations de l'arrêt attaqué que Philippe X..., représentant de la Société générale en qualité de directeur adjoint de l'agence Nice Arenas et chargé de la clientèle commerciale, et "investi du pouvoir de l'engager à l'égard des autres prévenus", était pleinement informé du caractère non causé des traites et du caractère irrégulier des virements effectués ; qu'en conséquence, la cour d'appel a violé les textes précités ;
"alors, d'autre part, qu'en l'absence de toute mention permettant de déterminer la nature et l'origine du préjudice réparé et, par voie de conséquence, le lien direct entre ce préjudice et les infractions prétendument commises par Philippe X..., la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision" ;
Attendu qu'après avoir déclaré Philippe X... coupable de complicité d'escroquerie, l'arrêt l'a condamné à payer des réparations civiles à la Société générale en prononçant par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en cet état, et dès lors que, d'une part, le représentant de la personne morale, qui a personnellement participé à l'infraction dont elle a été victime, ne peut être assimilé à celle-ci et que, d'autre part, la banque ayant subi un préjudice direct du fait de l'acceptation à l'escompte des traites non causées, les juges apprécient souverainement le montant de l'indemnité propre à le réparer dans la limite des conclusions des parties, la cour d'appel a justifié sa décision ;
Que le moyen ne saurait donc être admis ;
Mais sur le sixième moyen de cassation, pris de la violation des articles 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a condamné Philippe X... à verser à la société Stereoflex, solidairement avec les autres prévenus, 7 500 euros à titre de dommages et intérêt ;
"alors que seul le préjudice directement causé par l'infraction peut faire l'objet d'une indemnisation ; qu'en l'absence de toute mention, dans l'arrêt attaqué comme dans le jugement entrepris, permettant de déterminer la nature et, par voie de conséquence, le caractère direct du préjudice réparé, la cour d'appel n'a pas légalement motivé sa décision" ;
Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 2 et 3 du même Code ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, saisie de la constitution de partie civile de la société Stereoflex, la cour d'appel, pour faire droit à sa demande d'indemnisation et lui allouer une indemnité de 7500 euros, sans préciser à quel titre et pour quel dommage elle demandait réparation, se borne à énoncer qu'il convient de confirmer la condamnation du prévenu à l'égard de cette partie civile, alors que les premiers juges ne se sont pas davantage expliqués sur les dommages invoqués par celle-ci ;
Attendu qu'en cet état, la Cour de cassation n'est pas en mesure d'exercer son contrôle au regard des articles 2 et 3 du Code de procédure pénale et que, dès lors, la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs,
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 24 septembre 2003, mais en ses seules dispositions civiles concernant la société Stereoflex, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
CONDAMNE Philippe X... à payer à la Société générale la somme de 3 000 euros au titre de l'article 618-1 du Code de procédure pénale.