CEDH, sect. 5, 12 octobre 2023, n° 34634/18
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L'HOMME
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Total (SA), Vitol (SA)
Défendeur :
France
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Ravarani
Juges :
M. Chanturia, M. Ranzoni, M. Mits, M. Mourou-Vikström, M. Guyomar, Mme Šimáčková
Avocat(s) :
Me Piwnica
Vu :
les requêtes (nos 34634/18 et 43546/18) dirigées contre la République française et dont une société de droit français, Total S.A., et une société de droit suisse, Vitol S.A., ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 20 juillet 2018 et le 11 septembre 2018 respectivement,
la décision de porter à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement ») le grief concernant l’article 7 de la Convention et de déclarer les requêtes irrecevables pour le surplus,
les observations des parties,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 septembre 2023,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
INTRODUCTION
1. La présente affaire concerne la prévisibilité, au sens de l’article 7 de la Convention, de la condamnation pénale des sociétés requérantes, pour délit de corruption active d’agents publics étrangers, sur le fondement de l’article 435-3 du code pénal.
EN FAIT
2. La première société requérante, Total S.A., société mère du groupe Total, a son siège social à Courbevoie (France). La seconde société requérante, Vitol S.A., a son siège social à Genève (Suisse). Elles sont respectivement représentées par Me P. Spinosi et Me E. Piwnica, avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation.
3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, D. Colas, directeur des Affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.
LE CONTEXTE DE L’AFFAIRE
4. Dans la nuit du 1er au 2 août 1990, l’armée iraquienne envahit le Koweït. Cette intervention fut condamnée par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (ONU) dans la Résolution 660 du 2 août 1990, qui exigea également le retrait immédiat et inconditionnel des troupes iraquiennes.
5. Cette résolution n’ayant pas été appliquée et l’invasion du Koweït par l’Iraq se poursuivant, le 6 août 1990, le Conseil de sécurité adopta la Résolution 661, afin de prendre une série de mesures qui eurent pour effet d’instaurer un embargo international sur l’ensemble du commerce extérieur iraquien.
6. Cet embargo provoqua une crise alimentaire et sanitaire au sein de la population iraquienne, ce qui conduit le Conseil de sécurité à intervenir une nouvelle fois, en instaurant un programme dit « pétrole contre nourriture » dans le cadre défini par la Résolution 986 du 14 avril 1995. Un mémorandum d’accord fut ensuite conclu le 20 mai 1996 entre le Secrétariat de l’ONU et le Gouvernement iraquien, en vue d’assurer l’application effective de cette dernière. Dans le cadre de ce programme, financé exclusivement par les recettes des exportations pétrolières autorisées par le Conseil de sécurité, les acheteurs, à savoir des compagnies pétrolières internationales agréées par leur gouvernement et soumises à l’approbation des Nations Unies, pouvaient négocier du pétrole brut iraquien avec la State Oil Marketing Organisation (SOMO), société d’État iraquienne, à un prix suggéré par le gouvernement iraquien et avalisé par l’ONU. En application de cette résolution, 248 sociétés pétrolières obtinrent l’agrément pour entretenir des relations commerciales avec l’Iraq, notamment la société Total International Limited France et Total Oil Trading S.A., filiales du groupe Total. Les achats devaient être réglés par les compagnies importatrices par lettre de crédit à une banque de New York, auprès de laquelle un compte séquestre ouvert et administré par l’ONU était destiné à recevoir la totalité du montant des transactions.
7. Le 20 mars 2003, une intervention militaire menée par une coalition d’États, en particulier les États-Unis d’Amérique et le Royaume-Uni, fut lancée contre le régime de Saddam Hussein. L’exploitation ultérieure des archives iraquiennes, en particulier celles de la SOMO, permit de mettre à jour des dysfonctionnements du programme « pétrole contre nourriture ». Par ailleurs, plusieurs articles de presse critiquèrent le fonctionnement de ce dernier, faisant état de multiples cas de fraude et de corruption.
8. Le 21 avril 2004, le Secrétaire général des Nations unies, mit en place une commission d’enquête indépendante (CEI). Le 21 avril 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies adopta la Résolution 1538 pour exprimer sa satisfaction et demander à l’Autorité provisoire de la coalition en Iraq et à tous les États membres, y compris leurs autorités réglementaires, de coopérer pleinement et par tous les moyens appropriés à l’enquête. Après trois rapports intérimaires qui évoquaient des preuves de mauvaise gestion, de malversations et de corruption au sein de l’ONU et parmi les contractants, le rapport définitif de la CEI, dit « rapport Volcker », fut remis au Secrétaire général. Il portait notamment sur le rôle des sociétés contractantes du programme « pétrole contre nourriture », les investigations ayant mis en lumière certains mécanismes utilisés par les dirigeants iraquiens pour détourner le fonctionnement du programme mis en place par l’ONU.
9. L’enquête de la CEI permit ainsi d’établir que, dès l’origine, les autorités iraquiennes avaient attribué le pétrole brut selon deux modalités : d’une part, en recourant aux affectations régulières, effectuées dans un cadre commercial régulier et au profit de compagnies agréées ; d’autre part, en procédant à des affectations spéciales, réalisées au bénéfice d’un ensemble d’individus ou de structures sans lien direct avec le milieu du pétrole, dans le but de favoriser des proches du régime iraquien et de récompenser diverses personnes physiques ou morales pour leurs actions de lobbying en faveur de l’Iraq et de la levée des sanctions économiques. Ces personnes étaient chargées, par les plus hauts dirigeants iraquiens, à l’insu de l’ONU et en violation des termes de la Résolution 986, du droit de négocier des quantités de pétrole. Pour convertir celles-ci, les allocataires devaient agir sous couvert de sociétés qui vendaient elles-mêmes le pétrole aux grandes compagnies dotées des capacités de raffinage et qui supportaient le coût des commissions occultes, appelées « surcharges », revenant aux intermédiaires successifs. Ces surcharges, dont le montant total fut évalué à 228 millions de dollars, étaient payées soit en espèces dans des ambassades iraquiennes à l’étranger, soit en espèces ou sur des comptes bancaires ouverts aux noms de fonctionnaires iraquiens en Jordanie ou au Liban, les sommes étant ensuite transférées aux dirigeants iraquiens. Progressivement, et afin d’accroitre le soutien politique dont elles pouvaient bénéficier, les autorités iraquiennes diminuèrent les volumes de pétrole vendus directement aux compagnies agréées, afin d’augmenter le nombre de barils destinés aux affectations spéciales. La pratique des surcharges fut mise en œuvre à partir de septembre 2000.
LA PROCÉDURE INTERNE
10. Le 6 juin 2000, à la suite de plusieurs signalements auprès de la cellule de renseignement financier nationale, dite « Tracfin » (« traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins ») concernant des flux financiers suspects en provenance de grandes sociétés françaises ou de leurs filiales françaises ou étrangères sur les comptes de J.C. et de ses sociétés, une perquisition fut réalisée au domicile de ce dernier, en France. Le 29 juillet 2002, le procureur de la République de Paris ouvrit une information judiciaire contre X des chefs d’abus de biens sociaux, complicité et recel. Les investigations conduites dans ce cadre permirent d’établir que les structures mises en place par J.C. avaient été utilisées par certaines sociétés françaises à l’occasion de marchés conclus à l’étranger pour véhiculer, de manière discrète, d’importantes commissions susceptibles de constituer des faits d’abus de biens sociaux, de corruption et de trafic d’influence. Elles firent ainsi apparaître l’existence de commissions versées par le groupe Total lors d’opérations d’achat de pétrole dans certains pays, notamment en Iraq pendant l’embargo, par l’intermédiaire de la société Total International Limited, filiale du groupe Total enregistrée dans les Bermudes.
11. Les deux sociétés requérantes, ainsi que vingt personnes physiques, furent mises en examen. La société Vitol S.A. fut en outre placée sous contrôle judiciaire le 30 mars 2006.
12. Les investigations permirent d’établir que la première société requérante avait cessé ses importations directes de pétrole brut iraquien lorsque le régime iraquien avait mis en place le système de surcharges, mais qu’elle avait néanmoins continué d’en acquérir sur le marché secondaire et que ses dirigeants n’avaient pu ignorer l’économie générale de ces contrats, y compris le système du paiement de surcharges, nécessairement répercuté sur le marché secondaire. Il en ressortait également que la seconde société requérante, spécialisée dans le trading de pétrole et de gaz, qui disposait d’une raffinerie au Canada, avait commercialisé et reçu le pétrole octroyé à l’un des intermédiaires par les autorités iraquiennes en payant des surcharges.
13. Parallèlement à la procédure diligentée en France, la seconde société requérante plaida coupable devant le procureur du district du Comté de New York, reconnaissant avoir payé des surcharges sur certains achats de pétrole iraquien, sans en informer l’ONU et en violation du programme « pétrole contre nourriture ». L’accord de « plaider coupable » signé avec les autorités américaines le 20 novembre 2007, puis validé par une décision définitive de la Cour suprême de l’État de New York en date du 10 décembre 2007, prévoyait la restitution d’une somme d’un montant de 13 millions de dollars au peuple iraquien, ainsi que le paiement d’une amende de 4 500 000 dollars.
14. Par une ordonnance en date du 28 juillet 2011, le juge d’instruction français décida de renvoyer devant le tribunal correctionnel dix-huit personnes physiques et les deux sociétés requérantes, retenant à leur encontre les charges suivantes :
« (...)
VITOL SA, représentée par son président, [I.T.]
d’avoir, à Paris et sur le territoire national, à compter d’octobre 2000, courant 2001, 2002, 2003 et depuis temps non couvert par la prescription, en co-action indivisible avec [S.B.], cédé aux sollicitations d’agents publics irakiens, personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif dans un État étranger, sollicitant sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elles-mêmes ou pour autrui, afin d’obtenir qu’elles accomplissent ou s’abstiennent d’accomplir un acte de leur fonction, de leur mission ou de leur mandat, ou facilité par leur fonction, leur mission leur mandat, en l’espèce en acceptant et en organisant la rétrocession, en violation des dispositions des résolutions 661 et 986 de 1’ONU, au bénéfice des dirigeants irakiens, sur des comptes ouverts à l’étranger au nom de fonctionnaires irakiens, d’une partie du produit des ventes de la société VITOL d’allocations de barils octroyées par la SOMO, organisation irakienne d’État pour la commercialisation du pétrole pour obtenir des autorités irakiennes l’attribution de nouvelles allocations de barils de pétrole,
faits prévus et réprimés par les articles 435-3, 435-15 du code pénal ;
(...)
La SA TOTAL représentée par [P.H.], directeur juridique
a) Pour avoir, à Paris et sur le territoire national, entre octobre 2000 et 2002 et depuis temps non couvert par la prescription, cédé aux sollicitations d’agents publics irakiens, personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif dans un État étranger, sollicitant sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elles-mêmes ou pour autrui, afin d’obtenir qu’elles accomplissent ou s’abstiennent d’accomplir un acte de leur fonction, de leur mission ou de leur mandat, ou facilité par leur fonction, leur mission leur mandat, en l’espèce en finançant, via des intermédiaires, les rétrocessions exigées par les dirigeants irakiens, en contrepartie de la signature des contrats de vente de pétrole brut et de l’octroi de nouveaux contrats,
b) Pour avoir, à Paris et sur le territoire national, courant 1999, 2000 et depuis temps non couvert par la prescription, sciemment aidé et assisté à la commission des faits de trafic d’influence actif simple et aggravé commis par les dirigeants irakiens, notamment concernant [H.N.] et [C.P.], en procédant au règlement, par l’intermédiaire de la société [TC] et de [E.F.], sous couvert de prestations fictives, des commissions versées aux intéressés au titre des dotations pétrolières qui leur avaient été octroyées par les dirigeants irakiens en contrepartie de leur influence réelle ou supposée auprès des autorités françaises pour défendre les intérêts irakiens et tenter d’obtenir la levée des sanctions contre l’Irak,
c) Pour avoir, à Paris et sur le territoire national, courant 1999, 2000 et depuis temps non couvert par la prescription, bénéficié, par tout moyen, du produit du délit de trafic d’influence passif commis par un particulier reproché à [H.N.] et du trafic d’influence passif aggravé reproché à [C.P.], en procédant, en violation des dispositions des résolutions 661 et 986 de l’ONU, directement ou par l’intermédiaire de sociétés écrans, à l’acquisition d’allocations de barils de pétrole brut irakien octroyées aux intéressés en contrepartie de leur influence réelle ou supposée auprès des autorités françaises pour défendre les intérêts irakiens,
faits prévus et réprimés par les articles 121-6, 121-7, 321-1 à 321-4, 321-12, 432-11, 4, 433-2, 433-25, 435-3, 435-15 131-38, 433-2, 433-25 du code pénal (...) »
15. Par un jugement en date du 8 juillet 2013, le tribunal correctionnel de Paris constata toutefois l’extinction de l’action publique concernant la seconde société requérante. Par ailleurs, il relaxa la première société requérante, considérant notamment que le délit de corruption active d’agents publics étrangers n’était pas constitué, dès lors qu’il résultait du dossier que le principe de versement des surcharges avait été arrêté par les plus hauts dirigeants iraquiens, notamment Saddam Hussein, et qu’ils n’agissaient pas à titre personnel ou privé, mais en qualité de représentant de l’État iraquien, relevant par ailleurs qu’il n’avait pas été démontré qu’un agent public étranger se serait personnellement enrichi. Les 18 et 19 juillet 2013, le procureur de la République interjeta appel.
16. Le 26 février 2016, la cour d’appel de Paris infirma ce jugement, jugeant au contraire que les éléments constitutifs du délit de corruption d’agents publics étrangers, au sens de l’article 435-3 du code pénal, étaient réunis. Après un rappel du contexte de l’affaire, elle retint notamment les éléments suivants :
« (...) Quant à la position des autorités françaises elle était reprise dans un télégramme du [ministère des Affaires étrangères] rédigé par la mission permanente de l’ONU en novembre 2000 « mise en place de surcharges ... lors de la foire de Bagdad... les entreprises disent que d’autres États le font... on leur a dit non... avons-nous été entendus ».
[C.] directeur de cabinet du ministre le 2 février 2001 « violation des résolutions... et des dispos communes et internes pour l’application de ses résolutions... on peut déclencher l’action publique... mais c’est un problème d’opportunité politique. Et de possibilité de réunir des preuves ».
Néanmoins est paru un avis au JO 2001 sur l’interdiction des paiements hors compte séquestre et des réunions d’information (...) ont eu lieu.
(...)
SUR LA CORRUPTION D’AGENT PUBLIC ÉTRANGER
Dans la mesure où les conseils des prévenus poursuivis de ce chef concluent essentiellement en droit et soutiennent que les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis à la date des faits, il sera d’abord répondu à leurs moyens avant d’examiner l’implication personnelle de chacun des mis en cause.
Sur les éléments constitutifs de l’infraction :
Le second alinéa de l’article 435-3 du code pénal dans sa rédaction résultant de la loi du 30 juin 2000 transposant en droit français la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics dans les transactions commerciales internationales, traité signé à Paris le 1er décembre 1997, dispose :
« Pour l’application de la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales signée à Paris le 17 décembre 1997, est puni de dix ans d’emprisonnement et de 1 000 000 francs d’amende le fait de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour obtenir d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public dans un État étranger ou au sein d’une organisation internationale publique, qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction ou de son mandat ou facilité par sa mission, sa fonction ou son mandat en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indû dans le commerce international.
Est puni des mêmes peines le fait de céder à une personne visée à l’alinéa précédent qui sollicite, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte visé audit alinéa ».
Il est constant que les opérations visées à la présente espèce d’achat en vue de la revente de cargaisons de pétrole provenant d’un État étranger s’analysent en des transactions commerciales internationales.
Sont concernées les opérations conclues postérieurement au premier octobre 2000 et jusqu’au 20 mars 2003 date de l’invasion de l’Irak par la coalition menée par les États‑Unis.
Leur contexte et notamment les trois résolutions de l’ONU dans le cadre du programme OFF ont été rappelés supra.
Outre ces trois résolutions qui cernent le litige en droit international, un quatrième document est intervenu. Le 20 mai 1996 était conclu un protocole d’accord entre le Secrétariat général de Nations unies et le gouvernement irakien, dont l’objet était, selon son intitulé, d’assurer la mise en œuvre par l’Irak de la résolution 986.
Ce protocole avait notamment pour objet d’organiser le plan de distribution de pétrole en Irak des denrées alimentaires et médicaments acquis via les ventes de brut irakien et le fonctionnement du compte séquestre. Il sera revenu sur ce texte dans le cadre de l’analyse des éléments constitutifs de l’infraction visée à l’alinéa 2 de l’article 435-3 du code pénal.
Les conseils des prévenus font principalement plaider que l’infraction de corruption d’agents publics étrangers n’est pas constituée pour des motifs de droit articulés autour du fait que :
* les surcharges n’ont pas été obtenues « sans droit » et que le juge français n’est pas compétent pour juger que des paiements exigés par l’État irakien l’ont été « sans droit » dès lors que le Protocole n’a pas été transposé en droit interne irakien,
* la résolution 986 n’a jamais été introduite en droit interne irakien et la pratique des surcharges n’était pas prohibée en Irak,
* l’État irakien en ayant décidé souverainement et en ayant été le seul bénéficiaire : cette décision ayant été prise en Conseil des ministres irakien par l’État pour financer certaines de ses dépenses,
* l’organisation des flux d’argent était contrôlée par le régime irakien et la SOMO.
Certains des éléments constitutifs de l’infraction ne font pas réellement débat dès lors qu’il est acquis que les prévenus sont renvoyés au visa du second alinéa de l’article 435‑3 du code pénal en vigueur en 2000.
Tel est le cas du fait d’avoir « cédé », terme repris dans chacune des préventions et qui correspond à l’attitude qui est reprochée aux neufs prévenus contre lesquels celle‑ci est retenue.
Le fait que la personne aux sollicitations de laquelle il a été cédé soit à une personne visée à l’alinéa précédent c’est-à-dire « une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public dans un État étranger ou au sein d’une organisation internationale publique » ne fait pas davantage difficulté dès lors qu’il ressort du dossier que la SOMO (State Oil Marketing Organisation) était une entreprise d’État comme son nom l’indique, rattachée au ministère du pétrole, et qu’en conséquence ses agents étaient chargés d’une mission de service public, en l’espèce le monopole de la commercialisation du pétrole Irakien.
La personne visée à l’alinéa 2 de l’article 435-3 du code pénal doit avoir :
« sollicité », s’agissant de cette action il est constant que les agents de la SOMO sollicitaient en plus du prix de vente Osp versé sur le compte séquestre de l’ONU à NYC des surcharges calculées en cents ($) par baril dont le montant fluctuait dans le temps ;
« sans droit » ; à cet égard il convient d’abord d’indiquer que la structure même de la phrase dans laquelle le terme « sans droit » est inséré après le verbe « sollicite » suffit à établir que cette locution s’applique au solliciteur, soit en l’espèce aux agents de la SOMO.
Il convient donc de rechercher si comme le soutiennent les conseils de la plupart des prévenus de ce chef ces agents publics étrangers agissaient sans droit ou conformément au droit, voire dans une hypothèse où il n’y aurait pas de règle de droit.
Il ne saurait être raisonnablement soutenu, ce qui serait contraire à la lecture même du dossier telle qu’elle en est proposée par les prévenus, que les agents de la SOMO agissaient en toute « liberté » en l’absence de toute règle, même si celle-ci n’a pas été matérialisée par un écrit.
Dès lors il convient de s’interroger sur le fait de savoir si les agents irakiens agissaient selon des instructions conformes au droit irakien ou contraires à celui-ci, ce qui revient à répondre aux conclusions développées par les prévenus sur le fait que les résolutions de l’ONU n’auraient jamais été intégrées en droit irakien.
C’est à ce stade qu’il convient de revenir sur le protocole signé le 20 mai 1996, soit bien antérieurement aux faits de l’espèce.
Ce protocole a été conclu le 20 mai 1996 entre le Secrétaire général de l’ONU et le gouverneur de l’Irak, au terme d’âpres négociations de 13 mois résultant de l’attachement de Saddam Hussein à la souveraineté de l’Irak ; il convient de rappeler que les résolutions adoptées dans le cadre du programme OFF mentionnent systématiquement qu’elles s’inscrivent dans le cadre du respect de la souveraineté de l’Irak.
Ce protocole de plusieurs pages était un protocole d’accord relatif, comme l’indique le terme « Implementation » inséré dans son titre, à la mise en œuvre de la résolution 986 du conseil de sécurité.
Cet acte n’est pas un acte unilatéral imposé à l’Irak ; il est a contrario un acte bilatéral, négocié et signé par un représentant qualifié de l’Irak et il n’a pas été par la suite dénoncé par l’Irak.
Dès lors qu’il a été ainsi adopté, avec la nécessaire approbation de Saddam Hussein sous la tutelle duquel œuvrait le gouverneur de l’Irak, le protocole a intégré le droit interne irakien et il s’impose à toutes autres normes internes contraires, s’agissant d’un texte à valeur supranationale.
En réponse aux conseils des prévenus qui font valoir que pour autant le juge français n’a pas qualité pour apprécier si les agents irakiens se trouvaient « sans droit », il sera répondu qu’à cette date soit en 1996, il n’y avait en Irak aucun parlement élu, que le centre du pouvoir était le conseil de commandement de la Révolution, présidé par Saddam Hussein, organe qui se substituait à la représentation parlementaire et qu’en conséquence l’intégration de la résolution 986 ne pouvait être le fait d’une loi régulièrement votée.
Les échanges commerciaux internationaux visés à la prévention étaient régis par le programme pétrole contre nourriture issu de la résolution 986 du conseil de sécurité laquelle supplantait le droit irakien et toute décision interne, lequel programme ne prévoyait pas, et même interdisait les surcharges, tout paiement devant passer par le compte séquestre, étant observé de surcroît que ces résolutions avaient été intégrées en droit interne par le protocole de 1996.
Il sera retenu en conséquence que les surcharges étaient obtenues sans droit.
« à tout moment », ce point ne souffre pas de réelle difficulté dans la mesure où il ressort du dossier que l’exigence des surcharges corruptrices était antérieure ou a minima concomitante à l’exécution du contrat, dès lors qu’il est acquis aux débats que l’enlèvement physique des cargaisons à partir du port de Bassora était subordonné au paiement de surcharges pendant les phases y donnant lieu ; les surcharges liées à des contrats déterminés en font partie intégrante et en conséquence le pacte de corruption est partie du contrat dont le support est la personal request ;
« directement ou indirectement », ne pose pas davantage question ;
des offres, des promesses, des dons, des présents ou « des avantages quelconques » ce point n’appelle pas de commentaire dans la présente espèce et n’est l’objet d’aucune contestation étant observé que l’avantage est ici la surcharge ;
la condition relative à « l’enrichissement » : l’article 1, § 1, de la Convention OCDE du 21 novembre 1997 sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales dont est inspirée l’incrimination française de corruption active d’agent public étranger ne prévoit pas davantage que la corruption suppose l’enrichissement personnel du corrompu ; il doit être d’abord rappelé que c’est la loi de 2007 qui a intégré dans la définition des délits de corruption l’expression « pour son compte ou pour autrui » ; par ailleurs sous l’empire des textes antérieurs à 2007, le fait que l’avantage le don profite à autrui pouvait servir de base à une condamnation pour corruption nationale, l’enrichissement n’était pas exigé ; quant au terme « quelconque » il est de longue date retenu que l’avantage ne profite pas au corrompu, c’est-à-dire en l’absence d’enrichissement, dès lors que le délit vient sanctionner non un enrichissement mais comme le signifie sa place au Livre IV du code pénal un manquement à la probité.
Si les surcharges n’ont certes pas enrichi les agents de la SOMO, dès lors qu’elles ont finalement crédité les comptes de la BCI, les prévenus soutiennent qu’elles s’analyseraient en des taxes, en un impôt versé, certes par des voies détournées, à l’État irakien, ce qui ne saurait s’analyser en une volonté de commettre un acte de corruption ; cet argument qui se présente comme une variante du précédent doit également être écarté parce que comme il a été déjà dit la corruption réprime un manquement à la probité que ce soit au plan national ou international.
Au plan international la convention OCDE poursuit clairement un objectif de transparence dans les relations commerciales internationales et des conditions de libre concurrence ; en aucun cas elle ne pose donc l’enrichissement personnel comme élément condition de l’infraction de corruption ; bien au contraire elle retient que l’avantage indû, qui peut ne pas être pécuniaire, peut être au profit d’un autre.
Cette analyse doit être retenue fût-ce si le bénéficiaire final est l’État irakien ; en effet cette hypothèse n’est pas écartée par la convention OCDE, à l’aune de laquelle doit être interprété l’article 453-3 du code pénal, au regard duquel elle tient lieu de travaux parlementaires.
En outre il ressort de pièces du dossier, notamment d’un document coté D 3195 par lequel le fils du président est autorisé à retirer des caisses de la BCI une somme représentant 1 milliard de $, qu’il régnait en Irak une confusion entre l’État et son président.
En outre aucun élément du dossier ne vient étayer la thèse selon laquelle les prévenus, personnes rompues au commerce international de pétrole, pour certains diplomates de carrière, auraient, fût-ce subjectivement et un seul instant, pu analyser les surcharges en des taxes, dès lors qu’il n’existait aucun texte écrit les fondant, en l’absence de toute caractéristique pouvant les faire analyser comme des taxes en raison notamment de leur caractère éminemment variable à intervalle rapproché selon les phases du programme. Il sera noté en outre que comme l’a maintes fois rappelé le conseil de la société Total, et comme cela est corroboré par les tableaux versés au dossier les surcharges étaient appliquées de façon aléatoire, selon les États et même les cargaisons ; en outre ces « taxes » empruntaient des circuits de règlement clandestins et là encore variables, étaient versés non pas sur des comptes de l’État irakien ni même de la SOMO, mais sur des comptes ouverts hors de l’Irak sous des noms de personnes physiques, en passant par des sociétés écrans. À eux seuls ces éléments suffisaient à démontrer qu’il n’était nullement question de s’acquitter d’un impôt mais de s’inscrire dans un schéma corrupteur.
Pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte de sa fonction ou de son mandat ou facilité par sa mission, sa fonction ou son mandat en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indû dans le commerce international, il s’agissait là d’éviter que la source d’approvisionnement en pétrole irakien ne se tarisse comme l’avaient d’ailleurs relevé des membres de la DTS de Total.
Au terme de ces développements la cour retient que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis et ils ne seront, sauf exception, pas repris lors de l’examen de la situation de chaque prévenu. (...) »
17. S’agissant des faits reprochés à la première société requérante, elle retint notamment les motifs suivants :
« (...) Il est reproché à la SA Total d’avoir entre la phase 8 et la phase 12, soit entre octobre 2000 et septembre 2002, payé des surcharges évoluant selon le rapport Volker entre 0,10 et 0,50 dollars le barils soit un montant total de 228 millions de $.
Sur cette période Total SA va conclure 30 marchés surchargés, étant observé que selon le rapport de la CEI lui-même pour diverses raisons ce sont 99 % des marchés qui ne sont pas surchargés. (...)
La personne morale Total SA, représentée par [P.H.] son directeur juridique, lors de l’instruction contestait les faits qui lui sont reprochés.
Il indiquait que le système mis en place pour verser des commissions par l’intermédiaire de la société [TC] ne lui paraissait pas illégal même si c’était un « circuit assez opaque qui serait aujourd’hui probablement inacceptable » (...)
La position officielle de la SA Total était cependant celle d’avoir respecté scrupuleusement dès l’origine l’embargo mis en place par l’ONU en arrêtant les achats pour les phases 9 à 11 du programme, soit lorsque les surcharges avaient été mises en place (...)
Néanmoins, il apparaissait que Total avait acheté d’importantes quantités de brut irakien auprès de petites sociétés de négoce qui elles-mêmes commercialisaient les allocations attribuées aux personnes dotées de barils en échange de leur action de lobbying pro irakien.
L’existence de ce recours à un marché parallèle ressortait des investigations menées à partir des activités de [J.C.] (...)
La SA Total soutient que ses filiales ont pris des précautions en exigeant la signature d’une clause. Reste que l’insertion de cette clause ne constitue pas une garantie explicite mais s’analyse en une simple clause anticorruption.
En l’espèce, elle démontre a contrario que Total avait connaissance de l’existence des surcharges et se couvrait par l’introduction de cette clause dans les contrats qu’elle signait, sans pour autant l’assortir d’une procédure de contrôle, ce qu’au demeurant [B.C] admettait.
Par ailleurs, la mise en place de cette clause artificielle s’accompagnait de la mise en place de sociétés écran et d’un double circuit de financement, l’un officiel lié au paiement du contrat l’autre parallèle du paiement de primes destinées à permettre aux sociétés écran de payer les surcharges. (...)
Total a donc choisi, après uniquement 3 mois d’interruption de rejoindre le marché, en utilisant le marché secondaire dont il était de notoriété qu’il n’échappait pas à la règle des surcharges. À cet égard il convient de souligner que, contrairement à ce que fait également plaider Total, il ne lui est pas reproché de s’être approvisionnée sur le marché secondaire, mais d’avoir ainsi indirectement payé des surcharges, l’article 435‑3 du code pénal dans sa rédaction à l’époque prévoyant déjà les paiements indirects comme indirects (sic), étant observé que la confusion alléguée par Total entre le calcul des prix opérés dans l’ordonnance de renvoi est sans incidence dès lors qu’est établi le principe même de paiement de surcharges.
L’article 121-2 du code pénal s’agissant de la responsabilité de la personne morale dispose « les personnes morales sont responsables pénalement des infractions commises pour leur compte par leurs organes ou représentants ».
Contrairement à ce que soutient la SA Total un tel revirement de position ne peut avoir été décidé qu’à un niveau élevé de la hiérarchie, s’agissant d’une décision lourde de conséquences dans un climat géo politique tendu qui devait aboutir, trois mois seulement après le terme de la prévention retenu pour Total, au déclenchement de la seconde guerre d’Irak ; dans un tel contexte la gestion des approvisionnements de brut irakien, même s’ils ne représentaient pas la totalité des sources d’approvisionnement en pétrole pour cette société, revêtait une importance stratégique déterminante. En conséquence l’infraction de corruption est imputable à la SA Total. (...)
La stratégie adoptée par Total, qui consiste une fois que le robinet irakien est réouvert sous condition, à utiliser parallèlement à la voie légale de l’ONU le marché secondaire en acceptant le dispositif des surcharges, selon des procédés très sophistiqués, est un choix qui relève d’un niveau de décision élevé, notamment à raison des risques pénaux et aussi d’image qu’elle fait courir à l’entreprise ; il est par ailleurs paradoxal de soutenir que la décision de s’opposer au paiement de surcharges dans le cadre des transactions directes avec la SOMO aurait été affichée par les dirigeants de Total, et qu’a contrario celle de passer par le second marché, fût-ce en ayant rédigé une clause « Irak », relèverait d’un niveau inférieur ou informel (...).
En l’espèce ce choix de 30 paiements corruptifs au cours de la période de la prévention, par leur nature, leur caractère répété et délibéré en période d’embargo relève nécessairement d’une politique commerciale assumée par les dirigeants de Total dans le cadre d’une organisation sophistiquée qui a nécessité une forte implication ; l’infraction de corruption active d’agents publics étrangers ne peut alors avoir été commise, pour le compte de la société, que par son organe tel qu’il résulte des statuts de la société à l’époque de la société.
Il y a lieu de déclarer la SA Total prise en la personne de son organe statutaire à l’époque, coupable de corruption d’agents publics étrangers et de prononcer à son encontre une peine d’amende de 750 000 €. »
18. En ce qui concerne la seconde société requérante, la cour d’appel retint les motifs suivants :
« Il est reproché à la Vitol LTD (...) d’avoir, à Paris et sur le territoire national, à compter d’octobre 2000, courant 2001, 2002, 2003 et depuis temps non couvert par la prescription, en co-action indivisible avec [S.B.], cédé aux sollicitations d’agents publics irakiens, personnes dépositaires de l’autorité publique, chargées d’une mission de service public ou investies d’un mandat électif dans un État étranger, sollicitant sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elles-mêmes ou pour autrui, afin d’obtenir qu’elles accomplissent ou s’abstiennent accomplir un acte de leur fonction, de leur mission ou de leur mandat, ou facilité par leur fonction, leur mission leur mandat, en l’espèce en acceptant et en organisant la rétrocession, en violation des dispositions des résolutions 661 et 986 de l’ONU, au bénéfice des dirigeants irakiens, sur des comptes ouverts à l’étranger au nom de fonctionnaires irakiens, d’une partie du produit des ventes de la société Vitol d’allocations de barils octroyées par la SOMO, organisation irakienne d’État pour la commercialisation du pétrole, pour obtenir des autorités irakiennes l’attribution de nouvelles allocations de barils de pétrole, 435.
(...) il s’agit d’un groupe au CA de 80 milliards de dollars qui intervient dans le négoce de pétrole et de gaz et qui possède notamment une raffinerie au Canada et terminaux ; elle dispose notamment de deux filiales de Vitol LTD dont le siège est à Genève, société opérationnelle de tête, et d’une autre Vitol Broking LTD à Londres (...)
Le représentant légal indique que la raffinerie canadienne marche avec du brut irakien de longue date et que le programme OFF a créé un problème à compter de la phase 4.
Il reconnaît [que A. avait] entendu parler de [S.B.] ambassadeur, lequel avait de bons contacts en Irak dont avec Tarek Aziz, l’avoir vu en 98 date à laquelle il lui avait proposer de « résoudre les problèmes sur le marché irakien via l’obtention d’allocations (étude + aller sur place) ».
Il ajoutait que c’est dans ces conditions qu’était signé le 27 avril 98 un contrat de consultant prévoyant un fixe de 30 000 $ à la signature outre 1 cents/Baril au-delà de 3MB (...) Il indique que dans ce contexte les relations entre [S.B.] et la Vitol LTD se sont poursuivies jusqu’en 2003 (phase 13) et admet qu’au cours de cette période grâce à lui Vitol LTD a commercialisé 29,5MB et a payé à [S.B.] 582 000 $ (...)
Aujourd’hui, [le] siège social est situé à Rotterdam, son président est toujours [I.T.]. La société Vitol LTD emploie 1 040 salariés, comprend 400 filiales et réalisait, en 2014, un chiffre d’affaires de 250 milliards de dollars (résultat net de 1,4 milliards de dollars). (...)
La matérialité des faits est reconnue par le président du groupe à la date des faits lors de son audition en 2006 par le magistrat instructeur.
Il convient de remarquer à cet égard que la décision de la Cour suprême de l’État de New York, intervenue sur reconnaissance préalable de culpabilité est datée de 2007 et que l’engagement de non contestation de culpabilité pris à cette époque devant le juge américain ne suffit pas à lui seul à expliquer la reconnaissance de la matérialité des faits intervenue 19 mois avant devant le juge Français.
Le dirigeant de la Vitol LTD reconnaît la matérialité des faits et l’élément intentionnel en l’espèce se confond avec l’élément matériel qui consiste à accepter de répondre à des sollicitations d’un agent public irakien pour qu’il accomplisse un acte de sa fonction, c’est-à-dire autorise l’enlèvement de cargaison de pétrole faisant l’objet d’une special request.
Le débat porte donc sur le fait de savoir si la société Vitol pouvait raisonnablement considérer que les surcharges étaient une « taxe » versée à l’État irakien alors qu’elle n’ignorait pas les conditions particulières de versement de ces surcharges et qu’en raison du caractère particulier des versements sur des comptes de personnes physiques hors d’Irak caractérisant leur opacité à l’égard de l’ONU, elle avait pour sa part organisé la clandestinité de son intervention de payeur en se dissimulant derrière des écrans tels que [P.] Ltd puis [A. A].
Au-delà des développements effectués supra, cette clandestinité apparaît suffisante pour caractériser l’élément moral de l’infraction, commise en co action avec [S.B.] co titulaire du secret afférent aux modalités de paiement puisqu’il conservait jusque dans « l’intimité de son portefeuille » le nom de la société écran.
Pour le reste il y a lieu de renvoyer aux développements effectués sur la caractérisation de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers et son applicabilité à l’espèce.
S’agissant de l’imputabilité de l’infraction en l’état des déclarations de [I.T.] il y a lieu de retenir que l’infraction a été commise pour le compte de Vitol LTD par son président [I.T.].
Sur la peine :
La condamnation de la Vitol LTD à une peine d’amende de 300 000 € apparaît adaptée aux faits de l’espèce. »
19. Les sociétés requérantes formèrent un pourvoi en cassation. Dans leurs mémoires ampliatifs, elles soulevèrent des moyens de cassation fondés sur la violation alléguée des articles 7 de la Convention et 435-3 du code pénal.
20. Le conseiller rapporteur désigné dans cette affaire releva notamment dans son rapport, s’agissant de « la prévisibilité de l’infraction de corruption d’agents publics étrangers », que la Convention de l’OCDE du 17 décembre 1997 était entrée en vigueur le 29 septembre 2000 et que « les dispositions de la Résolution no 986 constituaient une exception enfermée dans des limites très strictes de la Résolution no 661 du 6 août 1990 ». Il ajouta que l’article 4) de cette dernière précisait que le Conseil de sécurité de l’ONU avait décidé que tous les États devaient notamment empêcher leurs nationaux et toutes personnes présentes sur leur territoire de transférer ou de mettre par quelque moyen que ce soit à la disposition du gouvernement iraquien des fonds ou toute autre ressource financière ou économique. Selon lui, « la lecture combinée des deux résolutions montre que le Conseil de sécurité de l’ONU a continué d’interdire la mise à disposition directe de l’État iraquien ou des entreprises de service public de fonds ou de ressources et que, en mettant en place un compte séquestre, l’ONU n’avait pas voulu revenir sur cette interdiction ». Il souligna également le fait que l’arrêt de la cour d’appel relevait un certain nombre d’éléments montrant que les sociétés requérantes disposaient des éléments leur permettant d’avoir conscience du risque pénal qu’elles encouraient du fait de l’entrée en vigueur de la Convention de l’OCDE du 17 décembre 1997.
21. Dans ses conclusions, l’avocat général estima que le moyen tiré de la violation de l’article 7 de la Convention ne pouvait être retenu, pour les raisons suivantes :
« (...) comme l’a rappelé l’arrêt attaqué, les autorités françaises avaient dès l’invasion du Koweït par l’Irak, par un décret du 20 août 1990, soumis à autorisation ministérielle les opérations financières et transactions avec des opérateurs irakiens, et à plusieurs reprises rappelé aux compagnies agréées l’interdiction de payer des suppléments de prix qui constituaient une violation de la résolution 986 des Nations Unies. Une interdiction similaire résultait du règlement 2340/90 du 8 août 1990 de la Commission européenne.
L’arrêt rappelle le caractère notoire de l’interdiction du commerce parallèle sur les produits pétroliers irakiens, et il fait aussi état d’un avis publié au journal officiel sur l’interdiction des paiements hors comptes séquestres, ainsi que des avertissements expressément donnés à des personnalités attributaires d’allocations de barils de pétrole (...) »
22. Par un arrêt du 14 mars 2018, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta les pourvois des société requérantes. Dans un premier temps, elle résuma le contexte de l’affaire :
« Attendu qu’il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure qu’à la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak début août 1990, l’organisation des Nations-Unies (ONU) a instauré, sur le fondement de la résolution no 661 du Conseil de sécurité du 6 août 1990, un régime de sanctions sous forme d’embargo interdisant, notamment, la mise à disposition du gouvernement irakien de fonds ou de ressources ; qu’en raison des difficultés de la population irakienne, un assouplissement de cet embargo a été adopté le 14 avril 1995 sous la forme de la résolution no 986 du Conseil de sécurité qui a mis en œuvre le programme "Pétrole contre nourriture" qui devait faire l’objet d’une révision approfondie à l’issue d’une première période de quatre-vingt-dix jours et être renouvelé par phase de six mois, la phase une débutant le 10 décembre 1996 et la phase treize s’étant achevée le 3 juin 2003 ; que les termes de cette résolution ont été repris dans un accord, signé le 20 mai 1996, par le secrétaire général de l’ONU et un représentant de l’État irakien ; qu’aux termes de ces deux actes, les États étaient autorisés à acquérir auprès de la SOMO, entreprise d’État rattachée au ministre du pétrole, après approbation de l’ONU, du pétrole et des produits pétroliers, et à effectuer « des transactions financières et d’autres transactions essentielles s’y rapportant directement », tout règlement devant être intégralement effectué sur un compte séquestre ouvert auprès d’un établissement de la BNP à New-York ; que l’article 18 de la résolution stipule qu’aucune disposition de ladite résolution ne saurait être interprétée comme portant atteinte à la souveraineté ou à l’intégrité territoriale de l’Irak ; que le prix officiel du cours du pétrole irakien (official sailing price ou OSP), suggéré par le gouvernement irakien et avalisé par l’ONU, était inférieur à celui du marché, la différence étant censée absorber les frais et charges des acquéreurs ; que deux cent quarante-huit sociétés ont été agréées par l’ONU, en lien avec la SOMO, dont quinze de droit français parmi lesquelles les sociétés Total International Limited (TIL ou TOTINTER) et Total Oil Trading SA (TOTSA), filiales du groupe Total ;
Attendu qu’à la suite d’une note du service TRACFIN concernant M. Y... et la société [T.], de droit suisse et mauricien, dont il est le dirigeant, ainsi que la société TIL, dénonçant leurs agissements frauduleux dans le cadre d’acquisitions de produits pétroliers auprès de l’Irak mais aussi de la Communauté des États Indépendants (CEI) regroupant douze anciennes républiques de l’URSS, une information a été ouverte le 29 juillet 2002 des chefs d’abus de biens sociaux, complicité et recel ; que la saisine du juge d’instruction a été étendue, notamment, à des faits de corruption active d’agents publics étrangers et de trafic d’influence actif ; que les investigations ont montré tout d’abord que la SOMO, sur instructions des dirigeants irakiens, à l’insu des contrôleurs de l’ONU, a attribué du pétrole irakien, notamment, à des personnes physiques en contrepartie d’une action en faveur du régime irakien et de la levée des sanctions, lesdits allocataires, parmi lesquels figurent MM. X., Z. et D. F., agissant sous couvert de sociétés qu’ils ont fait spécialement agréer, pour contracter avec la SOMO puis revendre le pétrole aux grandes compagnies moyennant le versement de rétro-commissions aux différents intermédiaires ; que les investigations ont, par ailleurs, confirmé les résultats de l’enquête conduite par l’instance spécialement créée par l’ONU, montrant qu’entre les phases VIII et XII du programme « Pétrole contre nourriture », les dirigeants irakiens ont exigé, en contrepartie de la poursuite des relations commerciales, dans le cadre des contrats d’acquisition de pétrole, le règlement de commissions occultes, qualifiées de "surcharges", représentant en moyenne 10 % de la valeur contractuelle d’origine, soit entre 0,10 et 0,50 USD par baril, lesdites surcharges, réclamées de façon aléatoire, devant être versées sur les comptes ouverts en Jordanie ou au Liban au nom de la SOMO, de ses dirigeants ou encore de fonctionnaires irakiens, ou réglées en liquide dans les ambassades irakiennes à l’étranger, les sommes ainsi recueillies devant en tout état de cause être transférées sur d’autres comptes ou retirées en espèces avant d’être virées sur les comptes de la Banque Centrale Irakienne (CBI) ;
Attendu que la société Total a acquis, à partir de 2000 et jusqu’en 2002, par le biais de la direction Trading and Shipping (DTS), dirigée par M. HH... jusqu’au 31 décembre 2001, du pétrole « surchargé », de façon indirecte, soit en confiant à la société [B.] le soin de régler les surcharges avec les fonds qu’elle lui versait, soit en réglant directement à la société de trading une somme intégrant le montant des surcharges et la commission due à celle-ci ; que, par ailleurs, depuis 1996, par l’intermédiaire de la DTS, représentée, au sein du comité exécutif (Comex), par MM. E. puis HH., et au sein de laquelle interviennent MM. B. et C., a été mise en place une procédure, reposant sur l’utilisation des comptes de la société [T.] dirigée par M. Y., pour faire transiter, dans le cadre des contrats d’acquisition de pétrole, le paiement de surcharges ou de commissions occultes dues, d’une part, aux intermédiaires intervenant auprès des autorités de la CEI, d’autre part, à D. F., qui commercialisait ses dotations de pétrole ainsi que celles d’autres allocataires attribuées par les dirigeants irakiens ;
Attendu que M. Z., dirigeant de la SARL [I.E.] France, agréée dans un premier temps par l’ONU, a conclu directement trois contrats d’allocations de barils de pétrole, respectivement les 27 janvier 1999, 4 mars 2001 et 11 juillet 2001, les deux derniers ayant fait l’objet d’un paiement de surcharges sur des comptes au Liban et en Jordanie pour un montant total de 1 633 143,07 euros, réglé par la société [W.] Trade Limited, également dirigée par M. Z. ;
Attendu que M. X., diplomate de carrière et administrateur de la société Total en 1992 et 1993, dirigeant de la société [S.], a été mandaté par la société Vitol Ltd afin d’assurer la coordination de ses activités mondiales dans le domaine du pétrole brut et des lubrifiants ; que cette société étant parvenue, grâce à l’intervention du prévenu, à obtenir l’agrément de l’ONU et de la SOMO, M. X. et la société Vitol Ltd ont pu ainsi commercialiser à huit reprises les dotations pétrolières dont le premier a bénéficié, deux de ces contrats ayant fait l’objet de surcharges pour une somme totale de 786 205 USD qui a été payée par la société Vitol Ltd sur les indications données par M. X. concernant notamment les coordonnées du compte bancaire destinataire des fonds ;
Attendu que M. A., journaliste et spécialiste de l’Irak, a bénéficié d’une allocation de barils par l’intermédiaire de la société [T.] Oil et Gas, créée spécialement à cette fin, ce contrat ayant donné lieu au paiement d’une surcharge d’un montant total de 449 178 USD, réglée par M. A. sur un compte de la Jordan Bank ;
Attendu que le 28 juillet 2011, le juge d’instruction a ordonné le renvoi, notamment, de la société Total des chefs de corruption d’agents publics étrangers, complicité de trafic d’influence actif et de recel de ce délit, de M. B. du chef de complicité d’abus de biens sociaux, de M. C. du chef de complicité d’abus de biens sociaux et complicité de corruption active d’agents publics étrangers, de M. HH. des chefs de complicité d’abus de biens sociaux et de corruption active d’agents publics étrangers, de M. Y. de complicité d’abus de biens sociaux, de MM. X. et A. des chefs de trafic d’influence actif et de corruption active d’agents publics étrangers, de M. Z. du chef de corruption active d’agents publics étrangers, et de la société Vitol Ltd du chef de corruption active d’agents publics étrangers ; que, par jugement du 8 juillet 2013, le tribunal a renvoyé l’ensemble des prévenus des fins de la poursuite ; que le procureur de la République a interjeté appel de cette décision ; (...) »
23. Elle rejeta ensuite les moyens soulevés par les sociétés requérantes sur le fondement des articles 7 de la Convention et 435-3 du code pénal par les motifs suivants :
« Les moyens étant réunis ;
Attendu que, pour déclarer le délit de corruption d’agents publics étrangers caractérisé en tous ses éléments, l’arrêt énonce que la SOMO, entreprise d’État rattachée au ministère du pétrole en Irak, est une personne chargée d’une mission de service public au sens de l’article 435-3 du code pénal, lequel ne requiert pas la démonstration d’un quelconque enrichissement personnel du corrompu, et que le produit des surcharges, dont le paiement permettait d’éviter que la source d’approvisionnement en pétrole irakien ne se tarisse, a bénéficié, après avoir emprunté les circuits de règlement clandestins, à l’État irakien, aucune disposition de la Convention de l’OCDE du 17 décembre 1997 n’excluant cette situation ; que les juges ajoutent que les échanges commerciaux internationaux de l’Irak étaient, à l’époque des faits, régis par la résolution no 986 du Conseil de sécurité, dont les dispositions interdisaient les surcharges, tout paiement devant impérativement être effectué sur le compte séquestre ; que les juges concluent que les surcharges étaient en conséquence obtenues sans droit ;
Attendu qu’en l’état de ces seules énonciations, d’où il résulte qu’il n’est pas démontré que les commissions occultes, dont le versement était sollicité par les agents de l’État irakien, en marge du marché réglementé par la résolution no 986 du 14 avril 1995 du Conseil de sécurité de l’ONU, étaient permises ou requises par la loi ou la réglementation écrites de l’État irakien, la cour d’appel a justifié sa décision sans méconnaître l’article 7 de la Convention Européenne des droits de l’homme ;
Qu’en effet, entre dans les prévisions du deuxième alinéa de l’article 435-3 du code pénal, dans sa version en vigueur à la date des faits, le fait, pour toute personne physique ou morale, de céder aux sollicitations dépourvues de fondement juridique des agents d’un organisme ayant la qualité de personne chargée d’une mission de service public au sens des mêmes dispositions, relayant une demande de paiement de commissions occultes formulée par les instances représentatives d’un État qui en sont les bénéficiaires et à défaut du paiement desquelles toute relation commerciale serait interrompue ;
D’où il suit que les moyens, inopérants en ce qu’ils invoquent la souveraineté de l’État irakien, doivent être écartés ; (...) »
LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS
LE DROIT INTERNE
Le code pénal
24. L’article 435-3 du code pénal, créé par la loi no 200-595 du 30 juin 2000 et inséré dans une sous-section intitulée « De la corruption active des personnes relevant d’États étrangers autres que les États membres de l’Union européenne et d’organisations internationales publiques autres que les institutions des Communautés européennes », disposait, dans sa rédaction applicable à la date des faits litigieux, que :
« Pour l’application de la convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales signée à Paris le 17 décembre 1997, est puni de dix ans d’emprisonnement et de 1 000 000 F [150 000 euros à compter du 1er janvier 2002] d’amende le fait de proposer sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour obtenir d’une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public, ou investie d’un mandat électif public dans un État étranger ou au sein d’une organisation internationale publique, qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indû dans le commerce international.
Est puni des mêmes peines le fait de céder à une personne visée à l’alinéa précédent qui sollicite, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte visé audit alinéa.
La poursuite des délits visés au présent article ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public. »
25. L’article 3 de la loi no 200-595 du 30 juin 2000 aligna la date d’entrée en vigueur de ce texte sur celle de l’entrée en vigueur sur le territoire de la République française de la Convention du 17 décembre 1997 qui y était visée. Après l’adoption de la loi no 99-424 du 27 mai 1999 autorisant sa ratification, cette convention fit l’objet d’un décret de publication no 2000-948 du 28 septembre 2000, publié au journal officiel le 29 septembre 2000. Elle entra en vigueur en France à cette dernière date.
Le décret no 90-681 du 2 août 1990 réglementant les relations financières avec certains pays
26. Les dispositions pertinentes de ce décret sont les suivantes :
« Art. 1er. – Sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie les opérations de change, les mouvements de capitaux et les règlements de toute nature entre la France et l’étranger effectués pour le compte de personnes physiques ou morales résidentes au Koweït et en Irak ou de nationalité koweïtienne ou irakienne. Sont également soumises à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie la constitution et la liquidation d’investissements d’origine koweïtienne et irakienne en France. »
LES INSTRUMENTS INTERNATIONAUX
Conseil de sécurité des Nations unies
27. Aux termes de la Résolution 661 du 6 août 1990 :
« Le Conseil de sécurité,
Réaffirmant sa résolution 660 (1990) du 2 août 1990,
Profondément préoccupé par le fait que cette résolution n’a pas été appliquée et que l’invasion du Koweït par l’lraq se poursuit, entraînant de nouvelles pertes en vies humaines et de nouvelles destructions,
Résolu à mettre un terme à l’invasion et à l’occupation du Koweït par l’lraq et à rétablir la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale du Koweït,
Notant que le Gouvernement légitime du Koweït a manifesté sa volonté de respecter la résolution 660 (1990),
Conscient des responsabilités qui lui incombent en vertu de la Charte des Nations Unies en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité internationales,
Affirmant le droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, face à l’attaque armée dirigée par l’Iraq contre le Koweït, consacré par l’Article 51 de la Charte,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte,
1. Constate que, jusqu’à présent, l’Iraq n’a pas respecté le paragraphe 2 de la résolution 660 (1990) et a usurpé l’autorité du Gouvernement légitime du Koweït ;
2. Décide, en conséquence, de prendre les mesures suivantes pour obtenir que l’Iraq respecte le paragraphe 2 de la résolution 660 (1990) et pour rétablir l’autorité du Gouvernement légitime du Koweït ;
3. Décide que tous les États empêcheront :
(...)
b) Toutes activités menées par leurs nationaux ou sur leur territoire qui auraient pour effet de favoriser ou sont conçues pour favoriser l’exportation ou le transbordement de tous produits de base ou de toutes marchandises en provenance d’Iraq ou du Koweït, ainsi que toutes transactions faisant intervenir leurs nationaux ou des navires battant leur pavillon ou menées sur leur territoire, portant sur des produits de base ou des marchandises en provenance d’Iraq ou du Koweït et exportés de ces pays après la date de la présente résolution, y compris, en particulier, tout transfert de fonds à destination de l’Iraq ou du Koweït aux fins de telles activités ou transactions ;
(...)
4. Décide que tous les États s’abstiendront de mettre à la disposition du Gouvernement iraquien ou de toute entreprise commerciale, industrielle ou de services publics sise en Iraq ou au Koweït des fonds ou toutes autres ressources financières ou économiques et empêcheront leurs nationaux et toutes personnes présentes sur leur territoire de transférer de leur territoire ou de mettre par quelque moyen que ce soit à la disposition du Gouvernement iraquien ou des entreprises susvisées de tels fonds ou ressources et de verser tous autres fonds à des personnes physiques ou morales se trouvant en Iraq ou au Koweït, à l’exception des paiements destinés exclusivement à des fins strictement médicales ou humanitaires et, dans les cas où des considérations d’ordre humanitaire le justifient, des denrées alimentaires ;
(...) »
28. Les extraits pertinents de la Résolution 986 du 14 avril 1995 sont les suivants :
« Le Conseil de sécurité,
Rappelant ses résolutions antérieures pertinentes,
Préoccupé par la gravité de la situation alimentaire et sanitaire de la population iraquienne et par le risque de voir s’aggraver encore cette situation,
Convaincu de la nécessité de répondre, à titre de mesure temporaire, aux besoins humanitaires du peuple iraquien jusqu’à ce que l’application par l’Iraq des résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, notamment la résolution 687 (1991) du 3 avril 1991, permette au Conseil de prendre, conformément aux dispositions desdites résolutions, de nouvelles mesures à l’égard des interdictions visées dans la résolution 661 (1990) du 6 août 1990,
Convaincu également qu’il est nécessaire d’assurer la distribution équitable de l’assistance humanitaire à tous les groupes de la population iraquienne dans l’ensemble du pays,
Réaffirmant l’attachement de tous les États Membres à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Iraq,
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
1. Autorise les États, nonobstant les dispositions des alinéas a) et b) du paragraphe 3 et du paragraphe 4 de sa résolution 661 (1990) du 6 août 1990 et celles de ses résolutions ultérieures pertinentes, à permettre, aux fins énoncées dans la présente résolution, l’importation d’Iraq de pétrole et de produits pétroliers, ainsi que les transactions financières et autres transactions essentielles s’y rapportant directement, le volume des importations devant être tel que les recettes correspondantes ne dépassent pas 1 milliard de dollars des États-Unis par période de quatre-vingt-dix jours, sous réserve des conditions suivantes :
a) Pour faire en sorte que chaque transaction soit transparente et conforme aux autres dispositions de la présente résolution, approbation, par le Comité créé par la résolution 661 (1990), de chaque achat de pétrole et de produits pétroliers iraquiens, sur présentation par l’État concerné d’une demande, approuvée par le Gouvernement iraquien, où figureront des détails concernant la fixation d’un prix d’achat équitable, l’itinéraire qu’emprunteront les marchandises exportées, l’émission d’une lettre de crédit à l’ordre du compte séquestre qui doit être ouvert par le Secrétaire général aux fins de la présente résolution, et toute autre transaction financière ou autre transaction essentielle se rapportant directement à cette opération ;
b) Versement direct par l’acheteur de l’État concerné du montant intégral de tout achat de pétrole et de produits pétroliers iraquiens sur le compte séquestre qui doit être ouvert par le Secrétaire général aux fins de la présente résolution ;
(...)
7. Prie le Secrétaire général d’ouvrir un compte séquestre aux fins énoncées dans la présente résolution, de nommer des comptables publics indépendants et agréés pour vérifier ce compte, et de tenir le Gouvernement iraquien pleinement informé ;
8. Décide que les fonds déposés sur le compte séquestre seront utilisés par le Secrétaire général pour répondre aux besoins humanitaires de la population iraquienne, ainsi qu’aux autres fins ci-après :
a) Financer l’exportation vers l’Iraq, conformément aux modalités établies par le Comité créé par la résolution 661 (1990), des médicaments, fournitures médicales, denrées alimentaires et produits et fournitures de première nécessité pour la population civile visés au paragraphe 20 de la résolution 687 (1991), à condition que :
i) Chaque exportation soit effectuée à la demande du Gouvernement iraquien ;
ii) L’Iraq garantisse effectivement la distribution équitable des marchandises, sur la base d’un plan soumis au Secrétaire général et approuvé par celui-ci, comprenant une description des marchandises concernées ;
iii) Le Secrétaire général reçoive confirmation authentifiée que les marchandises exportées sont parvenues en Iraq ;
b) Compléter, eu égard aux conditions exceptionnelles qui existent dans les trois provinces mentionnées ci-après, la distribution par le Gouvernement iraquien des marchandises importées en vertu de la présente résolution, de façon à assurer une distribution équitable des secours humanitaires à tous les groupes de la population iraquienne dans l’ensemble du pays (...)
(...)
14. Décide (...) que tous les États prendront toutes les mesures requises en droit interne pour donner effet à cette protection et pour garantir que le produit des ventes ne soit pas utilisé à des fins autres que celles stipulées dans la présente résolution ; (...) »
29. Par ailleurs un mémorandum d’accord fut conclu le 20 mai 1996 entre le Secrétariat général de l’ONU et le Gouvernement iraquien, en vue d’assurer l’application effective de la résolution 986 (1995). Ce document indiquait notamment, au point 3 de ses dispositions générales introductives, que « rien dans le présent mémorandum ne doit être interprété comme portant atteinte à la souveraineté ou à l’intégrité territoriale de l’Iraq ». Il prévoyait notamment les modalités de fonctionnement du plan de distribution des fournitures humanitaires et du compte séquestre visé au paragraphe 7 de la résolution. Ce mémorandum précisait également que « chaque exportation de pétrole ou de produits pétroliers iraquiens dev[ait] être approuvé par le Comité 661 ». Par ailleurs, une annexe détaillant les dispositions relatives à ce dernier point, faisant partie intégrante du mémorandum, comportait les précisions suivantes :
« Annexe II
1. L’État concerné ou, si le Comité 661 en décide ainsi, l’acheteur de pétrole national autorisé par le Comité, présente à ce dernier, pour examen et approbation, une demande – accompagnée des documents contractuels pertinents couvrant les ventes de pétrole et de produits pétroliers – d’achat de pétrole et de produits pétroliers iraquiens approuvée par le Gouvernement iraquien ou par l’Organisme d’État iraquien de commercialisation du pétrole (ci-après dénommé SOMO), au nom du Gouvernement. Cette approbation pourrait être opérée par l’envoi d’une copie du contrat au Comité 661. La demande comportera des renseignements concernant la fixation d’un prix d’achat équitable, l’itinéraire qu’emprunteront les produits exportés, l’émission d’une lettre de crédit à l’ordre du "Compte Iraq" et tout autre renseignement que le Comité jugera nécessaire. Les ventes de pétrole et de produits pétroliers seront couvertes par des documents contractuels. Une copie de ces documents sera jointe aux renseignements fournis au Comité 661 ainsi que la demande devant être transmise aux inspecteurs indépendants visés au paragraphe 4 de la présente annexe. Les documents contractuels devront comporter les renseignements suivants : quantité et qualité du pétrole et des produits pétroliers, durée du contrat, conditions de crédit et de paiement et mécanisme d’établissement des prix. Le mécanisme d’établissement des prix du pétrole devra comporter les précisions suivantes : pétrole brut de référence et cours utilisés, ajustements pour frais de transport et qualité, et dates d’établissement des prix.
2. Les lettres de crédit irrévocables seront émises par la banque de l’acheteur de pétrole qui prendra l’engagement irrévocable de verser le produit de la lettre de crédit directement au "Compte Iraq". À cette fin, les clauses ci-après devront être insérées dans chaque lettre de crédit :
« — Sous réserve que toutes les conditions de la présente lettre de crédit soient remplies, le produit de la lettre de crédit sera irrévocablement versé au ‘Compte Iraq’ auprès de la banque.
— Tous les frais engagés à l’intérieur de l’Iraq sont portés au débit du compte du bénéficiaire, tous les frais engagés en dehors de l’Iraq étant à la charge de l’acheteur. »
3. Toutes les lettres de crédit devront être adressées par la banque de l’acheteur à la banque où le "Compte Iraq" a été ouvert, cette dernière étant priée de confirmer et transmettre la lettre de crédit à la Banque centrale de l’Iraq qui notifiera le SOMO.
4. La vente de pétrole et de produits pétroliers en provenance de l’Iraq sera supervisée par des experts pétroliers indépendants des Nations Unies nommés par le Secrétaire général de l’Organisation pour aider le Comité 661 (...)
5. L’Organisation des Nations Unies recevra des rapports mensuels du SOMO sur le volume et le type de produits pétroliers exportés au titre des contrats de vente pertinents.
6. Le Secrétariat de l’ONU et le SOMO resteront en contact et, en particulier, les experts des Nations Unies rencontreront périodiquement les représentants du SOMO afin d’examiner la situation du marché et les ventes de pétrole. »
OCDE
30. La Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales, signée le 17 décembre 1997 et entrée en vigueur le 15 février 1999 (le 29 septembre 2000 en France – paragraphe 25 ci-dessus), comporte notamment les éléments suivants :
« Préambule
Les Parties,
Considérant que la corruption est un phénomène répandu dans les transactions commerciales internationales, y compris dans le domaine des échanges et de l’investissement, qui suscite de graves préoccupations morales et politiques, affecte la bonne gestion des affaires publiques et le développement économique et fausse les conditions internationales de concurrence ;
Considérant que la responsabilité de la lutte contre la corruption dans le cadre de transactions commerciales internationales incombe à tous les pays ;
Vu la recommandation révisée sur la lutte contre la corruption dans les transactions commerciales internationales, adoptée par le Conseil de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) le 23 mai 1997, C(97)123/FINAL, qui, entre autres, demande que soient prises des mesures efficaces pour décourager, prévenir et combattre la corruption d’agents publics étrangers dans le cadre de transactions commerciales internationales et, en particulier, que cette corruption soit rapidement incriminée de façon efficace et coordonnée en conformité avec les éléments communs convenus qui figurent dans cette recommandation ainsi qu’avec les principes de compétence et les autres principes juridiques fondamentaux applicables dans chaque pays ;
Se félicitant d’autres initiatives récentes qui font progresser l’entente et la coopération internationales en matière de lutte contre la corruption d’agents publics, notamment les actions menées par les Nations Unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce, l’Organisation des États américains, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ;
Se félicitant des efforts des entreprises, des organisations patronales et syndicales ainsi que d’autres organisations non gouvernementales dans la lutte contre la corruption ;
Reconnaissant le rôle des gouvernements dans la prévention des sollicitations de pots‑de-vin de la part des individus et des entreprises dans les transactions commerciales internationales ;
Reconnaissant que tout progrès dans ce domaine exige non seulement des efforts de chaque pays, mais aussi une coopération, une surveillance et un suivi au niveau multilatéral ;
Reconnaissant qu’assurer l’équivalence entre les mesures que doivent prendre les Parties constitue un objet et un but essentiels de la Convention qui exigent que la Convention soit ratifiée sans dérogations affectant cette équivalence.
SONT CONVENUES DE CE QUI SUIT :
Article 1
L’infraction de corruption d’agents publics étrangers
1. Chaque Partie prend les mesures nécessaires pour que constitue une infraction pénale en vertu de sa loi le fait intentionnel, pour toute personne, d’offrir, de promettre ou d’octroyer un avantage indû pécuniaire ou autre, directement ou par des intermédiaires, à un agent public étranger, à son profit ou au profit d’un tiers, pour que cet agent agisse ou s’abstienne d’agir dans l’exécution de fonctions officielles, en vue d’obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indû dans le commerce international.
2. Chaque Partie prend les mesures nécessaires pour que constitue une infraction pénale le fait de se rendre complice d’un acte de corruption d’un agent public étranger, y compris par instigation, assistance ou autorisation. La tentative et le complot en vue de corrompre un agent public étranger devront constituer une infraction pénale dans la mesure où la tentative et le complot en vue de corrompre un agent public de cette Partie constituent une telle infraction.
3. Les infractions définies aux paragraphes 1 et 2 ci-dessus sont dénommées ci-après « corruption d’un agent public étranger ».
4. Aux fins de la présente Convention,
a) « agent public étranger » désigne toute personne qui détient un mandat législatif, administratif ou judiciaire dans un pays étranger, qu’elle ait été nommée ou élue, toute personne exerçant une fonction publique pour un pays étranger, y compris pour une entreprise ou un organisme publics et tout fonctionnaire ou agent d’une organisation internationale publique ;
b) « pays étranger » comprend tous les niveaux et subdivisions d’administration, du niveau national au niveau local ;
c) « agir ou s’abstenir d’agir dans l’exécution de fonctions officielles » désigne toute utilisation qui est faite de la position officielle de l’agent public, que cette utilisation relève ou non des compétences conférées à cet agent.
Article 2
Responsabilité des personnes morales
Chaque Partie prend les mesures nécessaires, conformément à ses principes juridiques, pour établir la responsabilité des personnes morales en cas de corruption d’un agent public étranger.
Article 3
Sanctions
1. La corruption d’un agent public étranger doit être passible de sanctions pénales efficaces, proportionnées et dissuasives. L’éventail des sanctions applicables doit être comparable à celui des sanctions applicables à la corruption des agents publics.
Article 4
Compétence
1. Chaque Partie prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard de la corruption d’un agent public étranger lorsque l’infraction est commise en tout ou partie sur son territoire.
2. Chaque Partie ayant compétence pour poursuivre ses ressortissants à raison d’infractions commises à l’étranger prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence à l’égard de la corruption d’un agent public étranger selon les mêmes principes.
3. Lorsque plusieurs Parties ont compétence à l’égard d’une infraction présumée visée dans la présente Convention, les Parties concernées se concertent, à la demande de l’une d’entre elles, afin de décider quelle est celle qui est la mieux à même d’exercer les poursuites.
4. Chaque Partie examine si le fondement actuel de sa compétence est efficace pour lutter contre la corruption d’agents publics étrangers ; si tel n’est pas le cas, elle prend les mesures correctrices appropriées.
Article 5
Mise en œuvre
Les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger sont soumises aux règles et principes applicables de chaque Partie. Elles ne seront pas influencées par des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause.
(...) »
31. Les commentaires annexés à cette convention comportent notamment les précisions suivantes :
« Généralités :
1. Cette Convention traite de ce qui est qualifié, dans le droit de certains pays, de « corruption active », c’est-à-dire l’infraction commise par la personne qui promet ou verse le pot-de-vin – qui s’oppose à la « corruption passive » – c’est-à-dire l’infraction commise par l’agent public qui reçoit le pot-de-vin. L’expression « corruption active » n’est pas utilisée dans la Convention tout simplement pour éviter une interprétation erronée de la part du lecteur non averti, qui pourrait induire que le corrupteur a pris l’initiative et que le bénéficiaire se trouve en situation de victime passive. En fait, il est fréquent que le bénéficiaire ait incité le corrupteur ou ait fait pression sur lui, en ayant ainsi joué le rôle le plus actif.
2. Cette Convention a pour objectif d’assurer une équivalence fonctionnelle entre les mesures prises par les Parties pour sanctionner la corruption d’agents publics étrangers, sans exiger l’uniformité ou une modification de principes fondamentaux du système juridique d’une Partie.
Article 1. L’infraction de corruption d’agents publics étrangers :
Sur le paragraphe 1 :
3. L’article 1 fixe une norme que doivent respecter les Parties, mais il ne les oblige pas à reprendre son libellé exact pour définir l’infraction en droit interne. Une Partie peut procéder de différentes manières pour s’acquitter de ses obligations, dès lors que, pour qu’une personne soit convaincue de l’infraction, il n’y a pas à apporter la preuve d’éléments autres que ceux dont la preuve devrait être apportée si l’infraction était définie comme dans ce paragraphe. À titre d’exemple, une loi générale sur la corruption d’agents, ne visant pas spécialement la corruption d’un agent public étranger, et une loi limitée à la corruption d’un agent public étranger pourraient l’une comme l’autre être conformes à cet article. De même, une loi qui définirait l’infraction en visant les paiements « en vue d’inciter à la violation d’une obligation de l’agent public » pourrait être conforme à la norme, à condition qu’il soit entendu que tout agent public a le devoir d’exercer son jugement ou sa marge d’appréciation de façon impartiale et qu’il s’agisse donc d’une définition « autonome » n’exigeant pas la preuve du droit du pays particulier de l’agent public.
4. Au sens du paragraphe 1, le fait de corrompre pour obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indû constitue une infraction, même si l’entreprise a par ailleurs fait l’offre la mieux disante ou si elle aurait pu se voir attribuer légitimement le marché pour une quelconque autre raison.
5. Par « autre avantage indû », on entend un avantage qu’une entreprise n’aurait pas clairement dû recevoir, par exemple l’autorisation d’exercer une activité pour une usine ne remplissant pas les conditions réglementaires.
6. L’infraction visée au paragraphe 1 est constituée, que l’offre ou la promesse soit faite ou que l’avantage pécuniaire ou autre soit accordé pour le compte de cette personne ou pour le compte de toute autre personne physique ou morale.
7. Il y a également infraction indépendamment, entre autres, de la valeur de l’avantage ou de son résultat, de l’idée qu’on peut se faire des usages locaux, de la tolérance de ces paiements par les autorités locales ou de la nécessité alléguée du paiement pour obtenir ou conserver un marché ou un autre avantage indû.
8. En revanche, l’infraction n’est pas constituée lorsque l’avantage est permis ou requis par la loi ou la réglementation écrites du pays de l’agent public étranger, y compris la jurisprudence. (...) »
LE CONSEIL DE L’EUROPE
32. Les passages pertinents de la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe en date du 27 janvier 1999 (série des traités européens – no 173), entrée en vigueur le 1er juillet 2008 en France, sont les suivants :
« Préambule
Les États membres du Conseil de l’Europe et les autres États signataires de la présente Convention,
Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres ;
Reconnaissant l’importance de renforcer la coopération avec les autres États signataires de la présente Convention ;
Convaincus de la nécessité de poursuivre, en tant que priorité, une politique pénale commune tendant à la protection de la société contre la corruption, y compris par l’adoption d’une législation appropriée et des mesures préventives adéquates ;
Soulignant que la corruption constitue une menace pour la prééminence du droit, la démocratie et les droits de l’homme, sape les principes de bonne administration, d’équité et de justice sociale, fausse la concurrence, entrave le développement économique et met en danger la stabilité des institutions démocratiques et les fondements moraux de la société ;
Convaincus que l’efficacité de la lutte contre la corruption passe par une coopération internationale pénale intensifiée, rapide et adaptée en matière pénale ;
Se félicitant des développements récents qui contribuent à améliorer la prise de conscience et la coopération au niveau international dans la lutte contre la corruption, y compris des actions menées par les Nations Unies, la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce, l’Organisation des États américains, l’OCDE et l’Union Européenne ;
(...)
Article 1 – Terminologie
Aux fins de la présente Convention :
a) l’expression « agent public » est interprétée par référence à la définition de « fonctionnaire », «officier public», «maire», «ministre» ou «juge» dans le droit national de l’État dans lequel la personne en question exerce cette fonction et telle qu’elle est appliquée dans son droit pénal ;
(...)
d) « personne morale » s’entend de toute entité ayant ce statut en vertu du droit national applicable, exception faite des États ou des autres entités publiques dans l’exercice de leurs prérogatives de puissance publique et des organisations internationales (...)
Article 5 – Corruption d’agents publics étrangers
Chaque Partie adopte les mesures législatives et autres qui se révèlent nécessaires pour ériger en infraction pénale, conformément à son droit interne, les actes visés aux articles 2 et 3 lorsqu’ils impliquent un agent public de tout autre État.
(...) »
33. Le Rapport explicatif de la Convention pénale sur la corruption comporte notamment les précisions suivantes :
« (...)
24. Le GMC (Groupe multidisciplinaire sur la corruption, établi par le Comité des Ministres en septembre 1994) a commencé ses travaux sur la base de la définition provisoire suivante : « La corruption à laquelle a trait le travail du GMC du Conseil de l’Europe comprend les commissions occultes et tous autres agissements qui impliquent des personnes investies de fonctions publiques ou privées, qui auront violé leurs devoirs découlant de leur qualité de fonctionnaire public, d’employés privés, d’agents indépendants ou d’une autre relation de ce genre, en vue d’obtenir des avantages illicites de quelque nature que ce soit, pour eux-mêmes ou pour autrui ».
25. Le but de cette définition était de veiller à ce qu’aucune matière ne soit exclue de l’activité du GMC. Si bien une telle définition ne correspondait pas nécessairement à la définition juridique de la corruption proposée dans la plupart des États membres, et surtout pas à celle qu’en donne le droit pénal ; elle avait le mérite de ne pas cantonner indûment la discussion dans des limites trop étroites. À mesure que progressait l’élaboration du texte de l’actuelle convention, cette définition générale donnait naissance à plusieurs définitions opérationnelles communes de la corruption, susceptibles d’être transposées dans les législations nationales même si, dans certains, il peut s’avérer nécessaire de modifier certaines lois nationales. On peut souligner, à cet égard, que la présente convention, outre qu’elle contient une définition consensuelle de la corruption, tant passive qu’active, qui sert de base à diverses formes d’incrimination, définit également d’autres formes de comportement corrompu, telles que la corruption dans le secteur privé et le trafic d’influence, qui sont étroitement liées à la corruption proprement dite et sont couramment considérées comme autant de formes spécifiques de la corruption. Ainsi, l’une des principales caractéristiques de la convention est son large champ d’application, qui reflète l’approche globale du Conseil de l’Europe; en effet, la corruption menace les valeurs démocratiques, l’État de droit, les Droits de l’Homme et le progrès social et économique.
(...)
Article 5 – Corruption d’agents publics étrangers
47. Non seulement la corruption compromet la bonne gestion des affaires publiques et sape la confiance du public en l’équité et l’impartialité des administrations, mais elle peut aussi, lorsque des fonctionnaires publics étrangers sont en cause (par exemple lorsqu’ils se laissent corrompre par des entreprises qui veulent obtenir des marchés), engendrer de graves distorsions de concurrence et mettre en péril le développement économique. Avec la mondialisation des structures économiques et financières et l’intégration des marchés nationaux dans le marché mondial, les décisions sur les mouvements de capitaux ou les investissements qui sont prises dans tel pays peuvent avoir des effets dans tel autre. Les sociétés multinationales et les investisseurs internationaux sont aujourd’hui les acteurs déterminants de l’économie, et ils ne connaissent pas de frontières. Il est de leur intérêt, comme de l’intérêt de l’économie mondiale en général, que les règles de la concurrence demeurent loyales et transparentes.
48. Cela fait longtemps que la communauté internationale envisage d’instituer une infraction pénale visant spécifiquement la corruption d’agents publics étrangers, par exemple pour assurer le respect des règles de la concurrence dans les transactions commerciales internationales. L’intérêt légitime, ici, est double : transparence et équité du processus de décision des administrations publiques étrangères ; traditionnellement cet aspect était considéré comme relevant des affaires intérieures mais ce point de vue est, du fait de la mondialisation, devenu obsolète- et sauvegarde d’une concurrence loyale pour les entreprises. L’incrimination d’un comportement corrompu qui se manifeste à l’extérieur du territoire national trouve sa justification dans l’intérêt commun des États à protéger ces intérêts. L’Union Européenne a été la première organisation européenne à réussir à adopter un traité international incriminant, entre autres, la corruption des agents publics étrangers : la Convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés Européennes ou des États membres de l’Union Européenne (adoptée le 26 mai 1997). Après plusieurs années l’OCDE a également conclu, en novembre 1997, un accord qui fait date concernant l’incrimination, de manière coordonnée, de la corruption d’agents publics étrangers, c’est-à-dire le fait de corrompre un tel agent afin d’obtenir ou de conserver un avantage indû de nature commerciale ou autre.
49. En prévoyant une incrimination de corruption pour les agents publics étrangers de n’importe quel pays, cet article va au-delà des dispositions de la Convention de L’Union Européenne. Il va également au-delà de la disposition contenue dans l’accord de l’OCDE, et ce à un double titre. Tout d’abord, elle concerne à la fois le volet actif et le volet passif. Certes, ce dernier, pour les parties contractantes, est déjà couvert par l’article 3. Mais l’inclusion de la corruption passive d’agents publics étrangers dans l’article 5 procède du souci de montrer la solidarité de la communauté des États face à la corruption, partout où celle-ci se produit. Le message est clair : la corruption est une infraction pénale grave, susceptible d’être poursuivie par toutes les parties contractantes, et pas seulement par l’État dont le fonctionnaire corrompu est ressortissant. En second lieu, l’article 5 n’énonce aucune restriction quant au contexte dans lequel survient la corruption de l’agent étranger. Répétons-le, il s’agit non seulement de protéger la libre concurrence, mais aussi de sauvegarder la confiance des citoyens dans les institutions démocratiques et l’état de droit. En ce qui concerne la définition de l’expression « agent public étranger », il est fait référence aux indications relatives à l’article 1contenues dans le paragraphe 30 ci-dessus.
50. La seule différence par rapport aux articles 2 et 3 concerne la catégorie de personnes qui se laissent corrompre (en l’occurrence, les agents publics étrangers) ; mais la substance de cette infraction de corruption est identique.
(...) »
LE DROIT DE L’UNION EUROPÉENNE
34. Le Règlement (CEE) No 2340/90 du Conseil des Communautés européennes du 8 août 1990 empêchant les échanges de la Communauté concernant l’Iraq et le Koweït prévoit que :
« (...) considérant que la grave situation qui résulte de l’invasion du Koweït par l’Iraq, laquelle a fait l’objet de la résolution 660 (1990), du 2 août 1990, le Conseil de sécurité des Nations unies, a conduit à une déclaration de la Communauté et de ses États membres, adoptée le 4 août 1990, dans le cadre de la coopération politique, condamnant sans réserve l’invasion du Koweït par l’Iraq et demandant un retrait immédiat et sans conditions des forces iraquiennes du territoire du Koweït , ainsi qu’à la décision que des mesures économiques seront prises à l’égard de l’Iraq ;
considérant que, devant le refus de l’Iraq de se conformer à la résolution 660, le Conseil de sécurité des Nations unies a arrêté la résolution 661 (190), du 6 août 1990, instituant un embargo sur le commerce avec l’Iraq et le Koweït ;
considérant que, dans ces circonstances, doivent être empêchés les échanges de la Communauté concernant l’Iraq et le Koweït ;
considérant que la Communauté et ses États membres sont convenus de recourir à un instrument communautaire afin d’assurer une mise en œuvre unifiée dans la Communauté des mesures concernant les échanges avec l’Iraq et le Koweït décidées par le Conseil de sécurité des Nations unies ;
considérant qu’il convient d’éviter que le présent règlement n’affecte les exportations de ces pays effectuées avant le 7 août 1990 ainsi que la fourniture de produits à usage strictement médical et, dans le cas où les considérations humanitaires le justifient, de produits alimentaires ;
vu le traité instituant la Communauté économique européenne, et notamment son article 113,
vu la proposition de la Commission,
A ARRÊTÉ LE PRÉSENT RÈGLEMENT :
Article premier
À partir du 7 août 1990, sont interdites :
1) l’introduction sur le territoire de la Communauté de tout produit originaire ou en provenance de l’Iraq ou du Koweït ;
2) 1’exportation vers ces pays de tout produit originaire ou en provenance de la Communauté.
Article 2
À partir de la date visée à l’article 1er sont interdites sur le territoire de la Communauté ou par l’intermédiaire d’aéronefs et de navires battant le pavillon d’un État membre, ainsi qu’à tout ressortissant communautaire :
1) toute activité ou transaction commerciale, y compris toute opération afférente à des transactions déjà conclues ou partiellement exécutées, ayant pour objet ou pour effet de favoriser l’exportation de tout produit originaire ou en provenance de l’Iraq ou du Koweït ;
2) la vente ou la fourniture de tout produit, quelles qu’en soient l’origine et la provenance ;
— à toute personne physique ou morale se trouvant en Iraq ou au Koweït,
— à toute autre personne physique ou morale aux fins de toute activité commerciale menée sur ou depuis le territoire de l’Iraq ou du Koweït ;
3) toute activité ayant pour objet ou pour effet de favoriser ces ventes ou ces fournitures.
Article 3
1. L’article 1er point 2 et l’article 2 point 2 ne s’appliquent pas aux produits énumérés à l’annexe.
2. L’article 1er point 1 et l’article 2 point 1 ne s’opposent pas à l’introduction sur le territoire de la Communauté des produits visés à l’article 1er point 1 qui sont originaires ou en provenance de l’Iraq ou du Koweït et sont exportés avant le 7 août 1990. (...) »
EN DROIT
JONCTION DES REQUÊTES
35. Eu égard à la similarité de l’objet des requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.
SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION
36. Les sociétés requérantes se plaignent de leur condamnation pour délit de corruption active d’agents publics étrangers, sur le fondement de l’article 435-3 du code pénal, soutenant qu’elle n’était pas prévisible au moment où les faits litigieux ont été commis. Elles invoquent l’article 7 de la Convention, aux termes duquel :
« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.
2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »
Sur la recevabilité
37. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.
Sur le fond
Thèses des parties
a) Les sociétés requérantes
38. La première société requérante soutient que l’application de l’article 435-3 du code pénal et sa condamnation sur ce fondement n’étaient pas prévisibles. Estimant par ailleurs que les rappels adressés par les autorités françaises aux compagnies agréées dans le cadre du programme « pétrole contre nourriture » ne sauraient être déterminants pour apprécier la prévisibilité de la sanction pénale au titre de ce délit, elle affirme que les règles définies par les différentes résolutions de l’ONU ne s’appliquaient qu’aux ventes directes réalisées par la société nationale de commercialisation des pétroles (SOMO). Or, la société Total S.A. insiste sur le fait qu’elle s’était approvisionnée en pétrole non pas directement auprès de la SOMO, mais auprès de sociétés de trading réputées et agréées par les Nations unies, sans être en contact avec des agents publics iraquiens. Sur ce dernier point, l’application de l’article 435-3 du code pénal en l’espèce n’aurait donc pas été cohérente avec la substance de l’infraction, l’incrimination ne visant que les agents d’un État. Le seul paiement de surcharges au profit de l’État iraquien n’aurait pas été interdit et sanctionné au moment des faits, s’agissant de flux financiers et de mouvements de capitaux non pas pour le compte de personnes physiques ou morales résidant en Iraq mais pour celui de l’État. Elle fait valoir que le paiement des surcharges à l’État iraquien en violation des Résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU n’était pas en soi illégal en droit français, et que ces Résolutions ne s’imposaient qu’aux États membres, et non à leurs ressortissants.
39. La première société requérante considère par ailleurs que si l’article 435-3 du code pénal résulte de la transposition de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997, il n’aurait pas vocation à s’appliquer pour sanctionner la violation de règles internationales.
40. En outre, elle soutient que le seul fait que son activité soit internationale et qu’elle soit assistée d’un ensemble de conseils ne peut suffire à suppléer l’incertitude qui affecte l’incrimination pénale en cause, sauf à raisonner à rebours. Selon elle, l’intervention de conseils éclairés ne serait qu’un élément secondaire dans l’appréciation de la prévisibilité d’un texte, en particulier dans les circonstances de l’espèce. Elle insiste sur le fait qu’elle ne disposait que des seules indications issues de l’intention des rédacteurs de la Convention de l’OCDE et du législateur français, ce qui ne permettait pas de prévoir que les faits reprochés étaient susceptibles d’être sanctionnés au titre du délit de corruption active d’agents public étranger. Elle soutient qu’une telle incrimination n’existait pas à l’époque des faits, ce qui serait attesté par sa création ultérieure sous la forme d’un délit douanier résultant de la modification de l’article 459 du code des douanes par la loi de finances rectificative no 2001-1276 du 28 décembre 2001.
41. La première société requérante soutient également que la France serait le seul pays à avoir condamné le paiement de surcharges à l’État iraquien sur le fondement de la corruption d’agent public étranger, ce qui confirmerait le manque de prévisibilité des poursuites engagées à leur encontre. Elle soutient que la seule circonstance que la Cour de cassation ait été contrainte de préciser les éléments constitutifs de l’incrimination témoigne de l’incertitude affectant son champ d’application.
42. Elle considère que le Gouvernement se borne à reprendre largement le raisonnement de la cour d’appel. Concernant la notion de sollicitation « sans droit » prévue à l’alinéa 2 de l’article 435-3 du code pénal, elle reproche à la cour d’appel et à la Cour de cassation de retenir une interprétation a posteriori des dispositions pénales. Quant à la notion de bénéficiaire de l’acte de corruption, elle soutient que le seul manque de probité ne suffit pas à caractériser l’infraction prévue à l’article 435-3 du code pénal. Elle estime dès lors que le Gouvernement défend une interprétation extensive et donc imprévisible de l’incrimination pénale, précisant qu’il ne saurait y avoir délit de corruption lorsque l’agent public ne détourne aucun pouvoir et qu’il agit dans le strict cadre de la mission qui lui a été confiée.
43. La seconde société requérante concède quant à elle qu’en sa qualité de professionnelle du commerce international du pétrole, elle ne pouvait ignorer, d’une part, que le paiement de suppléments de prix sur les barils iraquiens était interdit et, d’autre part, que la Convention de l’OCDE poursuivait un objectif de transparence dans les relations internationales. En revanche, elle soutient qu’elle ne pouvait prévoir que son comportement entrait dans les prévisions de l’article 435-3 du code pénal et qu’elle pouvait être pénalement sanctionnée sur ce fondement. Se référant au jugement du tribunal correctionnel de Paris, elle estime que l’infraction de corruption envisagée par ce texte ne serait donc pas constituée.
44. S’agissant de l’argument du Gouvernement relatif au fait que le protocole conclu entre le gouvernement iraquien et l’ONU le 20 mai 1996 aurait intégré le droit iraquien, elle estime qu’il n’a pas été repris par la Cour de cassation et que cette dernière aurait opéré un renversement de la charge de la preuve en estimant que les commissions avaient été perçues « sans droit ». De plus, la Cour de cassation aurait également étendu le champ de l’incrimination en retenant que l’expression « sans droit » impliquait seulement une absence d’autorisation et non une interdiction. Enfin, selon la seconde société requérante, l’assertion du Gouvernement selon laquelle l’article 435-3 du code pénal n’exclurait pas que l’acte de corruption puisse bénéficier in fine aux dirigeants d’un État étranger est inexacte.
b) Le Gouvernement
45. Le Gouvernement considère que l’interprétation de l’article 435-3 du code pénal par la Cour de cassation et son application aux faits de l’espèce remplissaient les conditions d’accessibilité et de prévisibilité posées par l’article 7 de la Convention.
46. En premier lieu, il soutient que les sociétés requérantes disposaient de tous les éléments leur permettant d’évaluer les conséquences pouvant résulter de leurs actes. L’interdiction de payer des suppléments de prix sur les barils iraquiens ressortait clairement de plusieurs instruments, tant au niveau national qu’international, qu’il s’agisse des Résolutions 661 et 986 du Conseil de sécurité des Nations unies, du règlement 2340-90 du 8 août 1990 de la Commission européenne, ou encore de la décision des autorités françaises du 2 août 1990 de soumettre les transactions avec des opérateurs iraquiens à une autorisation ministérielle. En outre, la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption du 17 décembre 1997 était entrée en vigueur le 29 septembre 2000 et son commentaire, publié en annexe, adopté par la conférence de négociations le 21 novembre 1997, éclairait le sens de ses dispositions. La loi no 2000-595 du 30 juin 2000, dont est issu l’article 435-3 du code pénal, se voulait une transcription de cette convention. Publié et, partant, entré en vigueur à la date des faits, l’article 435-3 du code pénal pouvait donc s’appliquer aux opérations litigieuses conclues entre le 1er octobre 2000 et le 20 mars 2003. Par ailleurs, le Gouvernement souligne que les requérantes étaient « rompues au commerce international de pétrole » et qu’elles disposaient de nombreux conseils pour l’éclairer sur les règles et les pratiques en la matière.
47. En second lieu, le Gouvernement estime que l’interprétation de l’article 435-3 du code pénal n’était ni extensive ni imprévisible.
48. S’agissant tout d’abord de l’exigence que les agents publics étrangers aient agi « sans droit », il soutient que l’article 435-3 du code pénal reprenait le sens de l’idée exprimée à l’article 1er de la Convention de l’OCDE, telle que précisée par les commentaires annexés à cette dernière. La cour d’appel a pu constater que le versement de surcharges était contraire à la réglementation applicable au commerce de pétrole iraquien : d’une part, la Résolution 986, qui autorisait de manière strictement encadrée les importations de pétrole iraquien, ne constituait qu’une exception enfermée dans des limites très strictes de la Résolution 661; d’autre part, le protocole conclu le 20 mai 1996 entre le gouvernement iraquien et l’ONU prévoyait les conditions de mise en œuvre du programme « pétrole contre nourriture » et, par conséquent, prohibait tout contournement de ce programme ; enfin, il n’y avait, au moment des faits litigieux, aucun parlement élu en Iraq, de sorte que l’intégration de la Résolution 986 en droit iraquien ne pouvait être le fait d’une loi régulièrement votée et que les surcharges n’étaient pas prévues par une loi ou une réglementation écrite de l’État, mais découlaient seulement de la volonté du président et d’autres hauts dirigeants iraquiens.
49. Concernant les bénéficiaires de l’acte de corruption, le Gouvernement rappelle que l’article 435-3 du code pénal ne posait pas la condition d’un enrichissement personnel de l’agent public étranger, le délit ayant vocation à réprimer un manque de probité et non un enrichissement. L’article 1er de la Convention de l’OCDE prévoit expressément que l’avantage indû peut être fourni à l’agent public étranger « à son profit ou au profit d’un tiers ». Tout en rappelant que les juridictions internes ne devaient pas se prononcer sur la corruption passive des agents étrangers, mais uniquement sur les faits de corruption active pour lesquels les requérantes étaient poursuivies, ce qui constitue une infraction distincte, il note par ailleurs que la cour d’appel a relevé que les surcharges n’étaient pas versées sur des comptes de l’État iraquien ou sur celui de la SOMO, mais sur des comptes ouverts hors de l’Iraq, sous des noms de personnes physiques en passant par des sociétés écrans, et que les versements bénéficiaient aux dirigeants iraquiens à titre personnel et non au financement des charges publiques normales d’un État.
50. Le Gouvernement en conclut qu’il n’était dès lors pas nécessaire de recourir à une interprétation extensive de l’article 435-3 du code pénal, dont la portée devait être appréciée à la lumière de la Convention de l’OCDE et de ses commentaires, pour condamner les sociétés requérantes. Il en déduit que les juridictions internes en ont fait une interprétation raisonnable au regard du droit national et international, et cohérente avec la substance de l’infraction. Il ajoute que l’argument des requérantes tiré de l’isolement de la France dans l’usage de la qualification de corruption d’agents publics étrangers est sans rapport avec la prévisibilité de l’incrimination en droit français, et que la création d’un délit douanier par la loi de finances rectificative no 2001-1276 du 28 décembre 2001 ne visait pas à remplacer les dispositions de l’article 435-3 du code pénal, mais poursuivait la répression de la méconnaissance de valeurs sociales différentes.
Appréciation de la Cour
a) Principes généraux
51. Pour un rappel des principes généraux concernant l’application de l’article 7 § 1 de la Convention, la Cour renvoie à sa jurisprudence pertinente en la matière (voir, notamment, Yalçinkaya c. Turquie [GC], no 15669/20, §§ 237-242, 26 septembre 2023, Vasiliauskas c. Lituanie [GC], no 35343/05, § 153 et suivants, CEDH 2015, Rohlena c. République tchèque [GC], no 59552/08, § 50, CEDH 2015, et Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, §§ 77-93, CEDH 2013).
52. S’agissant de la question plus spécifique de l’accessibilité et de la prévisibilité de la législation en matière pénale, la Cour rappelle constamment que la notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité (Del Río Prada, précité, § 91, Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, §§ 40‑41, série A no 260‑A, et Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V). Ces conditions qualitatives doivent être remplies tant pour la définition d’une infraction que pour la peine que celle‑ci implique.
53. De plus, en raison même du caractère général des lois, leur rédaction ne peut pas revêtir une précision absolue. L’une des techniques-types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu’à des listes exhaustives. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (Kokkinakis, précité, § 40, Cantoni, précité, § 31, et Soros c. France, no 50425/06, § 51, 6 octobre 2011). Dès lors, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, y compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes, en tenant compte des évolutions de la pratique quotidienne (Kafkaris c. Chypre [GC], no 21906/04, § 141, CEDH 2008, et Soros, précité, § 52). En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or, le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation (Kafkaris, précité, § 141, et Del Río Prada, précité, § 92).
54. Il est ainsi solidement établi dans la tradition juridique des États parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal. L’article 7 de la Convention ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (Yalçinkaya, précité, § 239, Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 185, CEDH 2010, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96 et 2 autres, § 50, CEDH 2001-II, et Norman c. Royaume-Uni, no 41387/17, §§ 60 et 66, 6 juillet 2021). Aux yeux de la Cour, cela s’applique aussi bien à l’évolution du droit national qu’à celle du droit international (Milanković c. Croatie, no 33351/20, § 59, 20 janvier 2022).
55. Pour apprécier la prévisibilité d’une interprétation judiciaire, il ne faut donc pas attacher une importance décisive à l’absence de précédents comparables (K.A. et A.D. c. Belgique, nos 42758/98 et 45558/99, § 55, 17 février 2005, Georgouleas et Nestoras c. Grèce, nos 44612/13 et 45831/13, § 63, 28 mai 2020, et Berardi et Mularoni c. Saint-Marin, nos 24705/16 et 24818/16, § 44, 10 janvier 2019). Lorsque les juridictions internes sont appelées à interpréter une disposition de droit pénal pour la première fois, comme c’est le cas en l’espèce, et non lorsqu’il s’agit d’un revirement de jurisprudence, une interprétation de la portée de l’infraction de celle-ci doit, en principe, être considérée comme prévisible (Jorgic c. Allemagne, no 74613/01, § 109, CEDH 2007-III, et Berardi et Mularoni, précité, § 44). À cet égard, la Cour a conscience de ce qu’il faut bien qu’une norme juridique donnée soit un jour appliquée pour la première fois (voir, notamment, mutatis mutandis, Sanchez c. France [GC], no 45581/15, § 127, 15 mai 2023). Il reste que le caractère inédit, au regard notamment de la jurisprudence, de la question juridique posée ne constitue pas en soi une atteinte aux exigences d’accessibilité et de prévisibilité de la loi, dès lors que la solution retenue faisait partie des interprétations possibles, conformes à l’essence de l’infraction et raisonnablement prévisibles (X et Y c. France, no 48158/11, § 61, 1er septembre 2016, Huhtamäki c. Finlande, no 54468/09, § 51, 6 mars 2012, Soros, précité, § 58, Berardi et Mularoni, précité, §§ 44 et 53, et Georgouleas et Nestoras, précité, § 57).
56. La Cour rappelle également que la portée de la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre, ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (Groppera Radio AG et autres c. Suisse, 28 mars 1990, § 68, série A no 173). La prévisibilité́ de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (voir, parmi d’autres, Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, 13 juillet 1995, § 37, série A no 316‑B, et Achour c. France [GC], no 67335/01, § 54, CEDH 2006‑IV). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (Vasiliauskas, précité, § 157, Cantoni, précité § 35, Pessino c. France, no 40403/02, § 33, 10 octobre 2006, Soros, précité, § 53, et X et Y, précité, § 57).
57. Enfin, la Cour réaffirme qu’il ne lui incombe pas normalement de se substituer aux juridictions internes dans l’appréciation et la qualification juridique des faits, pourvu que celles-ci reposent sur une analyse raisonnable des éléments du dossier (Rohlena, précité, § 51). Elle a pour tâche, aux termes de l’article 19 de la Convention, d’assurer le respect par les États contractants des engagements résultant pour eux de la Convention. Eu égard au caractère subsidiaire du système de la Convention, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (Vasiliauskas, précité, § 160, Streletz, Kessler et Krenz, précité, § 49, et Jorgic, précité, § 102), et si l’appréciation à laquelle se sont livrées les juridictions nationales est manifestement arbitraire (Kononov, précité, § 189). Il en va de même lorsque le droit interne renvoie à des dispositions du droit international général ou d’accords internationaux (Korbely, précité, § 72), ou que les juridictions nationales appliquent des principes de droit international (Kononov, précité, § 196).
b) Application au cas d’espèce
58. La Cour rappelle que les sociétés requérantes ont été déclarées coupables de délit de corruption d’agents publics étrangers et condamnées sur le fondement de l’article 435-3 du code pénal, dont elles contestent, au regard de l’article 7 de la Convention, l’accessibilité et la prévisibilité, pour des faits commis entre octobre 2000 et septembre 2002 s’agissant de la première société requérante, et entre octobre 2000 et 2003 en ce qui concerne la seconde société requérante. Plus précisément, comme la cour d’appel de Paris l’a relevé dans son arrêt, « sont concernées les opérations conclues postérieurement au premier octobre 2000 et jusqu’au 20 mars 2003 date de l’invasion de l’Iraq par la coalition menée par les Etats-Unis » (paragraphe 16 ci-dessus).
59. S’agissant, en premier lieu, de l’accessibilité de la loi d’incrimination, la Cour note que les dispositions de l’article 435-3 du code pénal sont entrées en vigueur le 29 septembre 2000 (paragraphe 25 ci-dessus), soit avant la période au cours de laquelle les faits reprochés aux sociétés requérantes ont été commis. En outre, ainsi que l’ont rappelé les juridictions internes, l’article 435-3 précité est issu de la loi no 200-595 du 30 juin 2000, qui transposait la convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics dans les transactions commerciales internationales du 17 septembre 1997, laquelle est entrée en vigueur le 29 septembre 2000 en France. La Cour relève également que, dès le mois d’août 1990, soit quelques jours seulement après l’invasion du Koweït par l’Iraq, les relations financières avec cet État avaient déjà été réglementées par le décret no 90-681 du 2 août 1990, les mouvements de capitaux et les règlements de toute nature entre la France et l’étranger effectués pour le compte de personnes physiques ou morales résidentes au Koweït et en Iraq ou de nationalité koweïtienne ou iraquienne étant désormais soumis à une autorisation préalable du ministre chargé de l’économie (paragraphe 26 ci-dessus).
60. S’agissant, en second lieu, de la prévisibilité de l’interprétation judiciaire de la loi d’incrimination, la Cour reconnaît que les sociétés requérantes ont été les premières personnes condamnées sur le fondement de l’article 435-3 du code pénal pour le délit de corruption d’agents publics étrangers. La Cour considère néanmoins que l’État ne saurait se voir reprocher, pour ce seul motif, un manquement à l’exigence de prévisibilité de la loi, dès lors que, faute de situation strictement identique soumise précédemment aux juges, les juridictions nationales n’avaient pas jusqu’alors été mises en mesure d’en préciser, par voie prétorienne, le champ et la portée (Soros, précité § 58 ; voir également paragraphe 55 ci-dessus).
61. Elle souligne ensuite que l’ensemble des juridictions internes (le tribunal correctionnel, la cour d’appel et la Cour de cassation) ont considéré que les dispositions de l’article 435-3 du code pénal étaient claires et applicables aux faits de l’espèce (voir, mutatis mutandis, Mørck Jensen c. Danemark, no 60785/19, §§ 40-43, 18 octobre 2022). À cet égard, il convient de relever que si le tribunal correctionnel n’a pas condamné les sociétés requérantes, la solution qu’il a retenue reposait en effet sur d’autres motifs, à savoir, d’une part, le fait que le délit n’était pas constitué s’agissant de la première société requérante, un tel motif reposant implicitement mais nécessairement sur l’applicabilité de la disposition en cause et, d’autre part, l’application du principe ne bis in idem au bénéfice de la seconde société requérante (paragraphe 15 ci-dessus).
62. En ce qui concerne la caractérisation de l’infraction, la Cour relève tout d’abord que, s’agissant de l’établissement des faits (voir, par exemple, Grande Stevens et autres c. Italie (déc.), nos 18640/10 et 4 autres, § 78, 15 janvier 2013, et Sampech c. Italie (déc.), no 55546/09, § 38, 19 mai 2015), la cour d’appel a retenu, dans un arrêt très longuement motivé, en fait comme en droit, que les sociétés requérantes avaient délibérément accepté et organisé le paiement de commission occultes, appelées « surcharges », au bénéfice de dirigeants iraquiens qui les sollicitaient parallèlement au système mis en place par l’ONU et en violation des Résolutions 661 et 986, pour en déduire que ces agissements étaient répréhensibles sur le fondement de l’article 435-3 du code pénal en vigueur à l’époque des faits (paragraphes 16 à 18 ci-dessus).
63. La Cour relève ensuite que les juridictions internes ont recherché si les différents éléments constitutifs du délit de corruption d’agents publics étrangers étaient réunis. En particulier, la cour d’appel de Paris a spécialement et longuement motivé son arrêt sur ce point, en répondant aux arguments soulevés par les sociétés requérantes, chacune étant assistée de plusieurs conseils, et en effectuant une analyse détaillée en ce qui concerne chacun de ces éléments eu égard à l’interprétation qu’elle retenait de l’article d’incrimination. Elle procéda de la sorte s’agissant, d’une part, des sollicitations et de leur caractère « sans droit », plus particulièrement au regard du cadre établi par la Résolution 986 du Conseil de sécurité des Nations Unies, du mémorandum d’accord conclu le 20 mai 1996 entre le Secrétaire Général de l’ONU et le Gouvernement iraquien (paragraphes 16, 28 et 29 ci-dessus), mais également de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales et ses commentaires (paragraphes 30 et 31 ci‑dessus). Elle fit de même s’agissant, d’autre part, de la question des bénéficiaires de la corruption active, compte tenu notamment de la Convention de l’OCDE, plus spécialement son article 1er, § 1 qui prévoit expressément que l’« avantage indû pécuniaire ou autre (...) à un agent public étranger » puisse être offert, promis ou octroyé « à son profit ou au profit d’un tiers » (paragraphes 16, 30 et 31 ci-dessus).
64. La Cour souligne enfin que les juges d’appel ont examiné la situation personnelle de chacune des sociétés requérantes, au regard tant de leurs comportements respectifs que des circonstances factuelles et du contexte dans le cadre desquels ils s’inscrivaient (paragraphes 17 et 18 ci-dessus). Dans son arrêt, la Cour de cassation a, pour sa part, confirmé l’analyse de la cour d’appel, considérant que les agissements constatés par celle-ci entraient bien dans les prévisions du deuxième alinéa de l’article 435-3 du code pénal dans sa rédaction en vigueur à la date des faits litigieux (paragraphe 23 ci-dessus).
65. D’une part, la Cour constate que d’importants développements ont été consacrés au contexte international de l’affaire, et notamment aux sources de droit international, telles que les règles énoncées dans les Résolutions 661 et 986 du Conseil de sécurité des Nations Unies (paragraphes 27 et 28 ci‑dessus), les termes du mémorandum d’accord conclu le 20 mai 1996 en vue de l’application effective de la Résolution 986 (paragraphe 29 ci-dessus), ainsi que les dispositions de la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (paragraphes 30 et 31 ci-dessus). La Cour entend d’ailleurs souligner le fait qu’à la date des faits litigieux, la lutte contre la corruption, en particulier celle des agents publics étrangers, constituait une préoccupation largement partagée au sein de la communauté internationale. En effet, outre les textes précités, d’autres instruments avaient été élaborés pour lutter contre ce phénomène, qu’il s’agisse du Règlement (CEE) No 2340/90 du Conseil des Communautés européennes du 8 août 1990 empêchant les échanges de la Communauté concernant l’Iraq et le Koweït (paragraphe 34 ci-dessus) ou encore de la Convention pénale sur la corruption du Conseil de l’Europe en date du 27 janvier 1999 (paragraphes 32 et 33 ci‑dessus). Aux yeux de la Cour, les sociétés requérantes ne sauraient ainsi prétendre que leur comportement commercial s’inscrivait dans une démarche respectueuse du droit international en vigueur à l’époque des faits, dont l’article 435-3 du code pénal constitue une transposition partielle dans l’ordre interne.
66. D’autre part, la Cour prend en considération la circonstance, relevée par les juridictions internes, que les sociétés requérantes étaient « rompues au commerce international de pétrole ». Il apparaît en effet qu’à la date des faits litigieux, elles exerçaient une activité en tout ou partie spécialisée dans le négoce international de pétrole, avec une expérience avérée en la matière, et qu’elles étaient incontestablement familières de l’environnement, en particulier juridique, dans lequel leurs opérations devaient s’effectuer. Elle relève par ailleurs que le groupe Total S.A. faisait partie, par l’intermédiaire de deux de ses filiales, des 248 sociétés pétrolières agréées par l’ONU pour entretenir des relations commerciales avec l’Iraq (paragraphe 6 ci-dessus) et qu’il doit dès lors être réputé avoir eu parfaitement connaissance du cadre juridique strict dans lequel ces dernières étaient autorisées à intervenir. À cet égard, la première société requérante reconnaît l’existence de rappels adressés aux compagnies agréées dans le cadre du programme « pétrole contre nourriture » par les autorités françaises (paragraphe 38 ci-dessus). À ces rappels, qui confirment la préoccupation de ces dernières quant aux pratiques reprochées aux sociétés requérantes, il convient d’ajouter la circonstance relevée par la cour d’appel de Paris et non contestée par les sociétés requérantes, qu’avait été publié au Journal Officiel, courant 2001, un avis sur l’interdiction des paiements hors compte séquestre (paragraphes 16 et 21 ci‑dessus). Compte tenu de son statut et de son expertise en la matière, la première société requérante ne pouvait ainsi ignorer que sa décision, pour reprendre les termes de la cour d’appel de Paris, « d’utiliser parallèlement à la voie légale de l’ONU le marché secondaire en acceptant le dispositif de surcharges selon des procédés très sophistiqués, (...) dans le cadre d’une organisation sophistiquée qui a nécessité une forte implication », et ce de manière répétée et délibérée (paragraphe 17 ci-dessus), avec le recours à des « circuits de règlement clandestins et là encore variables », les commissions occultes étant versées « non pas sur des comptes de l’État iraquien ou de la SOMO, mais sur des comptes ouverts hors de l’Iraq sous des noms de personnes physiques, en passant par des sociétés écrans », était susceptible de la faire tomber sous le coup du délit de corruption d’agents publics étrangers prévu par l’article 435-3 précité. Quant à la seconde société requérante, spécialisée dans le négoce de pétrole et de gaz, qui possédait notamment une raffinerie au Canada, la Cour note qu’elle a admis la matérialité des faits devant les autorités judiciaires françaises, après avoir également reconnu sa culpabilité pour les faits reprochés dans le cadre d’un accord de « plaider coupable » validé par une décision de la Cour suprême de l’État de New York en 2007 (paragraphe 13 ci-dessus). Relevant en outre que la cour d’appel de Paris a retenu le fait qu’elle avait « organisé la clandestinité de son intervention de payeur [des surcharges] en se dissimulant derrière des sociétés écrans », la Cour considère qu’il ne saurait être soutenu que la seconde société requérante ne pouvait anticiper, au moment des faits, les éventuelles conséquences pénales de son comportement, alors qu’elle participait sciemment à ce circuit occulte.
67. Rappelant qu’il convient de ne pas attacher une importance décisive au regard de l’article 7 de la Convention à l’absence de jurisprudence établie en la matière (paragraphe 55 ci-dessus), la Cour ne voit pas de raison de s’écarter des décisions des juridictions internes, qui ont considéré que les sociétés requérantes, familières du négoce de pétrole et aguerries aux opérations d’envergure dans un contexte international, auraient dû faire preuve d’une prudence accrue et mettre un soin particulier à évaluer les risques lorsqu’elles ont décidé d’entreprendre les opérations d’achat de pétrole iraquien litigieuses, le cas échéant en ayant recours à des conseils éclairés, auxquels il n’est pas contesté qu’elles avaient largement accès (Soros, précité, § 59 ; voir également paragraphe 56 ci-dessus).
68. Si les juridictions internes ont répondu, de manière très circonstanciée, aux arguments des sociétés requérantes qui entendaient fonder leur défense sur la contestation de l’interprétation retenue de l’article 435-3 du code pénal, la Cour tient à indiquer qu’à ses yeux, la question déterminante pour l’issue du litige tenait moins à l’interprétation de l’article 435-3 précité qu’à la caractérisation, aux cas d’espèce, des éléments constitutifs de l’infraction. Or, elle rappelle, à cet égard, qu’il ne lui incombe normalement pas de se substituer aux juridictions internes dans l’appréciation et la qualification juridique des faits, et qu’il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commis par une juridiction (paragraphe 57 ci-dessus).
69. Quant à l’argument tiré de la création ultérieure d’un délit douanier résultant de la modification de l’article 459 du code des douanes par la loi de finances rectificative no 2001-1276 du 28 décembre 2001, laquelle viendrait confirmer l’absence d’incrimination de la corruption active d’agents publics étrangers à la date des faits litigieux (paragraphe 40 ci-dessus), la Cour le considère inopérant, aucune pièce du dossier ne permettant d’établir l’existence d’un lien entre la situation personnelle des sociétés requérantes à l’époque des faits reprochés et l’évolution ultérieure du droit douanier (voir, mutatis mutandis, Soros, précité, § 60).
70. Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, la Cour est non seulement convaincue que l’infraction dont les sociétés requérantes ont été reconnues coupables avait une base « au moment où elle a été commise (...) d’après le droit national » pertinent, mais également que cette infraction était définie avec suffisamment de clarté pour satisfaire à l’exigence de prévisibilité au sens de l’article 7 de la Convention. Elle considère en outre que l’interprétation des dispositions de l’article 435-3 du code pénal retenue par les juridictions internes n’est pas extensive et qu’elle a débouché, aux cas d’espèce, sur un résultat cohérent avec la substance de l’infraction et qui doit être regardé comme raisonnablement prévisible (paragraphe 54 ci-dessus). La Cour en conclut que la loi applicable à la date des faits litigieux était accessible et suffisamment prévisible pour permettre aux sociétés requérantes de savoir qu’en versant des commissions occultes, appelées « surcharges », dans le cadre des opérations litigieuses de négoce de pétrole iraquien, en violation du programme « pétrole contre nourriture » de l’ONU, leur responsabilité pénale était susceptible d’être engagée sur le fondement de l’article 435-3 du code pénal, pris tant isolément qu’en combinaison avec les règles de droit international alors en vigueur.
71. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
Décide de joindre les requêtes ;
Déclare les requêtes recevables ;
Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.