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Décisions

CA Versailles, 13e ch., 15 novembre 2022, n° 22/04167

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Selarl Ajassociés (ès qual.), Altanova (SAS)

Défendeur :

Selarl de Keating (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Valay-Brière

Conseillers :

Mme Baumann, Mme Bonnet

Avocats :

Me Benchétrit, Me Reboul

T. com. Nanterre, du 13 juin 2022, n° 20…

13 juin 2022

Par ordonnance en date du 13 juin 2022, le président du tribunal de commerce de Nanterre, sur requête de la société Altanova datée du 2 juin 2022, a ouvert une procédure de conciliation à son égard pour une durée de quatre mois et désigné en qualité de conciliateur la Selarl AJ associés, prise en la personne de maître [L] [E].

Par déclaration du 24 juin 2022, le procureur de la République de Nanterre a interjeté appel de l'ordonnance. Cette déclaration ayant fait l'objet d'un double enregistrement, les procédures ont été jointes par ordonnance du 4 juillet 2022 sous le n° 22/4167.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 29 juin 2022, le ministère public demande à la cour de :

- dire recevable son appel ;

- le dire bien fondé ;

- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a ouvert une procédure de conciliation en faveur de la société Altanova car les conditions d'ouverture, d'ordre public, n'étaient pas réunies ;

- dire que les autres points consécutifs à l'ouverture de la procédure de conciliation sont caducs car devenus sans objet.

Le ministère public relève que dans la requête déposée aux fins de conciliation, la société Altanova a reconnu explicitement être en état de cessation des paiements depuis le 20 avril 2022, soit depuis plus de quarante-cinq jours avant la date de l'ordonnance dont appel alors même qu'en application de l'article L. 611-4 du code de commerce, les débiteurs ne peuvent bénéficier de la procédure de conciliation que s'il ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours. Il critique l'ordonnance en ce que le président, se fondant sur l'article L.631-4 du code de commerce, a considéré que les quarante-cinq jours devaient être appréciés à la date de la requête et non à la date à laquelle il a statué alors que selon la jurisprudence, l'état de cessation des paiements s'apprécie au jour de l'audience. Il considère, en l'absence de précision par le législateur sur la date à laquelle le délai de quarante-cinq jours doit être apprécié, que ce raisonnement doit être repris en matière de conciliation, procédure d'exception dont les conditions strictes doivent être rigoureusement respectées.

Par avis notifié au greffe le 7 juillet 2022, le ministère public a transmis l'extrait K.bis de la société Altanova.

Dans leurs conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 26 septembre 2022, les sociétés Altanova et Ajassociés, ès qualités, demandent à la cour de :

- constater que les conditions d'ouverture de la procédure de conciliation étaient réunies ;

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a ouvert une procédure de conciliation pour une durée de quatre mois et désigné la société Ajassociés ;

- débouter le ministère public de l'ensemble de ses demandes.

Les intimées contestent l'interprétation faite par le ministère public de l'article L.611-4 du code de commerce et de la date à laquelle doit être apprécié le délai de quarante-cinq jours qui y est mentionné en exposant que :

- ni l'article L.611-4 ni aucun autre article du code de commerce ne prévoit que ces quarante-cinq jours doivent être appréciés à la date de l'audience statuant sur l'ouverture de la procédure de conciliation;

- il ressort au contraire de plusieurs articles du code de commerce, à savoir les articles L.631-4 et L. 640-4 relatifs à l'ouverture des procédures de redressement et de liquidation judiciaires et L.628-1 relatif à la procédure de sauvegarde accélérée, que les quarante-cinq jours prévus par l'article L.611-4 doivent s'apprécier au jour de la demande d'ouverture de la procédure ;

- l'interprétation faite par le ministère public serait en outre parfaitement inéquitable puisque cela reviendrait à conditionner l'ouverture de la procédure de conciliation à l'agenda du tribunal et à son éventuel 'engorgement', ce qui échappe totalement au contrôle du requérant à la procédure de conciliation.

Elles estiment qu'ainsi 'il ne fait aucun doute' que le législateur a entendu conditionner l'ouverture d'une conciliation à l'absence de cessation des paiements du requérant depuis plus de quarante-cinq jours au jour de la demande d'ouverture de la procédure.

Elles font valoir que la société Altanova étant en cessation des paiements le 20 avril 2022, elle avait jusqu'au 4 juin 2022 pour saisir le greffe d'une demande d'ouverture de la conciliation, soulignant que leur requête a été enregistrée le 3 juin 2023.

Par conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 29 septembre 2022, la Selarl de Keating, agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société Altanova, laquelle est intervenue volontairement à la procédure par ses conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 27 septembre 2022, demande à la cour de déclarer le procureur de la République recevable et bien fondé en son appel et d'infirmer l'ordonnance.

Après avoir précisé qu'au cours de la procédure de conciliation, il est apparu impossible de reconstituer une trésorerie suffisante de sorte que le dirigeant de la société Altanova a procédé à la déclaration de cessation des paiements le 13 juillet 2022 et que par jugement du 3 août 2022, le tribunal a prononcé le redressement judiciaire de la société et désigné les sociétés Ajassociés et de Keating, respectivement en qualité d'administrateur et de mandataire judiciaires, elle fait valoir qu'en l'absence dans l'article L.611-4 du code de commerce de référence à la demande d'ouverture de la procédure de conciliation comme dans les articles que cite la société Altanova, ce texte ne faisant référence qu'à l'ouverture de la procédure, le délai de quarante-cinq jours ne peut donc être comptabilisé qu'à compter de l'ordonnance ouvrant la procédure de conciliation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens de l'appelant, il est renvoyé à ses dernières écritures conformément aux dispositions de l'article quarante-cinq5 du code de procédure civile.

SUR CE,

L'ordonnance a été notifiée au ministère public le 14 juin 2022 ; son appel, diligenté conformément à l'article R.661-3 du code de commerce dans le délai de dix jours à compter de la notification, lequel a commencé à courir le 15 juin 2022 en application de l'article 641 du code de procédure civile, est recevable.

Selon l'article L.611-4 du code de commerce, 'il est institué, devant le tribunal de commerce, une procédure de conciliation dont peuvent bénéficier les débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible, et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours'.

A la lecture ce texte et à la lumière en outre des travaux parlementaires, la procédure de conciliation est 'instituée' et donc ouverte si deux conditions sont remplies :

- une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible rencontrée par le débiteur qui sollicite cette procédure ;

- son absence d'état de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours.

Même si le texte ne le précise pas expressément, ces deux conditions doivent être caractérisées à la date à laquelle il est statué sur la requête dans la mesure où cet article évoque les conditions dans lesquelles le débiteur peut bénéficier de la conciliation, sans que l'état de cessation des paiements puisse être simplement apprécié à la date à laquelle le président du tribunal est saisi de la demande de conciliation, étant observé qu'en outre, en matière de procédure collective, l'appréciation de la situation du débiteur qui sollicite l'ouverture d'une telle procédure s'effectue toujours à la date à laquelle il est statué sur sa demande.

La rédaction des articles L.631-4, L641-4 et L. 628-1 du code de commerce, en ce qu'ils prévoient pour les deux premiers que l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaires doit être sollicitée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, 'demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation' et pour le troisième que la circonstance que le débiteur soit en état de cessation des paiements ne fait pas obstacle à l'ouverture de la procédure de sauvegarde accélérée si cette situation ne précède pas depuis plus de quarante-cinq jours la date de la demande d'ouverture de la procédure de conciliation' ne saurait influer sur la compréhension de l'article L.611-4 dès lors qu'ils concernent l'ouverture d'autres procédures collectives et que les conditions d'ouverture de la conciliation ont été édictées indépendamment de la date de la demande à laquelle elle est présentée.

Ces conditions doivent de surcroît être interprétées strictement quant au délai de leur mise en oeuvre au regard en particulier des incidences néfastes d'un plus long délai sur la célérité des actions à adopter pour remédier aux difficultés rencontrées par le débiteur qui sollicite cette procédure de conciliation, étant observé que l'ouverture trop tardive d'une procédure collective est également dommageable pour les partenaires économiques de l'entreprise en difficulté ; enfin les délais dans lesquels les requêtes sont examinées par le tribunaux ne sauraient influer sur la lecture qui doit être faite des textes de loi.

Il est constant qu'en l'espèce, la société Altanova a expressément indiqué qu'elle se trouvait en état de cessation des paiements à compter du 20 avril 2022 de sorte qu'à compter du 5 juin 2022, elle se trouvait en état de cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours.

Les conditions d'ouverture d'une procédure de conciliation n'étant pas ainsi réunies au jour où le président du tribunal a statué, l'ordonnance doit par conséquent être infirmée en toutes ses dispositions.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt contradictoire,

Déclare l'appel du ministère public recevable ;

Infirme l'ordonnance du 13 juin 2022 en toutes ses dispositions ;

Dit que les conditions d'ouverture d'une procédure de conciliation n'étaient pas réunies ;

Dit que la société Altanova supportera les dépens de la présente procédure d'appel qui seront employés en frais privilégiés de la procédure collective.