CA Grenoble, ch. com., 8 juin 2023, n° 23/00783
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Grenobloise Amenagement Foncier (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Figuet
Conseillers :
Mme Blanchard, M. Bruno
Exposé du litige
La SARL Grenobloise Aménagement Foncier est détenue à 99,99% par la SAS Groupe Avenir et à 0.01% par Monsieur [D] [N]. Elle a pour activité la réalisation d'opérations immobilières, lotissements, marchands de bien, promotion immobilière.
Par requête du 11 janvier 2023, elle a demandé au président du tribunal de commerce de Romans sur Isère d'ordonner l'ouverture d'une procédure de conciliation à son bénéfice et de désigner à cet effet la Selarl AJ UP en la personne de Me [O] [I] [R] en qualité de conciliateur avec pour mission de prendre connaissance de la situation économique, financière et comptable de l'entreprise, l'assister dans le cadre des discussions avec ses créanciers afin de permettre à la société de réaliser ses actifs, l'assister dans les négociations à mener afin de conclure tout accord utile avec ses principaux créanciers et ses assureurs, rechercher toute solution permettant d'assurer la pérennité de l'entreprise.
Elle a fait valoir que le groupe a dû faire face ces dernières années à plusieurs difficultés ayant conduit à une baisse drastique des ventes de maisons neuves résultant de la crise sanitaire Covid 19, du retrait du marché de certains assureurs s'agissant de la garantie de livraison empêchant le démarrage des chantiers de construction, de la diminution de l'artificialisation des terrains, des difficultés d'approvisionnement du fait de la guerre en Ukraine. Elle a indiqué que la société SFMI (société française de maisons individuelles) a dû être placée en liquidation judiciaire le 29 novembre 2022 et que suite à cette défaillance, le groupe Avenir souhaite pouvoir réaliser ses actifs immobiliers dans les meilleures conditions pour permettre le désintéressement des créanciers du groupe. Elle a exposé qu'elle a une dette intragroupe envers la SFMI de 286.483 euros, qu'elle n'a pas de dette sociale et fiscale, que sa trésorerie s'élève à hauteur de 2.074,57 euros.
Elle a souligné que si la vente de certains actifs pourra se faire à brève échéance, d'autres nécessiteront plus de temps, qu'elle souhaite dès lors trouver un accord avec ses créanciers pour disposer du temps nécessaire à la vente, que le groupe souhaite pouvoir revoir avec la société AXA les conditions de mise en oeuvre de sa caution à hauteur de 3 millions d'euros, que n'étant pas en cessation de paiement depuis plus de 45 jours, elle est éligible à l'ouverture d'une procédure de conciliation.
Par ordonnance du 25 janvier 2023, le président du tribunal de commerce de Romans sur Isère a:
- constaté que la société est en état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours,
- constaté que la mission sollicitée de réalisation des actifs immobiliers n'est pas prévue par les textes en matière de conciliation,
- rejeté la demande d'ouverture d'une procédure de conciliation et de désignation d'un conciliateur.
Cette ordonnance a été notifiée à la SARL Grenobloise Aménagement Foncier le 31 janvier 2023.
Par déclaration adressée au greffe du tribunal de commerce de Romans sur Isère le 6 février 2023, la SARL Grenobloise Aménagement Foncier a interjeté appel de cette ordonnance.
Aux termes de sa déclaration d'appel et de ses conclusions remises et reprises oralement à l'audience, elle demande à la cour la désignation de la Selarl AJ UP en la personne de Me [O] [I] [R] en qualité de conciliateur avec pour mission de prendre connaissance de la situation économique, financière et comptable de l'entreprise, l'assister dans le cadre des discussions
avec ses créanciers afin de permettre à la société de réaliser ses actifs, l'assister dans les négociations à mener afin de conclure tout accord utile avec ses principaux créanciers et ses assureurs, rechercher toute solution permettant d'assurer la pérennité de l'entreprise.
Elle fait valoir que :
- le débiteur peut bénéficier d'une procédure de conciliation s'il ne se trouve pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours,
- le délai de 45 jours s'apprécie au jour où la demande est formée et non à la date où le juge statue,
- ainsi, à chaque fois que le législateur se préoccupe de la computation du délai de 45 jours au-delà duquel le débiteur n'est plus éligible à la conciliation, il est pris en compte la date de la demande de désignation d'un conciliateur,
- ce délai s'analyse en un délai de forclusion et la date retenue doit être celle de l'envoi de la demande,
- retenir une analyse contraire reviendrait à devoir prendre en compte les délais de traitement et de comparution devant le président du tribunal de commerce sur lesquels le débiteur n'a aucune maîtrise et serait source d'insécurité juridique,
- en l'espèce, le liquidateur judiciaire de la société SFMI a adressé le 23 janvier 2023 à la SARL Grenobloise Aménagement Foncier un courrier lui demandant de régler la somme de 286.483,41 sous quinzaine,
- au surplus, cette dette est régie par une convention de trésorerie stipulant un remboursement dans un délai d'un an à compter de la date effective de l'avance avec possibilité de renouvellement par tacite reconduction, convention qui n'a pas été dénoncée par le liquidateur,
- dès lors, la SARL Grenobloise Aménagement Foncier ne se trouvait pas en état de cessation des paiements au moment du dépôt de la requête,
- elle est donc éligible à la procédure de conciliation,
- en toutes hypothèses, même à considérer sa dette exigible, elle a déposé sa requête le 11 janvier 2023 soit à l'intérieur du délai de 45 jours à compter du 29 novembre 2022,
- la Société Générale a déjà marqué son accord le 17 avril 2023 sur la mise en place d'un standstill d'une durée de 60 jours.
Elle rappelle que la mission du conciliateur est particulièrement large et a pour objectif de trouver une solution pérenne pour le débiteur qui éprouve des difficultés juridiques, économiques ou financières, qu'en l'espèce, le conciliateur pourra l'assister dans le cadre de la négociation d'un accord avec les différents créanciers (banque, liquidateur) afin d'obtenir les délais nécessaires pour la réalisation des actifs détenus dès lors que la vente des actifs dans un cadre plus contraint serait hautement préjudiciable aux créanciers.
Le président du tribunal de commerce de Romans sur Isère n'a pas souhaité modifier ou rétracter sa décision et a transmis la déclaration d'appel à la cour d'appel de céans. Le dossier a été reçu le 23 février 2023.
Le ministère public a conclu à la confirmation de l'ordonnance en considérant que la requête visait à contourner les règles édictées par les articles L 611-4 et L 611-7 et suivants du code de commerce, notamment l'état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours de la société requérante.
A l'audience, le conseiller rapporteur a fait son rapport.
La SARL Grenobloise Aménagement Foncier a soutenu oralement les termes de son recours.
Le ministère a repris oralement ses conclusions écrites.
Motifs de la décision
Selon l'article L 611-4 du code de commerce, la procédure de conciliation est ouverte aux débiteurs exerçant une activité commerciale ou artisanale qui éprouvent une difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible et ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de quarante-cinq jours.
Le débiteur dépose à cette fin une requête aux fins d'ouverture précisant le cas échéant la date de cessation des paiements.
Si l'article L611-4 du code de commerce ne précise pas la date à laquelle le délai de 45 jours doit être apprécié, il convient de se référer aux autres textes prévoyant ce délai pour déterminer ce moment. Ainsi, l'article L 631-4 du code de commerce dispose que l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements s'il n'a pas, dans ce délai, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation. Ce texte se réfère donc expressément à la date de la demande. Il en est de même de l'article L 628-1 du code de commerce prévoyant la procédure de sauvegarde accélérée et précisant que la circonstance que le débiteur soit en cessation des paiements ne fait pas obstacle à l'ouverture de cette procédure si cette situation ne précède pas de plus de 45 jours la date de la demande d'ouverture de la procédure de conciliation préalable.
Par ailleurs, la procédure de conciliation vise à trouver une solution amiable lorsque le débiteur s'est montré diligent dans la saisine du président de la juridiction en respectant un délai à compter de sa cessation des paiements. Apprécier la durée de la cessation des paiements en tenant compte des délais de convocation et d'examen par le président du tribunal de commerce sur lesquels le débiteur n'a aucune maîtrise serait attentatoire à ses droits.
En conséquence, au regard des textes précédemment cités et de l'intérêt à favoriser les procédures amiables lorsque le débiteur s'est montré diligent, la condition tenant au fait que le débiteur ne se trouve pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours doit être apprécié à la date du dépôt de la requête, soit en l'espèce à la date du 11 janvier 2023.
Le président du tribunal de commerce a considéré que la dette de la société Grenobloise Aménagement Foncier envers la société SFMI était exigible depuis la liquidation judiciaire de la société SFMI intervenue le 29 novembre 2022.
Néanmoins, si la liquidation judiciaire rend exigibles les créances des tiers sur le débiteur, elle n'entraîne pas ipso facto la déchéance du terme pour les créances de la société.
La créance réclamée par le liquidateur de la société SFMI l'est au titre d'une dette intra groupe à hauteur de 286.483,41 euros. La société Grenobloise Aménagement Foncier se prévaut d'une convention de trésorerie. Le liquidateur n'a réclamé cette créance à la société Grenobloise Aménagement Foncier que par courrier du 23 janvier 2023 en sollicitant un règlement sous quinzaine réitéré par courrier du 22 février 2023.
Dès lors, lors du dépôt de la requête, la société Grenobloise Aménagement Foncier n'était pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours et se trouvait éligible à l'ouverture d'une procédure de conciliation.
S'agissant de la mission dévolue au conciliateur, il résulte de l'article L611-7 alinéa 1 du code de commerce que le conciliateur a pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise. Il peut également présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique et au maintien de l'emploi. Il peut être chargé, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants, d'une mission ayant pour objet l'organisation d'une cession partielle ou totale de l'entreprise qui pourrait être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d'une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire.
La cour observe que cette mission est légalement déterminée. Le président du tribunal de commerce n'a pu ainsi rejeter la demande d'ouverture de la procédure de conciliation au motif que la réalisation d'actifs immobiliers n'est pas prévue par les textes en matière de conciliation. En raison de l'absence d'état de cessation des paiements depuis plus de 45 jours à la date de la réception de la requête, il devait procéder à la désignation d'un conciliateur, avec la mission définie par la loi.
La cour infirmera ainsi l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions, le président du tribunal n'ayant pas accédé à la demande de rétractation de l'appelante et le dossier ayant été régulièrement transmis par le greffier du tribunal de commerce conformément à l'article R611-26 du code de commerce.
Statuant à nouveau, la cour désignera la Selarl AJ UP en qualité de conciliateur, avec la mission définie à l'article L611-7 du code de commerce, ainsi qu'il sera détaillé ci-après. Les dépens de la présente instance seront laissés à la charge de l'appelante.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant en chambre du conseil, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
Vu les articles L611-4 et suivants, R611-26 du code de commerce ;
Infirme l'ordonnance déféré en ses dispositions soumises à la cour ;
statuant à nouveau ;
Déclare la demande de désignation d'un conciliateur recevable ;
Désigne la Selarl AJ UP, prise en la personne de maître [O] [I]-[R], résidant [Adresse 3], en qualité de conciliateur, avec pour mission de favoriser la conclusion entre le débiteur et ses principaux créanciers ainsi que, le cas échéant, ses cocontractants habituels, d'un accord amiable destiné à mettre fin aux difficultés de l'entreprise ;
Dit que le conciliateur pourra également présenter toute proposition se rapportant à la sauvegarde de l'entreprise, à la poursuite de l'activité économique et au maintien de l'emploi ;
Dit que le conciliateur pourra être chargé, à la demande du débiteur et après avis des créanciers participants, d'une mission ayant pour objet l'organisation d'une cession partielle ou totale de l'entreprise qui pourrait être mise en œuvre, le cas échéant, dans le cadre d'une procédure ultérieure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire ;
Dit que le conciliateur pourra, pour exercer sa mission, obtenir du débiteur tout renseignement utile, et que le président du tribunal de commerce lui communiquera les renseignements dont il dispose ;
Dit que le conciliateur rendra compte au président du tribunal de commerce de Romans sur Isère de l'état d'avancement de sa mission et formulera toutes observations utiles sur les diligences du débiteur ;
Dit qu'en cas d'impossibilité de parvenir à un accord, le conciliateur présentera sans délai un rapport au président du tribunal de commerce de Romans sur Isère, et que celui-ci mettra fin à sa mission et à la procédure de conciliation ;
Rappelle que la procédure de conciliation ne peut excéder quatre mois, mais que le président du tribunal de commerce pourra, par une décision motivée, proroger cette procédure à la demande du débiteur sans que la durée totale de la procédure de conciliation ne puisse excéder cinq mois ;
Rappelle que si une demande de constatation ou d'homologation a été formée en application de l'article L. 611-8 avant l'expiration de cette période, la mission du conciliateur et la procédure sont prolongées jusqu'à la décision, selon le cas, du président du tribunal ou du tribunal ;
Rappelle que la décision ouvrant la procédure de conciliation est communiquée au ministère public et, si le débiteur est soumis au contrôle légal de ses comptes, aux commissaires aux comptes ;
Fixe les conditions de rémunération du conciliateur conformément à la convention annexée à la décision.
Laisse les dépens de la procédure à la charge de l'appelante.