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Décisions

CA Amiens, 5e ch. prud'homale, 30 mars 2021, n° 18/02573

AMIENS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Suez Rv Bioenergies (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Baconnier

Conseillers :

Mme Bideault, Mme Vanhaecke-Noret

Cons. Prud’h. Soissons, du 20 juin 2018,…

20 juin 2018

DECISION :

La société SUEZ RV BIOENERGIES (SA) a employé M. Jérôme P., né en 1973, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 octobre 2002 ; au dernier état de ses fonctions, il exerçait les fonctions de qualité de superviseur de zone d'exploitation statut cadre, coefficient 150 et sa brute moyenne s'élevait à la somme de 2.853,10 €.

M. P. était en sa qualité de superviseur de zone d'exploitation, le supérieur hiérarchique de M. J., technicien de zone d'exploitation

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études (SYNTEC).

Par courrier en date du 31 mars 2017 les conseils de M. P. et de M. J. dénonçaient au directeur général, au directeur des relations humaines, au directeur exploitation et maintenance et au directeur travaux et services de la société SUEZ RV BIOENERGIES des dysfonctionnements relevant du droit du travail (manquement à l'obligation de sécurité) et de l'environnement (fraudes relatives à la prime d'efficacité énergétique liée à la cogénération et à la TGAP) et proposaient une rupture négociée de leur contrat de travail et, pour chacun d'eux, la somme de 340.000 € de dommages et intérêts en sus des indemnités de rupture.

Par courrier officiel d'avocat en date du 14 avril 2017, le conseil de la société SUEZ RV BIOENERGIES répondait à cette lettre.

Une procédure disciplinaire a aussitôt été engagée à l'encontre de M. P. et de M. J. le 14 avril 2017, chacun d'eux faisant l'objet d'une mise à pied conservatoire et un double contentieux prud'homal s'en est suivi ; le contentieux concernant M. J. est aujourd'hui définitivement jugé par l'arrêt rendu le 9 janvier 2020 par la cour d'appel d'Amiens.

De son côté M. P. a saisi le 26 avril 2017 le conseil de prud'hommes de Soissons d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur, en invoquant son burn out et son exposition à des matières très nocives pour sa santé.

Après l'entretien préalable du 28 avril 2017, M. P. a été licencié pour faute grave par lettre datée du 15 mai 2017 ; la lettre de licenciement indique :

« (') vous avez pris l'initiative, de surcroît sans démarche ni alerte préalable, conjointement avec Monsieur J. de nous faire adresser par deux conseils une lettre datée du 31 mars 2017 n'ayant d'autre objectif que de mettre en avant des informations qu'il est pour partie permis d'assimiler à de véritables accusations de fraude de la part de l'ensemble des destinataires de ce courrier pour prétendre «négocier la rupture » de votre contrat de travail en sollicitant de la société SUEZ RV BIOENERGIES l'octroi, pour chacun, d'une somme de 340 000 € net à titre de dommages et intérêts, outre le règlement de vos indemnités légales de rupture, les termes utilisés étant que « Messieurs Jérôme P. et Matthieu J. acceptent de quitter la société SUEZ en contrepartie d'une transaction, moyennant l'allocation pour chacun de la somme de 340 000 € net à titre de dommages et intérêts à laquelle il conviendra bien évidemment d'ajouter leurs indemnités légales de rupture».

On rappellera que vous êtes Superviseur et Responsable de Monsieur Mathieu J., Technicien d'Exploitation.

Or, et en premier lieu, un tel procédé ne mérite que d'être fermement dénoncé qui, en tant que tel, est déjà constitutif d'une faute grave caractérisée qui ne permet certainement pas d'envisager la poursuite du contrat de travail.

En effet, un tel procédé est assimilable à un véritable chantage puisque les faits évoqués dans ce courrier sont manifestement de nature à porter atteinte à la réputation, la probité, l'honneur ou la considération de ses destinataires avec l'objectif avéré d'obtenir la négociation d'une rupture de vos contrats de travail en contrepartie du règlement de sommes exorbitantes et qui, pour tout dire, dépasse l'entendement : 340 000 € net à titre de dommages et intérêts outre le règlement des indemnités de rupture représentant plus de 8 ans de salaire !

Ce procédé apparaît d'ailleurs d'autant plus déloyal et délibéré que vous avez choisi de le faire adresser par deux conseils non seulement à la personne morale elle-même, mais également à quatre personnes physiques de la société, nommément désignées en qualité de Directeur Général, Directrice des ressources Humaines, Directeur Exploitation et Maintenance et Directeur Travaux et Services (par LRAR et email) alors que vous êtes mieux placé que personne pour savoir le retentissement que pourrait avoir auprès de ces personnes un tel courrier eu égard à son contenu et aux mises en cause personnelles qu'il représente en termes d'accusation.

Un tel procédé est donc constitutif d'une violation grave de votre obligation de loyauté à l'égard de l'entreprise et de votre hiérarchie avec la volonté affirmée de contraindre votre employeur par ce biais à accepter des conditions de rupture de votre contrat de travail totalement exorbitantes, ce qui traduit à minima une dégradation irréversible de la relation de travail imposant votre licenciement immédiat pour faute grave.

En second lieu, et au demeurant, les accusations que vous portez tant à l'encontre de la société SUEZ RV BIOERNERGIES que des destinataires de ce courrier méritent également d'être dénoncées tant il est avéré que pour l'essentiel elles ne reposent sur aucun fondement et ne correspondent à aucune réalité susceptible de justifier une telle démarche.

A ce sujet, nous entendons nous en rapporter à la lettre officielle que notre conseil a dû adresser à vos conseils le 14 avril 2017 justement pour apporter toute la contradiction voulue à vos affirmations.

Ce faisant, vous n'avez donc pas hésité à créer à l'encontre de chacun des destinataires de ce courrier un climat de suspicion d'autant plus inacceptable que l'envoi de ce courrier n'a été précédé d'aucune démarche ou alerte préalable alors que, comme vous le savez, il existe en interne au sein du groupe SUEZ des procédures d'alerte ou de remontée d'informations permettant d'avoir toutes garanties de traitement pour les personnes qui en sont les auteurs, sans compter l'ensemble des organes de représentation du personnel par lesquels il est toujours possible d'engager un dialogue quand cela est nécessaire.

De surcroît, certains faits apparaissent bien anciens qui n'ont jamais fait l'objet d'informations ou d'interrogations de votre part et vous avez donc décidé sciemment de faire le choix de faire adresser, sans autre forme de prévention, un tel courrier pour tenter de justifier l'octroi des sommes susvisées dont le caractère exorbitant n'échappera à personne.

Au surplus, un certain nombre des accusations mentionnées dans ce courrier demeurent sans aucun lien de causalité avec les prétendues difficultés que vous alléguées dans l'exécution de votre contrat de travail et qui, selon vous, en justifierai la rupture dans des conditions qui ne méritent en réalité que d'être dénoncées.

o COGENERATION : «instructions pour le moins troublantes» qui vous auraient été données «pour contourner les calculs permettant d'atteindre les seuils de valorisation d'énergie rendant éligible à la prime d'efficacité énergétique ... des photographies montrent des compteurs qui ont été déplombés en janvier 2017 ... en définitive au lieu des 75 % de valorisation énergétique » les éléments remis à vos conseils montreraient que cette valeur « est loin d'être atteinte», sous-entendu de façon frauduleuse !

o TGAP : « les éléments constatés à propos de la Cogénération viennent s'ajouter aux éléments troublants » que vous avez rapportés à vos conseils qui en font donc mention dans leur courrier du 31 mars 2017 toujours en forme d'accusations puisqu'il est encore fait référence à des « éléments particulièrement troublants » et «permettant de s'interroger sur l'éligibilité des producteurs de déchets au boni de TGAP ...»,

Bien entendu et comme déjà annoncé par notre conseil dans sa lettre du 14 avril 2017, nous nous réservons d'apporter toute la contradiction voulue à de telles affirmations ne correspondant à aucune réalité susceptible de justifier une telle démarche, mais vous pensiez sans doute disposer la d'éléments vous permettant de négocier au mieux la rupture de votre contrat de travail !

Nous sommes tout aussi étonnés de la référence à une «problématique concernant l'exécution» de votre contrat de travail et à un non-respect de nos obligations légales à votre égard concernant notamment notre «obligation de sécurité de résultat».

Vous concernant, il est fait référence à un «burn-out» ayant conduit votre médecin à vous placer en arrêt de travail (simple maladie) et le fait que vous auriez porté à la connaissance de vos conseils «des photographies vous montrant en intervention au contact de substances hautement toxiques et portant les équipements de sécurité fournis par l'employeur qui sont, à l'évidence, bien loin de permettre de garantir l'intégrité de votre santé».

Or, outre que rien n'établit que votre «burn-out» soit en rapport avec vos conditions de travail, nous constatons surtout que c'est justement votre employeur qui a anticipé cette situation sans manquer de vous diriger immédiatement et de façon impérative vers le médecin du travail tout en vous accompagnant de façon particulièrement suivie.

Là-encore, nous nous réservons d'apporter toute la contradiction voulue à ce sujet mais sans manquer de rappeler qu'à cette époque vous avez vécu sur un plan personnel des évènements pour le moins troublants qui n'ont pas manqué de vous déstabiliser : nous n'avons pas manqué pour notre part de vous accompagner dans toutes les démarches voulues, y compris pour déposer plainte eu égard à la gravité et à la récurrence des évènements.

Nous pensons au contraire avoir respecté, et au-delà, les préconisations du Médecin du travail que nous avions pris soin de solliciter au préalable comme en témoigne les échanges intervenus à l'époque.

Mais surtout, s'agissant des photographies auxquelles vous avez cru devoir faire allusion, outre que nous en ignorons le contenu et les conditions dans lesquelles elles ont pu être prises, cela nous pose sérieusement question en termes d'intention puisque nous rappelons que vous êtes un ancien membre du CHSCT et qu'en conséquence, mieux que personne, vous savez que tous les EPI voulus sont à disposition avec formations, consignes et instructions adaptées.

Nous nous interrogeons d'ailleurs sur un tel comportement qui apparaît contraire aux consignes données et rappelées ainsi qu'aux dispositions de l'article L4122-1 du code du travail qui dispose que chaque salarié est tenu de prendre soin de sa santé, de sa sécurité et de celle des tiers.

En tout état de cause, nous sommes surtout étonnés qu'à aucun moment en votre qualité d'ex-membre du CHSCT vous soyez venu nous alerter vous concernant ou que pour le moins vous ayez engagé une démarche préalable permettant certainement de solutionner les difficultés que vous prétendez avoir rencontrées à ce sujet.

Il y a là-encore une suspicion que nous ne pouvons accepter.

Nous ne pouvons pas plus accepter de lire que votre hiérarchie vous aurait abandonné alors au contraire que vous ne l'avez pas sollicité et que vos conseils font allusion à « de graves défaillances de la société SUEZ et des manquements graves à différentes obligations en matière de sécurité et de santé ' » !

Vous allez même jusqu'à faire écrire que «nos clients se sentent en danger et pensent à juste titre que leur vie est plus précieuse que leur emploi et qu'elle ne mérite pas d'être sacrifiée sous cet autel».

Vous comprendrez qu'une telle accusation, par sa gravité, est de nature à nous interroger sur la réalité de vos intentions en l'absence de toute démarche préalable de notre part et de toute alerte y compris des organes représentants le personnel tant sur le plan de la santé que de la sécurité.

La-encore, de telles accusations ou suspicions ne sont pas acceptables et certainement pas de nature à nous permettre d'envisager la poursuite de votre contrat de travail étant rappelé, au demeurant que vous n'avez pas hésité à mettre en cause personnellement des membres de notre entreprise qui n'ont pas manqué d'être profondément choqués et déstabilisés par ce procédé, ce qui n'est pas plus admissible.

En conséquence, nous vous notifions par la présents votre licenciement immédiat pour faute grave lequel prend donc effet à la date d'envoi du présent courrier, sans préavis ni indemnité.

La période de mise à pied ne vous sera pas rémunérée (...)»

A la date du licenciement, M. P. avait une ancienneté de 13 ans.

La société SUEZ RV BIOENERGIES occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Par jugement du 20 juin 2018 le conseil de prud'hommes de Soissons a rendu la décision suivante :

«PRONONCE la résiliation du contrat de travail liant Monsieur Jérôme P. à la Société SUEZ RV BIOENERGIES, aux torts de cette dernière.

CONDAMNE la Société SUEZ RV, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Monsieur Jérôme P. les sommes suivantes :

- 8.559,27 € brut, à titre de préavis,

- 855,92 € brut, à titre des congés' payés aux préavis,

- 13.789,93 € brut, à titre d'indemnité de licenciement,

- 51.355,62 €, à titre de dommages et intérêts pour rupture imputable à l'employeur.

DÉBOUTE Monsieur Jérôme P. de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité par l'employeur.

CONDAMNE la société SUEZ RV, prise en la personne de son représentant légal, aux entiers dépens, et à payer à monsieur Jérôme P. une indemnité de 2.000,00 €, au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

DIT n'y avoir lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement.»

La société SUEZ RV BIOENERGIES a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 4 juillet 2018.

La constitution d'intimée de M. P. a été transmise par voie électronique le 18 juillet 2018.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 11 décembre 2019.

L'affaire a été appelée à l'audience du 14 janvier 2020 et renvoyée à l'audience du 19 janvier 2021 à la demande des conseils des parties du fait du mouvement national de grève des avocats.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 25 février 2019, la société SUEZ RV BIOENERGIES demande à la cour de :

« Dire et Juger que la société SUEZ RV BIOENERGIES n'est à l'origine et responsable d'aucun manquement susceptible de justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail de Monsieur P. aux torts de l'employeur,

Débouter en conséquence Monsieur P. de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

Dire et Juger que le licenciement de Monsieur P. est dépourvu de toute nullité et qu'il repose bien sur une faute grave et à fortiori sur une cause réelle et sérieuse,

Débouter en conséquence Monsieur P. de l'intégralité de ses demandes qui en tant que telles apparaissent totalement injustifiées et non fondées,

Dire et Juger que la société SUEZ RV BIOENERGIES n'est à l'origine d'aucun manquement avéré, démontré et justifié concernant une prétendue violation de l'employeur de son obligation de sécurité de résultat et une mise en danger de la vie du salarié concernant Monsieur P.,

Dire et Juger qu'au contraire Monsieur P. ne rapporte nullement la preuve qui lui incombe d'un quelconque élément à ce sujet en lien de causalité avec un préjudice avéré et justifié,

En conséquence, débouter Monsieur P. de sa demande de dommages et intérêts totalement injustifiée et non fondée en tant que telle,

Condamner Monsieur P. à verser à la société SUEZ RV BIOENERGIES une indemnité de 5 000 € par application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

Condamner Monsieur P. aux entiers dépens. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 3 décembre 2018, M. P. demande à la cour de :

« CONFIRMER la décision entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a débouté Monsieur P. de sa demande de dommages et intérêts au titre d'une violation de l'obligation de sécurité et de résultat et de la mise en danger de sa vie.

Statuant à nouveau,

CONDAMNER la société SUEZ RV BIOENERGIES à payer à Monsieur P. la somme de 300.000 € à ce titre.

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la Cour infirmerait la décision,

Statuant à nouveau, il lui est demandé de :

DIRE ET JUGER que le licenciement est nul,

En conséquence,

CONDAMNER la Société SUEZ RV au paiement des sommes suivantes avec intérêts à compter de la demande :

Préavis : 8 559,27 € brut,

Congés payés sur préavis : 855,92 € brut,

Indemnité de licenciement : 13 789,93 € brut,

Salaire pendant la mise à pied : 2013 € brut,

Congés payés sur mise à pied : 201 € brut,

Dommages et intérêts pour rupture imputable à l'employeur : 51 355,62 €,

Dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et manquements de l'employeur: 300 000 €,

En tout état de cause,

DIRE ET JUGER que le licenciement ne repose sur aucune cause réelle ni sérieuse,

En conséquence,

CONDAMNER la Société SUEZ RV au paiement des sommes suivantes avec intérêts à compter de la demande :

Préavis : 8 559,27 € brut,

Congés payés sur préavis : 855,27 € brut,

Indemnité de licenciement : 13 789,93 € brut,

Salaire pendant la mise à pied : 2013 € brut,

Congés payés sur mise à pied : 201€ brut,

Dommages et intérêts pour rupture imputable à l'employeur : 51 355,93 €,

Dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et manquements de l'employeur: 300 000 €,

DEBOUTER la Société SUEZ RV BIOENERGIES de sa demande reconventionnelle au titre de ses frais irrépétibles,

CONDAMNER la Société SUEZ RV BIOENERGIES à payer à Monsieur P. la somme de 4.000 € en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

LA CONDAMNER aux entiers dépens. »

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 30 mars 2021 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS :

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur la résiliation judiciaire :

La voie de la résiliation judiciaire est ouverte au seul salarié et produit, lorsqu'elle est accueillie, tous les effets attachés à un licenciement prononcé sans cause réelle et sérieuse.

Lorsque les manquements de l'employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtu une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie, avec effet à la date de la décision la prononçant, lorsqu'à cette date le contrat de travail est toujours en cours.

Lorsqu'en cours d'instance de résiliation judiciaire le contrat de travail a été rompu, notamment par l'effet d'un licenciement, la date d'effet de la résiliation doit être fixée à la date de rupture effective du contrat, c'est à dire dans l'hypothèse considérée à la date du licenciement.

En cas d'action en résiliation judiciaire suivie en cours d'instance d'un licenciement, l'examen de la résiliation judiciaire revêt un caractère préalable, dans la mesure où si la résiliation du contrat est prononcée, le licenciement ultérieurement notifié par l'employeur se trouve privé d'effet ; l'examen de la légitimité du licenciement n'a donc lieu d'être opéré qu'en cas de rejet de la demande de résiliation judiciaire.

En l'espèce, le contrat n'était pas encore rompu lorsque M. P. a introduit judiciairement sa demande de résiliation judiciaire.

A l'appui de sa demande de résiliation judiciaire, M. P. invoque des instructions hiérarchiques pour le moins troublantes pour contourner les calculs permettant les seuils de valorisation rendant éligible à la prime d'efficacité énergétique, conduisant à détourner les procédures au détriment d'EDF, et également afin d'obtenir l'abattement prévu sur la TGAP par l'article 266 nonies du code des douanes, ainsi qu'une violation de l'obligation de sécurité de résultat par son exposition à des matières extrêmement nocives pour sa santé.

Il appartient au salarié qui s'en prévaut de rapporter l'existence des manquements.

A titre liminaire, il serait exposé que dans ses différents sites, la société SUEZ RV BIOENERGIES traite, valorise et élimine essentiellement les déchets, soit pour le compte des collectivités publiques, soit pour des industriels ou autres collectivités. De façon non résiduelle, elle opère ce traitement pour ses propres filiales. Les sites sont des installations classées, soumises à autorisation préfectorale et placées sous la tutelle et le contrôle de l'état via la DREAL, des douanes pour la TGAP et du bureau VERITAS mandaté par EDF.

Sur le premier manquement relatif aux consignes troublantes concernant la cogénération :

Le principe de cogénération est appliqué dès lors qu'en plus de l'énergie électrique produite par le moteur de valorisation du biogaz, l'exploitant récupère la chaleur dégagée par ce moteur. La cogénération est encadrée par un contrat signé avec EDF. En plus du rachat de l'énergie électrique, EDF propose une prime de cogénération ou prime d'efficacité énergétique dont le montant varie en fonction de l'efficacité énergétique calculée.

M. P. soutient que son employeur a donné des instructions visant à détourner des procédures pour réaliser les taux de 75 % de valorisation énergétique nécessaire à l'obtention de la prime d'efficacité énergétique allouée par EDF, ce qui constitue une fraude.

A l'appui de ce grief, M. P. produit :

- un mail du 3 février 2017 de M. F. (directeur exploitation et maintenance) contenant l'instruction de « Je confirme. By passer aéro si possible. Surplus de gaz sur torchère » pour le site d'Allemant (pièce salarié n° 6)

- des photos de compteurs déplombés (pièces salarié n° 7 à 9)

- des mails d'EDF en aout 2016 relevant des anomalies sur les appareils (débitmètres gaz, capteurs de pression absolue, capteur de température) permettant les relevés EDF relevant « les matériels ainsi vérifiés ne correspondent pas au matériels posés sur site à l'origine de l'avenant » (pièce salarié n° 10)

Cependant la cour retient que la société SUEZ RV BIOENERGIES énonce à juste titre que le courrier électronique du 3 février 2017 fait en réalité chronologiquement suite à une demande de M. J., formulée dans un courrier électronique du même jour, que ce courrier électronique n'est pas une instruction de fraude mais évoque la possibilité de la manœuvre (dite by pass) comme cela ressort de l'expression « si possible » et que seul le commentaire postérieur et unilatéral de M. P. lui confère un caractère suspect, que l'entreprise justifie sans être contredite que cette disposition ne constitue pas en elle-même une irrégularité (le valorix ne rentrant pas dans le calcul de la cogénération), empêchant notamment le contrôle par les organismes mandatés (le bureau VERITAS) et que la conformité de l'installation de ce site a été contrôlée le 3 mai 2017 par le bureau VERITAS (pièce employeur n° 2-3-2).

En ce qui concerne les trois photos que M. P. produit et qui démontreraient que des compteurs ont été déplombés, la cour relève en premier lieu que ces photographies ne sont pas datées ni rapportables à un lieu particulier, et qu'elles sont donc dépourvues en soi de valeur probante ; la société SUEZ RV BIOENERGIES les relie de surcroît sans être contredite sur ce point, à un contrôle effectué en janvier 2017 par un technicien FUJI qui a dû déplombé les compteurs. Ces faits sont attestés par le prestataire FUJI (pièce employeur n° 2-1) dont l'attestation est corroborée par plusieurs éléments de preuve objectifs (pièces employeur n° 2-2 et 2-3-1 à 2-3-4).

En ce qui concerne les difficultés de contrôle rencontrées par EDF du fait de l'absence des certificats de vérification des appareils FUJI tel qu'il ressort des échanges de courriels en août et septembre 2016, la cour retient que la société SUEZ RV BIOENERGIES, qui conteste une quelconque fraude, établit qu'il s'agissait d'une erreur matérielle du prestataire FUJI entre deux clients, et que cette erreur a été rectifiée, ce qui a conduit à la validation du calcul de la prime énergétique par EDF comme cela ressort du courrier électronique du 22 septembre 2016 (pièces employeur n° 2-3-5 à 2-3-8).

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que M. P. ne rapporte pas la preuve des faits allégués au titre des consignes de fraude s'agissant de la prime d'efficacité énergétique allouée par EDF.

Sur le deuxième manquement relatif aux calculs de la TGAP :

Les installations de traitement des déchets non dangereux sont assujetties à une taxe appliquée sur les tonnages entrant. Cette taxe est susceptible d'être réduite si la valorisation énergétique du biogaz produit est supérieure à 75% du biogaz capté. Le taux de valorisation se calcule de la façon suivante : quantité de biogaz utilisé / quantité du biogaz capté = taux de valorisation. Les dispositifs de comptage sont différents pour le biogaz utilisé et le biogaz capté et sont encadrés par une circulaire des douanes et contrôlés par les services de l'état.

M. P. soutient que la société SUEZ RV BIOENERGIES contourne les règles de l'abattement et donne des instructions pour fausser les calculs.

M. P. produit comme élément de preuve un mail de M. C. en date du 11 septembre 2015 dont l'objet est « URGENT vapotherme Villoncourt » indiquant « (...)pouvez vous nous retirer 24.151 M3 de biogaz du compteur de torchère dans le vapotherme ' (...) » (pièce salarié n° 13).

Cependant, la cour retient que ce courrier électronique unique de M. C., dont la société SUEZ RV BIOENERGIES conteste sans être contredite qu'il fasse partie de ses effectifs, concerne l'unité Villoncourt qui n'est pas un des sites sur lesquels M. P. intervient. Ce courrier électronique, ancien, est donc étranger à la relation de travail entre la société SUEZ RV BIOENERGIES et M. P. et ne suffit donc pas à établir un manquement à l'égard de M. P..

M. P. produit aussi une copie d'écran montrant un SMS de M. F. du 23 décembre (année inconnue) à 17h46 indiquant « pense à remettre les compteurs TGAP en marche ils sont disjoncter bravo pour la remise en route....» pour se prévaloir d'instructions qui lui ont été données et qui laissent entendre que les calculs relatifs la TGAP sont faussés (pièce salarié n° 14).

La cour retient que ce moyen est cependant utilement contredit par la société SUEZ RV BIOENERGIES qui soutient que cette pièce est tronquée et établit que ce SMS était destiné à M. B. ; ce salarié était intervenu sur le site à la suite d'un incident technique durant lesquels les coffrets d'alimentation des compteurs TGAP avaient disjonctés, et avait prévenu M. F. de la régularisation de la situation (pièce employeur n° 4-3-1).

Cette pièce 14 produite par M. P. ne prouve donc pas que des instructions de fraude lui ont été données.

Il s'en déduit que M. P. ne rapporte pas la preuve du manquement invoqué.

Les deux mails d'explication et de commentaires adressés par M. P. à son conseil le 6 et octobre 2017, non exploités dans les écritures et la coupure de presse sont sans effet à établir les manquements invoqués au titre des consignes de fraude.

Sur le troisième manquement relatif à l'obligation de sécurité de résultat :

M. P. soutient enfin que son employeur a manqué à son obligation de sécurité de résultat, en invoquant son burn-out et le fait qu'il a été exposé à des matières nocives (pièce salarié n° 15).

En défense, la société SUEZ RV BIOENERGIES soutient que M. P. a toujours été déclaré apte, sans aucune réserve ni la moindre alerte, avant d'être placé en simple arrêt maladie du 18 janvier au 6 février 2016 (pièces employeur n°1-8-1), que par suite de cet arrêt maladie, c'est justement l'employeur et sa hiérarchie qui prendront l'initiative de le faire arrêter vu son état personnel et de l'accompagner de façon positive et constructive, que M. P. ne justifie d'aucun lien entre son état personnel et son travail, que l'évènement remonte à plus d'une année et qu'au moment où il saisit le conseil de sa demande, de son propre aveu, il se sent bien dans son travail et ne demande qu'à passer d'un mi-temps thérapeutique à 80 %, la situation étant pleinement stabilisée dans un strict respect (et voir bien au-delà) des prescriptions du médecin du travail.

En application de l'article L 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu à l'égard du salarié d'une obligation de sécurité de résultat qui lui impose de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale des travailleurs.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que le lien de causalité entre le burn-out de M. P. et les conditions d'exercice de son emploi n'est pas établi ; en effet il est établi que M. P. a fait l'objet du suivi médical régulier imposé par la loi et en particulier a été régulièrement déclaré apte à son emploi ; si un autre salarié (M. J.) s'est inquiété de l'exposition aux métaux lourds lors de l'entretien infirmier du 22 avril 2015, il doit être constaté que dans le même entretien, M. J. rapporte se sentir bien au travail et jouir des équipements de sécurité adaptés ; cette interrogation, ancienne et non suivie d'effet, ne peut donc caractériser un manquement ; la société SUEZ RV BIOENERGIES justifie pour sa part des consignes, procédures, formations, habilitations et équipements fournis à M. P. ainsi que de la remise du guide des risques professionnels au mois de janvier 2016 (pièces employeur n° 5-2 et 6) ; les analyses produites en date d'avril 2017, réalisées avec l'accord de la hiérarchie, résultent de prélèvement effectuées en février et mars 2017 à l'occasion d'une opération ponctuelle de nettoyage par hydrocarburage des échangeurs de fumée par un sous-traitant et ne sont pas relatifs à l'exposition dans le cadre du fonctionnement habituel de l'installation (pièces employeur n° 5-2-1 à 5-2-3) ; en outre, l'employeur établit que différents EPI adaptés étaient mis à disposition des intervenants (pièce employeur n° 5-2-4 et 5-2-5) et produit un rapport de contrôle de l'exposition des travailleurs aux agents chimiques dangereux du site incriminé d'Allemant réalisé le 17 et 18 août 2017 traduisant des résultats inférieurs aux limites d'exposition (pièce employeur n° 5-2-20).

Le manquement relatif à la violation de l'obligation de sécurité n'est pas établi.

En conséquence, le salarié ne rapporte pas la preuve des manquements invoqués à l'appui de la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de son employeur.

Par suite, la cour déboute M. P. de sa demande de résiliation judiciaire.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat de travail de M. P. aux torts de la société SUEZ RV BIOENERGIES, et statuant à nouveau de ce chef, la cour déboute M. P. de sa demande de résiliation judiciaire.

Sur la nullité du licenciement :

M. P. conteste la validité de son licenciement en invoquant l'application à son profit du statut protecteur du lanceur d'alerte, sur le fondement de l'article 10 paragraphe 1 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et de liberté fondamentales relative à la liberté d'expression et l'article L.1351-1 du code de la santé publique relative à la protection des salariés licenciés pour avoir de bonne foi relaté ou témoigné soit à son employeur, soit aux autorités judiciaires ou administrative des faits relatifs au risque grave pour la santé publique ou pour l'environnement dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. Il soutient que le licenciement prononcé en raison de ce statut est nul.

L'article L. 1132-3-3 du code du travail applicable à l'espèce dispose :

«Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions.

Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation professionnelle, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

En cas de litige relatif à l'application des premier et deuxième alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.»

L'article L. 1132-4 dispose que tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions du présent chapitre (relatif au principe de non-discrimination) est nul.

Le licenciement d'un salarié qui relate, de bonne foi, des faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions, est donc nul.

Le licenciement pour faute grave de M. P. est fondé sur le courrier du 31 mars 2017 que les conseils de M. P. et de M. J. ont adressé au directeur général, au directeur des relations humaines, au directeur exploitation et maintenance et au directeur travaux et services de la société SUEZ RV BIOENERGIES pour dénoncer des dysfonctionnements relevant du droit du travail (manquement à l'obligation de sécurité) et de l'environnement (fraudes relatives à la prime d'efficacité énergétique liée à la cogénération et à la TGAP).

M. P. soutient qu'il a ainsi été licencié pour avoir alerté son employeur sur des fraudes relatives à la prime d'efficacité énergétique liée à la cogénération et à la TGAP.

M. P. présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'il a relaté de bonne foi de faits constitutifs de délits et il incombe à la société SUEZ RV BIOENERGIES, au vu des éléments, de prouver que sa décision de le licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à ses déclarations.

En défense, la société SUEZ RV BIOENERGIES soutient qu'elle a licencié M. P. au motif qu'il n'est pas de bonne foi dans sa relation des faits et que le procédé mis en jeu constitue du chantage.

Il sera rappelé que la bonne foi ne requiert pas que les faits dénoncés soient par la suite établis mais qu'ils aient été rapportés avec honnêteté et loyauté et hors de toute intention malveillante. La condition de bonne foi relève de l'appréciation souveraine des juges du fond.

En l'espèce, la cour observe que les faits ont été dénoncés en la forme officielle d'un unique courrier des deux conseils de M. P. adressé à la société SUEZ RV BIOENERGIES et au directeur général, au directeur des relations humaines, au directeur exploitation et maintenance et au directeur travaux et services de la société SUEZ RV BIOENERGIES, sans démarche préalable notamment auprès des instances de représentation du personnel existantes dans l'entreprise ou encore des autorités judiciaires ou administratives compétentes, à savoir la médecine du travail, l'inspection du travail ou les services de l'état, autorités de tutelle, ce malgré la gravité des faits allégués.

La cour observe aussi le ton comminatoire de ce courrier et que son seul but, éloigné de l'intérêt général ou de celui de l'entreprise, est de négocier le départ de M. P. et d'obtenir pour lui des indemnités substantielles, comme pour M. J..

Enfin et surtout, à l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que M. P. a présenté les faits et les éléments de preuve qu'il a invoqués (pièces salarié n° 6 à 10, 13 et 14) en ne les replaçant pas dans leur contexte, à dessein de les présenter comme des instructions de frauder, à l'instar des courriers électroniques ou SMS de M. F. (pièces salarié n° 13 et 14), les a tronqués comme le SMS composant la pièce n° 14 en le produisant sans ceux qui l'entourent (pièce employeur n° 4-3-2) et a ainsi dénaturé les faits pour leur donner l'apparence d'une fraude comme il l'a fait pour les compteur déplombés qui, en réalité ont été photographiés lors d'une intervention technique à l'insu du technicien intervenant en toute régularité (pièce employeur n° 2-3-3).

La cour retient que ce traitement des faits et des éléments de preuve, partial, biaisé et délibérément trompeur, est exclusif de toute bonne foi.

Il ressort donc des circonstances de l'espèce, que la dénonciation des faits par la lettre du 31 mars 2017 n'est pas intervenue de bonne foi ni de manière désintéressée.

Les faits invoqués par M. P. et les éléments de preuve qu'il produit ont en effet été sortis de leur contexte, présentés de façon biaisée, et instrumentalisés à dessein, à des fins lucratives.

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que la société SUEZ RV BIOENERGIES démontre que M. P. a relaté de mauvaise foi des faits trompeusement présentés comme des fraudes susceptibles de caractériser des délits.

Les demandes relatives à la nullité du licenciement doivent par conséquent être rejetées.

Sur le bien-fondé du licenciement :

Il ressort de l'article L. 1235-1 du Code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste il profite au salarié.

Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère.

Si un doute subsiste sur la gravité de la faute reprochée, il doit profiter au salarié.

Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que M. P. a été licencié pour faute grave pour avoir fait adresser à son employeur une lettre d'avocat le 31 mars 2017 contenant des accusations mensongères portées contre l'employeur et des personnes physiques à dessein d'obtenir un départ négocié, avantageusement indemnisé, ce qui s'assimile à du chantage.

En l'espèce, la lettre du 31 mars 2017, qui allègue des instructions de fraude de la part de la hiérarchie, des manquements importants dans l'exécution du contrat de travail, notamment dans le domaine de la santé et de la sécurité, en invoquant des faits graves et précis, se clos en les termes suivants « en conclusion , les dysfonctionnements portés à notre connaissance, qu'ils soient environnementaux ou relevant du droit du travail, nous conduisent à vous solliciter afin de négocier la rupture du contrat de travail de nos clients. Messieurs Jérôme P. et Mathieu J. accepteraient de quitter la société Suez en contrepartie d'une transaction, moyennant l'allocation, pour chacun de la somme de 340 000 euros nets à titre de dommages et intérêts, à laquelle il conviendra bien évidemment d'ajouter leurs indemnités de rupture.

Nous vous saurions gré de bien vouloir nous apporter une réponse dans un délai de 15 jours, soit le au 14 avril prochain.

Nous sommes à votre disposition pour venir vous rencontrer mais à défaut d'accord, nous reprendrons notre liberté d'action, ayant été mandaté pour le faire ».

Il ressort de ces termes que le but affiché de ce courrier d'avocat est un départ négocié, pour lequel le salarié utilise une forme de chantage, puisqu'il invoque des faits frauduleux non pour les dénoncer dans le souci du bien collectif ou de l'entreprise mais dans son intérêt personnel.

La cour retient ainsi que cette démarche se distingue du lancement d'une alerte qui est désintéressée.

En outre, la cour a retenu, en ce qui concerne les accusations de fraude, que le traitement des faits et des éléments de preuve, partial, biaisé et délibérément trompeur, était exclusif de toute bonne foi de la part de M. P..

Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que la démarche ainsi entreprise par M. P. pour obtenir un départ négocié et des indemnités importantes caractérise des agissements déloyaux à l'égard de la société SUEZ RV BIOENERGIES et que cette faute est telle qu'elle imposait le départ immédiat de M. P., le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.

Dans ces conditions, et sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens la cour retient que le licenciement pour faute grave de M. P. est justifié et ses demandes relatives aux dommages et intérêts pour rupture imputable à l'employeur et aux indemnités de rupture seront donc rejetées.

Sur les manquements et violation par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat et mise en danger de la vie d'autrui :

M. P. sollicite la réformation du jugement qui l'a débouté et l'allocation d'une somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Les manquements invoqués et les faits allégués ont été précédemment examinés à l'occasion des développements sur la résiliation judiciaire.

A l'appui de la présente demande, M. P. n'invoque pas de nouveaux faits ou moyens.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté M. P. de ses demandes de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et pour manquement.

Sur les autres demandes :

Le jugement déféré est infirmé en ce qui concerne les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Pour l'ensemble de la procédure, M. P. sera condamné aux dépens et à payer à la société SUEZ RV BIOENERGIES la somme de 2.500 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil des prud'hommes de Soissons en date du 20 juin 2018, sauf en ce qu'il a débouté M. P. de sa demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,

Le réforme pour le surplus,

Statuant de nouveau des chefs réformés,

Rejette les demandes de M. P. au titre d'une résiliation judiciaire du contrat de travail, d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

Pour l'ensemble de la procédure,

Condamne M. P. à la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. P. aux entiers dépens.