CA Toulouse, 3e ch., 8 mars 2018, n° 17/05082
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beneix-Bacher
Conseillers :
M. Beauclair, M. Blanque-Jean
FAITS
Dans un litige opposant M. C. et M. et Mme G. à la SAS G. en raison de nuisances olfactives et sonores du fait de l'exploitation par cette dernière d'un poulailler industriel, la cour d'appel de Toulouse réformant une ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Castres a suivant arrêt du 30 mars 2017, désigné M. R. en qualité d'expert.
Par ordonnance en date du 13 octobre 2017, le Président du tribunal de grande instance de Castres en sa qualité de juge chargé du contrôle des expertises a rejeté la demande en récusation de l'expert mais a procédé à son remplacement après l'avoir préalablement entendu et a désigné Mme Marie D. à charge d'exécuter la mission définie par la cour d'appel dans son arrêt du 30 mars 2017.
M. C. et M. et Mme G. ont interjeté appel de cette ordonnance dans sa disposition relative au remplacement de l'expert.
Le 26 octobre 2017 le greffe a avisé l'intimée la SAS G., de la déclaration d'appel en application de l'article 902 du code de procédure civile.
Suivant avis du 21 novembre 2017, l'affaire a été fixée à bref délai et, considérant l'urgence dès lors que les opérations d'expertise avaient déjà débuté, les délais pour conclure des articles 905-1 et 905-2 ont été réduits.
L'ordonnance de clôture a été rendue le jour des plaidoiries le 5 février 2018 .
MOYENS et PRETENTIONS des PARTIES
M. C. et M. et Mme G. dans leurs dernières écritures en date du 2 février 2018 demandent à la cour au visa des articles 235 du code de procédure civile, 6 et suivants de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, 122-9 du Code pénal, L 2212-1 et L 2212-2 du code général des collectivités territoriales, de réformer l'ordonnance dont appel, et, statuant à nouveau':
- débouter la société G. de sa demande de révocation de l'expert,
- la condamner à payer aux concluants la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens dont distraction au profit de leur avocat.
Ils exposent que':
- l'expert a reconnu s'être entretenu avec le maire du village des émanations provenant de l'installation de la SAS G. et notamment avoir suspecté eu égard aux effets ressentis (irritation de la gorge, envie de vomir) la présence d' ammoniac. S'agissant d'un gaz très dangereux pour la santé humaine, le signalement de cette situation au maire du village qui est l'autorité dotée d'un pouvoir de police municipale chargée d'assurer la salubrité publique et de prendre toute précaution pour faire cesser une pollution, s'analyse comme une alerte au sens des articles 6 et 8 de la loi du 9 décembre 2016 permettant à l'expert d'être délié du secret professionnel conformément à l'article 122-9 du code pénal,
- de sorte que l'article 235 du code de procédure civile sur lequel le juge du contrôle des expertises s'est fondé n'est pas applicable à l'espèce, aucun manquement au devoir de confidentialité, d'impartialité et d'objectivité ne pouvant lui être reproché.
Ils précisent également que :
- dans sa note de synthèse, l'expert a rappelé avoir expliqué sa méthode d'investigation dès le début des opérations d'expertise. Il indique qu'il entendra divers sachants ainsi que le maire de Lescout et/des élus de la communauté de communes considérant qu'il est «'important de ne pas limiter ses investigations aux seules propriétés des demandeurs afin d'avoir une image plus globale et plus réaliste de la situation'». Il a donc investigué dans un rayon d'un km autour de l'exploitation G., ses venues sur site devant être aléatoires et sans préalable,
- il a constaté par lui même pour avoir été victime d'irritation de la gorge et de nausées à proximité de l'exploitation de la présence de fortes odeurs s'apparentant à des émanations d'ammoniac soit un gaz particulièrement dangereux,
- le maire lui a confirmé que des administrés s'étaient plaints de ces mêmes phénomènes voire d'irritations oculaires notamment à proximité de l'école,
- il l'a alors avisé de ses soupçons quant à la présence d'ammoniac et de méthane et qu'il faisait procéder à des analyses afin de vérification et traçage ce qui en cas de confirmation le conduirait à saisir les autorités sanitaires,
- les constatations de l'expert suffisaient donc à alerter les autorités compétentes pour qu'elles prennent le cas échéant toute mesure adéquate'; de sorte qu'il était délié du secret professionnel,
- aux termes de l'article 242 le défaut d'identification des personnes entendues par l'expert ne constitue une cause de nullité que sur démonstration d'un grief ce qui n'est pas le cas en l'espèce et qui ne peut en tout état de cause justifier le remplacement de l'expert,
- le fait de s'être engagé politiquement il y a 20 ans sous une étiquette écologique ne constitue pas un manquement à l'impartialité qui, au demeurant s'apprécie in concreto.
La SAS G. dans ses dernières écritures en date du 21 décembre 2017 demande à la cour de confirmer l'ordonnance et condamner les appelants à lui verser la somme de 4000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que':
- depuis 2009 elle exploite avec autorisation administrative, un poulailler industriel comprenant deux bâtiments l'un pour la ponte, le stockage et des bureaux et l'autre pour le traitement des fientes en engrais,
- les premières constatations de l'expert sont très contestables': un contrôle inopiné du 14 avril 2015 de la DSV du Tarn n'a révélé aucun dysfonctionnement sanitaire mais seulement la nécessité de planter une haie de 40 m de large dont 20m sont actuellement réalisés, un nouveau contrôle inopiné ICPE le 11 mai 2017 effectué par la DSV a conclu à la conformité de l'établissement'; les affirmations sur la dangerosité du site sont donc infondées et ne reposent que sur des éléments subjectifs et non vérifiables,
- l'expert a communiqué ses constatations infondées au maire du village qui s'en est emparé pour rendre une décision administrative de nature à nuire aux intérêts d'une société soeur de la SAS G.';
- ce faisant il a manqué à son obligation de confidentialité et trahi le secret professionnel auquel il est tenu, ce qui a justifié deux plaintes au pénal, et qui est constitutif d'un manquement aux articles 244 et 247 du code de procédure civile,
- s'il considérait qu'il y avait un danger il devait tout d'abord en informer les parties et le magistrat,
- il n'est pas un lanceur d'alerte et d'ailleurs ne revendique pas ce titre d'autant que les faits ne correspondent pas à la définition de la loi du 9 décembre 2016':
* il ne peut en aucun cas s'agir d'une personne totalement tierce à l'entreprise ou au service du public sans aucun lien contractuel que ce soit dans le cadre d'un contrat de travail ou d'un contrat de prestation de service';
* il doit être désintéressé ce qui n'est pas le cas de M. R. qui est engagé dans un mouvement politique écologiste inamical';
* il doit justifier d'une menace grave ou d'un préjudice grave pour l'intérêt général'; or rien n'est scientifiquement démontré,
- en interrogeant les voisins, l'expert a répondu à des questions hors sa mission et sans l'accord des deux parties, manquant ainsi à l'article 238,
- ce faisant il a manqué au devoir d'objectivité et d'impartialité'des articles 237 et 242 en ne nommant pas les tiers qu'il a interrogés pour confirmer les nuisances olfactives qu'il avait constatées,
- l'expert a manqué à son obligation d'impartialité considérant ses engagements dans un mouvement politique écologiste soutenant une association contre les élevages industriels (il a donc violé le secret professionnel pour des raisons militantes),
- la demande de remplacement est justifiée (235al2).
MOTIVATION
En vertu de l'article 235 du code de procédure civile, si la récusation est admise, si le technicien refuse la mission, ou s'il existe un empêchement légitime, il est pourvu au remplacement du technicien par le juge qui l'a commis ou par le juge chargé du contrôle.
Le juge peut également, à la demande des parties ou d'office, remplacer le technicien qui manquerait à ses devoirs, après avoir provoqué ses explications.
Il est invoqué les manquements de l'expert à son obligation de confidentialité des articles 244 et, 247 du code de procédure civile, à son obligation d'objectivité et d'impartialité des articles 237 et 242 et à son obligation de limiter sa mission aux seules questions visées par le juge dans sa mission telle que prévu par l'article 238 du même code.
La gravité d'un seul de ces manquements et ses conséquences sur la poursuite des opérations d'expertise et la solution du litige suffit à justifier le remplacement de l'expert.
Aux termes de l'article 237 du code de procédure civile':
«'Le technicien commis doit accomplir sa mission avec conscience, objectivité et impartialité'».
Et, l'article 247 dispose':
«'L'avis du technicien dont la divulgation porterait atteinte à l'intimité de la vie privée ou à tout autre intérêt légitime ne peut être utilisé en dehors de l'instance si ce n'est sur autorisation du juge ou avec le consentement de la partie intéressée».
La SAS G. soutient que l'expert a diffusé au maire de la commune les conclusions de son pré-rapport du 7 juillet 2017. Or, la preuve qui n'en était pas rapportée en première instance ne l'est pas plus en cause d'appel.
En effet, une telle communication ne ressort pas de la lecture de l'ordonnance du Tribunal administratif de Toulouse du 6 novembre 2017 qui a suspendu l'exécution de l'arrêté municipal du 10 juillet 2017 ayant refusé le permis de construire sollicité par une société tierce au présent litige. Parmi les motifs de la décision, il est indiqué que la commune invoquait notamment l'article R 111-2 du code de l'urbanisme en raison «'des troubles de voisinage déjà existants et des risques d'aggravation engendrés par le projet'». Il n'est nullement visé les premiers constats de l'expert. Et le juge administratif a retenu l'absence de tout risque avéré d'atteinte aux intérêts visés par ce texte, ce qui démontre qu'il n'a été rien révélé au juge administratif des conclusions de l'expertise judiciaire.
Par ailleurs, l'expert n'a jamais écrit ni reconnu devant le juge qu'il avait communiqué son pré-rapport au maire de la commune. Seule Mme G. a reconnu cette communication. En tout état de cause, elle n'a pas été utilisée par la commune pour justifier la décision de refus du permis de construire.
L'article 244 du code de procédure civile dispose':
«'Le technicien doit faire connaître dans son avis toutes les informations qui apportent un éclaircissement sur les questions à examiner.
Il lui est interdit de révéler les autres informations dont il pourrait avoir connaissance à l'occasion de l'exécution de sa mission.
Il ne peut faire état que des informations légitimement recueillies.'»
L'expert a précisé dans sa note de synthèse du 7 juillet 2017 (page15) que ses premières constatations personnelles (fortes odeurs quelle que soit l'heure de la journée, en fonction des vents ou de la température de l'air, irritations des yeux, nausées) l'avaient conduit à suspecter l'existence d'émanations d'ammoniac (NH3) et qu'il s'en était ouvert auprès du maire de la commune. Ce dernier lui avait alors confirmé les désagréments ressentis également par la population et révélé les plaintes à ce sujet de nombreux administrés.
L'expert a précisé au maire': «'nous expliquons au maire que si nos craintes venaient à être confirmées par des mesures techniques précises nous serions dans l'obligation d'avertir les autorités sanitaires de la situation. En effet, l'ammoniac est un gaz toxique et très irritant pour les muqueuses oculaires et respiratoires en raison de sa forte solubilité dans l'eau'».
Ainsi, à ce stade de ses opérations, l'expert n'avait pas la certitude de sa solution, des analyses devant être réalisées. Il n'avait donc aucune obligation d'alerter les services sanitaires et dès lors, il ne peut être considéré comme un lanceur d'alerte, ce qu'il ne revendique pas, ni être délié du secret professionnel.
En révélant à une autorité administrative, tiers au litige, de façon prématurée, une information non étayée recueillie à l'occasion de ses opérations d'expertise, et qui peut nuire à la réputation d'une partie au procès, l'expert a manqué à son devoir de confidentialité et d'objectivité auxquels il est tenu aux termes des articles 244 et 237 du code de procédure civile.
Pour ces seuls motifs, l'ordonnance du juge du contrôle de l'expertise qui a procédé au remplacement de M. R. doit être confirmée.
L'équité commande qu'il ne soit pas fait droit à la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
- Confirme l'ordonnance du juge du contrôle de l'expertise du tribunal de grande instance de Castres en date du 13 octobre 2017 en toutes ses dispositions,
- Condamne M. C. et M. et Mme G. aux dépens de l'instance,
- Déboute la SAS G. de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.