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Décisions

Cass. com., 1 juin 2023, n° 21-21.863

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteur :

Mme Ducloz

Avocats :

SARL Cabinet Rousseau et Tapie, SCP Alain Bénabent

Colmar, du 31 mai 2021

31 mai 2021

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 31 mai 2021) et les productions, l'association CIL du Rhin, absorbée par l'association CIL 1% Franche-Comté, devenue l'association Logilia, l'Association pour la promotion de l'habitat dans l'espace européen (l'Aphee) et l'association Medef Haut-Rhin (le Medef Haut-Rhin) étaient actionnaires de la Société mulhousienne des cités ouvrières, société anonyme d'habitations à loyer modéré (la société d'HLM Somco).

2. Le 30 juin 2005, ces actionnaires ont conclu un pacte d'actionnaires afin de constituer l'actionnaire de référence de la société d'HLM Somco, tel que le prévoit l'article L. 422-2-1 du code de la construction et de l'habitation. Ce pacte stipulait, au profit des signataires, un droit de préemption portant sur l'intégralité des actions de la société d'HLM Somco dont ils étaient ou pourraient être propriétaires.

3. Le 3 décembre 2010, le Medef Haut-Rhin a cédé à l'Aphee la totalité des actions qu'il détenait dans le capital de la société d'HLM Somco.

4. Le 22 mars 2011, l'Aphee et la ville de Mulhouse, également actionnaire de la société d'HLM Somco, ont conclu un pacte d'actionnaires afin de constituer le nouvel actionnaire de référence de la société. Le 21 octobre 2011, le ministre chargé de la construction et de l'habitation a, à la suite de la modification du capital social de la société d'HLM Somco et de la conclusion du nouveau pacte d'actionnaires, renouvelé l'agrément de cette société.

5. Soutenant que la cession à l'Aphee des actions que le Medef Haut-Rhin détenait dans le capital de la société d'HLM Somco était intervenue en violation de la clause de préemption stipulée dans le pacte d'actionnaires du 30 juin 2005, l'association Logilia, aux droits de laquelle vient la société Action logement immobilier, a assigné la société d'HLM Somco, l'Aphee et le Medef Haut-Rhin, aux droits de laquelle est venue l'association Medef Alsace, en nullité de cette cession. La société Néolia est intervenue volontairement à l'instance.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. La société Action logement immobilier et la société Néolia font grief à l'arrêt de dire que le pacte d'actionnaires du 30 juin 2005 est caduc, de confirmer, en conséquence, le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Mulhouse le 6 juin 2011 et de rejeter leurs demandes, alors « que le renouvellement de l'agrément ministériel d'une société anonyme d'habitations à loyer modéré, imposé par l'article L. 422-2-1, II, du code de la construction et de l'habitation en cas de rupture du pacte d'actionnaires ayant déterminé l'actionnaire de référence de la société ou en cas de modification de la composition du capital ayant un effet sur l'actionnaire de référence, n'a pas pour effet de priver d'objet la contestation relative à l'exécution d'un pacte d'actionnaires antérieur à celui transmis au ministre pour renouvellement de l'agrément ; qu'une telle contestation, si elle aboutit à la rupture de ce pacte ou à la modification de la composition du capital ayant un effet sur l'actionnaire de référence, oblige la société à solliciter le renouvellement de son agrément ; que, pour rejeter les demandes des exposantes tendant à voir juger que la cession, le 3 décembre 2010, à l'Aphee des actions de la société d'HLM Somco détenues par le Medef Haut-Rhin était intervenue en violation du droit de préemption stipulé dans un pacte d'actionnaires du 30 juin 2005, la cour d'appel a retenu que le ministre chargé de la construction et de l'habitation avait renouvelé le 21 octobre 2011 l'agrément de la société d'HLM Somco, au vu d'un dossier incluant notamment le procès-verbal de l'assemblée générale extraordinaire de la société ayant statué sur la modification de la composition du capital ainsi que les statuts modifiés et la présentation à l'autorité administrative de la composition du capital de la société, et a considéré que cet agrément avait "nécessairement donné valeur légale au pacte d'actionnaires du 22 mars 2011 et à la composition de l'actionnariat qu'il avalise", ce nouveau pacte ayant rendu caduc le pacte du 30 juin 2005 sur lequel étaient fondées les demandes litigieuses ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a violé l'article 1134, devenu 1103, du code civil, ensemble les articles L. 422-2-1 et L. 422-5 du code de la construction et de l'habitation. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, et les articles L. 422-2-1, L. 422-5, R. 422-16 et R. 422-16-1 du code de la construction et de l'habitation :

7. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

8. Selon le deuxième, l'actionnaire de référence d'une société anonyme d'HLM peut être constitué d'un groupe de deux ou trois actionnaires, liés entre eux par un pacte emportant les effets prévus à l'article 1134 du code civil et s'exprimant d'une seule voix dans les assemblées générales de la société. Le pacte d'actionnaires est communiqué dès sa conclusion au préfet de la région dans laquelle la société a son siège. En cas de rupture du pacte ou en cas de modification de la composition du capital ayant un effet sur l'actionnaire de référence, les instances statutaires de la société anonyme d'HLM doivent demander un renouvellement de leur agrément. Selon les troisième et quatrième textes, les sociétés anonymes d'HLM doivent être agréées par le ministre chargé de la construction et de l'habitation. Selon le cinquième, l'agrément du ministre chargé de la construction et de l'habitation doit être renouvelé en cas de rupture du pacte d'actionnaires ou en cas de modification de la composition du capital ayant un effet sur l'actionnaire de référence.

9. D'une part, il résulte des articles L. 422-2-1 et R. 422-16-1 du code de la construction et de l'habitation que le renouvellement, par le ministre chargé de la construction et de l'habitation, de l'agrément d'une société anonyme d'HLM, à la suite de la modification de son capital social et de la conclusion d'un nouveau pacte d'actionnaires constituant son actionnaire de référence, a pour objet de permettre à l'autorité administrative de s'assurer de la bonne application des dispositions du code de la construction et de l'habitation relatives à l'actionnariat de ces sociétés.

10. Il s'ensuit qu'en renouvelant l'agrément d'une société anonyme d'HLM à la suite de la rupture du pacte d'actionnaires ou de la modification de la composition du capital ayant un effet sur l'actionnaire de référence, le ministre chargé de la construction et de l'habitation, qui n'a pas à s'assurer de la validité des cessions d'actions ayant entraîné cette modification, se borne à vérifier si le nouveau pacte d'actionnaires qui lui est soumis satisfait aux exigences légales et réglementaires, de sorte que le renouvellement de l'agrément ne fait pas obstacle à une action formée devant le juge judiciaire, juge du contrat, tendant à contester, sur le fondement des stipulations contractuelles, une cession d'action ayant entraîné la modification de la composition du capital de la société anonyme d'HLM, quand bien même cette action, à la supposer fondée, aboutirait à remettre en cause le nouveau pacte d'actionnaires.

11. D'autre part, si le nouveau pacte d'actionnaires remplace le pacte précédent, ce dernier reste en vigueur jusqu'à sa rupture ou jusqu'à l'adoption du nouveau pacte.

12. Pour rejeter la demande en nullité de la cession, par le Medef Haut-Rhin, des actions de la société d'HLM Somco comme étant intervenue en violation de la clause de préemption stipulée dans le pacte d'actionnaires du 30 juin 2005, l'arrêt retient que le renouvellement de l'agrément ministériel du 21 octobre 2011, délivré au vu d'un dossier incluant le procès-verbal de l'assemblée générale ayant statué sur la modification de la composition du capital de la société et la présentation à l'autorité administrative de ce capital, a donné valeur légale au pacte d'actionnaires du 22 mars 2011 et à l'actionnariat qu'il avalise et n'a fait l'objet d'aucune contestation. L'arrêt en déduit que ce nouveau pacte, adopté par l'assemblée générale et agréé par l'autorité administrative, a eu pour effet de rendre caduc le pacte d'actionnaires du 30 juin 2005, sur l'application duquel sont fondées les demandes tendant à l'annulation de la cession d'actions en litige, et qu'il n'est pas nécessaire d'examiner cette demande qui se trouve, dès lors, privée d'objet.

13. En statuant ainsi, alors que le renouvellement, par le ministre chargé de la construction et de l'habitation, de l'agrément de la société d'HLM Somco n'a eu pour effet ni de donner valeur légale à la composition du capital résultant de la cession d'actions du 3 décembre 2010 et au pacte d'actionnaires conclu le 22 mars 2011 ni de rendre caduc, avant cette dernière date, le pacte d'actionnaires du 30 juin 2005 et n'a, par suite, pas privé d'objet la demande en annulation de la cession d'actions du 3 décembre 2010 dont elle était saisie, fondée sur la violation des stipulations du pacte du 30 juin 2005 alors en vigueur, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement rendu le 6 juin 2011 par le tribunal de grande instance de Mulhouse, il déboute l'association Logilia, aux droits de laquelle vient la société Action logement immobilier, de son entière demande, et en ce qu'il dit que le pacte d'actionnaires du 30 juin 2005 est caduc, déboute les sociétés Action logement immobilier et Néolia de leurs demandes et statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 31 mai 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz.