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Décisions

CA Douai, 2e ch. sect. 2, 25 mars 2021, n° 19/06577

DOUAI

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Apgalod (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bedouet

Conseillers :

Mme Cordier, Mme Fallenot

T. com. Valenciennes, du 26 nov. 2019, n…

26 novembre 2019

Exposé du litige

MM. Benjamin L., Patrick M., la société Hiatus, M Denis P. et la société Autonomie et Solidarité sont, depuis une augmentation du capital d'octobre 2011, associés de la Sarl L.B. qui exerce à Valenciennes sous l'enseigne «Ateliers Foslin» et dont l'objet est pour l'essentiel : toutes activités de gravure mécanique et laser, imprimerie, sérigraphie, fabrication, réalisation pose et commercialisation de tampon automatique et manuel.

Le capital social de la société est ainsi réparti:

- M. Benjamin L.: 6050 parts, (il est le gérant de la société)

- M. Patrick M.: 2000 parts,

- la société Hiatus: 1000 parts,

- M. Denis P.: 1000 parts,

- La société Autonomie et Solidarité: 2000 parts.

Un pacte d'associé a été conclu entre les associés le 12 avril 2011.

Le 25 janvier 2016, M. L. a constitué une Sarl à associé unique dénommée Apgalod, à laquelle il a apporté en nature toutes les parts qu'il détient dans le capital de la société Lebreux B..

Le 1er octobre 2018, le tribunal de commerce de Valenciennes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de cette dernière et désigné Maître Julien M. en qualité de mandataire judiciaire.

M. Patrick M. considérant que l'apport en société réalisé par M. Benjamin L. l'a été en violation du pacte d'associé a, par acte d'huissier du 17 mai 2018, assigné M. Benjamin L., la société Apgalod et la société Lebreux B. devant le tribunal de commerce de Valenciennes aux fins de voir:

- dire que l'apport en nature des 6050 parts détenues par M. L. à la société Apgalod l'a été en violation de la clause de sortie conjointe stipulée à l'article 5 du pacte d'associé de cette dernière, et en conséquence ordonner la cession forcée à M. Benjamin L. des 2000 parts sociales détenues par M. Patrick M. au prix unitaire de 17 euros la part, soit la somme globale de 34 000 euros,

- de condamner M. L. au paiement de cette somme, outre divers dommages et intérêts en réparation des préjudices subis.

Maître M., ès-qualités de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société de la Sarl L.B. a été régulièrement appelé à l'instance.

Par jugement du 26 novembre 2019, le tribunal de commerce de Valenciennes a pour l'essentiel:

- Dit le jugement opposable à la société Apgalod, à la société Lebreux B. et à Maître Julien M., ès-qualités,

- Constaté que l'apport en nature à la Sarl Apgalod des 6050 parts détenues par M. Benjamin L. dans le capital de la société Lebreux B. a été réalisé au mépris de la clause de sortie conjointe stipulée à l'article 5 du pacte d'associés en date du 12 avril 2011,

En conséquence,

- Ordonné la cession forcée à M. Benjamin L. des 2000 parts sociales détenues par M. Patrick M. dans le capital de la Sarl L.B. au prix unitaire de 17 euros, soit la somme globale de 34 000 euros,

- Condamné en tant que de besoin M. Benjamin L. à payer à M. Patrick M. la somme de 34 000 euros au titre de la dite cession forcée,

- ondamné M. Benjamin L. à payer à M. Patrick M. la somme de 1500 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

-Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

-Condamné M. Benjamin L. aux dépens.

Suivant déclaration d'appel du 13 décembre 2019, M. Benjamin L., Maître Julien M., ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Lebreux B., l'Eurl Apgalod et la Sarl L.B., ont relevé appel de ce jugement.

Par conclusions signifiées sur le RPVA le 13 mars 2020, ils demandent à la cour de:

- Réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- Débouter M. Patrick M. de toutes ses demandes,

- Mettre hors de cause la société Apgalod,

- Condamner reconventionnellement M. M. à payer la somme de 2500 euros à la société Apgalod sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Le condamner en outre à payer la somme de 5000 euros pour procédure abusive, outre 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, à M. Benjamin L.,

- Le condamner aux dépens.

Par conclusions notifiées sur le RPVA le 29 mai 2020, M. M. demande à la cour de:

Vu le Jugement rendu par le tribunal de commerce de Valenciennes en date du 26/11/2019 ;

Vu le pacte d'associés de la SARL L. B. en date du 12/04/2011 ;

Ensemble les articles 1134, 1142, 1147, 1156, 1222, 1843-3 du Code civil, dans leurs versions en vigueur du 17/02/1804 au 01/10/2016 ;

Vu les articles 32-1, 122, 515, 699, 700 et 901 du Code de procédure civile; Vu la Jurisprudence citée ;

Vu les pièces versées aux débats ;

- Dire bien jugé ; mal appelé,

- Dire que l'arrêt à intervenir sera commun et opposable à la SARL APGALOD, la SARL L. B. et Maître Julien M., ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL L. B.,

- Déclarer Monsieur Benjamin L. irrecevable ou, à tout le moins, mal fondé en sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive et l'en débouter,

- Débouter Monsieur Benjamin L., la SARL APGALOD, la SARL L. B. et Maître Julien M., ès qualités de mandataire judiciaire de la SARL L. B., de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- Débouter Monsieur Benjamin L., la SARL APGALOD, la SARL L. B. et Maître Julien M., es qualité de Mandataire Judiciaire de la SARL L. B., de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions plus amples ou contraires,

En conséquence,

- Confirmer le Jugement entrepris, rendu par le Tribunal de Commerce de VALENCIENNES en date du 26 novembre 2019, en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- Condamner Monsieur Benjamin L. à payer à Monsieur Patrick M. une somme de 4 000 € à titre d'indemnité procédurale sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles qu'il a été contraint d'engager pour les besoins de la présente procédure en appel,

- Condamner Monsieur Benjamin L. aux entiers frais et dépens de la présente procédure en appel, dont distraction au profit de Maître Hervé M., Avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile,

SUR CE, LA COUR

Le pacte d'associé versé aux débats compte 11 articles, l'article 1 est relatif aux définitions des mots et expressions utilisés dans le cadre du dit pacte, l'article 2 fixe à dix ans sa durée, l'article 3 est relatif au droit de préemption portant sur les droits des minoritaires, l'article 4 prévoit l'existence d'une promesse de vente des parts détenues par les minoritaires, l'article 5 est relatif à la clause de sortie conjointe, l'article 6 prévoit une clause de renforcement du capital social, l'article 7 est relatif à la transmission du pacte dans l'hypothèse de décès d'un signataire personne physique ou de transmission universelle de patrimoine d'une société signataire, les articles 8,9,10 et 11 sont notamment relatifs à la confidentialité, l'indivisibilité et la solidarité, les procédures à suivre pour l'exécution du pacte, les clauses de conciliation et d'attribution de juridiction.

Le présent litige porte sur l'article 5 du dit pacte.

Celui-ci est ainsi rédigé:

« Au cas où le Majoritaire envisagerait de céder tout ou partie de ses Titres de la Société à un Tiers, le Majoritaire s'engage à permettre également aux Minoritaires, si ces derniers le souhaite, de céder également leurs Titres à un prix de cession unitaire par titre identique et aux mêmes conditions de cession.

Pour le cas où la cession de ses titres envisagée par le majoritaire porterait sur la majorité du capital social de la Société, les Minoritaires seront tenus, ainsi que chacun d'eux s'y engage irrévocablement, de céder leurs titres de la Société concomitamment à la cession par le Majoritaire, à un prix de cession unitaire par Titre identique, et aux mêmes conditions de cession, dès lors que ce prix de cession est au moins équivalent au prix qui serait obtenu à même date par application de la formule de détermination de prix de cession convenue à l'article 4.4 des présentes. Pour le cas où le prix de cession obtenu du tiers serait inférieur au prix de cession qui serait obtenu à même date par application de la formule de détermination de prix de cession convenu à l'article 4.4 des présentes, chaque Minoritaire sera tenu de céder mais bénéficiera du prix de cession le plus élevé.

Tout projet de cession du Majoritaire devra être notifié à chacun des Minoritaires par lettre recommandée avec accusé de réception, trente jours au moins avant la date prévue pour la réalisation.

En cas de cession de titres par le Majoritaire ne portant pas sur la majorité du capital social de la Société chaque Minoritaire disposera d'un délai de quinze jours à compter de la réception de la Notification prévue au paragraphe précédent, pour faire connaître s'il entend bénéficier de la faculté de sortie conjointe qui lui est offerte. A défaut, il sera réputé avoir définitivement renoncé à l'exercice de cette faculté pour l'opération considérée.

En cas d'exercice par un Minoritaire de la faculté de sortie conjointe, le Majoritaire ne pourra céder sa propre participation ou réaliser l'opération projetée qu'après que le Minoritaire concerné ait été en mesure d'exercer les droits qui lui sont conférés en vertu du présent article.

L'absence d'exercice de la faculté de se retirer par un Minoritaire alors que le Majoritaire aurait réduit sa participation initiale au capital, ne le privera pas de la possibilité d'exercer cette faculté à l'occasion d'un nouveau projet de cession susceptible de réduire encore la Participation du Majoritaire».

M. M. considère que l'apport des titres de M. L. à la société Apgalod a été réalisé au mépris de l'article 5 du pacte d'associé, et qu'il se devait en conséquence de respecter la procédure mise en place par cet article.

Il soutient que M. L. a cédé ses parts détenues dans le capital de la Sarl Benjamin L. à la société Apgalod moyennant une contrepartie formalisée par l'attribution de parts sociales dans le cadre de cette société de sorte que l'apport de titres à une société tierce s'inscrit parfaitement dans l'esprit de la clause conjointe de sortie ; il ajoute que le terme de cession repris au sein de cette clause doit être compris dans une acception large, en ce compris les apports en nature des droits sociaux détenus par M. L. au sein de la société Lebreux B. au profit de la société Apgalod.

Il ajoute encore que l'objet de la clause était de protéger les associés minoritaires contre toute opération de la part de l'associé majoritaire ayant pour conséquence de faire entrer un nouvel associé, personne physique ou morale, dans le capital de la Sarl L.B..

Il en déduit qu'il est ainsi bien fondé en sa demande tendant à ce que soit ordonnée la cession forcée à M. L. des 2000 parts sociales qu'il détient dans la Sarl L.B..

Les appelants soutiennent au contraire que l'article 5 sur lequel l'intimé a fondé son action ne s'applique pas à l'apport des parts détenues par le majoritaire, M. Benjamin L., au sein de la société à capital unique dont il est le seul actionnaire.

Ils font en effet valoir que la rédaction de l'article 5 ne fait pas référence à la « transmission » des parts telle que définie à l'article 1 du pacte, de sorte que l'hypothèse de «cession à un tiers» qui y est visée ne peut s'appliquer à l'hypothèse d'un apport.

****

L'article 1 du pacte prévoit en son paragraphe 3 que « par « Transmission », il faut entendre au sens du dit pacte, toute mutation à titre onéreux ou gratuit de la pleine propriété, la nue-propriété ou l'usufruit de Titres, par quel que mode juridique que ce soit telle que notamment, sans que cette énumération soit limitative: vente, apport, fusion, scission, donation, échange, licitation, succession, constitution de droit réel, promesse de cession de Titres, cession ou promesse de cession d'un droit attaché au Titre tel que droit préférentiel de souscription ; étant précisé que la définition de Cession s'entendra également de l'abandon volontaire d'un droit préférentiel de souscription, l'abandon volontaire ou forcé d'un droit attaché au titre. »

L'article 3 du pacte, indique que toute transmission des Titres par le ou les Minoritaires est soumise au respect d'un droit de préemption.

Il précise à cet égard que dans l'hypothèse où un Minoritaire souhaite se séparer de tout ou parties de ses Titres, dans les hypothèses visées sous le terme «Transmission» ou suite à son décès, Monsieur Benjamin L. bénéficiera à titre irréductible d'un droit de préemption portant sur la totalité des Titres objet de la Transmission envisagée.

L'article 5 relatif à la clause de sortie conjointe, vise en revanche non pas le cas de la Transmission des parts de la société, telle qu'elle est définie à l'article 1er du pacte, mais l'hypothèse plus restreinte du cas ou «le Majoritaire envisagerait de céder tout ou partie de ses titres de la société à un Tiers».

Ainsi, l'apport en société qui est visé dans l'article 1er au titre de la définition de la Transmission au sens du pacte, comme modalité de mutation à titre onéreux ou gratuit des Titres de la société, ne rentre pas dans les prévisions de l'article 5 puisque le dit article ne prévoit pas, contrairement à l'article 3, l'hypothèse d'une «Transmission» des titres de la société au sens de l'article 1er, mais seulement la cession des titres à un tiers.

Dès lors, faute d'avoir dans la clause de sortie conjointe, visé une hypothèse de transmission des titres plus large que celle que la seule cession des titres à un tiers qui y figure, les parties au pacte ont ainsi entendu exclure tout autre modalité de mutation des titres et notamment leur apport à une société.

Il s'ensuit que l'apport des titres que M. Benjamin L. détenait dans la société Lebreux B. à la société unipersonnelle Apgalod ne constitue pas au sens de l'article 5 du pacte d'actionnaire, tel qu'il a été rédigé par les parties, une cession de tout ou partie de ses titres de la dite société à un tiers.

Le jugement est ainsi infirmé et M. M., qui ne peut prétendre à la cession forcée à M. Benjamin L. des titres qu'il détient dans la société Lebreux B. doit être débouté de l'ensemble de ses demandes.

Les appelants seront déboutés de leur demande tendant à voir M M. condamné à payer à M. Benjamin L., la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, aucune développement de nature à en justifier le bien fondé ne figurant dans le corps de leurs écritures.

Le sens de l'arrêt conduit la cour à infirmer les dispositions du jugement sur les dépens de première instance et sur la condamnation de M. L. au titre des frais irrépétibles.

M. M. est condamné aux dépens de première instance et d'appel.

Il est en outre condamné à payer la somme de 3000 euros à M. Benjamin L. au titre des frais irrépetibles de première instance et d'appel et la somme de 1000 euros à la société à la société Apgalod au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

- Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau et y ajoutant:

- Déboute M. M. de l'ensemble de ses demandes,

- Déboute les appelants de leur demande de condamnation de l'intimé à payer la somme de 5000 euros à M. Benjamin L. pour procédure abusive,

- Condamne M. M. aux dépens de première instance et d'appel,

- Le condamne en outre à payer la somme de 3000 euros à M. Benjamin L. et la somme de 1000 euros à la société Apgalod, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.