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Décisions

Cass. 1re civ., 24 novembre 2021, n° 20-13.318

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

Mme Le Gall

Avocats :

SCP Buk Lament-Robillot, SCP Hémery, Thomas-Raquin, Le Guerer

Versailles, du 31 oct. 2019

31 octobre 2019


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 31 octobre 2019), la société Magnum photos est une coopérative photographique créée en 1947 et ayant pour activité la représentation de photographes et l'exploitation pour leur compte de droits de reproduction et de représentation de leurs oeuvres.

2. Au titre de ses activités, elle a remis pendant plusieurs années différents négatifs et planches-contact à la société Hachette Filipacchi associés (HFA) qui a procédé à des tirages de presse et les lui a restitués.

3. Le 19 juin 2013, la société Magnum photos a assigné la société HFA sur le fondement des articles L. 111-1, L. 121-1 et L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle, afin d'obtenir, d'une part, la restitution, sous astreinte, de tirages réalisées par celle-ci correspondant à des listings de photographies publiées dans le magazine Paris-Match au cours de la période s'étendant de 1949 à 1989 ainsi que dans les magazines Elle et Marie-Claire de 1962 à 1969, d'autre part, l'interdiction pour la société HFA de les vendre, enfin, la réparation de son préjudice. La société HFA, aux droits de laquelle se trouve la société Lagardère média news (la société Lagardère) a opposé la prescription et le fait qu'elle était propriétaire des tirages réalisés à ses frais.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. la société Magnum photos fait grief à l'arrêt de dire irrecevables car prescrites ses demandes en restitution des tirages de presse de photographies antérieurement au 19 juin 1983, alors :

« 1°/ que les actions en restitution engagées par le déposant ou le prêteur d'un bien mobilier ou par toute autre personne qui remet à titre précaire une chose à autrui sont imprescriptibles et ne sont donc pas soumises au délai de prescription de droit commun des actions personnelles ou mobilières ; qu'en retenant, pour dire irrecevable, car prescrite, la demande de la société Magnum photos en restitution des tirages de presse de photographies parus antérieurement au 19 juin 1983, que cette demande relevait de la prescription civile de droit commun relative aux actions personnelles ou mobilières, la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 2224 du code civil et, par refus d'application, l'article 2227 du code civil ;

2°/ que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit, qui interrompt le délai de prescription, s'apprécie tant à l'égard du créancier ou de son ayant-droit que du mandataire de celui-ci ; qu'en énonçant, pour dire irrecevable, car prescrite, la demande de la société Magnum photos en restitution des tirages de presse de photographies parus antérieurement au 19 juin 1983, que la restitution de tirages de presse qui était intervenue le 13 janvier 2001 au profit de [3] ne pouvait valoir reconnaissance d'un droit au profit de la société Magnum photos et qu'elle n'avait donc pas interrompu le délai de prescription de l'action en restitution formée par cette dernière, après avoir pourtant constaté que cette société agissait en qualité de mandataire de photographes ou de leurs ayants droit, dont la Fondation [3] qui l'avait investie d'un mandat ad agendum, en qualité d'ayant droit de [3], la cour d'appel, qui a apprécié exclusivement l'existence d'une reconnaissance interruptive de prescription par le débiteur à l'égard du mandataire du créancier et refusé de l'apprécier à l'égard de celui-ci, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2240 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. D'une part, l'action en restitution fondée sur un contrat de dépôt, de prêt ou de mandat constitue une action mobilière distincte de l'action en revendication, de sorte que c'est à bon droit que la cour d'appel a retenu que la demande de restitution des tirages formée par la société Magnum photos était soumise à la prescription civile de droit commun relative aux actions personnelles ou mobilières.

6. D'autre part, la cour d'appel a estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de fait et de preuve soumis, que la restitution de tirages intervenue le 13 janvier 2001 au profit d'[3] ne valait pas reconnaissance d'un droit au profit de la société Magnum photos pour tous les tirages dont elle réclamait la restitution.

7. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

8. La société Magnum photos fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit fait interdiction à la société Lagardère de procéder directement ou indirectement à la vente de tous tirages de presse, comportant le tampon Photo Magnum ou Magnum photo ou la mention manuscrite ou tamponnée "Magnum" ou encore de la mention manuscrite du nom du photographe, alors :

« 1°/ que les supports matériels des tirages photographiques, qui constituent les fruits des négatifs dont ils sont issus, appartiennent originairement au propriétaire desdits négatifs, peu important que ce dernier les ait financés et réalisés et en ait la possession depuis l'origine, dès lors qu'il n'était pas propriétaire des négatifs ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de la société Magnum photos tendant à interdire sous astreinte à la société Hachette Filipacchi associés, aux droits de laquelle est venue la société Lagardère média news, de procéder directement ou indirectement à la vente des tirages litigieux, que ces tirages étaient la propriété de la société Hachette Filipacchi associés, après avoir pourtant constaté que les négatifs à partir desquels les tirages avaient été réalisés avaient été remis à titre de dépôt par la société Magnum photos à Paris-Match pour leur édition, la cour d'appel qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations dont il résultait que la société Hachette Filipacchi associés, aux droits de laquelle est venue la société Lagardère média news, n'était pas la propriétaire desdits tirages a violé, par fausse application, les articles 544 et 2276 du code civil, et par refus d'application, les articles 547 et 548 du code civil, ensemble l'article L. 111-3 du code de la propriété intellectuelle ;

2°/ que dans ses conclusions d'appel, la société Magnum photos soutenait que si Paris-Match éditait une série de tirages de presse à partir des négatifs remis par la société Magnum photos, elle "pouvait décider de ne publier qu'une image, une sélection d'entre elles comme l'ensemble de ces photographies ou même renoncer à publier ledit reportage" ; qu'en retenant, pour rejeter la demande de la société Magnum photos tendant à interdire sous astreinte à la société Hachette Filipacchi associés, aux droits de laquelle est venue la société Lagardère média news, de procéder directement ou indirectement à la vente des tirages litigieux, qu'elle n'était pas fondée à invoquer le droit de divulgation reconnu à l'auteur par application de l'article L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle qui lui donne le pouvoir de décider de rendre ou non publique son oeuvre puisqu'il était constant que les photographies concernées avaient déjà fait l'objet de publications, la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis des conclusions de la société Magnum par lesquelles cette dernière soutenait que toutes les photographies litigieuses n'avaient pas déjà été publiées et a ainsi violé l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis. »

Réponse de la Cour

9. D'une part, après avoir énoncé à bon droit que, dès lors que la société HFA avait financé les supports vierges et les frais techniques de développement, elle était la propriétaire originaire de ces supports et que la propriété intellectuelle est indépendante de la propriété de l'objet matériel, la cour d'appel en a exactement déduit que la société Lagardère, propriétaire des tirages litigieux, était en droit d'en disposer.

10. D'autre part, dès lors qu'il résultait des conclusions d'appel de la société Magnum photos que les tirages dont elle réclamait la restitution étaient ceux parus dans des titres de presse publiés par la société HFA entre 1949 et 1989, la cour d'appel n'a pas dénaturé ces écritures en retenant que les photographies concernées avaient déjà fait l'objet d'une publication.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi incident

Enoncé du moyen

12. La société Lagardère fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme prescrites les demandes en restitution concernant seulement les tirages de presse de photographies parus antérieurement au 19 juin 1983, alors « que, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ; que les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 prévoient qu'en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; qu'en conséquence, le nouveau délai quinquennal s'applique aux actions personnelles ou mobilières dont la prescription n'était pas acquise au 19 juin 2008, et ce à compter de ce même jour, pour expirer au plus tard le 18 juin 2013 à minuit (ou 19 juin à 0 heure) ; que la cour d'appel a constaté à juste titre que, s'agissant des tirages de presse publiés antérieurement au 19 juin 1978, la prescription civile trentenaire était déjà acquise au jour de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ; qu'elle a ensuite retenu que, "pour les prescriptions non encore acquises en vertu des anciennes dispositions légales lors de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008, le délai pour agir expirait le 19 juin 2013 à 0 heure, sans toutefois que la durée totale ne puisse excéder trente ans, de sorte que l'assignation délivrée le 19 juin 2013 n'a pas interrompu le délai de prescription, lequel était acquis le jour même à 0 heure" ; qu'il résultait de ces constatations de l'arrêt que l'action en restitution engagée par la société Magnum photos par assignation du 19 juin 2013, soit plus de cinq après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, était prescrite s'agissant de l'ensemble des tirages de presse litigieux, y compris ceux publiés entre le 19 juin 1978 et l'année 1989 ; qu'en énonçant que "le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a jugé que toute demande portant sur des tirages de clichés publiés antérieurement au 19 juin 1983 était prescrite", cependant que la prescription s'étendait à l'ensemble des demandes formées par la société Magnum photos, en ce compris celles concernant les clichés parus entre 1983 et 1989, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles 2222 et 2224 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 2222 et 2224 du code civil, dans leur rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 :

13. L'action en restitution fondée sur un contrat de dépôt, de prêt, ou de mandat était soumise à une prescription de trente ans ramenée à cinq ans par la loi du 17 juin 2008.

14. Selon l'article 2222, alinéa 2, du même code, en cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

15. Il en résulte que dans le cas d'une telle action, dont le point de départ du délai de prescription se situait antérieurement au 19 juin 2008, la prescription était acquise le 18 juin 2013 à 24 heures.

16. Pour juger que seules les demandes de restitution portant sur des tirages publiés antérieurement au 19 juin 1983 étaient prescrites, l'arrêt énonce que, pour les prescriptions non encore acquises lors de l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, soit le 19 juin 2008, le délai pour agir expirait le 19 juin 2013 à 0 heure, sans toutefois que la durée totale ne puisse excéder trente ans, de sorte que l'assignation délivrée le 19 juin 2013 n'a pas interrompu le délai de prescription, lequel était déjà acquis le même jour à 0 heure.

17. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ces constatations que la totalité des demandes portant sur les tirages publiés entre 1949 et 1989 était prescrite le 19 juin 2013, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Sur le quatrième moyen du pourvoi principal

Enoncé du grief

18. La société Magnum photos fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de dommages-intérêts, alors « que la cassation d'un chef de dispositif entraîne par voie de conséquence l'annulation de toute autre disposition qui entretient avec lui un lien d'indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que la cassation à intervenir sur le deuxième ou le troisième moyens respectivement relatifs au rejet de la demande de la société Magnum photos en restitution (deuxième moyen) et au rejet de la demande tendant à l'interdiction de vendre les tirages de presse (troisième moyen) entraînera l'annulation par voie de conséquence du chef de dispositif rejetant sa demande en dommages-intérêts qui en était l'accessoire, en application de l'article 624 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

19. La cassation n'étant pas prononcée sur le troisième moyen, le grief tiré d'une annulation par voie de conséquence est devenu sans portée.

Portée et conséquences de la cassation

20. D'une part, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile, comme il est suggéré en défense.

21. La prescription de l'action de la société Magnum photos étant acquise le 18 juin 2013 à 24 heures, sa demande de restitution formée le 19 juin 2013 est irrecevable au titre de l'ensemble des tirages litigieux.

22. D'autre part, la cassation sans renvoi prononcée sur la seconde branche du moyen du pourvoi incident rend inopérant le deuxième moyen du pourvoi principal.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette la demande de restitution des tirages formée par la société Magnum photos, l'arrêt rendu le 31 octobre 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.